Le jour de l’Ascension de Notre-Seigneur, le Souverain Pontife entoura du nimbe des saints l’héroïque ermite, père et pacificateur de la Suisse, Nicolas de Flue. Voici le texte de l’homélie prononcée par Sa Sainteté immédiatement après la proclamation solennelle :
Homélie du 15 mai
Aujourd’hui, Notre-Seigneur Jésus-Christ triomphant de la mort monta victorieusement au ciel, nous montrant par son exemple la voie par laquelle nous pouvons tous atteindre un jour la bienheureuse éternité. Ce chemin que nous devons parcourir, vous le savez bien, avant d’arriver aux splendeurs de la vie surnaturelle, est âpre et difficile. Mais si nous considérons la réponse qui nous attend quand nous aurons atteint le but élevé, si nous levons avec vénération le regard vers le divin Rédempteur et vers la foule innombrable de ses disciples qui nous ont précédés dans la patrie céleste, la montée nous semblera certainement plus facile et même joyeuse ; nous expérimenterons alors la vérité de cette maxime divine : « Mon joug est doux et mon fardeau léger » (Matth., XI, 30).
Sa vie.
A cette troupe glorieuse des saints, Nous avons aujourd’hui agrégé Nicolas de Flue. Tous doivent éprouver envers lui un sentiment de profonde admiration, lorsqu’ils considèrent ses nombreuses vertus, et surtout lorsqu’ils tournent le regard vers cet idéal très élevé d’ascèse qu’il atteignit à la dernière période de son existence mortelle, en menant la vie d’un ange plutôt que celle d’un homme.
Citoyen intègre, il aima d’un grand amour sa patrie ; magistrat diligent et prudent, il se fit remarquer par son habileté dans l’expédition des affaires publiques ; soldat, il ne songea qu’à la liberté et à l’unité de son pays, toujours animé non par la haine et la rancœur, mais par une conscience sereine de ses propres devoirs.
Il sanctifia sa vie dans un chaste mariage ; la divine Providence lui ayant donné de nombreux enfants, il s’appliqua, par son exemple plus encore que par son autorité, à les former à la piété, à l’amour du travail et à l’accomplissement fidèle de leurs devoirs religieux, familiaux et civiques.
Se sentant appelé à un genre de vie supérieure par une mystérieuse inspiration surnaturelle, il abandonna, d’un commun accord, avec promptitude et générosité, son épouse bien-aimée, ses très chers enfants et tous ses biens ; vêtu d’une bure grossière, il saisit l’humble bourdon du pèlerin, dit adieu à tous et à tout pour répondre joyeusement à l’appel divin, et s’abandonna complètement à la volonté de Dieu.
S’étant retiré dans la solitude, il détacha généreusement son esprit et son cœur des choses de la terre pour s’attacher uniquement à Dieu. Dans cet état, il semblait à ceux qui l’approchaient un ange plus qu’un homme. Il oublia et négligea non seulement les commodités de la vie, mais même les nécessités les plus élémentaires auxquelles les hommes, durant leur pèlerinage terrestre, doivent bon gré mal gré se soumettre. Par des mortifications et des supplices volontaires, il dompta son corps et le réduisit en servitude ; par un jeûne de plusieurs années, il l’exténua au point qu’il ressemblait moins à un poids qu’à un voile transparent de l’âme et à une enveloppe légère soutenue uniquement par les ailes de l’amour. Ainsi put-il s’élever plus facilement et plus librement vers les sphères du surnaturel.
Pendant près de vingt ans, le saint anachorète vécut de prières, de contemplation céleste et d’ardent amour. Il pouvait à bon droit prendre à son compte la maxime sublime de l’apôtre des Gentils : Ce n’est plus moi qui vis ; c’est le Christ qui vit en moi (Gal., II, 20).
Son action.
