Grégoire XVI

254ᵉ pape ; de 1831 à 1846

3 décembre 1839

Constitution In Supremo Apostolatus

Pour détourner du commerce des Noirs

Grégoire XVI, Pape

Pour per­pé­tuelle mémoire.

Placé au som­met de l’apostolat, et tenant sans aucun mérite la place de Jésus-​Christ, Fils de Dieu, qui, fait homme par son extrême cha­ri­té, a vou­lu même mou­rir pour la rédemp­tion du monde, nous avons cru qu’il appar­te­nait à notre sol­li­ci­tude pasto­rale de nous appli­quer à détour­ner tout à fait les fidèles du com­merce inhu­main des Nègres ou de toute autre espèce d’hommes.

Lorsque la lumière de l’Évangile com­mença pour la pre­mière fois à se répandre, les mal­heu­reux qui étaient alors réduits en si grand nombre dans une très dure ser­vi­tude, sur­tout à l’occasion des guerres, sen­tirent leur condi­tion s’adoucir beau­coup chez les chré­tiens ; car les apôtres, ins­pi­rés par l’Esprit saint, ensei­gnaient à la véri­té aux esclaves à obéir à leurs maîtres comme à Jésus-​Christ, et à faire de bon cœur la volon­té de Dieu ; mais ils ordon­naient aux maîtres d’en bien agir avec leurs esclaves, de leur accor­der tout ce qui était juste et équita­ble, et de s’abstenir de menaces à leur égard, sachant que les uns et les autres ont un maître dans les cieux, et qu’il n’y a pas auprès de lui accep­tion des per­sonnes [1].

Comme la loi de l’Évangile recom­mandait par­tout avec grand soin une cha­ri­té sin­cère pour tous et comme notre Seigneur Jésus-​Christ avait dé­claré qu’il regar­de­rait comme fait ou refu­sé à lui-​même les œuvres de bon­té et de misé­ri­corde qui auraient été fai­tes ou refu­sées aux petits et aux pau­vres [2], il en résul­ta natu­rel­le­ment, non seule­ment que les chré­tiens trai­taient comme des frères leurs esclaves, ceux sur­tout qui étaient chré­tiens [3], mais qu’ils étaient plus dis­po­sés à accor­der la liber­té à ceux qui le méri­taient ; ce qui avait cou­tume de se faire princi­palement à l’occasion des solen­ni­tés pas­cales, comme l’indique Grégoire de Nysse [4]. Il y en eut même qui, mus par une cha­ri­té plus ardente, se mi­rent en escla­vage pour rache­ter les autres, et un homme apos­to­lique, notre pré­dé­ces­seur, Clément 1er, de sainte mémoire, atteste qu’il en a connu plu­sieurs [5].

Dans la suite des temps, les ténèbres des super­sti­tions païennes s’étant plus plei­ne­ment dis­si­pées, et les mœurs des peuples gros­siers s’étant adou­cies par le bien­fait de la foi qui opère par la cha­ri­té, il arri­va enfin que, depuis plu­sieurs siècles, il ne se trou­vait plus d’esclaves dans la plu­part des nations chré­tiennes. Mais, nous le disons avec dou­leur, il y en eut depuis, par­mi les fidèles même, qui, hon­teu­se­ment aveu­glés par l’appât d’un gain sor­dide, ne crai­gnirent pas de réduire en ser­vi­tude, dans des contrées lointai­nes, les Indiens, les Nègres ou autres mal­heu­reux, ou bien de favo­ri­ser cet indigne atten­tât en éta­blis­sant et en éten­dant le com­merce de ceux qui avaient été faits cap­tifs par d’autres. Plusieurs pon­tifes romains, nos pré­décesseurs de glo­rieuse mémoire, n’omirent point de blâ­mer for­te­ment, sui­vant leur devoir, une conduite si dan­ge­reuse pour le salut spi­ri­tuel de ces hommes et si inju­rieuse au nom chré­tien, conduite de laquelle ils voyaient naître ce résul­tat, que les nations infi­dèles étaient de plus en plus confir­mées dans la haine de notre reli­gion véritable.

C’est pour cela que Paul III adres­sa, le 29 mai 1537, au car­di­nal archevê­que de Tolède, des lettres apostoli­ques sous l’anneau du Pêcheur, et qu’Urbain VIII en adres­sa ensuite de plus éten­dues, le 22 avril 1639, au col­lecteur des droits de la chambre apos­tolique en Portugal. Dans ces lettres, ceux-​là sur­tout sont gra­ve­ment répri­mandés, qui « pré­su­me­raient et ose­raient réduire en ser­vi­tude les Indiens d’occident ou du midi, les vendre, les ache­ter, les échan­ger, les don­ner, les sépa­rer de leurs épouses et de leurs enfants, les dépouiller de ce qu’ils avaient et de leurs biens, les transpor­ter en d’autres lieux, les pri­ver de leur liber­té en quelque manière que ce soit, les rete­nir en escla­vage ; comme aus­si conseiller, sous un pré­texte quelcon­que, de secou­rir, de favo­ri­ser et d’assister ceux qui font ces choses, ou dire et ensei­gner que cela est per­mis, ou coopé­rer en quelque manière à ce qui est mar­qué ci-​dessus [6]. » Benoît XIV confir­ma et renou­ve­la depuis les pres­crip­tions de ces pon­tifes par de nou­velles lettres apos­to­liques, adres­sées le 20 décembre 1741 aux évêques du Brésil et d’autres pays, et par les­quelles il exci­tait la sol­li­ci­tude de ces pré­lats dans le même but [7].

