Excellence,
Votre lettre du 4 avril dernier m’a été fidèlement remise le 9 suivant. Je vous en remercie, et vous présente de vives excuses pour vous répondre si tardivement. Une fois passées les fêtes pascales, et après avoir pris un temps de réflexion, je m’apprêtais à le faire, et devais soumettre un projet au Saint-Père deux jours après le sacrilège attentat dont Sa personne a été l’objet le soir du 13 mai. Vous comprendrez dès lors pourquoi la présente lettre vous parvient après un aussi long délai. J’ai dû en effet attendre le rétablissement du Saint- Père et la reprise des audiences régulières qu’il m’accorde pour lui présenter un texte et solliciter son approbation, puisqu’aussi bien, vous le savez, nos échanges communs ne se font qu’avec son accord et sont l’objet de toute son attention.
Il me semble que vous ne serez pas absolument surpris si je vous indique que votre réponse du 4 avril ne peut malheureusement pas être considérée comme satisfaisante et permettant de passer rapidement à la désignation d’un délégué pontifical. Je crois indispensable de vous indiquer les raisons de cette appréciation, en suivant les quatre points abordés.
1°) Il vous était demandé en premier lieu une « claire manifestation de regrets pour la part que vous avez eue dans la situation de rupture objective qui s’est créée (notamment du fait des ordinations) et pour vos attaques excessives, dans le contenu et dans les termes, contre le Concile, contre de nombreux évêques et contre le Siège Apostolique » (cf. ma lettre du 19 février 1981). Votre réponse déclare simplement : « Si certaines de mes paroles ou certains de mes actes ont déplu au Saint- Siège, je le regrette vivement. » Il n’y a là aucune reconnaissance explicite de votre responsabilité dans la situation de rupture objective créée de votre fait, mais seulement une expression conditionnelle et d’une extrême brièveté. Il ne peut donc s’agir de la « claire manifestation de regrets » souhaitée de votre part pour les motifs exposés dans ma correspondance précédente.
2°) En ce qui concerne le deuxième Concile du Vatican, votre réponse ne correspond pas au sens de ma demande précédente : en effet, si vous souscrivez à une parole du Saint- Père disant en quel sens doit être reçu le Concile, vous ne déclarez pas pour autant votre propre adhésion aux enseignements du Concile lui-même ; en outre, vous faites toujours silence sur la seconde partie de la demande : « compte tenu de la qualification théologique, etc… », tout comme sur les autres aspects concernant la reconnaissance du « religiosum voluntatis et intellectus ohsequium » et la cessation de toute polémique ultérieure.
Sur ce dernier point, je ne puis que constater avec peine que dans plusieurs des déclarations faites lors de vos déplacements cet été, notamment en Argentine du 11 au 18 août, vous avez à nouveau, selon ce que rapporte l’ensemble des organes de presse, attaqué les enseignements du deuxième Concile du Vatican, et pris à partie nommément et injustement des cardinaux qui remplissent dans la Curie Romaine ou ailleurs une fonction qu’ils doivent à la confiance du Souverain Pontife.
3°) A propos de la liturgie, il est vrai que vous avez signé la Constitution « Sacrosanctum Concilium », et je prends acte de votre déclaration selon laquelle ses applications ne sont pas « de soi invalides et hérétiques ». Mais il apparaît que vous devez aller plus loin, en reconnaissant la légitimité de la réforme liturgique dans sa mise en œuvre, ce qui inclut l’acceptation positive de l’utilisation du nouvel « Ordo Missæ »
Ne pensez-vous pas, du reste, qu’on puisse trouver des difficultés à votre réponse, lorsqu’on sait par ailleurs qu’à un prêtre – qui vous exprimait son étonnement devant le conseil donné à vos séminaristes de s’abstenir d’entendre la messe plutôt que d’assister à une messe célébrée selon le nouvel Ordo –, vous avez fait récemment répondre par le secrétaire général de la Fraternité S. Pie X qu’une telle consigne était justifiée par le fait que ce nouvel Ordo, à cause de ses changements, de ses omissions et de son but, était mauvais ?
Des informations plus récentes encore – et que je voudrais espérer inexactes – donnent à entendre que vous auriez même enjoint aux membres de la Fraternité Saint-Pie X – comme une condition d’appartenance à celle-ci – de ne jamais assister à la messe célébrée selon le « Novus Ordo » (car elle ne permettrait pas d’accomplir le précepte dominical et festif), et de convaincre les fidèles qu’il vaudrait mieux n’assister que quelques fois par an à la « messe traditionnelle » plutôt que de satisfaire le précepte en assistant à une « nouvelle messe ». Comment alors ne pas douter de vos dispositions véritables sur ce point si important en vue d’une réconciliation ?
4°) Enfin vous ne donnez pas suite à la demande précise portant sur l’acceptation des normes du droit ecclésiastique commun pour tout ce qui regarde votre ministère pastoral et vos œuvres, ainsi que pour la Fraternité S. Pie X. Il vous a pourtant été indiqué avec clarté que ce principe fait partie des conditions qui rendront possible la désignation d’un délégué pontifical.
Pour toutes ces raisons, je vous demande très instamment, Excellence, de reprendre à nouveau les points formulés dans mes deux lettres précédentes du 20 octobre 1980 et du 19 février dernier, et d’en faire la base sans équivoque de l’engagement que vous prendrez. En retour, je puis vous garantir la compréhension et la bienveillance du Saint-Père, qui n’a pas hésité à me confier la place que vous occupiez dans sa prière quotidienne.
Permettez-moi d’y ajouter l’assurance de la mienne, avec l’expression de mon respectueux dévouement dans le Seigneur.
+ Franc, card. Seper
Source : et le Vatican sous le pontificat de Jean-Paul II