Il est de tradition que le 24 décembre, le doyen du Sacré-Collège[1] présente au nom des Cardinaux ses vœux de Noël et de Nouvel An au Saint-Père. Le Pape répond par une allocution qui est rendue publique. Depuis le Pontificat de Pie XII, ces allocutions sont radiodiffusées [2] ; elles ont un grand retentissement à travers le monde.
Celle de 1948 a pour thème : Invitation aux chrétiens :
- à demeurer fermes dans la foi, au milieu des difficultés et des persécutions ;
- à promouvoir un ordre social véritable ;
- à favoriser la vraie paix entre les nations.
Le Pape annonce aux chrétiens qu’il a reçu le mandat de déclarer la vérité, de faire la lumière devant les problèmes qui se posent aujourd’hui.
Graves et tendres à la fois, comme le testament et le salut d’adieu d’un père très aimant, les paroles du divin Rédempteur à son premier Vicaire sur la terre : « Confirma fratres tuos » (Luc. XXII, 32) « Affermis tes frères ! » n’ont pas cessé de résonner dans Notre esprit et dans Notre cœur depuis le jour où, dans son inscrutable dessein, il voulut confier à nos faibles mains le gouvernail de la barque de Pierre.
Paroles immortelles profondément gravées au plus intime de Notre âme, elles se font encore plus pénétrantes chaque fois que dans l’exercice du ministère apostolique, Nous avons à communiquer à l’épiscopat et aux fidèles du monde les enseignements, les normes et les exhortations que le plein accomplissement de la mission salvatrice de l’Église requiert, et qui, sans préjudice de leur immutabilité substantielle, doivent cependant s’adapter avec opportunité aux circonstances toujours changeantes et à la variété des temps et des lieux.
Mais c’est avec une émotion et une intensité particulièrement vives que Nous éprouvons en Nous-même la force de ce divin commandement en cet instant où, pour la dixième fois, Nous adressons Notre message de Noël à vous, chers Fils et Filles de l’univers – à la fin d’une période qui, par les événements et les bouleversements, par les épreuves et les sollicitudes, par les amertumes et les douleurs, n’a pas son égale dans les siècles de l’histoire humaine.
Quand, à Noël dernier, Nous demandions en cette même occasion vos prières et votre collaboration, Nous exprimions le souhait que l’année 1948, alors commençante, fût pour l’Europe et pour toute la société des peuples tourmentée par tant de divisions une année d’active reconstruction, le commencement d’une marche rapide vers une vraie paix.
Aujourd’hui, au terme d’une année qui s’était ouverte avec tant d’espérances, Notre voix paternelle vous invite de nouveau, vous, esprits droits et réfléchis, vous, chrétiens sincères, à considérer quelle est à présent la condition de l’humanité et de la chrétienté, et quel est le moyen pour avancer d’un pas ferme et franc dans le sentier que la dure nécessité des temps non moins que votre conscience vous montrent clairement.
Quiconque a de la clairvoyance, de la force morale et le courage de regarder les yeux dans les yeux la vérité, fût-elle pénible et humiliante, doit bien reconnaître que cette année 1948, objet à son aurore, d’attentes élevées et bien compréhensibles, apparaît à son déclin (aujourd’hui) comme un de ces points cruciaux où le chemin qui laissait déjà entrevoir de joyeuses perspectives semble déboucher au contraire sur le bord d’un précipice dont les embûches et les périls remplissent d’une anxiété croissante tous les peuples nobles et généreux.
Et néanmoins, ou plutôt précisément à cause de cela, chers fils et filles, tandis que la pusillanimité commence à s’emparer même d’âmes courageuses et que les doutes assaillent les esprits les plus clairs et les plus résolus, Nous Nous sentons plus que jamais obligé de correspondre au commandement divin : « Affermis tes frères », et à vous tous, jusqu’aux extrémités du monde, Nous envoyons, comme Notre salut de Noël les paroles avec lesquelles le Prophète annonçait l’œuvre de la Rédemption et la victoire définitive du Christ : « Fortifiez les mains défaillantes et affermissez les genoux chancelants. Dites aux pusillanimes : « Courage, ne craignez pas ; voici votre Dieu… Il viendra et vous sauvera. » (Is. XXXV, 3–4.)
