Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

18 décembre 1947

Lettre encyclique Optatissima Pax

Pour la pacification des classes sociales et des peuples

Table des matières

Par cette troi­sième lettre ency­clique de l’année 1947, le Souverain Pontife exhorte les fidèles à la prière en vue d’obtenir une har­mo­nie effi­cace et durable entre les diverses classes sociales et tous les peuples.

L’attente de la paix.

La paix très sou­hai­table qui devrait être la « tran­quilli­té de l’ordre » [1] et la « tran­quille liber­té » [2] après les vicis­si­tudes d’une longue guerre, se fait encore attendre, comme tous le remarquent avec tris­tesse et inquié­tude, et tient dans une attente anxieuse les esprits des peuples ; tan­dis que, par contre, en beau­coup de pays déjà dévas­tés par le conflit mon­dial, cou­verts de ruines et en proie à la misère qui en ont été la consé­quence, les classes sociales, agi­tées par une haine exas­pé­rée les unes envers les autres, occa­sion de nom­breux troubles et tumultes, comme cha­cun le sait, menacent de fou­ler aux pieds et de saper les fon­de­ments mêmes des Etats.

Devant ce lamen­table et dou­lou­reux spec­tacle, Notre âme est assaillie d’une très grande amer­tume et il Nous semble qu’il rentre dans la charge pater­nelle et uni­ver­selle à Nous confiée par Dieu, non seule­ment d’exhorter tous les peuples à éteindre leurs haines com­munes et à retrou­ver l’heureux che­min de la concorde, mais aus­si d’inviter avec ins­tance tous les fils que Nous avons dans le Christ à vou­loir bien éle­ver vers le ciel de plus fer­ventes supplica­tions ; car Nous savons que tout ce qui se fait en dehors de Dieu reste fra­gile et inef­fi­cace, selon ce ver­set du psal­miste : « Si le Sei­gneur ne bâtit pas la mai­son, c’est en vain que tra­vaillent ses archi­tectes ! » (Ps., CXXVI, 1).

Les maux présents.

Très graves, en effet, sont les maux aux­quels il est néces­saire de por­ter remède et le plus rapi­de­ment pos­sible : puisque d’un côté, l’économie, par suite des dépenses mili­taires et des énormes destruc­tions de la guerre, est dans un état de telle incer­ti­tude et de tel épui­se­ment qu’elle est sou­vent tout à fait insuf­fi­sante à sup­por­ter les charges qui lui incombent et à entre­prendre ces tra­vaux urgents per­met­tant d’occuper tant d’ouvriers contraints à chô­mer mal­gré eux ; et que, d’un autre côté, mal­heu­reu­se­ment, ne manquent pas ceux qui exploitent et exas­pèrent la misère des pro­lé­taires par une pro­pa­gande astu­cieuse et cachée, au point d’arrêter les nobles efforts entre­pris pour le relè­ve­ment et la récu­pé­ra­tion dans l’ordre et la jus­tice des richesses dissipées.

Et les moyens d’en sortir.

Mais il faut que tous com­prennent que ce n’est pas au milieu des dis­cordes et des troubles ni des luttes fra­tri­cides que l’on peut retrou­ver les biens per­dus ou en dan­ger de se perdre, soit des parti­culiers, soit de l’Etat, mais seule­ment par une entente effec­tive, une entraide mutuelle et un tra­vail accom­pli dans la paix.

Ceux qui avec un plan pré­mé­di­té excitent les foules sans les consul­ter aux sou­lè­ve­ments, aux émeutes, aux atteintes à la liber­té d’autrui ne contri­buent sûre­ment pas à l’adoucissement de la misère du peuple ; mais bien plu­tôt, du fait qu’ils exa­cerbent la haine et inter­rompent les tra­vaux en cours dans les villes, ils l’accroissent fata­le­ment et peuvent même la mener à l’ultime catas­trophe. Les luttes des par­tis, en effet, « furent et seront pour plu­sieurs peuples une plus grande cala­mi­té que les guerres étran­gères, la famine ou les épi­dé­mies… » [3].

Mais, en même temps, tous doivent com­prendre que la crise sociale est si grande à l’heure pré­sente et si redou­table pour l’avenir qu’elle impose l’urgente néces­si­té pour cha­cun et spé­cia­le­ment pour qui pos­sède de plus grands biens, de pla­cer l’utilité com­mune avant les avan­tages, les inté­rêts et les pro­fits particuliers.

En connaître les causes.

D’abord, qu’on se per­suade qu’avant toute autre chose il est abso­lu­ment urgent de paci­fier les esprits et de les rame­ner à s’enten­dre fra­ter­nel­le­ment, à s’entraider mutuel­le­ment, de façon à pou­voir mettre en pra­tique ces prin­cipes et ces conseils en har­mo­nie avec les ensei­gne­ments du chris­tia­nisme et les contin­gences présentes.

