A l’issue du XVIe Congrès de l’Office International de Documentation de Médecine Militaire, le Saint-Père a reçu à Castelgandolfo les participants et leur a adressé le discours suivant :
Arrivés au terme des travaux de la XVIe Session de l’Office International de la Documentation de Médecine Militaire, vous Nous faites, Messieurs, le plaisir de votre visite. Nous vous en remercions et vous souhaitons la bienvenue dans Notre maison.
Déjà toute une série de congrès de médecins et d’associations médicales sont venus vers Nous dans le courant de cette année et des années précédentes, en si grand nombre que Nous éprouvons combien les relations entre le Pape et l’ordre des médecins sont des relations de confiance [1]. Ce fait ne manque pas de raisons profondes. Le médecin, comme le prêtre et l’Eglise, doit être un ami et un aide pour l’humanité, il doit guérir les hommes quand ils sont frappés par la maladie, les blessures et la souffrance, et cette triade : maladie, blessures, souffrance se retrouve toujours et partout, pendant la paix et incomparablement plus encore pendant la guerre.
Vous avez répondu d’avance à la confiance que Nous entretenons à votre égard et vous Nous avez demandé de prendre position sur les points fondamentaux ou, plus exactement, sur l’aspect moral de diverses questions qui vous concernent comme médecins militaires. Bien volontiers, Nous accédons à votre souhait. Les paroles que Nous adressons concernent donc le médecin militaire comme tel, le médecin de guerre. Ceci présupposé, Nous voudrions parler de la morale et du droit des médecins.
L’Eglise proclame que la science doit servir au bien de l’homme :
Une première question de morale médicale militaire se pose au point de vue scientifique. Le nombre extraordinaire de cas, que la guerre met aux mains du médecin, contribue à élargir et à approfondir sa science théorique et pratique. Comme Nous l’avons expliqué dans une précédente occasion, la science en soi est toujours une valeur positive en médecine comme dans toutes les autres branches. Sinon l’omniscience ne pourrait être un attribut divin. Ceci vaut pour les influences biologiques et médicales favorables ou nuisibles, que la guerre révèle au médecin. Mais si, en soi, l’accroissement de la science est un bien, il ne s’ensuit pas que tous les moyens sont bons pour l’acquérir. D’une manière générale d’ailleurs, n’importe quelle science ne convient pas à n’importe qui, ni même à n’importe quel groupe d’hommes. La science n’est certainement pas un bien, lorsqu’on a l’intention perverse de s’en servir pour nuire aux autres, pour leur causer injustement du tort.
Le Pape condamne une série de pratiques :
Faisons l’application : la recherche, la découverte et la connaissance de nouvelles méthodes d’anéantissement des masses par la guerre biologique et chimique, de nouveaux procédés pour supprimer des ennemis politiques, nationaux et raciaux, de nouveaux types d’euthanasie pour les blessés, les mutilés ou les incurables, peuvent comme pur accroissement de science, constituer une valeur positive ; mais elles ne le sont pas aux mains de tout médecin, de tout chef d’armée, ni même de toute nation. Ainsi on répond — pour une part bien entendu — à la question : de telles découvertes, de nouvelles expériences peuvent ou doivent-elles être sans discernement divulguées par leur auteur et communiquées sinon à tout le monde, du moins aux instances supérieures ?
L’homme ne peut jamais être objet d’expérimentation.
Si en certains cas la réserve est de mise pour les résultats eux-mêmes, elle s’impose peut-être plus encore comme on l’a déjà indiqué, pour les moyens d’y arriver. Lorsqu’il est impossible d’acquérir une donnée ou une certitude sur les possibilités de son utilisation pratique sans une expérience dangereuse, et peut-être mortelle, sur des hommes vivants, le but poursuivi ne suffit pas à justifier cette expérience. Ni pendant la paix, ni pendant la guerre, et même beaucoup moins encore alors, les blessés, les prisonniers de guerre, les travailleurs forcés, les déportés des camps de concentration, ne constituent des objets d’expérimentation médicale, dont on puisse disposer librement ou avec l’approbation de l’autorité. Que le mépris de cette norme puisse devenir une triste réalité, les dernières décades l’ont universellement démontré.