Comme successeur de celui à qui fut adressée la promesse divine : « J’ai prié pour toi » (Luc XXII, 32), Nous savons bien quand la lutte avec les esprits des ténèbres est plus dure et entre dans des phases décisives et, humainement parlant, inquiétante, d’autant plus alors le Seigneur est proche de son Église et de ses fidèles. Profondément convaincu et conscient de cette assistance divine, Nous rappelons à tous ceux qui se glorifient du nom de chrétiens catholiques un double devoir sacré, indispensable à l’amélioration de la condition présente de la société humaine.
- 1. Une inébranlable fidélité au patrimoine de vérité que le Rédempteur a apporté au monde.
- 2. D’accomplissement consciencieux du précepte de la justice et de l’amour, présupposé nécessaire pour le triomphe sur la terre d’un ordre social digne du divin Roi de la paix.
Nous manquerions de reconnaissance envers le Tout-Puissant, qui donne toutes les grâces et produit tous les biens, si Nous ne reconnaissions pas que l’année désormais écoulée, malgré toutes les anxiétés et toutes les douleurs, fut encore riche de saintes joies et de consolations, d’expériences heureuses et de succès encourageants. Ce fut une année durant laquelle chez tous les peuples et les nations, dans tous les pays et les continents, l’Église a donné des signes indubitables et splendides de vie, de force, d’activité, de résistance, de progrès rapides qui, non seulement justifient les plus radieuses espérances dans le domaine spirituel, mais aussi ont produit des fruits visibles dans les débats gigantesques où l’humanité se trouve mêlée dans la lutte pour sa guérison et sa pacification.
Une magnifique série de solennités religieuses et de Congrès eucharistiques et mariaux, d’importants centenaires et de grandioses assemblées a montré à tout observateur impartial que ni la guerre, ni l’après-guerre, ni la ténacité des ennemis du Christ dans leur plan de désagrégation et de destruction, n’ont été en état d’atteindre, pour les dessécher et les contaminer, les sources pures auxquelles l’Église depuis près de vingt siècles, puise sa force vitale.
De toutes parts naît et bouillonne une vie nouvelle qui, particulièrement dans la jeunesse catholique, s’efforce de porter la vérité de l’Évangile et la force salutaire de sa doctrine dans tous les domaines de l’existence humaine pour le bien et le salut même de ceux qui jusqu’ici, à leur grand dommage, avaient fermé leurs cœurs à une action aussi bienfaisante.
Des dures épreuves que l’Église a subies à cause de la guerre et de l’après-guerre, les pertes douloureuses et les graves dommages qui l’ont frappée n’ont fait que rendre plus fermes et encourageantes son énergie et sa résistance ; battue par les tempêtes et par les flots, elle a conservé intacte, inviolée, sa vie substantielle, et dans tous les peuples où professer la foi chrétienne équivaut en réalité à souffrir persécution, il s’est trouvé et il se trouve toujours des milliers de braves, qui, impassibles au milieu des sacrifices, des proscriptions et des supplices, intrépides en face des chaînes et de la mort, ne fléchissent pas le genou devant le Baal de la puissance et de la force [3]. De grand public ignore le plus souvent leurs noms, mais ceux-ci sont écrits en caractères indélébiles dans les annales de l’Église. C’est pour Nous un devoir de glorifier ces hommes fidèles et forts, ces hommes infatigables et valeureux, ces hommes élus et bénis de Dieu, pour qui les angoisses du temps présent, les douleurs et les larmes maternelles de l’Épouse du Christ ne sont ni scandale, ni sottise, mais occasion qui les incite puissamment à manifester non par les paroles, mais par les actes, la rectitude et le désintéressement de leurs sentiments, leur absolue fidélité, la générosité sublime de leur cœur. Des paroles manquent pour reconnaître dignement, pour exalter comme il le mérite l’héroïsme de ces plus fidèles parmi les fidèles. A chacun d’eux va l’expression de Notre louange et de Notre reconnaissance. Le Seigneur qui a promis de se souvenir devant son Père céleste de ceux qui l’ont confessé devant les hommes [4], sera leur récompense éternelle.
