A six mille ouvrières catholiques d’Italie reçues en audience à l’occasion de leur congrès réuni à Rome pour l’étude du travail féminin, le Saint-Père a rappelé les normes qui doivent régler leur conduite par rapport à la famille, à la vie publique et à l’Eglise.
Vous voici rassemblées très nombreuses autour de Nous, ce matin, chères filles, empressées à Nous affirmer votre inébranlable adhésion aux vérités de la foi catholique et votre filial hommage au Vicaire du Christ. C’est avec une intime satisfaction que Nous vous saluons au nom de Celle qui est la gloire, la joie, l’honneur de toutes les femmes, la Très Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, dont l’Eglise célèbre aujourd’hui solennellement l’Assomption. Assomption de Marie en corps et en âme dans le ciel ! Cela signifie la fin atteinte, le terme, l’achèvement définitif, l’allégresse, le bonheur « qui ne lui sera pas enlevé » (Luc, x, 42). Nous marchons tous, chères filles, avec une foi sans défaillance et une ardente espérance vers notre fin, nous ne l’avons pas encore atteinte ; nous sommes encore en route, errant dans cette réalité terrestre, réalité si pénible et si angoissante. C’est pourquoi vous désirez entendre de Nos lèvres une parole qui vous guide et vous réconforte, afin que vous ne défailliez point le long de la route, mais que vous puissiez atteindre en toute sécurité le but où vous aspirez.
Nous Nous proposons, s’il plaît au Seigneur, de parler dans une prochaine occasion de la condition et des devoirs de la femme dans la vie actuelle. Mais Nous avons hâte d’exposer dès aujourd’hui
devant vous, ouvrières catholiques, quelques idées simples et brèves qui doivent régler votre conduite par rapport à la famille, à la vie publique, à l’Eglise.
Devoirs de l’ouvrière par rapport à la famille
La femme est le cœur de la famille. Le soin de la maison, où elle est reine, constitue le centre et le terrain de son activité principale. Mais dans cet ordre de choses, l’industrie avec ses prodigieux développements a déterminé une transformation sans précédents dans l’histoire de la civilisation humaine. Elle s’est annexé — vous le savez bien — une partie considérable des travaux domestiques qui reviennent naturellement à la femme, et, vice versa, elle a obligé les femmes à sortir en très grand nombre du foyer domestique et à apporter leur concours dans les ateliers, dans les bureaux, dans les administrations. Beaucoup déplorent un tel changement ; mais c’est un fait accompli dont il est présentement impossible de s’affranchir.
D’autres fois déjà, Nous avons indiqué les profondes répercussions qu’un tel changement a produites dans le peuple italien. Car ici, plus peut-être qu’en d’autres pays, la traditionnelle limitation de l’activité féminine au cercle de la famille était un élément fondamental de la santé et de la moralité de la nation, de sorte que ce changement a pu prendre l’aspect d’une véritable révolution sociale.
Quel est donc votre devoir dans une pareille situation ? Faites qu’aujourd’hui, plus que jamais, la famille soit le sanctuaire de votre vie. Que celles d’entre vous qui ne sont pas mariées demeurent, en principe, dans l’intimité de la maison paternelle ! Qu’elles consacrent de bon cœur leur gain et leurs heures libres, en premier lieu à ceux qui leur sont chers — parents, frères, sœurs — même si cela implique le renoncement à une vie plus indépendante et aux plaisirs auxquels tant de leurs compagnes s’abandonnent inconsidérément. Il s’agit ici, chères filles, de nager contre le courant pour demeurer fidèles à un devoir chrétien. Aussi bien l’accomplissement de ce devoir vous assurera le contentement et la paix du cœur, il attirera de plus sur votre avenir, comme une pluie printanière, les bénédictions du ciel.
Et maintenant, Nous disons à celles d’entre vous qui sont déjà épouses et mères : Nous savons parfaitement combien il est difficile de remplir, en restant fidèles à la loi de Dieu, et ses devoirs d’ouvrière dans une entreprise publique et, en même temps, ceux de mère de famille ; Nous n’ignorons pas que beaucoup ne résistent pas et succombent à la tension qui provient de cette double charge. Les efforts de l’Eglise en faveur d’un salaire qui suffise à l’entretien de l’ouvrier et de sa famille ont eu et ont précisément aussi ce but (souvent bien difficile à atteindre) de ramener réponse et la mère à sa vocation propre au sein du foyer domestique.