En tout premier lieu tout médecin doit respecter la vie humaine :
Ce premier point d’éthique médicale concernait les acquisitions théoriques du « médecin de guerre ». Mais l’objet principal de la conscience du médecin, c’est bien son activité professionnelle.
Dans les rapports de vos sessions, dans le projet de codification d’une médecine mondiale, dans celui d’un droit médical international et dans la formule proposée d’un serment mondial du médecin valable partout, une idée revient constamment : le principe de conduite suprême, professionnel et moral, de la conscience et de la pratique médicales, c’est d’aider et de guérir, non de faire du tort, de détruire et de tuer. Ces réflexions vous ont amené à exiger du médecin, en temps de paix et plus encore pendant la guerre, le respect de la vie humaine depuis la conception jusqu’à la mort, le souci de son bien-être, la guérison de ses blessures et de ses maladies, l’adoucissement de ses souffrances et de ses infirmités, la préservation et la lutte contre les dangers, l’abandon de tout ce qui s’oppose à ses tâches. Vous avez souligné que ceci devait s’appliquer à tout homme, ami ou ennemi, indépendamment du sexe et de l’âge, de la race, de la nation et de la culture.
Ce principe de conduite de la conscience médicale, appliquez-le pendant la guerre, où la fureur impitoyable des armes modernes anéantit tant de vies, inflige tant de blessures, tant de mutilations, tant de souffrances et de peines, tant de dérélictions ou d’abandons, aussi bien sur le champ de bataille que dans les villes bombardées. La réalisation de cette loi essentielle de la conscience pratique médicale rencontrera partout dans le monde l’approbation de tous les hommes droits ; elle répond à la voix du cœur humain et à l’espérance de toute âme restée saine.
Les règles de conduite individuelle que les médecins s’imposent doivent devenir des normes admises par tous et entérinées comme telles.
Nous n’avons pas besoin d’expliquer que la conscience médicale, comme vous l’avez vous-mêmes remarqué, est capable d’être la conscience collective de tous les médecins du monde entier : la nature humaine, les lois biologiques et médicales, la souffrance et la misère, mais aussi la reconnaissance envers tous ceux qui apportent secours et salut, sont partout les mêmes.
Ici l’on touche tout de suite une autre vérité fondamentale : cette conscience médicale n’est pas purement subjective ; elle se forme bien plutôt au contact du réel et s’oriente sur lui et sur les lois ontologiques qui gouvernent toute pensée et tout jugement.
Que l’on compare avec ces lois ontologiques ce que Nous disions plus haut au point de vue scientifique comme tel. Lui aussi se subordonne à ces normes. Le médecin, qui ne voudrait pas tenir compte de cela, renoncerait au titre de médecin, au sens plein et le plus noble du terme. Dans vos rapports, on a proposé de distinguer deux classes de médecins : les chercheurs et les médecins traitants. Cette distinction permet de supposer que le « chercheur » est considéré comme entièrement au service du « médecin traitant ». En toute hypothèse, si celui-là n’acceptait pas la défense impérative de faire du tort, de détruire et de tuer, il rejetterait aussi la conscience médicale et la morale médicale qui l’obligent également.
L’art de guérir ne peut dépasser certaines limites, on ne peut, en effet, pratiquer des traitements qui nuisent à l’intégrité de la personne humaine.
Mais l’activité du médecin consciencieux, pour qui votre principe de base « aider et guérir, ne pas nuire ni tuer », va de soi, peut aussi rencontrer des limites, à la transgression desquelles s’oppose un veto, un « non » exigé par des intérêts qui, dans l’échelle des valeurs, l’emportent sur la santé du corps et de la vie. Voici un an[2], Nous avons entretenu longuement le « Premier Congrès d’Histopathologie du système nerveux » des limites morales de la recherche et du traitement médical. Il suffira aujourd’hui de reprendre à Notre exposé d’alors ce qui a trait spécialement aux questions qui vous intéressent.
Comme le montrent vos rapports, le problème de ces limites morales s’est fait jour dans vos discussions elles-mêmes, et diverses opinions se sont alors exprimées. Nous disions l’année dernière que le médecin justifiait ses décisions par l’intérêt de la science, celui du patient et celui du bien commun. L’intérêt de la science, il en a déjà été question. Quant à celui du patient, le médecin n’a pas plus de droit à intervenir que le patient ne lui en concède. Le patient, de son côté, l’individu lui-même, n’a le droit de disposer de son existence, de l’intégrité de son organisme, des organes particuliers et de leur capacité de fonctionnement que dans la mesure où le bien de tout l’organisme l’exige.
