Léon XIII

256ᵉ pape ; de 1878 à 1903

8 décembre 1902

Lettre encyclique Fin del principio

Sur la formation du clergé

C’est donc pour pré­ser­ver le cler­gé ita­lien des per­ni­cieuses influences des temps que Nous esti­mons oppor­tun, Vénérables Frères, de rap­pe­ler en cette Lettre les vrais et inva­riables prin­cipes qui doivent régler l’éducation ecclé­sias­tique et tout le minis­tère sacré.

Aux évêques d’Italie

Vénérables frères, salut et béné­dic­tion apostolique

Dès le début de Notre pon­ti­fi­cat, fixant Notre atten­tion sur la grave situa­tion de la socié­té, Nous n’avons pas tar­dé à recon­naître que l’un des devoirs les plus urgents de Notre charge apos­to­lique est de veiller d’une façon toute spé­ciale sur l’éducation du clergé.

Nous Nous ren­dions compte, en effet, que tous nos efforts pour res­taurer dans le peuple la vie chré­tienne seraient vains si l’esprit sacer­dotal ne demeu­rait intact et vigou­reux dans le corps ecclé­sias­tique. Aussi n’avons-Nous, jamais ces­sé d’y pour­voir, selon Nos forces, soit par des fon­da­tions oppor­tunes, soit par des ins­truc­tions ten­dant à ce but. Aujourd’hui même, une sol­li­ci­tude par­ti­cu­lière pour le cler­gé d’Italie Nous amène, Vénérables Frères, à trai­ter encore une fois un sujet d’une si grande importance.

Certes, ce cler­gé donne constam­ment d’éclatantes preuves de sa doc­trine, de sa pié­té et de son zèle ; il Nous plaît de signa­ler avec éloge son ardeur à coopé­rer, en secon­dant l’impulsion et la direc­tion des évêques, au mou­ve­ment catho­lique qui nous tient sou­ve­rai­ne­ment à cœur.

Nous ne pou­vons tou­te­fois dis­si­mu­ler la pré­oc­cu­pa­tion qu’éprouve Notre esprit, en voyant com­ment, depuis quelque temps, s’insinue çà et là un violent désir d’innovations incon­si­dé­rées concer­nant soit la for­ma­tion, soit l’action si com­plexe des ministres sacrés. Dès mainte­nant il est aisé d’apercevoir les graves consé­quences qu’on aurait à déplo­rer si l’on n’apportait à ces ten­dances nova­trices un prompt remède.

C’est donc pour pré­ser­ver le cler­gé ita­lien des per­ni­cieuses influences des temps que Nous esti­mons oppor­tun, Vénérables Frères, de rap­pe­ler en cette Lettre les vrais et inva­riables prin­cipes qui doivent régler l’éducation ecclé­sias­tique et tout le minis­tère sacré.

le sacer­doce catho­lique n’est point une ins­ti­tu­tion qui puisse s’accommoder à l’inconstance des opi­nions et des sys­tèmes humains

Divin dans son ori­gine, sur­na­tu­rel dans son essence, immuable dans son carac­tère, le sacer­doce catho­lique n’est point une ins­ti­tu­tion qui puisse s’accommoder à l’inconstance des opi­nions et des sys­tèmes humains. Participation de l’éternel sacer­doce de Jésus-​Christ, il doit per­pé­tuer jusqu’à la consom­ma­tion des siècles la mis­sion même con­fiée par Dieu le Père à son Verbe incar­né : Sicut misit me Pater et ego mit­to vos (Joan. xx, 21.). Opérer le salut éter­nel des âmes sera tou­jours le grand man­dat auquel il ne pour­ra jamais se sous­traire, de même que, pour le rem­plir fidè­le­ment, il ne devra jamais ces­ser de recou­rir à ces secours sur­na­tu­rels, et à ces règles divines de pen­sée et d’action que lui don­na Jésus-​Christ quand il envoyait ses Apôtres à tra­vers le monde entier pour conver­tir les peuples à l’Evangile.