Chères filles, si vous devez aussi gagner le pain quotidien dans les usines ou dans les administrations, donnez à votre mari et à vos enfants, dans les heures qui vous restent pour la maison, avec une ardeur redoublée le réconfort du bon exemple, des soins affectueux, de l’amour constant. Faites que votre demeure devienne, pour employer les termes de l’apôtre saint Paul, un endroit de « vie tranquille et paisible, en toute piété et dignité » (i Tim., ii, 2). Soyez toujours animées de l’intention d’assurer vous-mêmes à votre famille, en connaissance de cause, ces résultats bienfaisants que les anciennes mœurs chrétiennes, aujourd’hui disparues, procuraient presque inconsciemment. Dans la sanctification des fêtes, la pieuse assistance au saint sacrifice de la messe, la communion fréquente, vous puiserez le courage dans la profession de votre foi, la constance généreuse dans les adversités et les tribulations de la vie, la force pour conserver l’intégrité de l’âme et des mœurs, la fidélité conjugale, l’amour maternel prêt à n’importe quel renoncement. Par-dessus tout, la grâce de Jésus-Christ viendra avec abondance en vous, dans votre famille, dans vos compagnes de travail, afin que la droiture et la loyauté, le respect du droit et de la dignité d’autrui, la promptitude à s’aider réciproquement deviennent les qualités caractéristiques de vos rapports mutuels.
… dans la vie publique
Ce que Nous disions dans l’audience du 11 mars dernier [1], aux associations chrétiennes des travailleurs italiens au sujet de leurs droits et de leurs devoirs dans la vie sociale vaut aussi pour vous, chères filles. C’est pourquoi Nous Nous bornerons à traiter ici seulement deux points.
En premier lieu, Nous n’avons pas besoin de vous rappeler à vous qui avez une vaste expérience en matière sociale, comment l’Eglise a toujours soutenu le principe que, pour la même prestation de travail, à égalité de rendement, l’ouvrière a droit au même salaire que l’ouvrier et combien il serait injuste et contraire au bien commun d’exploiter sans ménagement le travail de la femme, seulement parce qu’on peut l’avoir à plus bas prix, au préjudice non pas uniquement de l’ouvrière, mais encore de l’ouvrier, qui se trouve ainsi exposé au danger du chômage !Pareillement, il est à peine nécessaire de vous rappeler que, lorsqu’il s’agit des fondements moraux de la famille et de l’Etat, des droits de Dieu et de l’Eglise, tous, hommes et femmes, de toute classe ou condition, sont strictement tenus de faire usage de leurs droits politiques au service de la bonne cause.
Mais il y a une chose que Nous vous recommandons particulièrement. En Italie, comme on sait, a été établi le syndicat unique, auquel ont adhéré même les catholiques, bien qu’ils fussent au courant non seulement des avantages escomptés mais aussi des dangers que ce syndicat pourrait présenter. Lors de sa fondation, on reconnut expressément la très haute valeur de l’influence que le souffle de la spiritualité évangélique exercerait dans l’œuvre de la confédération. Cette prévision réconfortante s’est-elle vérifiée ? Nous n’oserions l’affirmer. Quoi qu’il en soit, personne plus que vous, ouvrières catholiques, n’est appelé à faire en sorte que les belles paroles prononcées alors ne demeurent pas un son vain et stérile, bientôt dispersé par les vents des passions politiques, mais qu’elles deviennent effectivement la force éclairante et tutrice de l’activité syndicale. Avec ce courage et cette confiance qui sont la gloire de la jeune génération ouvrière féminine, veillez à ce que le syndicat ne sorte pas du terrain qui lui est propre et ne se transforme en instrument de lutte de classe ou d’intérêts de parti.
… dans l’Eglise.
Ce troisième point, que Nous avons déjà touché d’autres fois, peut se résumer dans ces mots : l’Eglise est l’avocate, la protectrice, la mère des travailleurs. Qui voudrait affirmer le contraire et élever artificieusement un mur de séparation entre l’Eglise et le monde ouvrier serait amené à nier des faits d’une lumineuse évidence.
