Cette Encyclique fait part au monde entier des angoisses qui étreignent le Souverain Pontife en ces temps troublés, et celui-ci lance un appel à la prière.
Le monde, dit le Souverain Pontife, demeure divisé : d’une part, les peuples et les gouvernements désirent la paix et des conférences se réunissent en vue de l’établir, mais, d’autre part, il reste encore des hommes qui sèment la haine et qui fomentent la guerre :
Un certain nombre d’indices [1] semblent indiquer clairement aujourd’hui que toute la grande communauté des peuples, après tant de meurtres et de dévastations causés par une longue et terrible guerre, s’est orientée avec ardeur vers les sentiers salutaires de la paix ; on écoute plus volontiers maintenant ceux qui s’emploient avec un dur labeur à des œuvres de reconstruction, qui cherchent à apaiser et concilier les discordes et qui s’attachent à faire surgir des nombreuses ruines qui nous affligent un nouvel ordre de prospérité, que ceux qui poussent encore à des querelles réciproques et acerbes, à des haines et à des rancunes dont ne peuvent venir que de nouveaux dommages et de nouveaux malheurs.
Mais bien que Nous-même et le peuple chrétien ayons de grands motifs de consolation et que nous puissions nous encourager par l’espérance de temps meilleurs, des faits et des événements1 ne manquent pas toutefois de donner à Notre cœur paternel de grandes préoccupations et angoisses. Si la guerre, en effet, a cessé presque partout, la paix désirée n’a pas encore pourtant rasséréné les esprits et les cœurs ; on voit même le ciel s’obscurcir de nuages menaçants.
Le Pape, de son côté, travaille activement à favoriser la paix entre les peuples :
Nous ne cessons pas de notre côté, de Nous employer, avec tous Nos moyens à éloigner de la famille humaine les risques d’autres calamités qui la menacent ; et quand les moyens humains se révèlent impuissants, Nous Nous tournons suppliant vers Dieu et Nous exhortons en même temps tous nos Fils dans le Christ, dispersés dans tous les pays du monde, à vouloir s’unir à Nous pour implorer les secours du ciel.
Le Saint-Père fait un appel spécial aux enfants :
Nous avons trouvé un réconfort, les années précédentes[2] à inviter tout le monde, surtout les enfants, qui Nous sont si chers à se presser nombreux durant le mois de mai, autour de l’autel de la Mère de Dieu pour implorer la fin de la funeste guerre ; aujourd’hui, également, Nous les invitons par cette lettre à ne pas interrompre cette pieuse coutume et à vouloir ajouter à leurs supplications de bons propos de renouveau chrétien et des œuvres de salutaire pénitence.
Qu’avant tout ils offrent à la Vierge, Mère de Dieu et notre bénigne Mère, les plus vifs remerciements pour avoir obtenu, avec sa puissante intercession, la fin souhaitée de la grande conflagration mondiale, et pour tant d’autres bienfaits accordés par le Très-Haut ; mais, qu’en même temps, ils la supplient, de leurs prières répétées, de faire enfin resplendir comme un don du ciel la paix mutuelle, fraternelle et totale entre toutes les nations et la concorde désirée entre toutes les classes sociales.
Que cessent ces discordes, qui ne sont avantageuses à personne ; que s’apaisent avec justice les querelles, qui sont souvent les germes de nouveaux malheurs ; que s’accroissent et se consolident entre les nations les relations publiques et privées ; que la religion, mère de toutes les vertus, ait la liberté qui lui est due ; et que le travail pacifique des hommes, sous les auspices de la justice et le souffle divin de la charité, produise, pour le bien de tous, les fruits les plus abondants.
La prière des hommes n’est agréable à Dieu que si celui qui la prononce est dans un état de vie conforme à la volonté de Dieu. Les Évêques du monde sont invités à provoquer un réveil des consciences afin que la prière du peuple soit efficace.
Vous savez bien, Vénérables Frères, que nos prières sont agréables à la Très Sainte-Vierge surtout lorsqu’elles ne sont pas des mots éphémères et vides, mais qu’elles jaillissent de cœurs ornés des vertus nécessaires. Employez-vous donc, avec votre zèle apostolique, à ce qu’aux prières publiques qui montent vers le ciel durant le mois de mai corresponde un réveil de vie chrétienne. De ce seul présupposé, il est, en effet, permis d’espérer que le cours des choses et des événements, dans la vie publique, comme dans la vie privée, puisse être orienté, selon l’ordre, et qu’il soit donné aux hommes de conquérir avec l’aide de Dieu, non seulement la prospérité possible en ce monde, mais aussi la félicité céleste qui ne finira pas.
