Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

24 décembre 1948

Radiomessage au Monde de Noël 1948

Sur la fidélité à travers les persécutions et la promotion de la paix chrétienne entres nations

Il est de tra­di­tion que le 24 décembre, le doyen du Sacré-​Collège[1] pré­sente au nom des Cardinaux ses vœux de Noël et de Nouvel An au Saint-​Père. Le Pape répond par une allo­cu­tion qui est ren­due publique. Depuis le Pontificat de Pie XII, ces allo­cu­tions sont radio­dif­fu­sées [2] ; elles ont un grand reten­tis­se­ment à tra­vers le monde.

Celle de 1948 a pour thème : Invitation aux chrétiens :

  • à demeu­rer fermes dans la foi, au milieu des dif­fi­cul­tés et des persécutions ;
  • à pro­mou­voir un ordre social véritable ;
  • à favo­ri­ser la vraie paix entre les nations.

Le Pape annonce aux chré­tiens qu’il a reçu le man­dat de décla­rer la véri­té, de faire la lumière devant les pro­blèmes qui se posent aujourd’hui.

Graves et tendres à la fois, comme le tes­ta­ment et le salut d’adieu d’un père très aimant, les paroles du divin Rédempteur à son pre­mier Vicaire sur la terre : « Confirma fratres tuos » (Luc. XXII, 32) « Affermis tes frères ! » n’ont pas ces­sé de réson­ner dans Notre esprit et dans Notre cœur depuis le jour où, dans son ins­cru­table des­sein, il vou­lut confier à nos faibles mains le gou­ver­nail de la barque de Pierre.

Paroles immor­telles pro­fon­dé­ment gra­vées au plus intime de Notre âme, elles se font encore plus péné­trantes chaque fois que dans l’exercice du minis­tère apos­to­lique, Nous avons à com­mu­ni­quer à l’épiscopat et aux fidèles du monde les ensei­gne­ments, les normes et les exhor­ta­tions que le plein accom­plis­se­ment de la mis­sion sal­va­trice de l’Église requiert, et qui, sans pré­ju­dice de leur immu­ta­bi­li­té sub­stan­tielle, doivent cepen­dant s’adapter avec oppor­tu­ni­té aux circons­tances tou­jours chan­geantes et à la varié­té des temps et des lieux.

Mais c’est avec une émo­tion et une inten­si­té particulière­ment vives que Nous éprou­vons en Nous-​même la force de ce divin com­man­de­ment en cet ins­tant où, pour la dixième fois, Nous adres­sons Notre mes­sage de Noël à vous, chers Fils et Filles de l’univers – à la fin d’une période qui, par les événe­ments et les bou­le­ver­se­ments, par les épreuves et les sollici­tudes, par les amer­tumes et les dou­leurs, n’a pas son égale dans les siècles de l’histoire humaine.

Quand, à Noël der­nier, Nous deman­dions en cette même occa­sion vos prières et votre col­la­bo­ra­tion, Nous expri­mions le sou­hait que l’année 1948, alors com­men­çante, fût pour l’Europe et pour toute la socié­té des peuples tour­men­tée par tant de divi­sions une année d’active recons­truc­tion, le com­mencement d’une marche rapide vers une vraie paix.

Aujourd’hui, au terme d’une année qui s’était ouverte avec tant d’espérances, Notre voix pater­nelle vous invite de nou­veau, vous, esprits droits et réflé­chis, vous, chré­tiens sin­cères, à consi­dé­rer quelle est à pré­sent la condi­tion de l’humanité et de la chré­tien­té, et quel est le moyen pour avan­cer d’un pas ferme et franc dans le sen­tier que la dure néces­si­té des temps non moins que votre conscience vous montrent clairement.

Quiconque a de la clair­voyance, de la force morale et le cou­rage de regar­der les yeux dans les yeux la véri­té, fût-​elle pénible et humi­liante, doit bien recon­naître que cette année 1948, objet à son aurore, d’attentes éle­vées et bien compré­hensibles, appa­raît à son déclin (aujourd’hui) comme un de ces points cru­ciaux où le che­min qui lais­sait déjà entre­voir de joyeuses pers­pec­tives semble débou­cher au contraire sur le bord d’un pré­ci­pice dont les embûches et les périls rem­plissent d’une anxié­té crois­sante tous les peuples nobles et généreux.