Aussi, dans ses lettres, saint Paul rappelle-​t-​il que le prêtre n’est que l’ambas­sa­deur, le ministre du Christ, le dis­pen­sa­teur de ses mys­tères (II Cor. v, 20 ; vi, 4 ; I Cor. iv, 1.), et il nous le repré­sente comme pla­cé en un lieu éle­vé (Hebr. v, 1.), inter­mé­diaire entre le ciel et la terre, pour trai­ter avec Dieu des suprêmes inté­rêts du genre humain, qui sont ceux de la vie éternelle.

Telle est la concep­tion que les Livres Saints donnent du sacer­doce chré­tien, c’est-à-dire une ins­ti­tu­tion sur­na­tu­relle, supé­rieure à toutes les ins­ti­tu­tions de la terre et entiè­re­ment sépa­rée d’elles comme le divin l’est de l’humain.

C’est la même haute idée qui res­sort clai­re­ment des œuvres des Pères, de la doc­trine des Pontifes romains et des évêques, des décrets conci­liaires et de l’enseignement una­nime des Docteurs et des Ecoles catho­liques. Toute la tra­di­tion de l’Eglise pro­clame d’une seule voix que le prêtre est un autre Christ, et que le sacer­doce, bien qu’il s’exerce sur la terre, est pla­cé à bon droit dans la hié­rar­chie céleste [1], puis­qu’il a l’ad­mi­nis­tra­tion de choses toutes célestes et qu’il lui a été confé­ré un pou­voir que Dieu n’a pas don­né même aux anges [2], pou­voir et minis­tère qui concernent le gou­ver­ne­ment des âmes, c’est-à-dire l’art des arts [3].

En consé­quence, l’éducation, les études, les habi­tudes, en un mot tout ce qui appar­tient à la dis­ci­pline sacer­do­tale a tou­jours été consi­déré par l’Eglise comme un tout non pas seule­ment dis­tinct, mais encore sépare des règles ordi­naires de la vie laïque.

Cette dis­tinc­tion et cette sépa­ra­tion doivent donc demeu­rer inal­té­rables, même en notre temps ; et toute ten­dance à uni­fier ou confondre l’éducation et la vie ecclé­sias­tiques avec l’éducation et la vie laïques doit être tenue pour réprou­vée, et par la tra­di­tion des siècles chré­tiens, et par la doc­trine apos­to­lique elle-​même, et par les pres­crip­tions de Jésus-Christ.

Assurément, la rai­son exige que dans la for­ma­tion du cler­gé et dans le minis­tère sacer­do­tal on tienne compte de la diver­si­té des temps. Nous sommes donc bien loin de son­ger à reje­ter les chan­ge­ments qui rendent l’œuvre du cler­gé tou­jours plus effi­cace dans la socié­té au milieu de laquelle il vit ; c’est même pour ce motif qu’il Nous a paru utile de pro­mouvoir dans le cler­gé une culture plus solide et plus choi­sie, comme d’ouvrir à son minis­tère un champ plus éten­du. Mais il fau­drait abso­lument blâ­mer toute autre inno­va­tion qui pour­rait por­ter pré­ju­dice au carac­tère essen­tiel du prêtre.

Le prêtre est, par-​dessus tout, consti­tué maître, méde­cin et pas­teur des âmes ; il les dirige vers un but qui ne se ren­ferme pas dans les limites de la vie pré­sente ; il ne pour­ra donc jamais cor­res­pondre entiè­rement à d’aussi nobles devoirs s’il n’est pas, autant qu’il le faut, ver­sé dans la science des choses sacrées et divines, s’il n’est pas abondam­ment pour­vu de cette pié­té qui fait de lui un homme de Dieu, s’il ne met pas tous ses soins a cor­ro­bo­rer ses ensei­gne­ments par l’efficacité de l’exemple, selon l’avertissement don­né au Pasteur sacré par le Prince des apôtres : Forma fac­ti gre­gis ex ani­mo (Petr. v, 3.). Quelque chan­ge­ment qu’apportent les temps, quelles que soient les varia­tions et les trans­for­ma­tions sociales, ce sont là les qua­li­tés propres et supé­rieures qui doivent res­plen­dir dans le prêtre catho­lique, sui­vant les prin­cipes de la foi ; toute autre res­source, natu­relle et humaine, sera sans doute recom­man­dable, mais n’aura, par rap­port au minis­tère sacer­do­tal, qu’une impor­tance secon­daire et relative.