Attirés par la renommée de sa sainteté, beaucoup d’hommes venaient le voir, du voisinage et même des pays les plus lointains, individuellement ou en groupes nombreux. Bien qu’il souffrît de se voir privé de sa solitude et forcé d’interrompre sa conversation avec Dieu, il les recevait avec affabilité et il cherchait, par ses sages conseils, par ses exhortations et par ses exemples, à nourrir et à élever leurs esprits. Ainsi, son ermitage sauvage parut dans la Suisse comme un sanctuaire ; il en partait des rayons de lumière qui éclairaient les intelligences obscurcies et des invitations solennelles à la paix, à la concorde, à la vertu chrétienne.
Un jour, les destinées mêmes de sa patrie se trouvèrent dans un péril pressant ; divisés en deux factions, les peuples confédérés de la Suisse allaient en venir aux mains. Il fut le seul qui sut pacifier les esprits de ses concitoyens. Leur ayant indiqué les mesures opportunes pour éviter un tel conflit, il sut maintenir d’une façon merveilleuse l’unité de la patrie. Aussi saint Nicolas de Flue brille-t-il avec éclat parmi les héros de la religion catholique qui, non seulement s’occupent parfaitement de leur salut éternel et donnent de salutaires conseils aux citoyens qui les consultent, mais sont encore une très grande force et une défense suprême pour leur pays, pour peu que dans le péril et l’adversité il réponde de bon gré et activement à leurs appels et suive leurs enseignements.
Aujourd’hui, après avoir, sous l’inspiration de Dieu, couronné Nicolas de Flue de l’auréole de la sainteté, Nous aimons à penser que tous se tourneront avec admiration vers lui. Tous, disons-Nous, mais en particulier les citoyens de Notre chère Suisse, qui le vénèrent comme leur patron et leur protecteur. Nous souhaitons paternellement et demandons dans Nos supplications à Dieu que cette admiration produise des fruits salutaires. Car il importe grandement aux chrétiens non seulement de célébrer les louanges des saints, mais encore et surtout d’imiter dans la vie quotidienne, avec la plus grande attention, leurs vertus, chacun selon sa condition.
Cet anachorète très saint sut pacifier, consoler et consolider sa patrie agitée par des factions turbulentes et menacée de la ruine ; puisse-t-il de même, par son admirable exemple et par son intercession fervente, ramener la communauté des peuples et des nations à la concorde fraternelle et à la paix solide qui ne peut avoir d’autres fondements inébranlables que les principes éternels du christianisme.
Fasse le Seigneur que tous les citoyens, sans distinction de classe, se tournent avec vénération vers saint Nicolas de Flue et apprennent de lui à se servir des biens passagers de cette terre qui, trop souvent, entravent et retardent l’élan de l’âme, comme d’une voie qui les conduise dans des sentiments généreux à la conquête des biens célestes qui dureront toujours.
Répondant au désir des six mille pèlerins venus de Suisse pour la canonisation de saint Nicolas de Flue, auxquels se sont joints beaucoup d’autres fidèles, le Saint-Père, parlant successivement en allemand, français et italien, prononça le discours suivant.
Discours du 16 mai aux pèlerins Suisses
Discours en Allemand
D’après le texte allemand des A. A. S., XXXIX, 1947, p. 364 ; traduction française de la Documentation Catholique, t. XLIV, col. 783.
Hier, avec une profonde émotion, Nous avons rangé dans la phalange des saints Nicolas de Flue, et c’est profondément émus que vous, fils et filles bien-aimés, compatriotes du nouveau saint, vous avez assisté à l’imposante cérémonie au cours de laquelle a été décerné l’honneur, le plus grand que puisse recevoir quelqu’un sur terre et dans l’Eglise du Christ, à la figure exceptionnelle du XVe siècle qui, à vos yeux, personnifie on ne peut mieux la nature saine et la piété chrétienne de votre race. Ce fut pour Nous-même une vive satisfaction de réserver à votre peuple auquel tant d’agréables relations nous unissent, la joie de la canonisation de ce véritable Suisse.