Et néan­moins, ou plu­tôt pré­ci­sé­ment à cause de cela, chers fils et filles, tan­dis que la pusil­la­ni­mi­té com­mence à s’emparer même d’âmes cou­ra­geuses et que les doutes assaillent les esprits les plus clairs et les plus réso­lus, Nous Nous sen­tons plus que jamais obli­gé de cor­res­pondre au com­man­de­ment divin : « Affermis tes frères », et à vous tous, jusqu’aux extré­mi­tés du monde, Nous envoyons, comme Notre salut de Noël les paroles avec les­quelles le Prophète annon­çait l’œuvre de la Rédemption et la vic­toire défi­ni­tive du Christ : « Forti­fiez les mains défaillantes et affer­mis­sez les genoux chance­lants. Dites aux pusil­la­nimes : « Courage, ne crai­gnez pas ; voi­ci votre Dieu… Il vien­dra et vous sau­ve­ra. » (Is. XXXV, 3–4.)

Comme suc­ces­seur de celui à qui fut adres­sée la pro­messe divine : « J’ai prié pour toi » (Luc XXII, 32), Nous savons bien quand la lutte avec les esprits des ténèbres est plus dure et entre dans des phases déci­sives et, humai­ne­ment par­lant, inquié­tante, d’autant plus alors le Seigneur est proche de son Église et de ses fidèles. Profondément convain­cu et conscient de cette assis­tance divine, Nous rappe­lons à tous ceux qui se glo­ri­fient du nom de chré­tiens catho­liques un double devoir sacré, indis­pen­sable à l’amélioration de la condi­tion pré­sente de la socié­té humaine.

  • 1. Une inébran­lable fidé­li­té au patri­moine de véri­té que le Rédempteur a appor­té au monde.
  • 2. D’accomplissement conscien­cieux du pré­cepte de la jus­tice et de l’amour, pré­sup­po­sé néces­saire pour le triomphe sur la terre d’un ordre social digne du divin Roi de la paix.

Nous man­que­rions de recon­nais­sance envers le Tout-​Puis­sant, qui donne toutes les grâces et pro­duit tous les biens, si Nous ne recon­nais­sions pas que l’année désor­mais écou­lée, mal­gré toutes les anxié­tés et toutes les dou­leurs, fut encore riche de saintes joies et de conso­la­tions, d’expériences heu­reuses et de suc­cès encou­ra­geants. Ce fut une année durant laquelle chez tous les peuples et les nations, dans tous les pays et les conti­nents, l’Église a don­né des signes indu­bi­tables et splen­dides de vie, de force, d’activité, de résis­tance, de pro­grès rapides qui, non seule­ment jus­ti­fient les plus radieuses espé­rances dans le domaine spi­ri­tuel, mais aus­si ont pro­duit des fruits visibles dans les débats gigan­tesques où l’humanité se trouve mêlée dans la lutte pour sa gué­ri­son et sa pacification.

Une magni­fique série de solen­ni­tés reli­gieuses et de Congrès eucha­ris­tiques et mariaux, d’importants cen­te­naires et de gran­dioses assem­blées a mon­tré à tout obser­va­teur impar­tial que ni la guerre, ni l’après-guerre, ni la téna­ci­té des enne­mis du Christ dans leur plan de désa­gré­ga­tion et de des­truc­tion, n’ont été en état d’atteindre, pour les des­sé­cher et les conta­miner, les sources pures aux­quelles l’Église depuis près de vingt siècles, puise sa force vitale.

De toutes parts naît et bouillonne une vie nou­velle qui, par­ti­cu­liè­re­ment dans la jeu­nesse catho­lique, s’efforce de por­ter la véri­té de l’Évangile et la force salu­taire de sa doc­trine dans tous les domaines de l’existence humaine pour le bien et le salut même de ceux qui jusqu’ici, à leur grand dom­mage, avaient fer­mé leurs cœurs à une action aus­si bienfaisante.

