Existe-t-il encore des héros capables de captiver et d’élever nos enfants ? Oui, et il nous revient de les faire connaître et aimer.
Dès qu’approchent les vacances, parents ou grands-parents font preuve d’imagination : comment occuper tous ces jeunes, pendant un temps si long surtout quand ils grandissent : camps, séjour chez les grands-parents, repos ou tourisme en famille, parfois même un stage utilitaire…
Mais le long de ces journées qui s’égrènent, que de parents s’affligent de voir leurs adolescents désœuvrés, ou accrochés à des films, à de médiocres jeux sur écrans, à des bandes dessinées vraiment laides et sans richesse… Plus chanceux sont ceux dont les enfants réclament des livres à lire !
Ce temps disponible peut-il apporter quelque enrichissement à leur âme ? Existe-t-il encore des exemples capables de les captiver, de les élever ?
Oui ces héros, porteurs d’idéal, sont à notre porte. Il nous revient de les faire aimer, et donc de les faire connaître. Ne soyons pas étriqués dans notre ambition : bien des héros imaginaires des aventures sur fond historique éveillent le sens de vertus qu’on admire peu à peu avant de les imiter.
Objectivement, nous verrons difficilement notre jeunesse s’enthousiasmer pour des ouvrages savants de réflexion philosophique, historique, ou contre-révolutionnaire, surtout en période de vacances !
Demeurent à leur niveau les spectacles, les visites, les conversations, ou les ouvrages qui montrent plus qu’ils ne démontrent. Cette pédagogie n’est pas des moindres : elle fut celle du Fils de Dieu incarné : Il racontait, prenait des exemples, comme le mauvais riche et le pauvre Lazare, le bon pasteur… Il aimait les comparaisons : « Je vous le dis : si le grain de blé ne tombe en terre… » Ce mode est accessible à la totalité des hommes. Ce cheminement est plus nécessaire encore lorsqu’il s’agit d’enfants ou d’adolescents. Leur vie se construit sur le triptyque : comprendre, admirer, imiter.
Faut-il pour autant ne s’arrêter qu’à des vies de saints ? Ou aux seuls récits valeureux de victoires chrétiennes ? Doit-on s’interdire de faire travailler leur imagination à propos de héros imparfaits, ou leur fermer les allégories du monde animalier comme celui de La Fontaine ? Il faudrait alors cesser d’appeler le Sauveur le « Lion de Juda » ou « l’Agneau de Dieu » !
La grandeur d’un homme se construit avec une palette de nuances. Bien des personnages, bien des événements historiques révèlent de belles vertus naturelles, terreau qui aide à faire croître l’héroïsme chrétien. Ces dernières sont aptes à susciter l’enthousiasme et parfois, amorcer de véritables tournants dans la vie. L’enthousiasme d’un chef militaire, l’abnégation d’un héros de roman, le dévouement d’une missionnaire, la sagesse d’un prince, la sagacité d’un justicier modèlent très fortement des esprits à l’âge où tout est à construire. On ne peut négliger davantage ces vertus naturelles que la foi ou la charité des grands saints de l’histoire.
L’antique débat de certains professeurs nous revient à l’esprit : doit-on former l’esprit de nos élèves à la sagesse païenne ou la beauté antique ? Ne faut-il pas mieux se concentrer sur des auteurs plus récents et plus chrétiens ?
Or les maîtres chrétiens ont en général su garder ce socle de la beauté et des vertus pour consolider l’édifice de la grâce. Sans quelle soit du même ordre, la nature reflète déjà le Créateur et sert de marchepied à l’œuvre de la grâce.
Des intelligences et des cœurs qui n’ont pas reçu les fondements d’une éducation solide ont une chance moins grande d’épouser les formes les plus parfaites de la culture chrétienne. N’est-ce pas le risque avéré de l’audiovisuel moderne qui engendre le papillonnage psychologique ? Quant aux méthodes et aux programmes modernes de l’enseignement, ils visent explicitement à détruire l’aptitude au christianisme.