il est néces­saire que, loin de céder au mau­vais cou­rant du siècle, il y résiste avec vigueur

Si donc il est rai­son­nable et juste que, dans les limites per­mises, le cierge se plie aux besoins de notre époque, c’est aus­si son devoir, et il est néces­saire que, loin de céder au mau­vais cou­rant du siècle, il y résiste avec vigueur. Cette conduite répond essen­tiel­le­ment au but éle­vé du sacer­doce en même temps qu’elle contri­bue à rendre plus fruc­tueux son minis­tère par un accrois­se­ment de consi­dé­ra­tion et de respect.

On ne sait que trop com­ment l’esprit natu­ra­liste tente de cor­rompre toutes les par­ties, même les plus saines, du corps social ; c’est cet esprit qui enor­gueillit les âmes et les sou­lève contre toute auto­ri­té, qui abaisse les cœurs et les porte à recher­cher les biens péris­sables en négli­geant les biens éter­nels. Il est fort à craindre que quelque chose de cet esprit, si nui­sible et déjà si répan­du, ne s’insinue même par­mi les ecclé­sias­tiques, sur­tout par­mi les moins expé­ri­men­tés. Les tristes effets en seraient l’abandon pro­gres­sif de cette gra­vi­té de mœurs qui convient si bien au prêtre, la faci­li­té à céder au charme de toute inno­vation, l’indocilité pré­ten­tieuse envers les supé­rieurs, l’oubli, dans les dis­cus­sions, de la pon­dé­ra­tion et de la mesure si néces­saires sur­tout en matière de foi et de morale. Mais un effet bien plus déplo­rable encore, parce qu’il s’ensuivrait le mal­heur du peuple chré­tien, est celui qui attein­drait le minis­tère sacré de la parole par l’introduction d’un lan­gage incom­pa­tible avec le carac­tère de héraut de l’Evangile.

Mû par ces consi­dé­ra­tions, Nous sen­tons la néces­si­té de recom­man­der à nou­veau et avec la plus vive insis­tance que, avant tout, les Sémi­naires soient main­te­nus avec un soin jaloux dans leur esprit propre, aus­si bien pour l’éducation de l’intelligence que pour celle du cœur.

On ne doit jamais perdre de vue qu’ils sont exclu­si­ve­ment des­ti­nés à pré­pa­rer les jeunes gens non à des fonc­tions humaines, si légi­times et hono­rables qu’elles soient, mais à la haute mis­sion, indi­quée ci-​dessus, de ministres du Christ et dis­pen­sa­teurs des mys­tères de Dieu [4]. De cette obser­va­tion, toute sur­na­tu­relle, il sera tou­jours aisé (comme Nous l’avons déjà fait remar­quer dans l’Encyclique du 8 sep­tembre 1899 adres­sée au cler­gé de France) de tirer des règles pré­cieuses non seu­lement pour la bonne for­ma­tion des clercs, mais aus­si pour écar­ter des éta­blis­se­ments où ils sont éle­vés tout dan­ger inté­rieur ou exté­rieur, d’ordre moral ou religieux.

Quant aux études, le cler­gé ne devant être étran­ger aux pro­grès d’aucun ensei­gne­ment salu­taire, on accep­te­ra ce qui, dans les méthodes nou­velles, est recon­nu vrai­ment bon et utile, car chaque époque con­tribue au pro­grès du savoir humain. Cependant, nous vou­lons qu’à ce sujet on se rap­pelle bien Nos pres­crip­tions concer­nant les études des lettres clas­siques, et sur­tout de la phi­lo­so­phie, de la théo­lo­gie et des sciences connexes, pres­crip­tions que Nous avons don­nées en plu­sieurs docu­ments, prin­ci­pa­le­ment dans l’Encyclique au cler­gé fran­çais, dont Nous tenons, pour ce motif, à vous trans­mettre un exem­plaire, joint à la pré­sente Lettre.