Des dures épreuves que l’Église a subies à cause de la guerre et de l’après-guerre, les pertes dou­lou­reuses et les graves dom­mages qui l’ont frap­pée n’ont fait que rendre plus fermes et encou­ra­geantes son éner­gie et sa résis­tance ; bat­tue par les tem­pêtes et par les flots, elle a conser­vé intacte, invio­lée, sa vie sub­stan­tielle, et dans tous les peuples où pro­fes­ser la foi chré­tienne équi­vaut en réa­li­té à souf­frir per­sé­cu­tion, il s’est trou­vé et il se trouve tou­jours des mil­liers de braves, qui, impas­sibles au milieu des sacri­fices, des pros­crip­tions et des sup­plices, intré­pides en face des chaînes et de la mort, ne flé­chissent pas le genou devant le Baal de la puis­sance et de la force [3]. De grand public ignore le plus sou­vent leurs noms, mais ceux-​ci sont écrits en carac­tères indé­lé­biles dans les annales de l’Église. C’est pour Nous un devoir de glo­ri­fier ces hommes fidèles et forts, ces hommes infa­ti­gables et valeu­reux, ces hommes élus et bénis de Dieu, pour qui les angoisses du temps pré­sent, les dou­leurs et les larmes mater­nelles de l’Épouse du Christ ne sont ni scan­dale, ni sot­tise, mais occa­sion qui les incite puis­sam­ment à mani­fes­ter non par les paroles, mais par les actes, la rec­ti­tude et le désin­téressement de leurs sen­ti­ments, leur abso­lue fidé­li­té, la géné­rosité sublime de leur cœur. Des paroles manquent pour recon­naître digne­ment, pour exal­ter comme il le mérite l’héroïsme de ces plus fidèles par­mi les fidèles. A cha­cun d’eux va l’expres­sion de Notre louange et de Notre recon­nais­sance. Le Seigneur qui a pro­mis de se sou­ve­nir devant son Père céleste de ceux qui l’ont confes­sé devant les hommes [4], sera leur récom­pense éternelle.

Toutefois si la constance et la fer­me­té de tant de frères dans la foi est pour Nous une source de joie et de sainte fier­té, Nous ne pou­vons Nous sous­traire à l’obligation de men­tion­ner aus­si ceux dont les pen­sées et les sen­ti­ments portent la marque de l’esprit et des dif­fi­cul­tés de l’heure. Combien ont souf­fert quelque détri­ment ou même ont fait nau­frage dans la foi et dans la croyance même en Dieu !

Combien, intoxi­qués par une atmo­sphère de laï­cisme, ou d’hostilité envers l’Église, ont per­du la fraî­cheur et la séré­ni­té d’une foi qui avait été jusqu’alors le sou­tien et la lumière de leur vie !

D’autres brus­que­ment déra­ci­nés et arra­chés du sol natal, errent à l’aventure, expo­sés, spé­cia­le­ment les jeunes, à un affai­blis­se­ment spi­ri­tuel et moral dont on ne sau­rait trop mesu­rer le danger :

L’œil mater­nel de l’Église suit ces âmes tem­po­rai­re­ment per­dues ou en dan­ger, avec un amour vigi­lant et une sollici­tude redou­blée. Elle ne s’irrite pas ; elle ne condamne pas. Elle attend : elle attend le retour de ces fils, anxieuse de trou­ver les moyens capables d’en hâter l’heure. Pour cela, elle ne recule devant aucun sacri­fice ; aucun effort n’est pour elle trop pénible dans un tel but.

Elle est prête à tout. A tout, excep­té une seule chose : qu’on ne lui demande pas d’obtenir le retour des fils sépa­rés d’elle – soit dans les temps pas­sés, soit récem­ment – au prix de quelque dimi­nu­tion ou obs­cur­cis­se­ment que ce soit du dépôt de la foi chré­tienne confié à sa garde.

Un bref éclair­cis­se­ment Nous semble oppor­tun au sujet de cer­taines affir­ma­tions acerbes sor­ties des lèvres de quelques dis­si­dents contre l’Eglise catho­lique et la Papauté. Notre devoir de cha­ri­té et d’amour ne demeure certes pas dimi­nué par les attaques ni par les injures. Nous savons dis­tin­guer entre les peuples, sou­vent pri­vés de liber­té, et les méthodes qui les régissent. Nous savons la ser­vile dépen­dance que cer­tains repré­sen­tants de la confes­sion appe­lée « ortho­doxe » mani­festent envers une concep­tion dont le but final maintes fois pro­cla­mé est l’exclusion de toute reli­gion chrétienne.