Toutefois si la constance et la fermeté de tant de frères dans la foi est pour Nous une source de joie et de sainte fierté, Nous ne pouvons Nous soustraire à l’obligation de mentionner aussi ceux dont les pensées et les sentiments portent la marque de l’esprit et des difficultés de l’heure. Combien ont souffert quelque détriment ou même ont fait naufrage dans la foi et dans la croyance même en Dieu !
Combien, intoxiqués par une atmosphère de laïcisme, ou d’hostilité envers l’Église, ont perdu la fraîcheur et la sérénité d’une foi qui avait été jusqu’alors le soutien et la lumière de leur vie !
D’autres brusquement déracinés et arrachés du sol natal, errent à l’aventure, exposés, spécialement les jeunes, à un affaiblissement spirituel et moral dont on ne saurait trop mesurer le danger :
L’œil maternel de l’Église suit ces âmes temporairement perdues ou en danger, avec un amour vigilant et une sollicitude redoublée. Elle ne s’irrite pas ; elle ne condamne pas. Elle attend : elle attend le retour de ces fils, anxieuse de trouver les moyens capables d’en hâter l’heure. Pour cela, elle ne recule devant aucun sacrifice ; aucun effort n’est pour elle trop pénible dans un tel but.
Elle est prête à tout. A tout, excepté une seule chose : qu’on ne lui demande pas d’obtenir le retour des fils séparés d’elle – soit dans les temps passés, soit récemment – au prix de quelque diminution ou obscurcissement que ce soit du dépôt de la foi chrétienne confié à sa garde.
Un bref éclaircissement Nous semble opportun au sujet de certaines affirmations acerbes sorties des lèvres de quelques dissidents contre l’Eglise catholique et la Papauté. Notre devoir de charité et d’amour ne demeure certes pas diminué par les attaques ni par les injures. Nous savons distinguer entre les peuples, souvent privés de liberté, et les méthodes qui les régissent. Nous savons la servile dépendance que certains représentants de la confession appelée « orthodoxe » manifestent envers une conception dont le but final maintes fois proclamé est l’exclusion de toute religion chrétienne.
Nous n’ignorons pas l’amer chemin que doivent parcourir tant de Nos chers fils et filles qu’un système de violence ouverte a poussés à se séparer formellement de l’Église-mère à laquelle les unissaient leurs convictions les plus intimes. C’est avec un cœur ému que Nous admirons l’héroïque fermeté des uns ; avec une profonde douleur et un amour paternel non diminué que Nous voyons les angoisses spirituelles d’autres dont la force extérieure de résistance a cédé sous l’excès d’une injuste pression et a extérieurement subi une séparation que leur cœur déteste et que leur conscience condamne.
La fidélité du chrétien catholique au patrimoine divin de vérité laissé par le Christ au magistère de l’Église ne le condamne en aucune manière – comme bien des gens le croient ou affectent de le croire – à une réserve défiante ou à une froide indifférence en face des devoirs graves et urgents de l’heure présente.