Si l’honneur d’être un vrai fils du peuple suisse, au sens plein de ce mot, convient sans aucun doute à beaucoup de vos hommes d’Etat qui ont bien mérité de la patrie, il est cependant certain qu’il ne peut être attribué à aucun d’eux avec plus de titres qu’à Nicolas de Flue.
Sa vie dans le monde.
Il naquit au cœur même de la Confédération, dans un de ces cantons primitifs, « pays de foi et de piété », comme on appelle honorifiquement, encore de nos jours, son pays natal d’Obwald. La réputation qu’avaient ses ancêtres d’être droits et animés de la crainte de Dieu, d’une nature réservée, tempérants, tout à leur profession, vivant du travail des champs, sociables et toujours prêts à faire du bien à leurs concitoyens, zélés dans la prière et dans l’observation de la discipline religieuse[1], cette réputation, Nicolas l’a réalisée intégralement. Un homme honnête, vertueux, pieux et ami de la vérité, ainsi l’appelle un témoin qui vécut constamment dans son voisinage, depuis sa tendre enfance jusqu’à sa séparation d’avec le monde[2].
A l’âge de 14 ans, Nicolas prend part aux assemblées publiques. [3]Soldat au service de sa patrie, il est nommé successivement porte- drapeau, chef de troupe et capitaine.[4] A 25 ans, il se marie avec Dorothée Wyss et voit s’épanouir une magnifique famille de dix enfants. Aujourd’hui, en cette heure solennelle, le nom de son épouse mérite bien d’être à l’honneur. Grâce à son renoncement volontaire à son époux, renoncement qui ne lui fut pas facile, et grâce aussi à la délicatesse de ses sentiments et à son attitude vraiment chrétienne durant les années qui suivirent la séparation, elle contribua à vous donner le sauveur de la patrie et le saint.
Avec circonspection et activité, il administre l’héritage de ses parents. Il se montre citoyen très estimé, conseiller, juge et député à la Diète helvétique ; et s’il ne fut pas landamman, il faut l’attribuer à sa propre opposition.[5]
Sa retraite et son influence.
Il n’avait que 50 ans lorsqu’il quitta le monde, sa propre famille et les affaires publiques, pour vivre encore vingt années en communication avec Dieu dans le renoncement le plus absolu, la pénitence la plus austère.
Mais c’est précisément dans cette retraite que Nicolas devient pour son peuple la plus grande bénédiction. De plus en plus, de près comme de loin on accourt vers lui pour se recommander à ses prières, se revigorer à son exemple, puiser auprès de lui consolation et conseil. Evêques et abbés, archiducs et comtes, chargés d’affaires en Saxe de la Confédération, comme aussi ambassadeurs des villes et de puissances étrangères trouvent près de lui une réponse, un avis ou une médiation au sujet de questions intéressant le bien public et la paix intérieure et extérieure.[6] Aux jours décisifs de décembre 1481, alors que des conflits d’intérêts politiques ont creusé entre les cantons campagnards et les cantons de villes une division si profonde qu’elle menace de se terminer par une hostilité ouverte et par une guerre fratricide qui aurait signifié la ruine de la Confédération, Nicolas de Flue, fixant son regard par-delà les limites étroites des cantons pour ne voir que le bien général, devient le sauveur de sa patrie par ses conseils et par la puissance déjà surhumaine de sa personnalité. Son nom restera lié pour toujours à l’Accord de Stans, événement qui comptera parmi les plus importants de l’histoire de votre patrie.[7] Ce n’est pas à tort que Fr. Nicolas a été surnommé « le premier patriote confédéré ». Il est entièrement l’un d’entre vous, il est votre saint.[8]
L’exemple qu’il donne de maîtrise de soi…
L’exemple de vertu et de perfection chrétienne qui brille en saint Nicolas est d’une simplicité aussi naturelle, d’une beauté aussi ravissante, d’un fonds aussi abondant et d’une variété aussi diverse que la richesse des couleurs d’une prairie alpestre dans toute la magnificence de ses fleurs. Mais Nous ne voulons pas nous attarder en ce moment à la multiplicité de ses exemples. Ce que Nous voudrions montrer, ce sont certains points brûlants, certains foyers, dans le champ des rayons de sa sainteté, ces foyers qui indiquent en même temps les sources de force dans lesquelles votre peuple a puisé son énergie dans le passé et dont à l’avenir, il ne peut se passer. De ces points brûlants, de ces foyers, Nous croyons devoir en nommer trois : sa maîtrise de soi, sa crainte de Dieu, sa prière.