Nous n’ignorons pas l’amer che­min que doivent par­cou­rir tant de Nos chers fils et filles qu’un sys­tème de vio­lence ouverte a pous­sés à se sépa­rer for­mel­le­ment de l’Église-mère à laquelle les unis­saient leurs convic­tions les plus intimes. C’est avec un cœur ému que Nous admi­rons l’héroïque fer­me­té des uns ; avec une pro­fonde dou­leur et un amour pater­nel non dimi­nué que Nous voyons les angoisses spi­ri­tuelles d’autres dont la force exté­rieure de résis­tance a cédé sous l’excès d’une injuste pres­sion et a exté­rieu­re­ment subi une sépa­ra­tion que leur cœur déteste et que leur conscience condamne.

La fidé­li­té du chré­tien catho­lique au patri­moine divin de véri­té lais­sé par le Christ au magis­tère de l’Église ne le condamne en aucune manière – comme bien des gens le croient ou affectent de le croire – à une réserve défiante ou à une froide indiffé­rence en face des devoirs graves et urgents de l’heure présente.

Au contraire, l’esprit et l’exemple du Seigneur qui vint cher­cher et sau­ver ce qui était per­du, le pré­cepte de l’amour en géné­ral, le sens social qui rayonne la bonne nou­velle, l’his­toire de l’Église qui montre com­ment celle-​ci a tou­jours été le plus ferme et constant sou­tien de toutes les forces du bien et de la paix, les ensei­gne­ments et les exhor­ta­tions des Pontifes romains, spé­cia­le­ment pen­dant les der­nières dizaines d’années, sur la conduite des chré­tiens envers leurs sem­blables, la socié­té et l’État, tout cela pro­clame l’obligation du croyant de s’occuper, selon sa condi­tion et ses pos­si­bi­li­tés, avec dés­in­té­res­se­ment et cou­rage, des ques­tions qu’un monde éprou­vé et agi­té doit résoudre dans le domaine de la jus­tice sociale, non moins que dans l’ordre inter­na­tio­nal du droit et de la paix.

Un chré­tien convain­cu ne peut se confi­ner dans un com­mode et égoïste « iso­la­tion­nisme », quand il est témoin des besoins et des misères de ses frères, quand l’atteignent les demandes de secours des éco­no­mi­que­ment faibles, quand il connaît les aspi­ra­tions des classes ouvrières vers des condi­tions de vie plus nor­males et plus justes, quand il est conscient des abus d’une concep­tion éco­no­mique qui met l’argent au-​dessus des obli­ga­tions sociales, quand il n’ignore pas les dévia­tions d’un natio­na­lisme intran­si­geant, qui nie ou foule aux pieds la soli­darité entre les dif­fé­rents peuples, soli­da­ri­té qui impose à cha­cun des devoirs mul­tiples envers la grande famille des nations.

La doc­trine catho­lique sur l’État et la socié­té civile s’est tou­jours fon­dée sur le prin­cipe que selon la volon­té divine les peuples forment ensemble une com­mu­nau­té ayant un but et des devoirs communs.

Même en un temps où la pro­cla­ma­tion de ce prin­cipe et de ses consé­quences pra­tiques sou­le­vait de véhé­mentes réac­tions, l’Église a refu­sé son consen­te­ment à la concep­tion erro­née d’une sou­ve­rai­ne­té abso­lu­ment auto­nome et exempte des obli­ga­tions sociales.

Le Chrétien catho­lique, convain­cu que tout homme est son pro­chain et que tout peuple est membre, avec des droits égaux, de la famille, des nations, s’associe de grand cœur à ces géné­reux efforts dont les pre­miers résul­tats peuvent être bien modestes, et dont les mani­fes­ta­tions se heurtent sou­vent à des oppo­si­tions et des obs­tacles puis­sants mais qui tendent à faire sor­tir cha­cun des États des étroi­tesses d’une men­ta­li­té égo­cen­trique, men­ta­li­té qui a eu une part pré­pon­dé­rante de res­pon­sa­bi­li­té dans les conflits du pas­sé, et qui, si elle n’était fina­le­ment vain­cue ou au moins frei­née, pour­rait conduire à de nou­velles confla­gra­tions, peut-​être mor­telles pour la civili­sation humaine.

