Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

19 juillet 1950

Lettre encyclique Summi mæroris

Sur la paix mondiale

Table des matières

Alors que l’in­sé­cu­ri­té conti­nue à régner sur le monde, alors que le bloc sovié­tique s’op­pose avec plus de vio­lence que jamais au bloc anglo-​saxon, et à l’Europe occi­den­tale, une guerre se déclenche en Extrême- Orient, ris­quant d’en­traî­ner à sa suite un nou­veau conflit mon­dial. En effet, le 25 juin 1950, à l’aube, les forces de la Corée du Nord – sous régime com­mu­niste – ont tra­ver­sé la fron­tière fixée au 38e paral­lèle, pour enva­hir la Corée du Sud, Etat indépendant.

L’appel des Nations Unies deman­dant à l’a­gres­seur de reti­rer ses forces armées, au delà du 38e paral­lèle, demeu­ra vain. Dès lors, les membres des Nations Unies furent invi­tés, dès le 27 juin, à appor­ter une aide mili­taire à la Corée du Sud, pour repous­ser l’en­va­his­seur. Dès le 30 juin, les Etats-​Unis enga­geaient des forces dans la guerre, et le 4 juillet, trente-​deux membres des Nations Unies pro­met­taient une aide mili­taire à la Corée du Sud. Ce sont ces évé­ne­ments qui ont don­né lieu à la publi­ca­tion de l’Encyclique.

Le Pape déplore que le monde demeure soumis aux angoisses des menaces de guerre :

Les causes d’une pro­fonde dou­leur et d’une immense tris­tesse ne nous manquent pas.

D’une part, Nous avons le spec­tacle des mul­ti­tudes de pèle­rins qui, en cette Année jubi­laire, accourent à Rome de tous les points de la terre, vision mer­veilleuse, en quoi Nous voyons un émou­vant témoi­gnage de foi com­mune, d’union fra­ter­nelle, de pié­té ardente, et cela en si grand nombre que cette Ville véné­rable, qui a tant vu d’événe­ments fameux, ne connut rien de pareil au cours des siècles pré­cé­dents [1]. Ces foules innom­brables, Nous les rece­vons d’un cœur aimant, Nous les raf­fer­mis­sons de Notre parole pater­nelle, et leur pro­po­sons de nou­veaux et illustres modèles de sain­te­té [2], Nous les invi­tons, non sans suc­cès, à un renou­veau des mœurs et à pro­gres­ser dans la vie chrétienne.

D’un autre côté, la situa­tion géné­rale des peuples se pré­sente à Nos regards sous un tel jour que Nous en éprou­vons les plus vives pré­oc­cu­pa­tions et anxiétés.

Certes, de nom­breuses per­sonnes dis­cutent, écrivent et parlent sur le moyen d’aboutir fina­le­ment à la paix tant dési­rée ; mais les prin­cipes, qui doivent être les bases solides de cette paix, sont négli­gés par cer­tains, et même ouver­te­ment repoussés.

En effet, dans un cer­tain nombre de pays, ce n’est pas la véri­té qui est à l’honneur, mais le men­songe habi­le­ment dégui­sé. Ce n’est pas l’amour ni la cha­ri­té qui sont favo­ri­sés, mais la haine et les riva­li­tés aveugles. On n’exalte pas la concorde entre citoyens, mais on pro­voque des troubles et des désordres.

C’est pourquoi, il faut condamner ce procédé qui mène à la guerre :

Mais, comme le recon­naissent les gens sin­cères et de bonne foi, il n’est pas pos­sible, de cette manière, de résoudre les pro­blèmes qui divisent actuel­le­ment les nations, ni de conduire le pro­lé­ta­riat comme c’est néces­saire, vers un ave­nir meilleur. Car la haine, le men­songe et la divi­sion n’ont jamais pro­duit rien de bon. Il faut, certes, éle­ver la classe pauvre à une condi­tion, conforme à la digni­té humaine, mais cela par des lois justes et non pas par la vio­lence et le désordre.

Il faut, au contraire, faire œuvre de vérité, de justice et d’amour :

Il faut, le plus tôt pos­sible, à la lumière de la véri­té et sous la conduite de la jus­tice, régler tous les dif­fé­rends qui divisent et séparent les peuples.