Au contraire, l’esprit et l’exemple du Seigneur qui vint chercher et sauver ce qui était perdu, le précepte de l’amour en général, le sens social qui rayonne la bonne nouvelle, l’histoire de l’Église qui montre comment celle-ci a toujours été le plus ferme et constant soutien de toutes les forces du bien et de la paix, les enseignements et les exhortations des Pontifes romains, spécialement pendant les dernières dizaines d’années, sur la conduite des chrétiens envers leurs semblables, la société et l’État, tout cela proclame l’obligation du croyant de s’occuper, selon sa condition et ses possibilités, avec désintéressement et courage, des questions qu’un monde éprouvé et agité doit résoudre dans le domaine de la justice sociale, non moins que dans l’ordre international du droit et de la paix.
Un chrétien convaincu ne peut se confiner dans un commode et égoïste « isolationnisme », quand il est témoin des besoins et des misères de ses frères, quand l’atteignent les demandes de secours des économiquement faibles, quand il connaît les aspirations des classes ouvrières vers des conditions de vie plus normales et plus justes, quand il est conscient des abus d’une conception économique qui met l’argent au-dessus des obligations sociales, quand il n’ignore pas les déviations d’un nationalisme intransigeant, qui nie ou foule aux pieds la solidarité entre les différents peuples, solidarité qui impose à chacun des devoirs multiples envers la grande famille des nations.
La doctrine catholique sur l’État et la société civile s’est toujours fondée sur le principe que selon la volonté divine les peuples forment ensemble une communauté ayant un but et des devoirs communs.
Même en un temps où la proclamation de ce principe et de ses conséquences pratiques soulevait de véhémentes réactions, l’Église a refusé son consentement à la conception erronée d’une souveraineté absolument autonome et exempte des obligations sociales.
Le Chrétien catholique, convaincu que tout homme est son prochain et que tout peuple est membre, avec des droits égaux, de la famille, des nations, s’associe de grand cœur à ces généreux efforts dont les premiers résultats peuvent être bien modestes, et dont les manifestations se heurtent souvent à des oppositions et des obstacles puissants mais qui tendent à faire sortir chacun des États des étroitesses d’une mentalité égocentrique, mentalité qui a eu une part prépondérante de responsabilité dans les conflits du passé, et qui, si elle n’était finalement vaincue ou au moins freinée, pourrait conduire à de nouvelles conflagrations, peut-être mortelles pour la civilisation humaine.
Jamais depuis la cessation des hostilités, les esprits ne se sont sentis comme aujourd’hui accablés par le cauchemar d’une nouvelle guerre et par le désir ardent de la paix.
Ils se meuvent entre deux pôles opposés. Les uns reprennent l’antique dicton, non entièrement faux, mais qui se prête à être mal compris et dont on a souvent abusé : Si vis pacem, para bellum : Si tu veux la paix prépare la guerre.
D’autres pensent trouver le salut dans la formule : la paix à tout prix !
Les uns et les autres veulent la paix, mais les uns et les autres la mettent en danger ; les uns parce qu’ils suscitent la méfiance, les autres parce qu’ils encouragent l’assurance de ceux qui préparent l’agression. Les uns et les autres par conséquent compromettent sans le vouloir la cause de la paix, précisément en un temps où l’humanité, écrasée sous le poids des armements, angoissée par la prévision de conflits nouveaux et plus graves, tremble à la seule pensée d’une future catastrophe.
C’est pourquoi Nous voudrions indiquer brièvement quels sont les caractères d’une vraie volonté chrétienne de paix.
La volonté chrétienne de paix vient de Dieu. Il est le « Dieu de la paix » [5] ; il a créé le monde pour être un séjour de paix ; il a donné son commandement de paix, de cette tranquillité dans l’ordre, dont parle Saint Augustin.
La volonté chrétienne de paix a, elle aussi ses armes. Mais les principales sont la prière et l’amour : la prière constante au Père céleste, Père de nous tous ; l’amour fraternel entre tous les hommes et tous les peuples, comme étant fils du même Père qui est dans les cieux, l’amour qui avec la patience réussit toujours à se tenir disposé et prêt à s’entendre et à s’accorder avec tous.