Il serait cer­tai­ne­ment dési­rable que les jeunes clercs pussent tous, comme ils le doivent, faire toutes leurs études dans les Instituts ecclé­siastiques. Mais puisque de graves rai­sons conseillent par­fois, pour cer­tains d’entre eux, de suivre les Universités publiques, qu’on n’oublie pas avec quelles nom­breuses pré­cau­tions les évêques doivent le leur per­mettre [5].

Nous vou­lons de même qu’on insiste sur la fidèle obser­va­tion des règles conte­nues dans un autre docu­ment plus récent, spé­cia­le­ment pour ce qui concerne les lec­tures ou toute autre chose pou­vant don­ner occa­sion aux jeunes gens de prendre une part quel­conque aux agita­tions exté­rieures [6].

Ainsi, les élèves des Séminaires, met­tant à pro­fit un temps pré­cieux dans une par­faite tran­quilli­té d’âme, pour­ront se ren­fer­mer entiè­re­ment dans ces études qui les ren­dront mûrs pour les grands devoirs du sacer­doce, spé­cia­le­ment pour le minis­tère de la pré­di­ca­tion et des con­fessions. Qu’on réflé­chisse com­bien est grave la res­pon­sa­bi­li­té des prêtres qui négligent de prê­ter leur concours per­son­nel à l’exercice de ces saints minis­tères, alors que le peuple en a un tel besoin, et de ceux éga­le­ment qui n’y apportent pas une acti­vi­té éclai­rée : les uns comme les autres cor­res­pondent mal à leur voca­tion spé­ciale dans une chose qui importe gran­de­ment au salut des âmes.

Et ici, Vénérables Frères, Nous devons appe­ler votre atten­tion sur Notre Instruction spé­ciale concer­nant le minis­tère de la pré­di­ca­tion [7], et Nous dési­rons qu’on en tire les fruits les plus abon­dants. Au sujet du minis­tère des confes­sions, qu’on se rap­pelle avec quelle sévé­ri­té le plus célèbre et le plus doux des mora­listes parle de ceux qui n’hésitent pas à sié­ger au tri­bu­nal de la péni­tence sans la com­pé­tence néces­saire [8], et la plainte non moins sévère de l’illustre pon­tife Benoît XIV, qui ran­geait par­mi les plus grands mal­heurs de l’Eglise l’absence, chez les confes­seurs, de la science théo­lo­gique morale exi­gée par l’impor­tance d’une fonc­tion si sainte.

l’on sera extrê­me­ment atten­tif dans l’admission des clercs aux Ordres sacrés

Mais pour atteindre ce noble but de pré­pa­rer de dignes ministres du Seigneur, il est néces­saire, Vénérables Frères, d’apporter tou­jours plus de vigueur et de vigi­lance non seule­ment à la méthode scien­ti­fique, mais aus­si à l’organisation dis­ci­pli­naire et au sys­tème d’éducation de vos Séminaires. Qu’on n’y reçoive que des jeunes gens offrant des espé­rances fon­dées de vou­loir se consa­crer pour tou­jours au minis­tère ecclé­siastique [9]. Qu’on leur évite le contact et plus encore la coha­bi­ta­tion avec des jeunes gens n’aspirant pas au sacer­doce ; cette vie com­mune pour­ra, pour des causes justes et graves, être tolé­rée, pro­vi­soi­re­ment et avec des pré­cau­tions par­ti­cu­lières, tant qu’il ne sera pas pos­sible d’avoir une orga­ni­sa­tion com­plète, confor­mé­ment à l’esprit de la disci­pline ecclé­sias­tique. On ren­ver­ra ceux qui, dans le cours de leur édu­ca­tion, mani­fes­te­raient des ten­dances incom­pa­tibles avec la voca­tion sacer­do­tale, et l’on sera extrê­me­ment atten­tif dans l’admission des clercs aux Ordres sacrés, selon le très grave aver­tis­se­ment de saint Paul à Timothée : Manus cito nemi­ni impo­sue­ris (I.Tim, v, 22.).