Dans ces circonstances, l’Eglise lance de nouveaux appels à la paix ;

Tandis que le ciel s’obscurcit de nuages, Nous, qui avons par­ti­cu­liè­re­ment à cœur la liber­té, la digni­té et la pros­pé­ri­té de toutes les nations, Nous ne pou­vons qu’exhorter à la paix et à la concorde tous les citoyens et leurs gouvernants.

Il faut garder devant ses yeux le spectacle atroce des ruines pro­voquées par les guerres modernes :

Que tout le monde se rap­pelle ce qu’apporte la guerre, comme on ne le sait que trop par expé­rience : des ruines, la mort, et toutes sortes de misères. Avec le pro­grès, la tech­nique moderne a créé et pré­pa­ré de telles armes meur­trières et inhu­maines, que, non seule­ment pour­raient être exter­mi­nés les armées et les flottes, non seule­ment les villes, les bour­gades et les vil­lages, non seule­ment les tré­sors ines­ti­mables de la reli­gion, de l’art et de la culture, mais encore les enfants inno­cents avec leurs mères, les malades et les infirmes, les vieillards. Tout ce que le génie humain a pro­duit de beau, de bon, de saint, tout ou presque tout peut être anéanti.

Cette vision invitera, sans doute, les chefs d’Etat à réfléchir sur leurs graves devoirs :

Si donc la guerre, aujourd’hui sur­tout, appa­raît à tout esprit sen­sé comme quelque chose de ter­ri­fiant et de mor­tel, il faut espé­rer que par l’effort de tous les hommes de bonne volon­té et sur­tout des diri­geants des peuples, on puisse éloi­gner les nuages sombres et mena­çants qui, en ce moment, angoissent les cœurs, et que la paix véri­table règne enfin par­mi les peuples.

Cependant, en dernière analyse, la paix qui résulte de l’effort des hommes est aussi un don de Dieu ;

Mais, comme nous savons que tout beau pré­sent et tout don par­fait viennent d’En-Haut et des­cendent du Père des lumières [3], Nous jugeons oppor­tun, Vénérables Frères, de pres­crire de nou­veau des prières publiques afin d’obtenir la concorde entre les peuples.

Les Evêques sont invités à faire prier et à faire expier les fidèles qui leur sont confiés :

Votre tâche pas­to­rale sera donc non seule­ment d’exhorter les âmes qui vous sont confiées à éle­ver vers Dieu de fer­ventes prières, mais encore à s’adonner à de pieuses pra­tiques de péni­tence et d’expiation, pour apai­ser la divine Majesté offen­sée par tant de crimes publics et privés.

De plus, les Evêques devront rappeler au peuple chrétien les principes qui seuls, peuvent fonder la paix véritable :

Quand vous com­mu­ni­que­rez Notre appel aux fidèles, confor­mé­ment aux devoirs de votre charge, vous leur rap­pellerez aus­si les prin­cipes qui peuvent assu­rer une paix juste et durable et la voie qui est à suivre pour y aboutir.

La paix, comme vous le savez bien, ne peut décou­ler que des prin­cipes et des normes dic­tés par le Christ et mis en pra­tique avec sin­cé­ri­té et loyau­té. Ils rap­pellent, en effet, les hommes et les peuples à la véri­té, à la jus­tice et la cha­ri­té ; ils mettent un frein à leur cupi­di­té ; ils obli­gent les sens à obéir à la rai­son et la rai­son à obéir à Dieu ; ils ordonnent à tous, même à ceux qui gou­vernent les peuples, de recon­naître la liber­té due à la reli­gion, qui, en plus de son but fon­da­men­tal de conduire les âmes au salut éter­nel, sou­tient et pro­tège les bases mêmes de l’Etat.

Le Souverain Pontife dénonce une nouvelle fois les autorités civiles qui persécutent l’Eglise catholique ou qui entravent son action [4] :

De ce que Nous venons de décla­rer, il est facile de conce­voir, Vénérables Frères, com­bien sont loin de don­ner une paix sûre et véri­table ceux qui foulent aux pieds les droits sacrés de l’Eglise catho­lique, qui inter­disent à ses ministres le libre exer­cice du culte en les condam­nant même à l’exil ou à la pri­son, qui entravent ou sup­priment les écoles et autres ins­ti­tu­tions diri­gées selon les prin­cipes chré­tiens, qui par l’erreur, la calom­nie et la licence, détournent tous les milieux sociaux, et spé­cia­le­ment la jeu­nesse incons­tante de l’intégrité des mœurs, de l’innocence et de la ver­tu pour les entraî­ner au vice et à la corruption.

