Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

15 août 1945

Discours aux ouvrières catholiques d'Italie

Devoirs de l'ouvrière dans la famille, la vie publique et l'Eglise

Table des matières

A six mille ouvrières catho­liques d’Italie reçues en audience à l’occa­sion de leur congrès réuni à Rome pour l’étude du tra­vail fémi­nin, le Saint-​Père a rap­pe­lé les normes qui doivent régler leur conduite par rap­port à la famille, à la vie publique et à l’Eglise.

Vous voi­ci ras­sem­blées très nom­breuses autour de Nous, ce matin, chères filles, empres­sées à Nous affir­mer votre inébran­lable adhé­sion aux véri­tés de la foi catho­lique et votre filial hom­mage au Vicaire du Christ. C’est avec une intime satis­fac­tion que Nous vous saluons au nom de Celle qui est la gloire, la joie, l’honneur de toutes les femmes, la Très Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, dont l’Eglise célèbre aujourd’hui solen­nel­le­ment l’Assomption. Assomption de Marie en corps et en âme dans le ciel ! Cela signi­fie la fin atteinte, le terme, l’achèvement défi­ni­tif, l’allégresse, le bon­heur « qui ne lui sera pas enle­vé » (Luc, x, 42). Nous mar­chons tous, chères filles, avec une foi sans défaillance et une ardente espé­rance vers notre fin, nous ne l’avons pas encore atteinte ; nous sommes encore en route, errant dans cette réa­li­té ter­restre, réa­li­té si pénible et si angois­sante. C’est pour­quoi vous dési­rez entendre de Nos lèvres une parole qui vous guide et vous récon­forte, afin que vous ne défailliez point le long de la route, mais que vous puis­siez atteindre en toute sécu­ri­té le but où vous aspirez.

Nous Nous pro­po­sons, s’il plaît au Seigneur, de par­ler dans une pro­chaine occa­sion de la condi­tion et des devoirs de la femme dans la vie actuelle. Mais Nous avons hâte d’exposer dès aujourd’hui

devant vous, ouvrières catho­liques, quelques idées simples et brèves qui doivent régler votre conduite par rap­port à la famille, à la vie publique, à l’Eglise.

Devoirs de l’ouvrière par rapport à la famille

La femme est le cœur de la famille. Le soin de la mai­son, où elle est reine, consti­tue le centre et le ter­rain de son acti­vi­té princi­pale. Mais dans cet ordre de choses, l’industrie avec ses pro­di­gieux déve­lop­pe­ments a déter­mi­né une trans­for­ma­tion sans pré­cé­dents dans l’histoire de la civi­li­sa­tion humaine. Elle s’est annexé — vous le savez bien — une par­tie consi­dé­rable des tra­vaux domes­tiques qui reviennent natu­rel­le­ment à la femme, et, vice ver­sa, elle a obli­gé les femmes à sor­tir en très grand nombre du foyer domes­tique et à appor­ter leur concours dans les ate­liers, dans les bureaux, dans les admi­nis­tra­tions. Beaucoup déplorent un tel chan­gement ; mais c’est un fait accom­pli dont il est pré­sen­te­ment impos­sible de s’affranchir.

D’autres fois déjà, Nous avons indi­qué les pro­fondes répercus­sions qu’un tel chan­ge­ment a pro­duites dans le peuple ita­lien. Car ici, plus peut-​être qu’en d’autres pays, la tra­di­tion­nelle limi­ta­tion de l’activité fémi­nine au cercle de la famille était un élé­ment fon­damental de la san­té et de la mora­li­té de la nation, de sorte que ce chan­ge­ment a pu prendre l’aspect d’une véri­table révo­lu­tion sociale.