La manière de vivre du saint est toute de maîtrise de soi, basée sur le renoncement et la mortification, non seulement quand nous la comparons avec nos conditions d’existence actuelle, mais même pour celles bien plus simples de son temps et de sa patrie, sans oublier que, déjà en ce temps, on savait jouir de la vie. En quelque endroit que vous observiez Nicolas de Flue, toujours chez lui l’esprit domine le corps. Cette maîtrise donnait même à son extérieur cette dignité qui suscite le respect et cette beauté austère qui nous parle au cœur à la vue de son image. Nicolas a commencé de bonne heure, alors qu’il était encore enfant, à s’imposer des sacrifices, et il a progressé constamment dans cette voie.[9] Par sa vie entièrement austère dans son ermitage, il appartient à la phalange des grands ascètes de l’Eglise catholique, et si pendant vingt ans il se nourrit exclusivement du Pain des anges, ce miracle fut l’achèvement et la réponse d’une longue vie de maîtrise de soi et de mortification pour l’amour du Christ.
Comprenez-vous l’avertissement que le saint adresse à notre temps par son exemple ? Une vie vraiment chrétienne est impossible sans domination de soi et sans renoncement ; mais aussi la santé et la force du peuple ne peuvent s’en passer à la longue. Dans l’austérité de l’ordre de vie chrétien se trouvent en même temps des valeurs sociales irremplaçables. Elle est l’antidote le plus efficace contre la corruption des mœurs sous toutes ses formes.
Si, grâce aussi sans doute à l’intercession de saint Nicolas, la miséricordieuse Providence de Dieu a préservé votre patrie de la misère qui, à la suite des deux guerres mondiales, pèse sous des formes effroyables sur d’autres pays, vous montrez votre reconnaissance par de grandes œuvres de charité, Nous sommes heureux de profiter de cette occasion pour le reconnaître.
Continuez à prouver votre gratitude en menant pour l’amour du Christ, en esprit et en fait, une vie simple et soumise au contrôle de la volonté, même au milieu du bien-être et de la richesse.
Le pénitent du Ranft fut unique en son genre. François d’Assise le fut aussi ; mais son exemple héroïque incita des classes entières de la chrétienté à faire moins de cas dans leur vie du bien-être et de la puissance que du renoncement à soi et de l’espoir des biens éternels. Suivez donc l’exemple de Nicolas de Flue ! Alors seulement vous pourrez dire en toute vérité qu’il est votre saint.
…de crainte de Dieu et d’une vie de prière.
Où que nous rencontrions Nicolas de Flue, partout il est l’homme rempli de la crainte de Dieu. Même lorsqu’il était soldat, ainsi que nous l’attestent ses compagnons d’armes en termes suggestifs.[10] A sa vie dans le mariage on peut appliquer les mots par lesquels débute l’encyclique sur le mariage de Notre éminent prédécesseur Pie XI : De la grandeur et dignité d’un chaste mariage. Quant à sa vie publique, Nicolas pouvait affirmer lui-même : « J’exerçais une puissante influence au tribunal, au Conseil et dans les affaires du gouvernement de ma patrie. Cependant, je ne me souviens pas de m’être comporté à l’égard de quelqu’un en m’écartant du sentier de la justice ».[11] « Quiconque craint Dieu deviendra grand », dit l’Ecriture (Judith, XVI, 19). Ces paroles se vérifient dans votre saint.