Jamais depuis la ces­sa­tion des hos­ti­li­tés, les esprits ne se sont sen­tis comme aujourd’hui acca­blés par le cau­che­mar d’une nou­velle guerre et par le désir ardent de la paix.

Ils se meuvent entre deux pôles oppo­sés. Les uns reprennent l’antique dic­ton, non entiè­re­ment faux, mais qui se prête à être mal com­pris et dont on a sou­vent abu­sé : Si vis pacem, para bel­lum : Si tu veux la paix pré­pare la guerre.

D’autres pensent trou­ver le salut dans la for­mule : la paix à tout prix !

Les uns et les autres veulent la paix, mais les uns et les autres la mettent en dan­ger ; les uns parce qu’ils sus­citent la méfiance, les autres parce qu’ils encou­ragent l’assurance de ceux qui pré­parent l’agression. Les uns et les autres par consé­quent com­pro­mettent sans le vou­loir la cause de la paix, pré­ci­sé­ment en un temps où l’humanité, écra­sée sous le poids des arme­ments, angois­sée par la pré­vi­sion de conflits nou­veaux et plus graves, tremble à la seule pen­sée d’une future catastrophe.

C’est pour­quoi Nous vou­drions indi­quer briè­ve­ment quels sont les carac­tères d’une vraie volon­té chré­tienne de paix.

La volon­té chré­tienne de paix vient de Dieu. Il est le « Dieu de la paix » [5] ; il a créé le monde pour être un séjour de paix ; il a don­né son com­man­de­ment de paix, de cette tran­quilli­té dans l’ordre, dont parle Saint Augustin.

La volon­té chré­tienne de paix a, elle aus­si ses armes. Mais les prin­ci­pales sont la prière et l’amour : la prière constante au Père céleste, Père de nous tous ; l’amour fra­ter­nel entre tous les hommes et tous les peuples, comme étant fils du même Père qui est dans les cieux, l’amour qui avec la patience réus­sit tou­jours à se tenir dis­po­sé et prêt à s’entendre et à s’accorder avec tous.

Ces deux armes viennent de Dieu, et là où elles manquent, là où on ne sait que manier les armes maté­rielles, il ne peut y avoir de vraie volon­té de paix, car ces armes pure­ment maté­rielles sus­citent néces­sai­re­ment la méfiance et créent un cli­mat de guerre. Qui ne voit donc com­bien il est impor­tant pour les peuples de conser­ver et de ren­for­cer la vie chré­tienne, et com­bien grave est leur res­pon­sa­bi­li­té dans le choix et dans la sur­veillance de ceux à qui ils confient la dis­po­si­tion immé­diate des armements.

La volon­té chré­tienne de paix est faci­le­ment recon­nais­sable. Obéissante au com­man­de­ment divin de la paix, elle ne fait jamais d’une ques­tion de pres­tige ou d’honneur natio­nal un cas de guerre, ou même seule­ment une menace de guerre. Elle se garde bien de pour­suivre avec la force des armes la reven­di­ca­tion de droits qui, si légi­times soient-​ils ne com­pensent pas le risque de sus­ci­ter un incen­die avec toutes ses effrayantes consé­quences spi­ri­tuelles et matérielles.

Ici éga­le­ment se mani­feste la res­pon­sa­bi­li­té des peuples dans les pro­blèmes capi­taux de l’éducation de la jeu­nesse, de la for­ma­tion de l’opinion publique, que les méthodes et les moyens modernes rendent aujourd’hui si impres­sion­nante et si chan­geante, dans tous les domaines de la vie natio­nale. Actuellement cette action doit s’exercer assi­dû­ment afin de ren­for­cer la soli­da­ri­té de tous les États pour la défense de la paix.

Tout vio­la­teur du droit doit être mis, comme per­tur­ba­teur de la paix dans une soli­tude infa­mante au ban de la socié­té civile.