Quel est donc votre devoir dans une pareille situa­tion ? Faites qu’aujourd’hui, plus que jamais, la famille soit le sanc­tuaire de votre vie. Que celles d’entre vous qui ne sont pas mariées demeurent, en prin­cipe, dans l’intimité de la mai­son pater­nelle ! Qu’elles consa­crent de bon cœur leur gain et leurs heures libres, en pre­mier lieu à ceux qui leur sont chers — parents, frères, sœurs — même si cela implique le renon­ce­ment à une vie plus indé­pen­dante et aux plai­sirs aux­quels tant de leurs com­pagnes s’abandonnent incon­si­dé­ré­ment. Il s’agit ici, chères filles, de nager contre le cou­rant pour demeu­rer fidèles à un devoir chré­tien. Aussi bien l’accomplissement de ce devoir vous assu­re­ra le conten­te­ment et la paix du cœur, il atti­re­ra de plus sur votre ave­nir, comme une pluie prin­ta­nière, les bénédic­tions du ciel.

Et main­te­nant, Nous disons à celles d’entre vous qui sont déjà épouses et mères : Nous savons par­fai­te­ment com­bien il est diffi­cile de rem­plir, en res­tant fidèles à la loi de Dieu, et ses devoirs d’ouvrière dans une entre­prise publique et, en même temps, ceux de mère de famille ; Nous n’ignorons pas que beau­coup ne résistent pas et suc­combent à la ten­sion qui pro­vient de cette double charge. Les efforts de l’Eglise en faveur d’un salaire qui suf­fise à l’entre­tien de l’ouvrier et de sa famille ont eu et ont pré­ci­sé­ment aus­si ce but (sou­vent bien dif­fi­cile à atteindre) de rame­ner réponse et la mère à sa voca­tion propre au sein du foyer domestique.

Chères filles, si vous devez aus­si gagner le pain quo­ti­dien dans les usines ou dans les admi­nis­tra­tions, don­nez à votre mari et à vos enfants, dans les heures qui vous res­tent pour la mai­son, avec une ardeur redou­blée le récon­fort du bon exemple, des soins affec­tueux, de l’amour constant. Faites que votre demeure devienne, pour employer les termes de l’apôtre saint Paul, un endroit de « vie tran­quille et pai­sible, en toute pié­té et digni­té » (i Tim., ii, 2). Soyez tou­jours ani­mées de l’intention d’assurer vous-​mêmes à votre famille, en connais­sance de cause, ces résul­tats bien­fai­sants que les anciennes mœurs chré­tiennes, aujourd’hui dis­pa­rues, pro­cu­raient presque incons­ciemment. Dans la sanc­ti­fi­ca­tion des fêtes, la pieuse assis­tance au saint sacri­fice de la messe, la com­mu­nion fré­quente, vous pui­se­rez le cou­rage dans la pro­fes­sion de votre foi, la constance géné­reuse dans les adver­si­tés et les tri­bu­la­tions de la vie, la force pour con­server l’intégrité de l’âme et des mœurs, la fidé­li­té conju­gale, l’amour mater­nel prêt à n’importe quel renon­ce­ment. Par-​dessus tout, la grâce de Jésus-​Christ vien­dra avec abon­dance en vous, dans votre famille, dans vos com­pagnes de tra­vail, afin que la droi­ture et la loyau­té, le res­pect du droit et de la digni­té d’autrui, la promp­ti­tude à s’aider réci­pro­que­ment deviennent les qua­li­tés carac­té­ris­tiques de vos rap­ports mutuels.

… dans la vie publique

Ce que Nous disions dans l’audience du 11 mars der­nier [1], aux asso­cia­tions chré­tiennes des tra­vailleurs ita­liens au sujet de leurs droits et de leurs devoirs dans la vie sociale vaut aus­si pour vous, chères filles. C’est pour­quoi Nous Nous bor­ne­rons à trai­ter ici seu­lement deux points.

En pre­mier lieu, Nous n’avons pas besoin de vous rap­pe­ler à vous qui avez une vaste expé­rience en matière sociale, com­ment l’Eglise a tou­jours sou­te­nu le prin­cipe que, pour la même pres­ta­tion de tra­vail, à éga­li­té de ren­de­ment, l’ouvrière a droit au même salaire que l’ouvrier et com­bien il serait injuste et contraire au bien com­mun d’exploiter sans ména­ge­ment le tra­vail de la femme, seule­ment parce qu’on peut l’avoir à plus bas prix, au pré­ju­dice non pas uni­que­ment de l’ouvrière, mais encore de l’ouvrier, qui se trouve ain­si expo­sé au dan­ger du chô­mage !Pareillement, il est à peine néces­saire de vous rap­pe­ler que, lorsqu’il s’agit des fon­de­ments moraux de la famille et de l’Etat, des droits de Dieu et de l’Eglise, tous, hommes et femmes, de toute classe ou condi­tion, sont stric­te­ment tenus de faire usage de leurs droits poli­tiques au ser­vice de la bonne cause.