La prospérité et la décadence des peuples dépendent de la façon dont leur vie familiale et leur moralité publique se maintiennent sur la ligne normale des commandements de Dieu ou bien n’en font pas de cas.
Cette constatation ne résonne-t-elle pas aussi comme un cri d’alarme à l’époque actuelle ? Le nombre des bons chrétiens est important aujourd’hui, celui des héros et des saints dans l’Eglise est peut-être plus grand que jadis. Mais les conditions de la vie publique sont profondément bouleversées. Et c’est le devoir des enfants de l’Eglise, de tous les bons chrétiens, de lutter contre ce courant de décadence, et par leurs paroles comme par leurs actes, dans l’exercice de leur profession comme dans celui de leurs droits de citoyens, dans le commerce et le cours de l’existence journalière, de rétablir les commandements de Dieu et la loi du Christ dans tous les domaines de la vie humaine. Chrétiens, catholiques suisses, tel est aussi votre devoir à l’égard de votre patrie. Accomplissez-le avec l’esprit et la force de Frère Nicolas ! Alors seulement vous pourrez dire en vérité qu’il est votre saint.
Nicolas de Flue fut enfin un homme de prière : sa vie, une vie de foi. Les expressions dont il se servit dans sa confession pour désigner le prêtre, cet « ange de Dieu », et le « Très Saint Sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ », suffiraient à montrer combien il était rempli de la foi catholique. Significatif est le fait que, n’étant encore qu’un jeune garçon, il se plaisait à s’absorber des heures entières dans la prière. Sa vie au Ranft fut une vie de renoncement, afin d’arriver à l’union avec Dieu, au repos en Dieu, but de son existence. Également l’acte qu’il accomplit pour le salut de la Confédération, à Noël 1481, fut la victoire du géant de la prière sur le mauvais esprit de l’égoïsme et de la discorde.
Ne voyez-vous pas le doigt de Dieu dans le fait qu’il donne à votre patrie un saint populaire, un homme de prière aussi éminent que le fut Frère Nicolas ? La courbe de la désagrégation de la vie publique est parallèle à la courbe de sa laïcisation, de son abandon de la foi en Dieu et du service de Dieu. Mais, pays par pays, peuple par peuple, seuls des hommes et des communautés qui croient et qui prient peuvent arrêter ce courant païen de laïcisation. C’est pourquoi Nous vous redisons : « Priez, Suisses libres, priez ! » comme Nicolas de Flue a prié. Alors vous pourrez dire justement et avec vérité qu’il est votre saint.
Dans Guillaume Tell[12] Schiller fait dire au vieil Attinghausen les mots suivants, qui vous ont enthousiasmés dans votre jeune âge :
Attache-toi à ta patrie, à ta chère patrie, Etreins-la de toute ton âme !
C’est ici que poussent les vigoureuses racines de ta force.
Et si vous demandez maintenant où se trouvent dans votre patrie les vigoureuses racines de votre force, voici la réponse : elles se trouvent, non pas seulement mais avant tout, dans le fondement chrétien qui supporte son existence commune, sa Constitution, son ordre social, son droit et toute sa culture, et ce soubassement chrétien ne peut être remplacé par rien, ni par la force ni par la plus haute science politique. Les tempêtes qui depuis des années font rage à travers les continents, comme pour le jugement dernier, ont proclamé cela avec une voix de tonnerre. Sur la terre suisse, cette base chrétienne a pris dans la vie et dans l’œuvre de Nicolas de Flue corps et vie mieux qu’en nul autre de votre peuple. Marchez sur ses traces et le sort de votre peuple ne s’en trouvera que mieux assuré.