Puisse « l’Organisation des Nations-​Unies » deve­nir la pleine et pure expres­sion de cette soli­da­ri­té inter­na­tio­nale de paix, effa­çant de ses sta­tuts tout ves­tige de son ori­gine qui était néces­sai­re­ment une soli­da­ri­té de guerre.

La volon­té chré­tienne est pra­tique et réa­liste. Son but immé­diat est d’écarter ou au moins de dimi­nuer les causes de ten­sion qui aggravent mora­le­ment et maté­riel­le­ment le péril de guerre. Ces causes sont, entre autres, prin­ci­pa­le­ment la rela­tive étroi­tesse du ter­ri­toire natio­nal et la pénu­rie des matières premières.

Au lieu d’expédier à très grands frais les ali­ments aux popu­la­tions réfu­giées, amas­sées tant bien que mal en quelque lieu, pour­quoi ne pas faci­li­ter l’émigration et l’immigration des familles, en les diri­geant vers les régions où elles trou­ve­ront plus faci­le­ment les vivres dont elles ont besoin ?

Et au Heu de res­treindre sou­vent sans de justes motifs la pro­duc­tion, pour­quoi ne pas lais­ser au peuple la pos­si­bi­li­té de pro­duire selon sa capa­ci­té nor­male et de manière à gagner son pain quo­ti­dien comme fruit de son acti­vi­té plu­tôt que de le rece­voir comme un don ?

Finalement au Heu de dres­ser des bar­rières pour empê­cher réci­pro­que­ment l’accès aux matières pre­mières, pour­quoi ne pas en rendre l’usage et l’échange libres de toutes les entraves non néces­saires, de celles sur­tout qui créent une dan­ge­reuse inéga­li­té de condi­tions économiques ?

La vraie volon­té chré­tienne de paix est force et non fai­blesse ou rési­gna­tion fati­guée. Elle ne fait qu’un avec la volon­té de paix du Dieu tout-​puissant et éter­nel. Toute guerre d’agression contre ces biens que l’ordonnance divine de la paix oblige sans condi­tions à res­pec­ter et à garan­tir, et donc aus­si à pro­té­ger et à défendre est péché, délit et atten­tat contre la majes­té de Dieu, créa­teur et ordon­na­teur du monde. Un peuple mena­cé ou déjà vic­time d’une injuste agres­sion, s’il veut pen­ser et agir chré­tien­ne­ment, ne peut demeu­rer dans une indif­fé­rence pas­sive ; à plus forte rai­son la soli­da­ri­té de la famille des peuples interdit-​elle aux autres de se com­por­ter comme de simples spec­ta­teurs dans une atti­tude d’impassible neu­tra­li­té. Qui pour­ra jamais mesu­rer les dom­mages déjà occa­sion­nés dans le pas­sé par une telle indif­fé­rence, bien étran­gère au sen­ti­ment chré­tien, envers la guerre d’agression ? Combien elle a fait éprou­ver plus vive­ment le sen­ti­ment du manque de sécu­ri­té chez les « grands », et par-​dessus tout chez les « petits » ! A‑t-​elle en com­pen­sa­tion appor­té quelque avan­tage ? Au contraire elle n’a fait que ras­su­rer et encou­ra­ger les auteurs d’agression, met­tant cha­cun des peuples, aban­don­nés à eux-​mêmes, dans la néces­si­té d’augmenter indé­fi­ni­ment leur armement.

Appuyée sur Dieu et sur l’ordre éta­bli par lui, la volon­té chré­tienne de paix est donc forte comme l’acier. Elle est d’une bien autre trempe que le simple sen­ti­ment d’humanité, trop sou­vent fait de pure impres­sion­na­bi­li­té, qui ne déteste la guerre qu’à cause de ses hor­reurs et de ses atro­ci­tés, de ses des­truc­tions et de ses consé­quences, et non pas aus­si à cause de son injus­tice. A un tel sen­ti­ment, empreint d’eudémonisme [6] et d’utilitarisme, et d’origine maté­ria­liste, manque la solide base d’une obli­ga­tion étroite et incon­di­tion­née. Il crée le ter­rain dans lequel prennent racine l’illusion trom­peuse du sté­rile com­pro­mis, la ten­ta­tive de se sau­ver aux dépens d’autrui et en tout cas la for­tune de l’agresseur.