Ces deux armes viennent de Dieu, et là où elles manquent, là où on ne sait que manier les armes matérielles, il ne peut y avoir de vraie volonté de paix, car ces armes purement matérielles suscitent nécessairement la méfiance et créent un climat de guerre. Qui ne voit donc combien il est important pour les peuples de conserver et de renforcer la vie chrétienne, et combien grave est leur responsabilité dans le choix et dans la surveillance de ceux à qui ils confient la disposition immédiate des armements.
La volonté chrétienne de paix est facilement reconnaissable. Obéissante au commandement divin de la paix, elle ne fait jamais d’une question de prestige ou d’honneur national un cas de guerre, ou même seulement une menace de guerre. Elle se garde bien de poursuivre avec la force des armes la revendication de droits qui, si légitimes soient-ils ne compensent pas le risque de susciter un incendie avec toutes ses effrayantes conséquences spirituelles et matérielles.
Ici également se manifeste la responsabilité des peuples dans les problèmes capitaux de l’éducation de la jeunesse, de la formation de l’opinion publique, que les méthodes et les moyens modernes rendent aujourd’hui si impressionnante et si changeante, dans tous les domaines de la vie nationale. Actuellement cette action doit s’exercer assidûment afin de renforcer la solidarité de tous les États pour la défense de la paix.
Tout violateur du droit doit être mis, comme perturbateur de la paix dans une solitude infamante au ban de la société civile.
Puisse « l’Organisation des Nations-Unies » devenir la pleine et pure expression de cette solidarité internationale de paix, effaçant de ses statuts tout vestige de son origine qui était nécessairement une solidarité de guerre.
La volonté chrétienne est pratique et réaliste. Son but immédiat est d’écarter ou au moins de diminuer les causes de tension qui aggravent moralement et matériellement le péril de guerre. Ces causes sont, entre autres, principalement la relative étroitesse du territoire national et la pénurie des matières premières.
Au lieu d’expédier à très grands frais les aliments aux populations réfugiées, amassées tant bien que mal en quelque lieu, pourquoi ne pas faciliter l’émigration et l’immigration des familles, en les dirigeant vers les régions où elles trouveront plus facilement les vivres dont elles ont besoin ?
Et au Heu de restreindre souvent sans de justes motifs la production, pourquoi ne pas laisser au peuple la possibilité de produire selon sa capacité normale et de manière à gagner son pain quotidien comme fruit de son activité plutôt que de le recevoir comme un don ?
Finalement au Heu de dresser des barrières pour empêcher réciproquement l’accès aux matières premières, pourquoi ne pas en rendre l’usage et l’échange libres de toutes les entraves non nécessaires, de celles surtout qui créent une dangereuse inégalité de conditions économiques ?
La vraie volonté chrétienne de paix est force et non faiblesse ou résignation fatiguée. Elle ne fait qu’un avec la volonté de paix du Dieu tout-puissant et éternel. Toute guerre d’agression contre ces biens que l’ordonnance divine de la paix oblige sans conditions à respecter et à garantir, et donc aussi à protéger et à défendre est péché, délit et attentat contre la majesté de Dieu, créateur et ordonnateur du monde. Un peuple menacé ou déjà victime d’une injuste agression, s’il veut penser et agir chrétiennement, ne peut demeurer dans une indifférence passive ; à plus forte raison la solidarité de la famille des peuples interdit-elle aux autres de se comporter comme de simples spectateurs dans une attitude d’impassible neutralité. Qui pourra jamais mesurer les dommages déjà occasionnés dans le passé par une telle indifférence, bien étrangère au sentiment chrétien, envers la guerre d’agression ? Combien elle a fait éprouver plus vivement le sentiment du manque de sécurité chez les « grands », et par-dessus tout chez les « petits » ! A‑t-elle en compensation apporté quelque avantage ? Au contraire elle n’a fait que rassurer et encourager les auteurs d’agression, mettant chacun des peuples, abandonnés à eux-mêmes, dans la nécessité d’augmenter indéfiniment leur armement.