Avant eux, un autre de nos prédéces­seurs, Pie II, dans un temps où la domi­na­tion por­tu­gaise s’étendait dans la Guinée, pays des Nègres, adres­sa, le 7 octobre 1462, un bref à l’évêque de R., qui allait par­tir pour ce pays, bref dans lequel non seule­ment il don­nait à évêque les pou­voirs néces­saires pour exer­cer son minis­tère avec plus de fruit, mais, par la même occa­sion, s’élevait avec force contre les chré­tiens qui entraî­naient les néo­phytes en ser­vi­tude [8].

Et de nos jours même, Pie VII, con­duit par le même esprit de reli­gion et de cha­ri­té que ses pré­dé­ces­seurs, prit soin d’interposer ses bons offices auprès de puis­sants per­son­nages pour que la traite des Nègres ces­sât enfin tout à fait par­mi les chré­tiens. Ces pres­crip­tions et ces soins de nos pré­décesseurs n’ont pas été peu utiles, avec l’aide de Dieu, pour défendre les Indiens et les autres ci-​dessus dési­gnés contre la cruau­té des conqué­rants ou contre la cupi­di­té des mar­chands chré­tiens ; non cepen­dant que le Saint-​Siège ait pu se réjouir pleine­ment du résul­tat de ses efforts dans ce but, puisque la traite des Noirs, quoique dimi­nuée en quelque par­tie, est cepen­dant encore exer­cée par plu­sieurs chrétiens.

Aussi, vou­lant éloi­gner un si grand opprobre de tous les pays chré­tiens, après avoir mûre­ment exa­mi­né la chose avec quelques uns de nos véné­rables frères les car­di­naux de la sainte Église romaine appe­lés en conseil, mar­chant sur les traces de nos pré­dé­ces­seurs, nous aver­tis­sons par l’auto­rité apos­to­lique et nous conju­rons ins­tam­ment dans le Seigneur tous les fidèles, de quelque condi­tion que ce soit, qu’aucun d’eux n’ose à l’avenir tour­men­ter injus­te­ment les Indiens, les Nègres ou autres sem­blables, ou les dépouiller de leurs biens, ou les réduire en ser­vi­tude, ou assis­ter ou favo­ri­ser ceux qui se per­mettent ces vio­lences à leur égard, ou exer­cer ce com­merce inhu­main par lequel les Nègres, comme si ce n’étaient pas des hommes, mais de simples ani­maux, réduits en ser­vi­tude de quelque ma­nière que ce soit, sont, sans aucune dis­tinc­tion et contre les droits de la jus­tice et de l’humanité, ache­tés, ven­dus et voués quel­que­fois aux tra­vaux les plus durs, et de plus, par l’appât du gain offert par ce même com­merce aux pre­miers qui enlèvent les Nègres, des que­relles et des guer­res per­pé­tuelles sont exci­tées dans leur pays.

De l’autorité apos­to­lique, nous réprou­vons tout cela comme indigne du nom chré­tien, et par la même auto­ri­té, nous défen­dons sévè­re­ment qu’aucun ecclé­sias­tique ou laïque ose sou­te­nir ce com­merce des Nègres, sous quelque pré­texte ou cou­leur que ce soit, ou prê­cher ou ensei­gner en public et en par­ti­cu­lier contre les avis que nous don­nons dans ces lettres apostoliques.

Et afin que ces lettres par­viennent plus faci­le­ment à la connais­sance de tous et que per­sonne ne puisse allé­guer qu’il les ignore, nous ordon­nons qu’elles soient publiées, sui­vant l’usage, par un de nos cour­riers, aux portes de la basi­lique du prince des apôtres, de la chan­cel­le­rie apostoli­que et de la Cour géné­rale, sur le mont Citorio, et à la tête du Champ-​de-​Flore, et que les exem­plaires y res­tent affichés.

Donné à Rome, près Sainte-​Marie Majeure, sous l’anneau du Pêcheur, le 3 décembre 1839, neu­vième année de notre pontificat.

Notes de bas de page
  1. Ad Ephesios, VI, 5, sqq. – Ad Coloss., III, 22, ssqq. ; IV, 1.[]
  2. Matthæi, XXV, 35, sqq.[]
  3. Lactantius Divin. Institution. lib. V, c. 16, tom. IV. Biblioth. Veterum patrum, Venetiis a Gallandio edi­tae pag. 318.[]
  4. De resur­rect. Domini orat. III, tom. III, pag. 420. Operum, edit. Parisien. Anni 1638.[]
  5. Ad Corinh. Ep. I, cap, 55 tom. I, Bibl. Gallandii, p. 35.[]
  6. In Bullar. Rom. edit, typis Mainardi, t. VI. Part. 2, Const. 604. p. 183.[]
  7. In Bullario Benedicti XIV, tom. I. Const. XXXVIII.[]
  8. Apud Raynaldum in Annalibus eccle­sias­ti­cis ad ann. 1462 n. 42.[]
20 décembre 1741
par laquelle il est pourvu à la liberté et à la sauvegarde des Indiens habitant les provinces du Paraguay, du Brésil et sur les rives du fleuve de la Plata
  • Benoît XIV
2 juin 1537
Condamnation et interdiction de l'esclavage des Indiens « et de tout autre peuple connu ou qui viendrait à être découvert »
  • Paul III
25 juin 1834
Condamnation de l'indifférentisme et du libéralisme de Lamennais et de son livre "Paroles d'un croyant"
  • Grégoire XVI
4 octobre 1833
Condamnation d'un mouvement de fausse réforme menaçant l'Eglise
  • Grégoire XVI