Benoît XIV

247ᵉ Pape ; de 1740 à 1758

20 décembre 1741

Bulle Immensa pastorum

par laquelle il est pourvu à la liberté et à la sauvegarde des Indiens habitant les provinces du Paraguay, du Brésil et sur les rives du fleuve de la Plata

Table des matières

À nos Vénérables Frères les Evêques du Brésil et des autres Provinces sou­mises à Notre Très Cher Fils en Jésus-​Christ, Jean, roi du Portugal et des Algarves, dans les Indes Occidentales et en Amérique

BENOIT XIV, PAPE

Vénérables Frères, salut et béné­dic­tion apostolique.

La charité du Pontife embrasse tous les hommes sur toute la surface de la terre. Il fait appel à la collaboration des évêques.

L’immense cha­ri­té de Jésus-​Christ prince des Pas­teurs, qui vint sur la terre pour que les hommes reçussent plus abon­dam­ment la vie et qui se livra lui-​même pour le rachat d’un grand nombre, nous rap­pelle un pres­sant devoir. Puisque, sans l’avoir méri­té, nous tenons sa place sur la terre, de même ne devrions-​nous, comme lui, n’avoir rien de plus à cœur que de don­ner avec empres­se­ment notre vie, non seule­ment pour les chré­tiens, mais pour tous les hommes. Toutefois, la suprême admi­nis­tra­tion de l’Eglise catho­lique ayant été impo­sée à notre infir­mité, nous sommes contraint de rési­der ici, à Rome, et d’y régir, selon l’usage et l’institution de nos pères, le Siège apos­to­lique, vers lequel on afflue tous les jours et de toutes les nations pour en solli­citer la solu­tion oppor­tune et salu­taire des affaires ou des maux qui sur­gissent dans la République chré­tienne ; et nous ne sau­rions visi­ter ces contrées loin­taines et écar­tées où nous vou­drions déployer d’une façon ou de l’autre l’activité de notre minis­tère apos­to­lique pour le salut des âmes rache­tées du sang de Jésus-​Christ et sacri­fier, comme nous le dési­re­rions, notre vie elle-​même. Du moins ne permettrons-​nous pas que fasse défaut tout gage de la pré­voyance apos­to­lique, de son auto­ri­té et de sa bien­veillance à n’importe quelle nation qui soit sous le ciel ; et de même, Vénérables Frères, vous que le Saint-​Siège s’est adjoint comme collabora­teurs pour culti­ver la vigne du Seigneur, nous vous appe­lons volon­tiers à par­ta­ger la sol­li­ci­tude apos­to­lique et notre vigi­lance. Ainsi parviendrez-​vous à rem­plir d’une façon tou­jours plus satisfai­sante la charge qui vous a été impo­sée et à rem­por­ter plus faci­le­ment la cou­ronne réser­vée dans les cieux à ceux qui mènent le bon combat.

Zèle du Saint-​Siège pour la conversion des Indiens.

1. Or, vous savez, Vénérables Frères, quels tra­vaux, que de dif­fi­cul­tés, com­bien de dépenses ont sup­por­tés les Pontifes romains, nos pré­dé­ces­seurs, et les Princes catho­liques qui ont si bien méri­té de la reli­gion chré­tienne, pour que les hommes qui mar­chaient encore dans les ténèbres et gisaient à l’ombre de la mort, pussent, par l’en­tremise des ouvriers évan­gé­liques, grâce aux pré­di­ca­tions, aux bons exemples, aux dons, aux soins, aux bien­faits, aux secours de toutes sortes, voir briller la lumière de la foi ortho­doxe et arri­ver à la connais­sance de la véri­té ; vous savez aus­si de quelles faveurs, de quels avan­tages, de quels pri­vi­lèges, de quelles pré­ro­ga­tives, sui­vant qu’on a tou­jours fait, ces infi­dèles ont été com­blés, pour que, gagnés par ces avances, ils embras­sassent la reli­gion catho­lique, y per­sé­vé­rassent et par les bonnes œuvres de la pié­té chré­tienne assu­rassent leur salut éternel.