En tout ceci, il convient de négli­ger toute autre consi­dé­ra­tion, qui serait tou­jours infé­rieure à celle très éle­vée de la digni­té du saint minis­tère. Puis, pour for­mer dans les élèves du sanc­tuaire une vivante image de Jésus-​Christ, en qui se résume toute l’éducation ecclé­siastique, il importe gran­de­ment que les direc­teurs et les pro­fes­seurs joignent, à l’activité et à la com­pé­tence dans leurs fonc­tions, l’exemple d’une vie de tous points sacer­do­tale. La conduite exem­plaire du maître, sur­tout quand il s’adresse à des jeunes gens, est le lan­gage le plus élo­quent et le plus per­sua­sif pour leur ins­pi­rer la convic­tion de leur propre devoir et l’amour du bien.

Plus la pié­té aura jeté des racines pro­fondes dans l’âme des clercs, mieux ils seront trem­pés dans ce puis­sant esprit de sacri­fice qui est abso­lu­ment néces­saire pour tra­vailler avec zèle à la gloire de Dieu et au salut des âmes.

Une œuvre aus­si impor­tante exige prin­ci­pa­le­ment du direc­teur spi­rituel une pru­dence peu com­mune et des soins inces­sants ; cette fonc­tion, dont Nous dési­rons qu’aucun Séminaire ne soit dépour­vu, doit être confiée à un ecclé­sias­tique très expé­ri­men­té dans les voies de la per­fec­tion chré­tienne. Jamais on ne sau­ra lui recom­man­der assez de sus­ci­ter et de culti­ver dans les élèves, de la manière la plus durable, cette pié­té qui est féconde pour tous, mais qui, spé­cia­le­ment pour le cler­gé, est d’une ines­ti­mable uti­li­té (I Tim. iv, 7–8.). Qu’il soit donc sou­cieux de les pré­mu­nir contre une erreur per­ni­cieuse, assez fré­quente chez les jeunes gens, qui est de se lais­ser tel­le­ment empor­ter par l’ardeur des études qu’on ne consi­dère plus comme un devoir son propre avance­ment dans la science des Saints. Plus la pié­té aura jeté des racines pro­fondes dans l’âme des clercs, mieux ils seront trem­pés dans ce puis­sant esprit de sacri­fice qui est abso­lu­ment néces­saire pour tra­vailler avec zèle à la gloire de Dieu et au salut des âmes.

Grâce à Dieu, ils ne sont pas rares, dans le cler­gé ita­lien, les prêtres qui donnent les plus nobles preuves de ce que peut un ministre du Seigneur péné­tré de cet esprit ; admi­rable est la géné­ro­si­té d’un grand nombre d’entre eux qui, pour étendre le règne de Jésus-​Christ, courent avec empres­se­ment vers les terres loin­taines au devant des fatigues, des pri­va­tions, des souf­frances de toutes sortes et même, du martyre.

Ainsi entou­ré de soins tendres et pré­voyants, dans la culture conve­nable de l’esprit et du talent, le jeune lévite devien­dra gra­duel­le­ment ce que réclament la sain­te­té de sa voca­tion et les besoins du peuple chré­tien. L’apprentissage est long, en véri­té ; néan­moins il devra se pro­lon­ger au delà du temps du Séminaire. Il convient, en effet, que les jeunes prêtres ne soient pas lais­sés sans guide dans leurs pre­miers tra­vaux et qu’ils soient for­ti­fiés par l’expérience de prêtres plus âgés qui mûrissent leur zèle, leur pru­dence et leur pié­té ; il convient éga­le­ment que, tan­tôt par des exer­cices aca­dé­miques, tan­tôt par des confé­rences pério­diques, on déve­loppe l’habitude de les tenir constam­ment occu­pés des études sacrées.

Il est mani­feste, Vénérables Frères, que tout ce que Nous avons recom­man­dé jusqu’ici, loin d’avoir rien de nui­sible, favo­rise au contraire sin­gu­liè­re­ment cette acti­vi­té sociale du cler­gé, maintes fois encou­ra­gée par Nous comme un besoin de notre époque ; car, en exi­geant la fidèle obser­vance des règles rap­pe­lées par Nous, on contri­bue à pro­té­ger ce qui doit être l’âme et la vie de cette activité.