De même, on ne peut pratiquer l’euthanasie.
Ceci donne la clef de la réponse à la question qui vous a occupés : le médecin peut-il appliquer un remède dangereux, entreprendre des interventions probablement ou certainement mortelles, uniquement parce que le patient le veut ou y consent ? De même à la question en soi compréhensible pour le médecin travaillant juste derrière le front ou à l’hôpital militaire : peut-il, en cas de souffrances insupportables ou incurables et de blessures horribles, administrer à la demande expresse du malade des injections qui équivalent à l’euthanasie ?
On ne peut pas porter atteinte à l’intégrité du corps.
Par rapport à l’intérêt de la communauté, l’autorité publique n’a en général aucun droit direct à disposer de l’existence et de l’intégrité des organes de ses sujets innocents. — La question des peines corporelles et de la peine de mort, Nous ne l’examinons pas ici, puisque Nous parlons du médecin, non du bourreau. — Comme l’Etat ne détient pas ce droit direct de disposition, il ne peut donc pas le communiquer au médecin pour quelque motif ou but que ce soit. La communauté politique n’est pas un être physique comme l’organisme corporel, mais un tout qui ne possède qu’une unité de finalité et d’action ; l’homme n’existe pas pour l’Etat, mais l’Etat pour l’homme. Quand il s’agit d’êtres sans raison, plantes ou animaux, l’homme est libre de disposer de leur existence et de leur vie (ce qui ne supprime pas l’obligation qu’il a devant Dieu et sa propre dignité, d’éviter les brutalités et les cruautés sans motifs), mais non de celles d’autres hommes ou de subordonnés.
Le médecin de guerre tire de là une orientation sûre qui, sans lui enlever la responsabilité de sa décision, est susceptible de le garder des erreurs de jugements, en lui fournissant une norme objective claire.
Tout médecin doit haïr la guerre.
Le principe fondamental de la morale médicale commande non seulement d”« aider et de guérir, de ne pas nuire ni tuer », mais aussi de prévenir et de préserver.
Ce point est décisif pour la position du médecin vis-à-vis de la guerre en général, et de la guerre moderne, en particulier. Le médecin est adversaire de la guerre et promoteur de la paix. Autant il est prêt à guérir les blessures de la guerre, quand elles existent déjà, autant il s’emploie, dans la mesure du possible, à les éviter.
La bonne volonté réciproque permet toujours d’éviter la guerre comme ultime moyen de régler les différends entre les Etats. Voici quelques jours, Nous avons encore exprimé le désir que l’on punisse sur le plan international toute guerre, qui n’est pas exigée par la nécessité absolue de se défendre contre une injustice grave atteignant la communauté, lorsqu’on ne peut l’empêcher par d’autres moyens et qu’il faut le faire cependant sous peine d’accorder libre champ dans les relations internationales à la violence brutale et au manque de conscience. Il ne suffit donc pas d’avoir à se défendre contre n’importe quelle injustice pour utiliser la méthode violente de la guerre. Lorsque les dommages entraînés par celle-ci ne sont pas comparables à ceux de l”« injustice tolérée », on peut avoir l’obligation de « subir l’injustice » [3].
Tout médecin doit tendre ses efforts pour éviter les guerres atomiques, biologiques et chimiques.
Ce que Nous venons de développer vaut tout d’abord de la guerre A.B.C., atomique, biologique, chimique. La question de savoir si elle peut devenir simplement nécessaire pour se défendre contre une guerre A.B.C., qu’il Nous suffise de l’avoir posée ici. La réponse se déduira des mêmes principes, qui sont décisifs aujourd’hui pour permettre la guerre en général. En tous cas, une autre question se pose d’abord : n’est-il pas possible, par des ententes internationales de proscrire et d’écarter efficacement la guerre A.B.C. ?