Tous doivent se rap­pe­ler que les cruelles épreuves subies par Nous, ces der­nières années, sont dues prin­ci­pa­le­ment à ce que la divine reli­gion de Jésus-​Christ, ins­pi­ra­trice de réci­proque cha­ri­té entre les citoyens, les peuples et les races, ne régis­sait plus, comme il le fal­lait, la vie pri­vée, la vie domes­tique, la vie publique. Puisque l’on s’est trom­pé en s’éloignant du Christ, il importe donc de reve­nir à lui publi­que­ment et indi­vi­duel­le­ment le plus tôt pos­sible ; puisque l’erreur a obnu­bi­lé les esprits, il importe de reve­nir à cette véri­té qui, ayant été divi­ne­ment révé­lée, indique le che­min condui­sant droit au ciel ; puisque la haine, enfin, a pro­duit des fruits de mort, il importe de reve­nir à l’amour chré­tien, qui seul peut gué­rir tant de plaies mor­telles, sur­mon­ter tant de crises redou­tables et adou­cir tant de souf­frances amères.

Et prier l’Enfant-Dieu.

Et comme nous appro­chons de cette si douce fête de la Nativité, qui remet en mémoire l’Enfant Jésus vagis­sant dans la crèche, et la cho­rale des anges annon­çant aux hommes la paix, Nous jugeons oppor­tun d’exhorter tous les chré­tiens, spé­cia­le­ment ceux qui sont encore à la fleur de l’âge, à se rendre nom­breux près de la crèche, afin d’y prier le divin Nouveau-​Né de vou­loir bien écar­ter les menaces des conflits qui planent sur nos têtes et éteindre les bran­dons des dis­cordes et des sédi­tions. Qu’il éclaire lui-​même de sa céleste lumière les esprits de ceux qui la plu­part du temps s’égarent en pre­nant l’erreur pour la véri­té, plus que par une malice per­verse ; qu’il réprime et apaise dans les âmes la haine et la ven­geance, mette fin aux dis­cordes et fasse revivre en la revi­go­rant la cha­ri­té chré­tienne. Qu’il enseigne à ceux qui jouissent des biens de la for­tune une géné­reuse lar­gesse envers les déshé­ri­tés ; et à ceux qui souffrent de leur condi­tion modeste et pauvre, qu’il donne la conso­lation de son exemple et de l’aide d’en-haut, les ame­nant à dési­rer sur­tout les biens célestes de beau­coup les meilleurs qui dure­ront éternellement.

Nous comp­tons beau­coup, dans les angoisses pré­sentes, sur les prières des enfants inno­cents que le divin Rédempteur accueille et favo­rise d’une façon par­ti­cu­lière. Qu’ils élèvent donc vers lui, durant les solen­ni­tés de Noël, leurs voix can­dides et leurs petites mains, sym­bole de leur inno­cence inté­rieure, pour implo­rer la paix, la con­corde et la mutuelle cha­ri­té ! Mais Nous dési­rons, de plus, qu’à leurs très ardentes prières, ils joignent ces pra­tiques de pié­té et de chré­tienne géné­ro­si­té qui per­mettent d’apaiser la divine jus­tice, offen­sée par tant de crimes et de sub­ve­nir selon leurs pos­si­bi­li­tés aux besoins des indigents.

Nous avons pleine confiance, Vénérables Frères, qu’avec votre habi­tuel dévoue­ment et votre cou­tu­mière dili­gence dont Nous avons tant de preuves, vous ferez en sorte que Nos pater­nelles exhor­tations d’aujourd’hui seront mises en pra­tique pour por­ter d’heu­reux fruits, et que tous ceux sur­tout qui sont dans la fleur de l’âge répon­dront volon­tiers et géné­reu­se­ment à Nos invites, que vous ferez vôtres.

Et c’est récon­for­té par cette douce espé­rance que, tant à cha­cun de vous tous qu’au trou­peau confié à vos soins, Nous don­nons de tout cœur la Bénédiction apos­to­lique, gage de faveurs célestes et témoi­gnage de Notre pater­nelle bienveillance.

Source : Documents Pontificaux de sa Sainteté Pie XII, année 1947, Edition Saint-​Augustin Saint-​Maurice – D’après le texte latin des A. A. S., XXXIX, 1947, p. 601 ; ver­sion fran­çaise de l’Agence Kipa publiée par la Documentation Catholique, t. XLV, col. 321.

Notes de bas de page
  1. S. Augustin, De Civ. Dei, 1. XVIII, ch. 13 ; S. Thomas, Summa Theol., IIa IIæ, q. 29, a. I ad Im.[]
  2. Cicéron, IIe Philippique, c. 44.[]
  3. Tite-​Live, Hist., 1. IV, ch. 9.[]