Vous êtes fiers de votre liberté ! Mais n’oubliez pas que la liberté terrestre ne devient un bien que si elle s’épanouit en une liberté plus haute, si vous êtes libres en Dieu, libres vis-à-vis de vous-mêmes, si vous conservez votre âme libre et ouverte pour recevoir les flots de l’amour et de la grâce de Jésus-Christ, de la vie éternelle qu’il est Lui-même. Nicolas de Flue personnifie avec une perfection merveilleuse l’harmonie de la liberté terrestre et céleste. Suivez-le ! Qu’il soit votre modèle, votre intercesseur, qu’il soit cent fois, mille fois votre bénédiction et celle de votre peuple.
Discours en Français
D’après le texte français des A. A. S., XXXIX, 1947, p. 369.
Nicolas de Flue, disions-Nous, personnifie en lui de façon admirable l’accord de la liberté naturelle et terrestre avec la liberté céleste et surnaturelle. En cela, précisément, consiste la parfaite unité de sa vie apparemment si multiple et si diverse. Et voilà comment, Suisse authentique du XVe siècle et par son éducation, par sa vie, par son caractère, homme du moyen âge, il est pourtant digne d’être proposé en exemple et en modèle à tous les chrétiens et en particulier aux hommes de notre temps.
On entend souvent identifier moyen âge et civilisation catholique. L’assimilation n’est pas tout à fait exacte. La vie d’un peuple, d’une nation, se meut dans un domaine fort varié qui déborde celui de l’activité proprement religieuse. Dès lors que, dans toute l’étendue de ce vaste domaine, une société respectueuse des droits de Dieu s’interdit de franchir les limites marquées par la doctrine et la morale de l’Eglise, elle peut légitimement se dire chrétienne et catholique. Aucune culture ne saurait se donner en bloc comme spécifiquement telle ; pas même la culture médiévale ; sans compter que celle-ci suivait une évolution continue et que, précisément à cette époque, elle s’enrichissait par l’afflux d’un nouveau et puissant courant de culture antique.
Cette réserve faite, il est juste de reconnaître au moyen âge et à sa mentalité une note vraiment catholique : la certitude indiscutable que la religion et la vie forment, dans l’unité, un tout indissoluble. Sans déserter le monde, sans perdre le vrai sens de la vie, il ordonne toute l’existence humaine vers un objectif unique : l’adhaerere Deo, le prope Deum esse (Ps. LXXII, 28), vers la prise de contact avec Dieu, vers l’amitié de Dieu, convaincu qu’il ne saurait y avoir hors de là nulle paix solide, ni pour le cœur de l’homme, ni pour la société, ni pour la communauté des peuples.
Actualité de saint Nicolas.
Qu’il soit difficile de parvenir à une fin si haute, c’est évident, et le moyen âge ne se faisait, à cet égard, aucune illusion. Nicolas de Flue, lui, a su pourtant l’atteindre, réalisant en sa personne cette synthèse de la religion et de la vie. Cela lui est commun, sans doute, avec tous les autres saints. Mais ce qui frappe particulièrement en lui, c’est sa providentielle actualité. Il est de ceux qui, intimement mêlés aux réalités concrètes de leur temps, étaient cependant tellement unis à Dieu que l’Eglise les a élevés à la gloire des autels. Fut-il jamais citoyen plus attaché à son pays natal, époux plus affectueux, père de famille nombreuse plus diligent dans l’éducation des enfants, homme public plus soucieux des intérêts de sa patrie ? Et c’est dans la pratique de toutes ces vertus domestiques, civiques, sociales, autant que par les austérités de sa vie érémitique, que Nicolas, gravissant à pas de géant les rampes escarpées qui conduisent au sommet de l’amour et de la perfection, s’est montré, par le rayonnement de la ressemblance divine, l’ami de Dieu que, si ardemment, il voulait être.
Saisissez-vous, chers fils et chères filles, la terrible gravité de l’heure présente et la poignante antithèse dont elle nous donne le spectacle ? D’un côté, nous qui célébrons la gloire des saints du moyen âge, des saints qui ont réalisé en eux-mêmes, dans l’unité de la religion et de la vie, la « dévotion à Dieu » ; de l’autre, au pôle opposé, une trop grande partie de l’univers réalisant la « dévotion au monde », l’idolâtrie du monde jusqu’à la négation de Dieu, jusqu’à la profession de l’athéisme le plus absolu.