Mais il y a une chose que Nous vous recom­man­dons particuliè­rement. En Italie, comme on sait, a été éta­bli le syn­di­cat unique, auquel ont adhé­ré même les catho­liques, bien qu’ils fussent au cou­rant non seule­ment des avan­tages escomp­tés mais aus­si des dan­gers que ce syn­di­cat pour­rait pré­sen­ter. Lors de sa fon­da­tion, on recon­nut expres­sé­ment la très haute valeur de l’influence que le souffle de la spi­ri­tua­li­té évan­gé­lique exer­ce­rait dans l’œuvre de la confédé­ration. Cette pré­vi­sion récon­for­tante s’est-elle véri­fiée ? Nous n’ose­rions l’affirmer. Quoi qu’il en soit, per­sonne plus que vous, ouvrières catho­liques, n’est appe­lé à faire en sorte que les belles paroles pro­noncées alors ne demeurent pas un son vain et sté­rile, bien­tôt dis­persé par les vents des pas­sions poli­tiques, mais qu’elles deviennent effec­ti­ve­ment la force éclai­rante et tutrice de l’activité syn­di­cale. Avec ce cou­rage et cette confiance qui sont la gloire de la jeune géné­ra­tion ouvrière fémi­nine, veillez à ce que le syn­di­cat ne sorte pas du ter­rain qui lui est propre et ne se trans­forme en ins­tru­ment de lutte de classe ou d’intérêts de parti.

… dans l’Eglise.

Ce troi­sième point, que Nous avons déjà tou­ché d’autres fois, peut se résu­mer dans ces mots : l’Eglise est l’avocate, la pro­tec­trice, la mère des tra­vailleurs. Qui vou­drait affir­mer le contraire et éle­ver arti­fi­cieu­se­ment un mur de sépa­ra­tion entre l’Eglise et le monde ouvrier serait ame­né à nier des faits d’une lumi­neuse évidence.

Si glo­ria­ri opor­tet (s’il faut se glo­ri­fier), dirons-​Nous avec saint Paul (ii Cor., xi, 30), qui peut pré­sen­ter un pro­gramme social aus­si soli­de­ment fon­dé, aus­si riche de conte­nu, aus­si vaste et en même temps aus­si mesu­ré et juste que celui que pré­sente l’Eglise catho­lique ? Depuis qu’il existe un pro­lé­ta­riat de l’industrie, qui a com­bat­tu comme l’Eglise, en lutte loyale, pour défendre les droits humains des tra­vailleurs ? Dans une lutte loyale : parce que c’est une action à laquelle l’Eglise se sent obli­gée devant Dieu par la loi du Christ. Dans une lutte loyale : non pour exci­ter la haine de classe, mais pour garan­tir à la classe ouvrière une situa­tion sûre et stable que pos­sé­daient déjà les autres caté­go­ries de per­sonnes, et afin que la classe ouvrière arrive à faire par­tie de la com­mu­nau­té sociale avec des droits égaux à ceux des autres membres.

Visitez les pays où l’Eglise catho­lique peut vivre et agir en liber­té, même si ses fidèles, comme par exemple aux Etats-​Unis d’Amérique, au Canada, en Angleterre, ne sont qu’une mino­ri­té ; là, péné­trez dans les grandes agglo­mé­ra­tions de la vie indus­trielle ; vous n’y trou­ve­rez aucune trace d’opposition entre l’Eglise et le monde du tra­vail. De même en Allemagne, anté­rieu­re­ment à 1933 — c’est-à-dire avant le début du régime national-​socialiste — les orga­ni­sa­tions sociales catho­liques dans les fiefs indus­triels les plus puis­sants — Nous pen­sons à la Rhénanie et sur­tout à la Ruhr — repré­sen­taient une force gran­de­ment bien­fai­sante, autant pour la pro­tec­tion de l’ouvrier que pour un juste et équi­table règle­ment des conflits éco­no­miques. Ce n’est que là seule­ment où l’Eglise est oppri­mée et empê­chée de vivre et de tra­vailler que le peuple igno­rant peut être ame­né à croire à l’inimitié de l’Eglise à l’égard des travailleurs.