Cruauté de certains catholiques à l’égard des Indiens infidèles et même des convertis.

2. C’est pour­quoi, nous ne l’avons pas appris sans une très vive dou­leur pour notre cœur pater­nel, après

tant de pro­jets for­més avec une pré­voyance aposto­lique par les Souverains Pontifes nos pré­dé­ces­seurs, après tant de Constitutions édic­tées par eux et pres­cri­vant, sous les peines et les cen­sures ecclésias­tiques les plus graves, de prê­ter de la meilleure façon pos­sible à ces infi­dèles aide, secours et protec­tion, au lieu de leur appor­ter mille dom­mages, des coups, des chaînes, la ser­vi­tude et la mort : on ren­contre encore, sur­tout dans cer­taines régions du Brésil, des hommes éle­vés dans la foi ortho­doxe, pro­fon­dé­ment oublieux, semble-​t-​il, des sen­ti­ments de cha­ri­té que le Saint-​Esprit a ver­sés dans nos cœurs, à l’égard des mal­heu­reux Indiens, non seule­ment pri­vés de la lumière de la foi, mais lavés même de ’eau sacrée de la régé­né­ra­tion, qui habitent les plus sau­vages pro­vinces dans les mon­tagnes et les déserts du Brésil orien­tal et occi­den­tal ou des pays voi­sins. Ils n’hésitent pas en effet à pri­ver ceux-​ci de leurs biens et à les trai­ter avec une telle inhu­ma­ni­té qu’ils les détournent abso­lu­ment d’embrasser la foi du Christ et les portent plu­tôt à la prendre en haine.

Le Sérénissime Roi de Portugal a pieusement réprouvé ces excès.

3. Pressé de remé­dier à ces maux autant que nous le pou­vions avec l’aide de Dieu, nous avons pris soin d’abord d’exciter à ce sujet l’éminente pié­té de notre très cher fils en Jésus-​Christ, Jean, l’illustre roi du Portugal et des Algarves, et son incroyable zèle pour la pro­pa­ga­tion de la foi catho­lique. Par filiale défé­rence envers nous et envers le Saint-​Siège, le roi nous a aus­si­tôt assu­ré qu’il don­ne­rait des ordres à tous ses repré­sen­tants et fonc­tion­naires dans ces pro­vinces, pour que, s’il se trou­vait quelqu’un de ses sujets qui se condui­sît à l’égard des Indiens autre­ment que l’exige la dou­ceur de la cha­ri­té chré­tienne, ils le frap­passent des peines les plus sévères d’après les édits royaux.

Le Pontife exhorte les évêques à refréner eux aussi cette barbarie.

4. Nous sup­plions à leur tour Vos Fraternités et nous vous exhor­tons dans le Seigneur de ne pas souf­frir que soit jamais trou­vée en défaut la vigi­lance que vous impose en cette affaire votre minis­tère, ni votre sol­li­ci­tude, ni votre acti­vi­té, au détri­ment de votre répu­ta­tion et de votre digni­té. Que bien plu­tôt, joi­gnant vos efforts à ceux des fonc­tion­naires royaux, vous mon­triez à tous com­bien des prêtres, pas­teurs d’âmes, dépassent par l’ardeur plus fer­vente de leur cha­ri­té sacer­do­tale les magis­trats laïques dans cette aide à appor­ter aux Indiens pour les ame­ner à la foi catholique.

Il confirme les Constitutions de ses prédé­cesseurs. — Il ordonne de publier les édits en faveur des Indiens. — Il fait défense à quiconque de les réduire en esclavage, de les vendre, de les dépouiller, etc. — Que les contre­venants soient frappés d’excommunication et de censures.

