Vénérables frères,
Chers fils,
L’Evangile nous apprend que, pour affermir ses Apôtres dans la foi, Notre-Seigneur Jésus-Christ leur promit d’être avec eux tous les jours jusqu’à la fin des siècles. Cette promesse, nous le savons, n’a pas cessé de se réaliser jusqu’à nos jours, et plus une époque est troublée, plus la société humaine semble atteinte jusque dans ses moelles par les fléaux qui la minent, plus aussi sont puissants les secours que fournit à l’Eglise son divin Fondateur par la floraison d’une sainteté extraordinaire parmi les hommes et parmi les femmes.
Jamais peut-être cette assistance divine ne fut plus clairement manifestée qu’à cette époque de bouleversements sans exemple que fut la Révolution française : alors, parmi bien d’autres, se leva notre nouvelle sainte, Marie-Madeleine Postel, dont le courage et la vertu brillèrent d’une splendeur magnifique.
Quand le Souverain Pontife eut condamné le serment impose au clergé sous menace de sanctions, les prêtres réfractaires, traqués et sous le coup d’une sentence de mort, trouvèrent asile auprès de Marie-Madeleine, qui de la sorte mettait en péril constant sa propre vie. En vertu d’une autorisation, elle conservait chez elle et gardait avec amour les vases sacrés et le Saint Sacrement ; de jour et de nuit, elle se consumait devant lui en ardeurs séraphiques. Elle apprenait aux enfants la doctrine chrétienne, et les préparait à participer au divin banquet ; il n’était rien qu’elle ne mit en œuvre pour assurer aux mourants les secours des sacrements ; et, quand la tempête sociale se fut un peu calmée, ne laissant qu’un clergé fort réduit en nombre, Madeleine, participant en quelque sorte au ministère sacerdotal, se mit à prêcher au peuple les vérités éternelles.
Quand l’ordre fut enfin rétabli dans le pays, il n’en restait pas moins à réparer les graves dommages causés à la religion. Ce fut le rôle auquel s’empressèrent les deux vierges que nous venons d’inscrire au nombre des saints, l’une et l’autre mues par une impulsion divine, chacune selon sa mission particulière, selon ses dons particuliers. Certes, c’était bien une restauration qu’il fallait en France, restauration qui reprit les choses par les fondements. Dans le peuple, beaucoup avaient perdu jusqu’à la conscience du devoir ; la noblesse, qui venait — après les restrictions et les souffrances d’un long exil — de recouvrer ses biens, sinon en totalité, du moins en partie, se trouvait démoralisée par les maux du passé, et passionnément livrée à la douceur de vivre. Dès lors, il sembla à Marie-Madeleine Postel et à Madeleine-Sophie Barat qu’elles n’auraient d’action féconde qu’en pourvoyant à une saine éducation des jeunes filles qui grandissaient et préparaient une génération nouvelle.
Voici donc la Société des Ecoles chrétiennes de la Miséricorde fondée au milieu d’obstacles inouïs, et sous l’aiguillon du dénuement et des soucis de toutes sortes. Le bienfait d’une éducation simple, que Jean- Baptiste de La Salle avait assuré aux garçons, les membres de la nouvelle Congrégation le donneraient aux fillettes de la classe populaire.
Chose admirable, la nouvelle Sainte, âgée pourtant de soixante-deux ans, n’hésita pas — dans l’ardeur de son zèle pour la sauvegarde de la jeunesse — à passer les examens requis pour avoir le droit légal d’enseigner.
Quant à Madeleine-Sophie, tout enfant, interrogée sur sa naissance, elle aimait à répondre, dans sa gracieuse candeur, qu’elle était sortie du feu : la nuit de sa naissance, sa bourgade natale avait été presque entièrement détruite par le feu. C’était bien de flammes qu’elle était embrasée, mais de celles qu’elle avait puisées dans le Sacré Cœur de Jésus. Sous ce titre, elle fonda son Institut religieux.
Tout en spécifiant qu’à tout pensionnat et à toute maison serait annexée une école ouverte aux fillettes des classes pauvres, elle voulut que son œuvre fût principalement vouée à l’éducation des jeunes filles de la noblesse et des familles aisées. C’est un fait d’expérience, et qui n’avait pas échappé à cette femme très avertie : souvent les personnes que distingue l’éclat de la naissance et qu’environne l’abondance de tous les biens sont en réalité dans une condition bien plus misérable que les personnes privées des biens de la fortune ; leur indigence de cœur et d’esprit se cache sous les dehors de la politesse mondaine et de la parure. D’ailleurs, si, dans la noblesse, les mères de famille sont formées dès l’enfance à une vie sainte, il arrivera naturellement que par leurs paroles et surtout leurs exemples elles amèneront à la pratique fidèle des devoirs religieux non seulement leurs maris et leurs enfants, mais aussi les personnes du peuple qui les approcheront.
De toute évidence, pour qui voit à l’œuvre les deux nouvelles Saintes, toute leur activité s’adonnait à la réalisation d’un seul et même dessein ; elles partageaient le même souci : procurer le bien des individus et de la société, et en même temps faire, autant que possible, le silence autour d’elles et de leurs œuvres. Mais, par la volonté de Dieu, qui a coutume d’exalter les humbles, ce fut le contraire qui arriva et l’on vit briller en elles, d’un éclat qui les mettait hors de pair, des vertus insignes et des dons extraordinaires.
C’est assez dire quels immenses bienfaits Nous attendons et Nous Nous promettons des exemples et de l’intercession de ces deux vierges saintes ; et ils ne sont pas moindres, ceux que Nous espérons de l’apostolat exercé pour ainsi dire dans le monde entier par leurs familles religieuses, — l’apostolat de la sainte éducation des jeunes filles. Cet apostolat est d’Une nécessité bien actuelle : il est tout à fait urgent de réveiller dans les masses populaires l’esprit Chrétien, d’aider la femme à être pour l’humanité, par les dons de la nature et de la grâce qui lui Sont accordés, un instrument non de perdition mais de redressement et de salut.
Oh ! qu’elle soit très chaste, qu’elle soit formée aux bonnes œuvres de toutes sortes, la jeunesse que par leurs prières ces deux vierges saintes obtiendront du Christ à notre génération et à la postérité ! Et nous tous, exilés ici-bas loin du Seigneur, puissions-nous marcher sur leurs tracés et arriver enfin à jouir avec elles du bonheur parfait dans la patrie du ciel, pour les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.
Source : Actes de S. S. Pie XI, t. III, p. 42, La Bonne Presse