Quelle sera pratiquement la solution en ce qui vous concerne, vous qui vivez au milieu de ce bouleversement des plus hautes valeurs spirituelles et morales ? Un retour au moyen âge ? Personne n’y songe ! Mais un retour, oui, à cette synthèse de la religion et de la vie. Elle n’est point un monopole du moyen âge : dépassant infiniment toutes les contingences des temps, elle est toujours actuelle, parce qu’elle est la clé de voûte indispensable de toute civilisation, l’âme dont toute culture doit vivre, sous peine de se détruire de ses propres mains, de rouler dans l’abîme de l’humaine malice qui s’ouvre sous ses pas dès qu’elle commence, par l’apostasie, à se détourner de Dieu.
La conclusion pour vous s’impose : que chacun et chacune, en ce moment, s’engagent à faire de sa vie personnelle un hommage permanent d’adoration et de dévouement au service de Dieu, à user de tous les moyens à sa portée pour remettre ceux qui l’entourent sur le chemin qui conduit à Dieu et à la restauration en eux de cette unité. Que saint Nicolas soit le témoin de vos engagements et votre protecteur pour y demeurer fidèles !
Discours en Italien
D’après le texte italien des A. A. S., XXXIX, 1947, p. 371 ; traduction française de la Documentation Catholique, XLIV, col. 788.
Nicolas de Flue est votre saint, chers fils et filles, non seulement parce qu’il a sauvé la Confédération en un moment de profonde crise, mais encore parce qu’il a tracé pour votre pays les grandes lignes d’une politique chrétienne[13]. Vous les connaissez ; elles peuvent se résumer dans les points suivants :
Protégez la patrie contre toute agression injuste. Seulement dans ce cas, pour une guerre défensive, empoignez vigoureusement les armes.
Ne faites aucune politique d’expansion : « Liebe Freunde, conseillait-il à ses compatriotes, macht den Zaun nicht zu weit, damit ihr desto besser in Freiheit, Ruhe und Einigkeit verbleiben könnt. Chers amis, n’élargissez pas trop la frontière de la Confédération, afin que vous puissiez d’autant mieux rester dans la liberté, la tranquillité et l’union. Pourquoi vous laisseriez-vous gagner par l’envie de guerroyer ? »
Ne mettez pas en péril la patrie, en la précipitant inconsidérément dans la mer orageuse de la politique extérieure et en l’impliquant dans les luttes des grandes puissances.
Maintenez haut la moralité du peuple et le respect envers l’autorité établie par Dieu.
Conservez l’unité et la fraternité : évitez l’envie, la haine, la rancœur et l’esprit de parti. On dirait aujourd’hui : que les rivalités nées de la concurrence n’empoisonnent pas la vie économique, et que la lutte de classes et la prédominance oppressive d’un parti ne troublent pas la vie sociale. Que règnent, au contraire, la justice et l’amour, lesquels assurent à tous ceux qui utilisent toutes leurs forces avec bonne volonté une vie tranquille et digne.
Vous savez, chers fils et filles de la Suisse — et peut-être aucun siècle de votre histoire nationale n’en a fait une expérience aussi vivante que le siècle présent, — quelle plénitude de biens ces exhortations ont signifiée et signifient pour votre peuple.
La paix vient de Dieu.
Cependant, si en ces jours de glorification de votre saint, vous rappelez à votre esprit les deux horribles guerres mondiales dont l’incendie a entouré, mais non franchi, les frontières de la libre Suisse, si, disons-Nous, vous levez un regard plein de reconnaissance vers Nicolas de Flue, n’oubliez pas, bien plus, gravez profondément en vous la pensée que ces principes fondamentaux de votre Confédération n’ont de vie et de force que s’ils sont élevés à une plus grande hauteur par la sage maxime de l’ermite du Ranft : la paix est toujours en Dieu ; Dieu c’est la paix. Par-dessus tout, ayez Dieu devant vos yeux et observez courageusement ses commandements. Demeurez fermes dans la foi et dans la religion de vos pères !