5. Au sur­plus, de notre auto­ri­té apos­to­lique, par la teneur des pré­sentes, nous renou­velons et confir­mons la lettre apos­to­lique en forme de bref que notre pré­dé­ces­seur d’heureuse mémoire, le Pape Paul III, écri­vit au car­di­nal de la Sainte Eglise Romaine, Jean de Tavera, alors arche­vêque de Tolède, le 28 mai 1537, et celle que notre prédé­cesseur le Pape Urbain VIII, de récente mémoire, adres­sa au Collecteur géné­ral des droits et dépouilles de la Chambre apos­to­lique pour le royaume du Portugal et des Algarves, le 12 avril 1639. De plus, sui­vant en cela les traces de ces mêmes Pontifes et vou­lant répri­mer l’audace impie de ces hommes qui détournent par leurs actes inhu­mains les Indiens de la foi chré­tienne, à laquelle il convien­drait de les por­ter au contraire par tous les bons offices de la cha­ri­té et de la man­sué­tude, nous com­met­tons, à cha­cun d’entre vous, Vénérables Frères, et à vos suc­ces­seurs, et nous vous don­nons ordre : — Que cha­cun de vous, par soi-​même, ou par un ou plu­sieurs man­da­taires, après avoir fait trans­crire, publier et affi­cher les édits concer­nant les Indiens rési­dant tant au Paraguay que dans les pro­vinces du Brésil ou sur les rives du fleuve de La Plata et dans les autres régions ou pays des Indes occi­den­tales et méri­dio­nales, leur prête l’aide d’une assis­tance effi­cace. Qu’à tous et à cha­cun de vos res­sor­tis­sants, tant sécu­lier qu’ecclésiastique, de quelque état, sexe, état, condi­tion et digni­té qu’il soit, même digne d’une men­tion spé­ciale, ou appar­te­nant à n’importe quel Ordre, Congrégation, Société, même à la Société de Jésus, à n’importe quelle Religion ou Institut, men­diant ou non men­diant, aux moines ou régu­liers, même des Ordres mili­taires, ou aux Frères sol­dats de l’Hôpital de Saint-​Jérôme de Jérusalem, — sous peine pour les contre­ve­nants d’excommunication latae sen­ten­tiae à encou­rir ipso fac­to, dont on ne pour­ra être absous que par nous ou par le Souverain Pontife alors régnant, sauf à l’article de la mort et après satis­fac­tion, — il soit très stric­te­ment inter­dit de réduire désor­mais ces Indiens en escla­vage, de les vendre, d’en ache­ter, de les échan­ger, de les don­ner, de les sépa­rer de leurs femmes et de leurs enfants, de les dépouiller de leurs biens meubles et immeubles, de les enle­ver ou trans­por­ter, de les pri­ver n’importe com­ment de leur liber­té et de les rete­nir en ser­vi­tude. Qu’à tous ceux qui ose­ront prê­ter aux cou­pables conseil, aide, faveur ou concours, sous n’importe quel pré­texte ou cou­leur que ce soit, ou qui se per­met­tront de prê­cher que la chose est licite, ou de l’enseigner, ou de coopé­rer de n’importe quelle autre façon à ces méfaits ; qu’à tous contra­dic­teurs, rebelles ou déso­béissants en ces matières à l’un d’entre vous, il soit décla­ré qu’ils ont encou­ru la peine de l’excommunication ; qu’on les réprime en leur appli­quant les autres cen­sures et peines ecclé­sias­tiques, ain­si que les autres remèdes oppor­tuns de droit et de fait, sans appel rece­vable ; qu’on pro­cède enfin à leur égard selon les formes régu­lières, aggra­vant à plu­sieurs reprises les cen­sures et les peines déjà por­tées, et invo­quant au besoin le secours du bras sécu­lier. Nous vous accor­dons et concé­dons là-​dessus, à vous et à vos suc­ces­seurs, ample, pleine et libre faculté.