Cela est si vrai que ni la seule consi­dé­ra­tion des dou­leurs et des maux déri­vant de la guerre ni le dosage soi­gné de l’action et de l’avantage ne sont fina­le­ment capables de déter­mi­ner s’il est mora­le­ment licite ou même en telles cir­cons­tances concrètes obli­ga­toires (pour­vu tou­jours qu’il y ait pro­ba­bi­li­té fon­dée de suc­cès) de repous­ser l’agresseur avec la force.

Une chose cepen­dant est cer­taine : le pré­cepte de la paix est de droit divin. Sa fin est de pro­té­ger les biens de l’humanité en tant que biens du Créateur. Or, par­mi ces biens, il en est de telle impor­tance pour la com­mu­nau­té humaine que leur défense contre une agres­sion injuste est sans aucun doute plei­ne­ment jus­ti­fiée. Cette défense s’impose éga­le­ment à la soli­da­ri­té des nations, qui a le devoir de ne pas aban­don­ner le peuple vic­time d’une agres­sion. L’assurance qu’un tel devoir ne demeu­re­ra pas sans être rem­pli ser­vi­ra à décou­ra­ger l’agres­seur et par suite à évi­ter la guerre, ou du moins, dans la pire des hypo­thèses, à en abré­ger les souffrances.

Ainsi le pro­verbe : « Si tu veux la paix pré­pare la guerre » demeure avec un sens meilleur, comme aus­si la for­mule : « la paix à tout prix. » Ce qui importe, c’est de vou­loir sin­cè­re­ment et chré­tien­ne­ment la paix.

Nous y sommes pous­sés sans doute par la vue des ruines de la der­nière guerre, par la condam­na­tion silen­cieuse qui s’élève des grands cime­tières où s’alignent en files intermi­nables les tombes de ses vic­times, par la nos­tal­gie encore inapai­sée des pri­son­niers et des exi­lés, par l’angoisse et l’aban­don de nom­breux déte­nus poli­tiques, las d’être injus­te­ment pour­sui­vis. Mais plus encore doivent nous inci­ter la voix puis­sante du pré­cepte divin de la paix et le regard dou­ce­ment péné­trant du divin Enfant de la crèche.

Entendez, réson­nant dans la nuit, comme les cloches de Noël, les admi­rables paroles de l’apôtre des Gentils, jadis lui aus­si esclave des pré­ju­gés mes­quins de l’orgueil natio­na­liste et raciste, ter­ras­sés avec lui sur le che­min de Damas : « C’est lui, le Christ Jésus qui est notre paix, lui qui des deux peuples n’en a fait qu’un… fai­sant mou­rir en lui toute ini­mi­tié. Il est venu annon­cer la paix, à vous qui étiez loin et à ceux qui étaient proches. » ((Ep 2, 14, 16, 17.)

C’est pour­quoi, Nous aus­si, à cette heure, de toute la force de notre voix – Nous vous conju­rons, chers fils et filles du monde entier : tra­vaillez pour la paix, selon le cœur du Rédemp­teur. En union avec toutes les âmes droites qui, sans mili­ter dans vos rangs, vous sont pour­tant unies par la com­mu­nau­té de cet idéal, tra­vaillez à répandre et à faire triom­pher la volon­té chré­tienne de paix.

Mais Notre appel s’adresse avec une par­ti­cu­lière confiance à la jeu­nesse catho­lique. Les inou­bliables mani­fes­ta­tions de sep­tembre der­nier réunirent à Rome, en une mul­ti­tude sans pré­cé­dent, les repré­sen­tants de la jeu­nesse catho­lique accou­rus des nations les plus diverses, ils ont mon­tré avec une lumi­neuse clar­té leur soli­da­ri­té dans cette volon­té de paix.