La paix est seulement en Dieu. Ces paroles du saint à ses compatriotes ont une valeur universelle, comme aussi — sauf quelques exceptions — ses autres avertissements pour le bien de la patrie. Si le monde d’aujourd’hui sans paix revient à Dieu, il trouvera la paix ; seuls, les hommes qui courbent le front devant Dieu sont à même de donner au monde une paix vraie, juste et durable.
Puisse le saint, amant de la paix, Liebhaber des Friedens, ainsi que l’appelèrent, de son vivant même, le bailli et le conseil de la cité de Soleure [14], intercéder auprès du trône de Dieu, afin que vous puissiez conserver le précieux bien de la paix et que ce bien soit accordé au monde entier.
Avec ce vœu et comme gage de la grâce surabondante et de l’amour de Jésus-Christ qui combleront vos âmes et vous rendront de dignes et aptes témoins et promoteurs de son règne dans votre patrie, tout en vous exprimant Notre vive gratitude pour vos généreuses offrandes par lesquelles le vénérable épiscopat, le zélé clergé, les ordres et congrégations religieuses et le cher peuple suisse ont voulu Nous seconder dans Notre œuvre d’assistance et de charité, Nous vous donnons à vous tous, avec effusion de cœur, Notre paternelle Bénédiction apostolique [15].
Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, année 1947, Édition Saint-Augustin Saint-Maurice. – D’après le texte latin des A. A. S., XXXIX, 1947, p. 210 ; traduction de la Documentation Catholique, t. XLIV, col. 777.
- Robert Durrer, Bruder Klaus, Die ältesten Quellen über den seligen Nikolaus von Flüe, sein Leben und seinen Einfluss. (2 Bande, Sarnen, 1917–1921), B. II, p. 671. M. Robert Durrer a réuni dans ces deux gros volumes les textes relatifs à Nicolas de Flue jusqu’au début du XVIIe siècle.[↩]
- Durrer, B. I, p. 462.[↩]
- Durrer, B. I, p. XII.[↩]
- Durrer, B. I, p. 428.[↩]
- Durrer, B. I, pp. 463 et XII.[↩]
- Durrer, B. I, pp. XXV-XXVI et 584–585.[↩]
- En décembre 1481, Fr. Nicolas ne paraît pas à la Diète de Stans, mais son message change le cœur de ses compatriotes qui se réconcilient et se séparent dans la paix.[↩]
- Durrer, B. I, pp. XXIX, 115–170.[↩]
- Durrer, B. I, p. 462.[↩]
- Durrer, B. I, p. 464.[↩]
- Durrer, B. I, p. 39.[↩]
- IIIe acte, scène 1.[↩]
- Durrer, B. I, p. 209 ; B. II, pp. 846, 982 s.[↩]
- Durrer, B. I, p. 116.[↩]
- Etaient présents LL. EE. Nosseigneurs Christian Caminada, évêque de Coire ; François von Streng, évêque de Bâle ; François Charrière, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg ; Victor Bieler, évêque de Sion ; Angelo Giuseppe Jelmini, administrateur apostolique de Lugano ; Louis Haller, abbé de St-Maurice d’Agaune. L’évêque de St-Gall, malade, était représenté par Mgr Albert Oesch. On a noté aussi la présence de M. Enrico Celio, vice-président de la Confédération helvétique, et de Mme Etter, l’épouse du président, ainsi que des délégués officiels des gouvernements des cantons catholiques d’Obwald, Nidwald, Uri, Schwyz, Lucerne, Zug, Fribourg, Valais, Appenzell Rhodes intérieures et Tessin.[↩]