Une nouvelle source de douleur peine le cœur de Pie XII et de tout chrétien : le conflit entre les Juifs et les Arabes qui ravage la Palestine.
Mais il y a à présent, un sujet particulier qui afflige et angoisse vivement Notre cœur. Nous voulons parler des Lieux Saints de Palestine qui depuis longtemps déjà sont troublés par de tristes événements et qui sont presque chaque jour dévastés par de nouveaux meurtres et de nouvelles ruines [3]. Or, s’il y a une région qui doit être particulièrement chère à toute âme bien née et civilisée, c’est certainement la Palestine, d’où est sortie depuis les obscurs débuts de l’Histoire tant de lumière de vérité pour toutes les nations ; où le Verbe de Dieu incarné, a fait annoncer, par les chœurs des Anges la paix à tous les hommes de bonne volonté, où Jésus-Christ, enfin, suspendu à l’arbre de la Croix a apporté le salut à tout le genre humain et les bras étendus, comme pour inviter tous les peuples à une étreinte fraternelle, a consacré par l’effusion de son sang le grand précepte de la charité[4].
Nous désirons donc, ô Vénérables Frères, que les prières du mois de mai aient pour but spécial, cette année, d’obtenir de la Très Sainte Vierge que la situation en Palestine soit finalement arrangée selon l’équité et que là aussi triomphent enfin la concorde et la paix.
Les chrétiens durant ce mois de mai prieront donc tout particulièrement afin que la paix revienne en Palestine : Le Pape donne un programme de prières à réaliser pendant ce mois de mai 1948 :
Nous plaçons un grand espoir dans le patronage tout-puissant de Notre Mère du ciel ; patronage que, durant ce mois qui lui est consacré, les enfants innocents surtout, voudront implorer par une sainte croisade de prières. Ce sera précisément votre tâche de les inviter et de les y stimuler avec toute votre sollicitude ; et non seulement eux, mais aussi leurs pères et leurs mères qui, en cela doivent les précéder, en nombre, par leur exemple.
Nous savons bien que Nous n’avons jamais fait appel en vain au zèle ardent dont vous êtes enflammés ; et c’est pourquoi il Nous semble voir déjà des multitudes pressées d’enfants, d’hommes et de femmes venir en foule dans les églises pour demander à la Mère de Dieu toutes les grâces et les faveurs dont nous avons besoin. Que Celle qui nous a donné Jésus nous obtienne que tous ceux qui se sont éloignés du droit sentier y reviennent au plus vite, mus par un salutaire repentir ; qu’elle nous obtienne — elle qui est notre très bénigne Mère et qui dans tous les dangers s’est toujours montrée notre aide puissante et médiatrice de grâces — qu’elle nous obtienne encore, disons-Nous, que dans les graves nécessités dont nous sommes angoissés, une juste solution soit trouvée aux disputes et qu’une paix sûre et libre resplendisse enfin sur l’Église et sur toutes les nations.
En particulier, Pie XII demande que chacun personnellement et que chaque institution sociale se consacre au Cœur Immaculé de Marie.
Il y a quelques années, tous s’en souviennent, tandis que la dernière guerre faisait rage encore, voyant que les moyens humains demeuraient incertains et insuffisants à éteindre la cruelle conflagration, Nous adressâmes nos ferventes prières à notre miséricordieux Rédempteur, par l’intermédiaire du puissant patronage du Cœur Immaculé de Marie [5]). Et comme notre prédécesseur, d’immortelle mémoire, Léon XIII, à l’aube de notre xxe siècle voulut consacrer tout le genre humain au Sacré-Cœur de Jésus [6]. Nous avons voulu de même comme représentant de la famille humaine rachetée, la consacrer aussi au Cœur Immaculé de Marie.
Nous désirons, par conséquent, que, si les circonstances opportunes le conseillent, on fasse cette consécration dans les diocèses, comme dans chaque paroisse et dans les familles, et Nous avons confiance que de cette consécration privée et publique sortiront en abondance les bienfaits et les faveurs célestes.
Sous ces présages et en gage de Notre paternelle bienveillance Nous accordons, de tout Notre cœur, la Bénédiction apostolique à chacun de vous, Vénérables Frères, à tous ceux qui répondront généreusement à notre lettre d’exhortation et particulièrement aux troupes nombreuses et pressées de Nos très chers enfants.
Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Labergerie. – D’après le texte latin de A. A. S. XL, 1948, p. 169 ; traduction française dans La Documentation Catholique, t. XLV, col. 705.