Appuyée sur Dieu et sur l’ordre établi par lui, la volonté chrétienne de paix est donc forte comme l’acier. Elle est d’une bien autre trempe que le simple sentiment d’humanité, trop souvent fait de pure impressionnabilité, qui ne déteste la guerre qu’à cause de ses horreurs et de ses atrocités, de ses destructions et de ses conséquences, et non pas aussi à cause de son injustice. A un tel sentiment, empreint d’eudémonisme [6] et d’utilitarisme, et d’origine matérialiste, manque la solide base d’une obligation étroite et inconditionnée. Il crée le terrain dans lequel prennent racine l’illusion trompeuse du stérile compromis, la tentative de se sauver aux dépens d’autrui et en tout cas la fortune de l’agresseur.
Cela est si vrai que ni la seule considération des douleurs et des maux dérivant de la guerre ni le dosage soigné de l’action et de l’avantage ne sont finalement capables de déterminer s’il est moralement licite ou même en telles circonstances concrètes obligatoires (pourvu toujours qu’il y ait probabilité fondée de succès) de repousser l’agresseur avec la force.
Une chose cependant est certaine : le précepte de la paix est de droit divin. Sa fin est de protéger les biens de l’humanité en tant que biens du Créateur. Or, parmi ces biens, il en est de telle importance pour la communauté humaine que leur défense contre une agression injuste est sans aucun doute pleinement justifiée. Cette défense s’impose également à la solidarité des nations, qui a le devoir de ne pas abandonner le peuple victime d’une agression. L’assurance qu’un tel devoir ne demeurera pas sans être rempli servira à décourager l’agresseur et par suite à éviter la guerre, ou du moins, dans la pire des hypothèses, à en abréger les souffrances.
Ainsi le proverbe : « Si tu veux la paix prépare la guerre » demeure avec un sens meilleur, comme aussi la formule : « la paix à tout prix. » Ce qui importe, c’est de vouloir sincèrement et chrétiennement la paix.
Nous y sommes poussés sans doute par la vue des ruines de la dernière guerre, par la condamnation silencieuse qui s’élève des grands cimetières où s’alignent en files interminables les tombes de ses victimes, par la nostalgie encore inapaisée des prisonniers et des exilés, par l’angoisse et l’abandon de nombreux détenus politiques, las d’être injustement poursuivis. Mais plus encore doivent nous inciter la voix puissante du précepte divin de la paix et le regard doucement pénétrant du divin Enfant de la crèche.
Entendez, résonnant dans la nuit, comme les cloches de Noël, les admirables paroles de l’apôtre des Gentils, jadis lui aussi esclave des préjugés mesquins de l’orgueil nationaliste et raciste, terrassés avec lui sur le chemin de Damas : « C’est lui, le Christ Jésus qui est notre paix, lui qui des deux peuples n’en a fait qu’un… faisant mourir en lui toute inimitié. Il est venu annoncer la paix, à vous qui étiez loin et à ceux qui étaient proches. » ((Ep 2, 14, 16, 17.)
C’est pourquoi, Nous aussi, à cette heure, de toute la force de notre voix – Nous vous conjurons, chers fils et filles du monde entier : travaillez pour la paix, selon le cœur du Rédempteur. En union avec toutes les âmes droites qui, sans militer dans vos rangs, vous sont pourtant unies par la communauté de cet idéal, travaillez à répandre et à faire triompher la volonté chrétienne de paix.
Mais Notre appel s’adresse avec une particulière confiance à la jeunesse catholique. Les inoubliables manifestations de septembre dernier réunirent à Rome, en une multitude sans précédent, les représentants de la jeunesse catholique accourus des nations les plus diverses, ils ont montré avec une lumineuse clarté leur solidarité dans cette volonté de paix.