Alors du haut des degrés de Notre basi­lique patriar­cale du Vatican en pré­sence d’une jeu­nesse enthou­siaste, Nous avons béni la pre­mière pierre de la future Domus Pacis, « la mai­son de la Paix », des­ti­née à don­ner à la jeu­nesse du monde catho­lique, en face de la cou­pole de Saint-​Pierre, la conscience d’appartenir à une grande famille qui embrasse avec un égal amour tous ses fils. A vous, jeunes gens, qui dans la fleur de votre âge por­tez la res­pon­sa­bi­li­té d’un len­de­main encore si incer­tain, Nous disons : « Ne vous conten­tez pas d’édifier la Domus Pacis sur la voie Aurelia. Celle-​ci ne sera que le sym­bole de votre volon­té de paix ; mais il s’agit main­te­nant de mettre en œuvre tous vos tré­sors de dévoue­ment et de téna­ci­té pour faire du monde lui-​même une Domus Pacis, sur laquelle souf­flent comme une brise sereine l’esprit et les pro­messes de Bethléem, et où l’humanité tour­men­tée pour­ra enfin trou­ver la paix. »

Dans cet espoir, Nous implo­rons la pro­tec­tion du Très-​Haut sur toutes les nations, en par­ti­cu­lier sur ceux qui, plus que les autres, sont expo­sés aux menaces de la guerre, aux agita­tions et aux dévas­ta­tions. Et com­ment, en cette veille de Noël, Notre pen­sée n’irait-elle pas, une fois encore, à cette terre de Palestine où le Fils de Dieu fait homme vécut sa vie ter­restre, cette Palestine où, mal­gré la sus­pen­sion des hosti­lités, n’apparaît pas encore un sûr fon­de­ment de paix. Puisse-​t-​on trou­ver enfin une solu­tion heu­reuse qui, tout en sub­ve­nant aux besoins de tant de mil­liers de pauvres réfu­giés, satis­fasse en même temps les vœux de toute la Chrétienté, anxieuse pour la sau­ve­garde des Lieux-​Saints, en les ren­dant libre­ment acces­sibles, pro­té­gés qu’ils seraient par l’é­ta­blis­se­ment d’un régime international.

Nous implo­rons éga­le­ment l’assistance divine sur tous ceux qui aiment à se consa­crer à la sécu­ri­té et au per­fec­tion­ne­ment de la paix par leurs prières et leur active col­la­bo­ra­tion : aux gou­ver­nants, à ceux qui peuvent exer­cer une influence effi­cace sur l’opinion publique, comme en géné­ral à ceux dont les peuples sont plus faci­le­ment dis­po­sés à accueillir les sin­cères invi­ta­tions à la paix ; sur les masses innom­brables des vic­times de la guerre, et sur beau­coup d’autres dont la misé­rable condi­tion se fait chaque jour d’autant plus dou­lou­reuse que se pro­longe davan­tage l’intolérable attente d’une paix défi­ni­tive, mora­le­ment juste et durable, exempte de tout pré­ju­gé ou super­sti­tion de race ou de sang.

En atten­dant, sou­hai­tant de la grâce divine la réa­li­sa­tion de ces vœux ardents, Nous vous accor­dons de tout cœur, à vous tous, chers fils et filles, unis à Nous par le lien de la foi et de l’amour, Notre pater­nelle Bénédiction apostolique.

Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Labergerie (nous avons enle­vé les titres et com­men­taires trop char­gés de cette édi­tion) – D’après le texte ita­lien des A. A. S., XXXI, 1949, p. 5 ; tra­duc­tion fran­çaise dans La Documentation Catholique, t. XLVI, col. 65.

Notes de bas de page
  1. En 1948, le doyen du Sacré-​Collège est son Eminence le Cardinal Marchetti-​Selvaggiani.[]
  2. Une seule allo­cu­tion de ce genre de Pie XI a été radio­dif­fu­sée, c’est celle du 24 décembre 1936 (Actes de Pie XI, t. XIV, p. 187). On pour­ra trou­ver celles de Pie XII à par­tir du 24 décembre 1940, dans les A. A. S. ; tou­te­fois les pre­mières allo­cu­tions datant de 1939 et 1940 ne furent pas radio­dif­fu­sées ; ce ne sont que celles du 24 décembre 1941 et les sui­vantes qui furent trans­mises par la voix des ondes.[]
  3. cf. 1 R 19, 18.[]
  4. cf. Mt 10, 32.[]
  5. Rm 15, 33.[]
  6. L’eudémonisme est la théo­rie qui place au som­met de toutes les valeurs : le bon­heur tem­po­rel. L’homme n’agirait qu’en vue d’atteindre son bon­heur ter­restre.[]