Répétons-​le donc encore ici, et plus haut : il faut que le cler­gé aille au peuple chré­tien, qui est de toutes parts envi­ron­né de pièges, et pous­sé par toutes sortes de fal­la­cieuses pro­messes, spé­cia­le­ment par le socia­lisme, à l’apostasie de la foi héré­di­taire ; mais tous les prêtres doivent subor­don­ner leur action per­son­nelle à l’autorité de ceux que l’Esprit Saint a éta­blis évêques pour gou­ver­ner l’Eglise de Dieu, faute de quoi naî­traient la confu­sion et un très grave désordre, même au pré­ju­dice de la cause qu’ils ont à défendre et à promouvoir.

qu’ils aient tou­jours pré­sent à l’esprit que, même au milieu du peuple, le prêtre doit conser­ver intact son auguste carac­tère de ministre de Dieu, étant pla­cé à la tête de ses frères prin­ci­pa­le­ment ani­ma­rum causa

Aussi, dans ce but, Nous dési­rons que, vers la fin de leur édu­ca­tion dans les Séminaires, les aspi­rants au sacer­doce soient ins­truits comme il convient des docu­ments pon­ti­fi­caux concer­nant la ques­tion sociale et la démo­cra­tie chré­tienne, en s’abstenant, comme Nous l’avons dit plus haut, de prendre aucune part au mou­ve­ment exté­rieur. Plus tard, deve­nus prêtres, qu’ils s’occupent avec un soin par­ti­cu­lier du peuple, qui a été de tout temps l’objet des plus affec­tueuses sol­li­ci­tudes de l’Eglise. Arracher les enfants du peuple à l’ignorance des choses spiri­tuelles et éter­nelles ; les ache­mi­ner, avec une ingé­nieuse ten­dresse, vers une exis­tence hon­nête et ver­tueuse ; raf­fer­mir les adultes dans la foi en dis­si­pant les pré­ju­gés hos­tiles, et les exci­ter à la pra­tique de la vie chré­tienne ; pro­mou­voir, par­mi les laïques catho­liques, les institu­tions recon­nues vrai­ment effi­caces pour l’amélioration morale et maté­rielle des foules ; par-​dessus tout, défendre les prin­cipes de jus­tice et de cha­ri­té évan­gé­lique, où tous les droits et tous les devoirs de la socié­té civile trouvent un juste tem­pé­ra­ment : telle est, dans ses par­ties prin­ci­pales, la noble tâche de leur action sociale. Mais qu’ils aient tou­jours pré­sent à l’esprit que, même au milieu du peuple, le prêtre doit conser­ver intact son auguste carac­tère de ministre de Dieu, étant pla­cé à la tête de ses frères prin­ci­pa­le­ment ani­ma­rum cau­sa [10]. Toute manière de s’occuper du peuple qui ferait perdre la digni­té sacerdo­tale serait un pré­ju­dice pour les devoirs et la dis­ci­pline ecclé­sias­tique, ne pour­rait être que hau­te­ment réprouvée.

Telles sont, Vénérables Frères, les remarques que la conscience de la charge apos­to­lique Nous pres­cri­vait de faire, étant don­née la situa­tion actuelle du cler­gé d’Italie. Nous ne dou­tons pas que, en un sujet si grave et si impor­tant, vous sau­rez joindre à Notre sol­li­ci­tude les indus­tries les plus empres­sées et les plus tendres de votre zèle, vous ins­pi­rant spé­cia­le­ment des lumi­neux exemples du grand arche­vêque saint Charles Borromée. Ainsi, pour assu­rer l’effet de Nos pré­sentes pres­crip­tions, vous aurez soin d’en faire le sujet de vos Conférences régio­nales et de vous concer­ter sur les mesures pra­tiques qui vous paraî­tront plus oppor­tunes, sui­vant les besoins de chaque dio­cèse. A vos exhor­ta­tions et à vos déci­sions ne man­que­ra pas, où il en sera besoin, l’appui de Notre autorité.