Alors du haut des degrés de Notre basilique patriarcale du Vatican en présence d’une jeunesse enthousiaste, Nous avons béni la première pierre de la future Domus Pacis, « la maison de la Paix », destinée à donner à la jeunesse du monde catholique, en face de la coupole de Saint-Pierre, la conscience d’appartenir à une grande famille qui embrasse avec un égal amour tous ses fils. A vous, jeunes gens, qui dans la fleur de votre âge portez la responsabilité d’un lendemain encore si incertain, Nous disons : « Ne vous contentez pas d’édifier la Domus Pacis sur la voie Aurelia. Celle-ci ne sera que le symbole de votre volonté de paix ; mais il s’agit maintenant de mettre en œuvre tous vos trésors de dévouement et de ténacité pour faire du monde lui-même une Domus Pacis, sur laquelle soufflent comme une brise sereine l’esprit et les promesses de Bethléem, et où l’humanité tourmentée pourra enfin trouver la paix. »
Dans cet espoir, Nous implorons la protection du Très-Haut sur toutes les nations, en particulier sur ceux qui, plus que les autres, sont exposés aux menaces de la guerre, aux agitations et aux dévastations. Et comment, en cette veille de Noël, Notre pensée n’irait-elle pas, une fois encore, à cette terre de Palestine où le Fils de Dieu fait homme vécut sa vie terrestre, cette Palestine où, malgré la suspension des hostilités, n’apparaît pas encore un sûr fondement de paix. Puisse-t-on trouver enfin une solution heureuse qui, tout en subvenant aux besoins de tant de milliers de pauvres réfugiés, satisfasse en même temps les vœux de toute la Chrétienté, anxieuse pour la sauvegarde des Lieux-Saints, en les rendant librement accessibles, protégés qu’ils seraient par l’établissement d’un régime international.
Nous implorons également l’assistance divine sur tous ceux qui aiment à se consacrer à la sécurité et au perfectionnement de la paix par leurs prières et leur active collaboration : aux gouvernants, à ceux qui peuvent exercer une influence efficace sur l’opinion publique, comme en général à ceux dont les peuples sont plus facilement disposés à accueillir les sincères invitations à la paix ; sur les masses innombrables des victimes de la guerre, et sur beaucoup d’autres dont la misérable condition se fait chaque jour d’autant plus douloureuse que se prolonge davantage l’intolérable attente d’une paix définitive, moralement juste et durable, exempte de tout préjugé ou superstition de race ou de sang.
En attendant, souhaitant de la grâce divine la réalisation de ces vœux ardents, Nous vous accordons de tout cœur, à vous tous, chers fils et filles, unis à Nous par le lien de la foi et de l’amour, Notre paternelle Bénédiction apostolique.
Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Labergerie (nous avons enlevé les titres et commentaires trop chargés de cette édition) – D’après le texte italien des A. A. S., XXXI, 1949, p. 5 ; traduction française dans La Documentation Catholique, t. XLVI, col. 65.
- En 1948, le doyen du Sacré-Collège est son Eminence le Cardinal Marchetti-Selvaggiani.[↩]
- Une seule allocution de ce genre de Pie XI a été radiodiffusée, c’est celle du 24 décembre 1936 (Actes de Pie XI, t. XIV, p. 187). On pourra trouver celles de Pie XII à partir du 24 décembre 1940, dans les A. A. S. ; toutefois les premières allocutions datant de 1939 et 1940 ne furent pas radiodiffusées ; ce ne sont que celles du 24 décembre 1941 et les suivantes qui furent transmises par la voix des ondes.[↩]
- cf. 1 R 19, 18.[↩]
- cf. Mt 10, 32.[↩]
- Rm 15, 33.[↩]
- L’eudémonisme est la théorie qui place au sommet de toutes les valeurs : le bonheur temporel. L’homme n’agirait qu’en vue d’atteindre son bonheur terrestre.[↩]