Qu”[…]il soit très stric­te­ment inter­dit de réduire désor­mais ces Indiens en escla­vage, de les vendre, d’en ache­ter, de les échan­ger, de les don­ner, de les sépa­rer de leurs femmes et de leurs enfants, de les dépouiller de leurs biens meubles et immeubles, de les enle­ver ou trans­por­ter, de les pri­ver n’importe com­ment de leur liber­té et de les rete­nir en servitude.

Clauses dérogatoires.

6. Nonobstant les décrets spé­ciaux du Pape Boniface VIII, notre pré­dé­ces­seur, et ceux du Concile géné­ral, les autres actes pon­ti­fi­caux, les consti­tu­tions, dis­po­si­tions et canons géné­raux ou pro­vin­ciaux, ou même les arrê­tés muni­ci­paux, édic­tés par les Conciles œcu­mé­niques ou les Synodes régio­naux, ou concer­nant les lieux pies ou non pies, et en géné­ral tous sta­tuts ou coutu­mes quel­conques, même confir­més par ser­ment, par l’autorité apos­to­lique ou tout autre ayant droit ; enfin, mal­gré les pri­vi­lèges, les induits ou Lettres apos­to­liques accor­dées, confir­mées ou inno­vées de n’importe quelle façon en sens contraire : pour toutes et cha­cune de ces choses, même pour celles dont une men­tion par­ti­cu­lière et expresse devrait être faite sous une forme spé­ci­fique et mot pour mot, non par des clauses géné­rales et équi­va­lentes, nous vou­lons que la teneur des pré­sentes soit consi­dérée comme suf­fi­sante, tout autant que si tout y avait été expri­mé et insé­ré à la stricte rigueur du droit, et qu’elle garde sa force, par une déroga­tion for­melle et pour cette fois seule­ment, non­obs­tant toutes choses contraires.

On doit ajouter foi aux copies.

7. Nous vou­lons éga­le­ment qu’on ajoute foi aux copies de la pré­sente lettre, même impri­mées, revê­tues de la signa­ture d’un notaire public et du sceau de quelque per­sonne consti­tuée en digni­té ecclé­sias­tique, en juge­ment et hors juge­ment, aus­si bien qu’au pré­sent exem­plaire s’il était exhi­bé ou montré.

Exhortation finale aux Evêques.

8. Au reste, Vénérables Frères, veillez sur le trou­peau qui vous a été confié, rem­plis­sez votre minis­tère, efforcez-​vous d’accomplir votre devoir avec toute la dili­gence, l’application et la cha­ri­té à laquelle vous êtes obli­gés : rappelez-​vous en effet sou­vent que vous ren­drez compte à votre tour de vos bre­bis à l’éternel Juge, Jésus-​Christ, prince des Pasteurs, et que celui-​ci exi­ge­ra que ce compte lui soit ren­du très exac­te­ment. Aussi espérons-​nous que cha­cun d’entre vous met­tra tout en œuvre et fera tous ses efforts pour ne pas être trou­vé en défaut dans l’exercice d’une œuvre aus­si haute de cha­ri­té. C’est pour­quoi, en vue de cet heu­reux suc­cès, nous vous accor­dons, Vénérables Frères, la béné­dic­tion apos­to­lique, gage des grâces célestes les plus abondantes.

Donné à Rome, près Sainte-​Marie-​Majeure, sous l’an­neau du Pêcheur, le 20 décembre 1741, seconde année de notre pontificat.

D. Cardinal Passionei.

Source : Benoît XIV, Bulles “Immensa pas­to­rum” et “Ex quo sin­gu­la­ri” contre la Compagnie de Jésus, par de Recalde, Libraire moderne, 1925

2 juin 1537
Condamnation et interdiction de l'esclavage des Indiens « et de tout autre peuple connu ou qui viendrait à être découvert »
  • Paul III