Et main­te­nant, avec les mots qui jaillissent spon­ta­né­ment du fond de Notre cœur pater­nel, Nous Nous tour­nons vers vous tous, prêtres d’Italie, recom­man­dant à tous et à cha­cun d’employer tous vos efforts à cor­res­pondre tou­jours plus digne­ment à l’esprit propre de votre émi­nente voca­tion. A vous, ministres du Seigneur, Nous disons avec plus de rai­son que ne le disait saint Paul aux simples fidèles : Obsecro itaque vos ego vinc­tus in Domino, ut digne ambu­le­tis voca­tione qua voca­ti estis (Eph. iv, 1.). Que l’amour de l’Eglise, notre Mère com­mune, conso­lide et for­ti­fie entre vous cette har­mo­nie de pen­sée et d’action qui redouble les forces et rend les œuvres plus fécondes. En des temps si défa­vo­rables à la reli­gion et à la socié­té, quand le cler­gé de toute nation est appe­lé à ser­rer étroi­te­ment pour la défense de la foi et de la morale chré­tienne, il vous appar­tient à vous, Fils bien-​aimés que des liens par­ti­cu­liers unissent à ce Siège apos­to­lique, de don­ner l’exemple à tous les autres, et d’être les pre­miers dans l’o­béis­sance illi­mi­tée à la voix et aux ordres du Vicaire de Jésus-​Christ. Et les béné­dic­tions de Dieu des­cen­dront aus­si abon­dantes que Nous le deman­dons, pour main­te­nir le cler­gé d’Italie tou­jours digne de ses glo­rieuses traditions.

En atten­dant, comme gage des faveurs divines, rece­vez la béné­dic­tion apos­to­lique que Nous accor­dons avec l’effusion du cœur à vous, Véné­rables Frères, et à tout le cler­gé confié à vos soins.

Donné à Rome, près de Saint-​Pierre, en la fête de l’Immaculée Con­ception de Marie, le 8 décembre 1902, vingt-​cinquième année de Notre pontificat.

LEON XIII, PAPE.

Source : Lettres apos­to­liques de S. S. Léon XIII, Tome 7, Maison de La Bonne Presse

Notes de bas de page
  1. Sacerdotium enim in ter­ra per­agi­tur, sed cœles­tium ordi­num clas­sem obti­net : et jure qui­dem meri­to. (S. Jean Chrysostome. Du Sacerdoce, liv. III, n° 4.) []
  2. Etenim qui ter­ram inco­lunt in eaque com­mo­ran­tur, ad ea qua in cœlos sunt dis­pen­san­do com­mis­si sunt, potes­ta­temque acce­pe­runt quam neque Angelis, neque Archangelis, dedit Deus. (Ibid., n° 5.) []
  3. Ars est artium regi­men ani­ma­rum (S. Grégoire le Grand, Regul. past. I, c. 1) []
  4. I Cor. iv, 1.[]
  5. Instruction Perspectum est de la Sacrée Congrégation des Evêques et Réguliers, adres­sée le 21 juillet 1896 aux évêques et aux supé­rieurs des com­mu­nau­tés reli­gieuses d’Italie. (Cf. Questions actuelles, t. XXXVIII, p. 97.) []
  6. Instruction de la Sacrée Congrégation des Affaires ecclé­sias­tiques extraordi­naires sur l’Action popu­laire chré­tienne ou démo­cra­tique chré­tienne en Italie, 27 jan­vier 1902. (Cf, Questions actuelles, t. LXII, p. 290.) []
  7. Instruction de la Sacrée Congrégation des Evêques et Réguliers, adres­sée, le 13 juillet 1894, à tous les Ordinaires et aux Supérieurs des Ordres reli­gieux et des Communautés d’Italie.[]
  8. S. Alphonse de Liguori. Pratica del Confessore, c. i, §3, n° 18.[]
  9. Conc. Trident. Sess. XXIII, c. xviii, de Reformat.[]
  10. Pour le salut des âmes. (Saint Grégoire le Grand, Regul. cast. pars II, c. vii.) []