- Ces indices au début de 1948 sont les suivants : – Sur le plan politique : Les élections italiennes du 18 avril 1948 ont marqué une victoire du parti démocrate chrétien sur le parti communiste ; De même les élections municipales françaises du 26 octobre 1947 avaient marqué un recul communiste ; La conférence panaméricaine réunie le 30 mars 1948 à Bogota se prononce à l’unanimité contre le communisme. – Sur le plan économique : Le 23 décembre 1947 M. Truman, président des États-Unis, signe la loi sur l’aide intérimaire aux pays d’Europe ; Signature le 17 mars 1948 du Pacte de Bruxelles où la France, la Grande-Bretagne et les pays du Benelux se mettent d’accord pour collaborer étroitement dans les domaines politique, économique et militaire ; Le 16 avril 1948, seize nations européennes signent une convention de coopération économique.[↩]
- Déjà les années précédentes le Souverain Pontife s’adressa aux enfants au début de mai, pour les inviter à la prière : Lettre de S. Em. le Cardinal Maglione du 20 avril 1939 (A. A. S. XXI, 1939, p. 154) ; Id., 15 avril 1940 (A. A. S. XXXII, 1940, p. 144) ; Id., 20 avril 1941 (A. A. S. XXXIII, 1941, p. 110) ; Id., 15 avril 1942 (A. A. S. XXXIV, 1942, p. 125) ; Id., 15 avril 1943 (A. A. S. XXXV, 1943, p. 103) ; Id., 24 avril 1944 (A. A. S. XXXVI, 1944, p. 145) ; Encyclique Communium interpres dolorum, 15 avril 1945, (A. A. S., XXXVII, 1945, p. 97).[↩]
- Le problème de la Palestine a été posé depuis la déclaration du ministre Balfour, le 2 novembre 1917. Jusqu’alors en effet, la Palestine faisait partie intégrante de l’Empire turc ; elle comptait 689.000 habitants dont 85.000 Juifs ; le reste étant composé d’Arabes dont moins de 10 % sont chrétiens.
Dans cette déclaration, le ministre britannique disait que son Gouvernement envisagerait avec faveur l’établissement d’un État juif en Palestine. Cette déclaration faisait suite aux revendications du mouvement sioniste dont la première manifestation fut un Congrès tenu à Bâle en 1897.
De fait en 1922, la Palestine était mise sous mandat de la Société des Nations et celle-ci y favorisa l’immigration des Juifs.
Dès 1920, des troubles avaient agité la Palestine ; les Arabes n’entendant pas partager leur territoire avec les Juifs. Tous les efforts tentés pour obtenir la collaboration entre Arabes et Juifs demeurèrent vains. Les Anglais occupèrent la Palestine et la traitèrent comme une colonie ; ils se proposèrent de diviser la Palestine en deux États, l’un juif, l’autre arabe. Mais les Arabes n’acceptèrent jamais cette proposition. En 1945, la population de la Palestine avait subi un accroissement notable ; elle comptait 1.765.000 habitants dont 534.000 Juifs (soit 31 %).
Le 29 novembre 1947, la 2e session de l’Assemblée générale des Nations Unies adoptait une résolution approuvant le plan de partage de la Palestine.
En 1947, au moment où les troupes britanniques quittèrent la Palestine les désordres dégénérèrent en une véritable guerre civile entre Juifs et Arabes (cf. Report of the Anglo-American Committee of Enquiry regarding the problems of European Jewry and Palestine. Lausanne, 20 avril 1946. Ed., London His Majesty’s, Stationery Office).[↩]
- En recevant en audience le 3 août 1946, une délégation arabe, le Saint-Père disait : « Nous voudrions que la terre où Jésus-Christ a prêché un royaume de paix, demeure une terre de paix. »[↩]
- Le 31 octobre 1942, le Pape Pie XII terminait un radio-message au peuple portugais (A. A. S., XXXIV, 1942, p. 313) par une formule de consécration au Cœur Immaculé de Marie. Le 8 décembre 1942, en la Basilique de Saint-Pierre, le Souverain Pontife consacrait solennellement le monde au Cœur Immaculé de Marie. (A. A. S., XXXIV, 1942, p. 345.) Un décret du 4 mai 1944, instituait la fête du Cœur Immaculé de Marie pour garder le souvenir de cette consécration. (A. A. S., XXXVII, 1945, p. 41.[↩]
- Dans l’Encyclique Annum Sacrum du 25 mai 1899, Léon XIII annonçait que le 11 juin, il prononcerait la consécration du genre humain au Sacré-Cœur.[↩]