Après les horreurs des deux conflits mondiaux, Nous n’avons pas besoin de rappeler que toute apothéose de la guerre est à condamner comme une aberration de l’esprit et du cœur. Certes, la force d’âme et la bravoure jusqu’au don de la vie, quand le devoir le demande, sont de grandes vertus ; mais vouloir provoquer la guerre parce qu’elle est l’école des grandes vertus et une occasion de les pratiquer, devrait être qualifié de crime et de folie.
Ce que Nous avons dit montre la direction dans laquelle on trouvera la réponse à cette autre question : le médecin peut-il mettre sa science et son activité au service de la guerre A.B.C. ? L”« injustice », il ne peut jamais la soutenir, même au service de son propre pays ; et lorsque ce type de guerre constitue une injustice, le médecin ne peut y collaborer.
La conscience médicale est non seulement basée sur le respect de la personne humaine, mais au-delà sur les exigences posées par Dieu même dans Sa Loi.
Il reste à dire un mot sur le contrôle et les sanctions de la conscience médicale :
Le contrôle dernier et le plus élevé, c’est le Créateur lui-même : Dieu. Nous ne rendrions pas justice aux principes fondamentaux de votre programme et aux conséquences qui en découlent, si Nous voulions les caractériser seulement comme des exigences de l’humanité, comme des buts humanitaires. Ils le sont aussi ; mais ils sont essentiellement plus encore. La dernière source, d’où découlent leur force et leur dignité, c’est le Créateur de la nature humaine. S’il s’agissait de principes élaborés par la seule volonté de l’homme, alors leur obligation n’aurait pas plus de force que les hommes ; ils pourraient s’appliquer aujourd’hui, et être dépassés demain ; un pays pourrait les accepter, un autre les refuser. Il en va tout autrement si l’autorité du Créateur intervient. Et les principes de base de la morale médicale sont partie de la loi morale divine. Voilà le motif qui autorise le médecin à mettre une confiance inconditionnée dans ces fondements de la morale médicale.
De plus, les médecins trouveront dans l’opinion publique une sanction à leurs actes.
Mais la conscience médicale éprouve en outre le besoin d’un contrôle et d’une sanction visibles. Elle en trouvera une d’abord dans l’opinion publique ; celle-ci est de votre côté, Messieurs, puisque vous reconnaissez ces principes. C’est par milliers et par centaines de milliers que l’on compte les soldats jadis blessés et malades, dans l’esprit et le cœur de qui tant de médecins se sont acquis une estime et une reconnaissance impérissables par un dévouement qui a coûté la vie à plus d’un.
Les organismes professionnels jugeront à leur tour les actes médicaux.
Plus important et plus efficace encore est le contrôle exercé sur chaque médecin par ses collègues. Leur jugement revêt une importance particulière pour sauvegarder la morale médicale, lorsqu’ils sont réunis en communauté professionnelle. Même si celle-ci ne possédait pas un caractère de droit public, elle pourrait rendre son verdict au sujet d’un médecin sans conscience et l’exclure de l’Ordre.
Il y aurait lieu de créer un Ordre international de médecins qui serait garant de la Morale professionnelle.
Si en outre, on réussissait à former comme vous vous y efforcez une ligue mondiale des médecins, qui reconnaîtrait les principes susdits de morale médicale et remplirait au moins en fait le rôle de surveiller l’activité des médecins, surtout en temps de guerre, la conscience médicale y trouverait une sécurité encore plus efficace. Une pareille Ligue mondiale pourrait fonder un Ordre international des médecins dont le jugement aurait à décider de la licéité de certains procédés, à flétrir les mesures illicites des individus, et même peut-être des Etats ou groupes d’Etats.
Dès à présent, une série d’Institutions devraient être créées pour former la conscience morale des médecins :
— des cours de déontologie
— le serment professionnel
A juste titre, vous soutenez l’avis que les points essentiels de la morale médicale doivent devenir d’abord une conviction commune de l’Ordre des Médecins, et ensuite aussi d’un plus large public ; puis que, dans la formation des étudiants en médecine, il faudrait intégrer comme branche obligatoire une exposition systématique de la morale médicale. Vos rapports demandent enfin un serment professionnel médical identique dans les différents pays et nations ; avant qu’un médecin puisse obtenir la permission d’exercer sa profession, il serait obligé de prêter ce serment devant les délégués de l’Ordre International des Médecins. Le serment serait une profession personnelle des principes de la morale médicale et en même temps, un soutien et un encouragement à l’observer. Donnez à ce serment ou plutôt laissez-lui ce qui lui revient de par sa nature : le sens religieux d’une promesse formulée devant l’autorité suprême du Créateur, de qui vos exigences reçoivent en dernière instance leur force obligatoire et leur plus haute consécration.