John Senior écrivait : « Et que dire de la lecture à la maison ? Plus personne ne lit chez soi. Le mouvement en faveur des “grands classiques”, lancé par la génération qui nous précède, n’a pas tant raté son but que rencontré le vide. Les livres eux-mêmes n’étaient pas en cause. Ils étaient bien, selon le mot célèbre de Matthew Arnold, “le meilleur de ce qui a été pensé et dit”, mais comme le vin se perd dans une bouteille mal bouchée, les livres se sont perdus dans des esprits qui ne savaient plus lire. Pour changer de comparaison, les graines ont germé, mais le terreau culturel était épuisé. La fécondité des idées de Platon, d’Aristote, de saint Augustin ne peut se manifester que dans le sol d’une imagination saturée de fables et de contes de fées, d’histoires et de poèmes, de romans et d’aventures – Grimm, Andersen, Stevenson, Dickens, Scott, Dumas, et les autres mille bons livres. La tradition occidentale, assimilant tout ce que le monde gréco-romain a porté de meilleur, nous a donné une culture dans laquelle la foi se développe sainement. Depuis la conversion de Constantin, cette culture est devenue chrétienne. Les intelligences et les volontés germent en ce terreau, ce sol est celui de toutes les études littéraires et scientifiques, la théologie incluse sans laquelle elles sont inhumaines et destructrices » [1].
Il constate avec quelle aisance les catholiques ont absorbé les fadaises de la nouvelle liturgie pour n’avoir jamais pris le temps d’admirer ce qui est beau : « Les catholiques ont accueilli sans même un soupir d’agacement quelques-unes des pires déformations de leur foi dans l’ordre de la musique, de l’art et de la littérature, parce qu’ils n’ont jamais entendu vraiment le Tantum ergo ou l’Ave maris Stella. Ils ne manquaient pas de foi, mais de musique : elle n’avait jamais eu chez eux la place qui aurait formé leur goût et leur tête. »
Il revient aux parents de lutter contre l’inculture qui nous gagne quelle qu’en soit la cause.
- Certains sont à la recherche de héros chimiquement purs. Ils ne voudraient que des modèles de sainteté qui font « frémir » : idéaux magnifiques et inaccessibles, mais qui n’éveilleront, malheureusement aucun sentiment plausible dans la jeune génération.
- Plus nombreux sont ceux qui sont gagnés par la paresse d’éduquer. Faire lire des enfants exige de savoir juger soi-même [2]. On pourrait en dire autant des films qu’on devrait ne permettre qu’avec une certaine parcimonie et un apprentissage du jugement. Que dire de la musique quand elle est absente des horizons familiaux ?
L’éducateur sait mettre en relief tout ce qui peut éveiller l’âme : le héros, le saint, mais aussi l’homme « mauvais », nécessaire à la trame d’une aventure ; ou le héros de tragédie dont le manque d’équilibre est patent. Tout peut permettre à l’éducateur de faire jaillir la lumière. Au moment où il s’apprête à parler de Goethe dans son isolement, parodie de la paix, Ernest Hello commente : « Car l’homme qui tombe, tombe dans la direction qu’il devait suivre pour monter. L’abîme qui menace chaque homme ressemble par sa forme et sa nature, à la hauteur qui attend ce même homme, s’il veut monter. Notre chute a la forme renversée de notre grandeur possible. Le genre de mal que nous faisons est la parodie directe du genre de bien que nous étions appelés à faire » [3].
Nous ne pouvons pas participer à cette révolution culturelle. Nous devons ressusciter et faire connaître les grands exemples et les personnages qui avec leurs maladresses – parfois – ont été animés d’espérances plus hautes. Dépassant les héros de romans, pourquoi ne pas donner connaissance de certains personnages politiques, ou d’auteurs littéraires qui ont apporté leur contribution au combat pour la civilisation ?
L’esprit chrétien se nourrit de tout ce qui élève : vertus, sagesse, héroïsme, ou sainteté. Certains sujets ou certains auteurs sont occultés ou conspués par la société : il est de notre devoir de leur restituer leur honneur.
Source : Le Chardonnet n° 350 – juillet-août 2019
- John Senior, La restauration de la culture chrétienne, DMM 2001- p. 28–29[↩]
- Nous ne saurions trop recommander Plaisir de lire, revue qui depuis des années apportent des résumés et des jugements éclairés sur la littérature pour la jeunesse… et parfois les plus grands. 57 route Nationale – 80160 – Flers sur Noye. Envoi d’un numéro gratuit sur simple demande à : plaisirdelire75@gmail.com [ndlr].[↩]
- Ernest Hello, Les plateaux de la balance, Perrin 1923 – p. 267[↩]