Ouvriers et ouvrières d’Italie, enfants d’une patrie et d’une civi­lisation où sur­abondent plus qu’en aucune autre les ren­contres et les contacts entre l’Eglise et le peuple, où la pen­sée catho­lique a si pro­fon­dé­ment au cours des siècles péné­tré dans la conscience et dans la vie des popu­la­tions, où l’Ecclesia Mater (la Mère Eglise) trouve une si admi­rable réso­nance, patrie dans laquelle les temps antiques se fondent har­mo­nieu­se­ment avec le pré­sent plein de vie, ne vous lais­sez trom­per ou éga­rer par aucune pro­pa­gande déloyale ! Pensez seule­ment aux der­nières années de l’effroyable guerre. L’Eglise vous a‑t-​elle aban­don­nés ? L’Eglise et le peuple ne sont-​ils pas res­tés unis ? Le peuple qui souf­frait et l’Eglise qui a vou­lu et qui, sou­vent, a pu effi­ca­ce­ment venir à son secours.

Mais avec vous, chères filles, Nous n’avons pas besoin d’insister sur ces véri­tés. Vous les connais­sez et, avec une sainte fier­té, vous sui­vez le dra­peau social de l’Eglise. Votre pré­sence autour de Nous témoigne clai­re­ment que vous espé­rez et que vous n’attendez la réno­va­tion de la socié­té que du Christ, de son esprit et de son amour.

Demeurez fidèles à vos convic­tions. Professez-​les cou­ra­geu­se­ment, et portez-​les, pour autant qu’il dépend de vous, jusqu’à leurs con­séquences der­nières. En un temps apo­ca­lyp­tique comme le nôtre, ont seules auto­ri­té et valeur les âmes intègres, droites, réso­lues ; elles seules réus­sissent à sur­mon­ter tout obs­tacle, à entraî­ner les autres à leur suite. Et vous avez de votre côté et pour votre aide Dieu, la véri­té, l’éternité.

Chères filles, Nous ne pou­vons ter­mi­ner Notre dis­cours sans faire mon­ter jusqu’au Dieu tout-​puissant les plus fer­ventes actions de grâces pour la ces­sa­tion du conflit mon­dial. A l’annonce de la fin de la guerre, en ce jour si cher à Marie, vos cœurs particulière­ment sen­sibles et si long­temps tor­tu­rés de femmes, d’épouses, de mères, de sœurs, de fian­cées ont dû, même s’ils étaient déjà frap­pés par les deuils et les angoisses, se conso­ler et se réjouir. Les massa­cres mons­trueux, les car­nages hor­ribles, les des­truc­tions inhu­maines ont ces­sé. Que cesse éga­le­ment tout sen­ti­ment de haine, toute ambi­tion de domi­ner, toute arro­gance des puis­sants, toute oppres­sion des faibles ! Que le monde res­sus­cite à une nou­velle vie dans une paix de véri­té et de jus­tice, qui rende les peuples et les nations tran­quilles et unis comme des frères !

Avec ces sen­ti­ments et en vous remer­ciant de la joie que Nous a appor­tée votre pré­sence, vos vœux et vos réso­lu­tions, Nous appe­lons sur vous-​mêmes, sur vos familles, sur vos tra­vaux, les plus abon­dantes faveurs célestes et, comme pré­sage de ces der­nières, Nous vous accor­dons de grand cœur Notre pater­nelle Bénédiction apostolique.

Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, 1945. D’après le texte ita­lien des A. A. S., XXXVII, 1945, p. 212 ; cf. la tra­duc­tion fran­çaise des Actes de S. S. Pie XII, t. VII, p. 164.

Notes de bas de page
  1. Voir ci-​dessus, pp. 63 et suiv.[]
24 décembre 1955
Questions sociales et nécessaire intégration et stabilité de toute vie dans le Christ
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