Parmi les mensonges répandus par les communistes, il faut relever l’affirmation prétendant que l’Eglise excite les peuples à la guerre :

Il est éga­le­ment évident que sont dans l’erreur ceux qui lancent insi­dieu­se­ment contre le Siège apos­to­lique et l’Eglise catho­lique l’accusation de vou­loir un nou­veau conflit. Certes, dans les époques anciennes ou récentes, il y a tou­jours eu des gens qui ont ten­té de sou­mettre les peuples par les armes. Mais, Nous, Nous n’avons jamais ces­sé de prê­cher une paix véri­table ; l’Eglise désire con­quérir les peuples non point par les armes, mais par la véri­té et les for­mer à la ver­tu et au ser­vice de Dieu et des hommes. Car « les armes de notre com­bat ne sont pas char­nelles, mais puis­santes pour la cause de Dieu [5].

Quand les peuples seront imprégnés des vrais principes – qu’il faut enseigner – alors seulement on pourra espérer édifier la paix :

Tout cela, vous devrez l’enseigner avec fran­chise, car c’est seule­ment quand les prin­cipes chré­tiens seront res­pectés et régi­ront la vie publique et pri­vée, qu’on pour­ra espé­rer que les conflits s’apaiseront et que les diverses classes de la socié­té, les peuples et les nations s’uniront dans une fra­ter­nelle concorde.

Pie XII souhaite que – grâce à ces prières et à ces actions des chrétiens – la paix soit enfin accordée au monde :

Puissent les prières qui mon­te­ront de par­tout obte­nir de Dieu la réa­li­sa­tion de nos vœux ardents, c’est-à-dire qu’avec l’aide de la grâce divine, les mœurs soient réno­vées chez tous par la ver­tu chré­tienne, et que les rap­ports entre les peuples soient bien­tôt réglés de telle sorte que l’ambition injuste de domi­ner les autres dis­pa­raisse et que toutes les nations jouissent de la liber­té qui leur est due ; qu’enfin les Etats accordent cette même liber­té à la sainte reli­gion et à leurs citoyens confor­mé­ment aux exi­gences des droits divin et humain.

C’est dans cet espoir qu’à vous tous et à cha­cun, Vé­nérables Frères, ain­si qu’à votre cler­gé et à vos fidèles, et en par­ti­cu­lier à ceux qui obéi­ront doci­le­ment à Notre pré­sente exhor­ta­tion, Nous accor­dons bien volon­tiers dans le Seigneur la Bénédiction apos­to­lique, gage des grâces célestes et témoi­gnage de Notre bienveillance.

Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Labergerie – D’après le texte latin des A. A. S., XXXXII, 1950, p. 515, tra­duc­tion fran­çaise dans La Documentation Catholique, t. XLVII, c. 1025.

Notes de bas de page
  1. Durant les sept pre­miers mois de l’Année Sainte, près de 2 mil­lions de pèle­rins étaient venus à Rome.[]
  2. Au cours de la pre­mière moi­tié de l’an­née 1950, furent cano­ni­sés : le 23 avril 1950, sainte Emilie de Rodat ; le 7 mai, saint Antoine-​Marie Claret ; le 18 mai, sainte Bartholomée Capitano, sainte Vincenza Gerosa ; le 28 mai, sainte Jeanne de France ; le 11 juin, saint Vincent Strambi ; le 24 juin, sainte Maria Goretti ; le 9 juillet, sainte Marie-​Anne de Jésus de Paredes.[]
  3. Jac., I, 17.[]
  4. La per­sé­cu­tion conti­nue à sévir dans tous les pays sou­mis au régime com­mu­niste : U. R. S. S., Yougoslavie, Hongrie, Tchécoslovaquie, Roumanie, Albanie, Chine, Corée. Des entraves sont appor­tées à la vie de l’Eglise en Pologne et en Allemagne orien­tale. Des pro­pa­gandes cor­rup­trices sont entre­te­nues par les orga­ni­sa­tions com­mu­nistes des pays d’Europe occi­den­tale et notam­ment en Italie (cf. Avertissement du Saint-​Office, 23 juillet 1950, p. 269).[]
  5. II. Cor., X, 4.[]