Si gloriari oportet (s’il faut se glorifier), dirons-Nous avec saint Paul (ii Cor., xi, 30), qui peut présenter un programme social aussi solidement fondé, aussi riche de contenu, aussi vaste et en même temps aussi mesuré et juste que celui que présente l’Eglise catholique ? Depuis qu’il existe un prolétariat de l’industrie, qui a combattu comme l’Eglise, en lutte loyale, pour défendre les droits humains des travailleurs ? Dans une lutte loyale : parce que c’est une action à laquelle l’Eglise se sent obligée devant Dieu par la loi du Christ. Dans une lutte loyale : non pour exciter la haine de classe, mais pour garantir à la classe ouvrière une situation sûre et stable que possédaient déjà les autres catégories de personnes, et afin que la classe ouvrière arrive à faire partie de la communauté sociale avec des droits égaux à ceux des autres membres.
Visitez les pays où l’Eglise catholique peut vivre et agir en liberté, même si ses fidèles, comme par exemple aux Etats-Unis d’Amérique, au Canada, en Angleterre, ne sont qu’une minorité ; là, pénétrez dans les grandes agglomérations de la vie industrielle ; vous n’y trouverez aucune trace d’opposition entre l’Eglise et le monde du travail. De même en Allemagne, antérieurement à 1933 — c’est-à-dire avant le début du régime national-socialiste — les organisations sociales catholiques dans les fiefs industriels les plus puissants — Nous pensons à la Rhénanie et surtout à la Ruhr — représentaient une force grandement bienfaisante, autant pour la protection de l’ouvrier que pour un juste et équitable règlement des conflits économiques. Ce n’est que là seulement où l’Eglise est opprimée et empêchée de vivre et de travailler que le peuple ignorant peut être amené à croire à l’inimitié de l’Eglise à l’égard des travailleurs.
Ouvriers et ouvrières d’Italie, enfants d’une patrie et d’une civilisation où surabondent plus qu’en aucune autre les rencontres et les contacts entre l’Eglise et le peuple, où la pensée catholique a si profondément au cours des siècles pénétré dans la conscience et dans la vie des populations, où l’Ecclesia Mater (la Mère Eglise) trouve une si admirable résonance, patrie dans laquelle les temps antiques se fondent harmonieusement avec le présent plein de vie, ne vous laissez tromper ou égarer par aucune propagande déloyale ! Pensez seulement aux dernières années de l’effroyable guerre. L’Eglise vous a‑t-elle abandonnés ? L’Eglise et le peuple ne sont-ils pas restés unis ? Le peuple qui souffrait et l’Eglise qui a voulu et qui, souvent, a pu efficacement venir à son secours.
Mais avec vous, chères filles, Nous n’avons pas besoin d’insister sur ces vérités. Vous les connaissez et, avec une sainte fierté, vous suivez le drapeau social de l’Eglise. Votre présence autour de Nous témoigne clairement que vous espérez et que vous n’attendez la rénovation de la société que du Christ, de son esprit et de son amour.
Demeurez fidèles à vos convictions. Professez-les courageusement, et portez-les, pour autant qu’il dépend de vous, jusqu’à leurs conséquences dernières. En un temps apocalyptique comme le nôtre, ont seules autorité et valeur les âmes intègres, droites, résolues ; elles seules réussissent à surmonter tout obstacle, à entraîner les autres à leur suite. Et vous avez de votre côté et pour votre aide Dieu, la vérité, l’éternité.
Chères filles, Nous ne pouvons terminer Notre discours sans faire monter jusqu’au Dieu tout-puissant les plus ferventes actions de grâces pour la cessation du conflit mondial. A l’annonce de la fin de la guerre, en ce jour si cher à Marie, vos cœurs particulièrement sensibles et si longtemps torturés de femmes, d’épouses, de mères, de sœurs, de fiancées ont dû, même s’ils étaient déjà frappés par les deuils et les angoisses, se consoler et se réjouir. Les massacres monstrueux, les carnages horribles, les destructions inhumaines ont cessé. Que cesse également tout sentiment de haine, toute ambition de dominer, toute arrogance des puissants, toute oppression des faibles ! Que le monde ressuscite à une nouvelle vie dans une paix de vérité et de justice, qui rende les peuples et les nations tranquilles et unis comme des frères !
Avec ces sentiments et en vous remerciant de la joie que Nous a apportée votre présence, vos vœux et vos résolutions, Nous appelons sur vous-mêmes, sur vos familles, sur vos travaux, les plus abondantes faveurs célestes et, comme présage de ces dernières, Nous vous accordons de grand cœur Notre paternelle Bénédiction apostolique.
Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, 1945. D’après le texte italien des A. A. S., XXXVII, 1945, p. 212 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. VII, p. 164.
- Voir ci-dessus, pp. 63 et suiv.[↩]