Vos efforts montrent que vous visez, en outre, et cela pour de bons motifs, à la création d’institutions médicales de droit public internationales appuyées par des ententes entre les Etats. Nous abordons maintenant ce sujet, en traitant du droit des médecins.
En plus d’un Code de morale international médical les médecins devraient créer un Droit international.
De sérieux motifs militent en fait pour la création d’un droit international des médecins, sanctionné par la communauté des peuples. D’abord, parce que la morale et le droit de par leur nature, ne se recouvrent pas toujours et, quand ils se rejoignent, restent cependant formellement différents. Nous pouvons Nous en référer à ce que Nous disions à propos du Congrès de Droit pénal international[4].
Par rapport à la morale, le droit remplit diverses fonctions ; ainsi, par exemple, celles de sélection et de concentration : toutes deux reviennent au fond à ceci, que le droit ne reprend les exigences morales que dans la mesure requise par le bien commun. Il reste toujours établi, sous ce rapport, que le droit positif, à la différence du simple postulat éthique, propose une norme de conduite, formulée par l’autorité compétente d’une communauté de peuples ou d’Etats et obligatoire pour les membres de cette communauté, en vue de réaliser le bien commun. A ce droit positif appartiennent alors l’obligation juridique, le contrôle juridique et le pouvoir de coercition.
L’élaboration d’un droit des médecins déborde la compétence de cette profession, comme aussi celle de l’Ordre des médecins ; elle est réservée au pouvoir législatif. On voit facilement par ailleurs l’importance et la nécessité d’un droit médical à cause de l’influence profonde du médecin tant sur l’individu que sur la société. Aussi la législation des Etats contient des prescriptions tantôt éparses, tantôt groupées, souvent très détaillées sur la formation des médecins et l’exercice de leur profession. Ces dispositions légales fournissent au médecin les normes de son activité, aux autres la garantie qu’il agira bien, et à sa conscience une barrière contre la négligence et l’abus de son pouvoir ; elles tranquillisent la communauté, sûre d’avoir confié ses malades à des hommes d’une science et d’une pratique éprouvées et qui en outre sont soumis au contrôle de la loi. Naturellement, il est toujours présupposé que ce droit des médecins est juste, c’est-à-dire conforme à la vérité et à la moralité, et qu’il ne procède pas d’un système de violence dépourvu de conscience.
Ce Droit est particulièrement important à considérer en temps de guerre :
Si l’urgence d’un droit médical se vérifie pour les circonstances normales, elle s’affirme bien plus encore en temps de guerre. Nulle part, il n’est plus important d’observer la justice ; nulle part, ne menace autant le danger d’erreur, mais aussi de traitement injuste ; nulle part les conséquences ne sont plus redoutables pour le soldat comme pour le médecin — peut-être faut-il encore ajouter : nulle part l’un et l’autre ne sont plus dépourvus de protection que pendant la guerre.
Le sort de celle-ci peut mettre le médecin entre les mains de l’ennemi ou lui confier ses malades ou ses blessés. Il peut se trouver du côté des vainqueurs ou des vaincus, dans son propre pays ou en pays ennemi. Quel droit régit alors sa personne et l’exercice de sa profession ? Si lui-même est non-combattant, il appartient cependant aux groupes de combattants ; mais alors quelle qualité lui reconnaîtra-t-on ? Peut-il exercer son art et sur qui ? Sur les amis et les ennemis, les militaires et les civils ? Partout où son aide est demandée et nécessaire ? Et comment peut-il l’exercer : d’après les principes de la morale médicale et d’après sa conscience ?
Tout cela attend d’être déterminé par des conventions internationales. Beaucoup de points ont déjà été fixés de la sorte, mais non tous ceux qui devraient l’être. En outre, le nombre des Etats qui participèrent à ces conventions n’est pas très grand, et moindre encore le nombre de ceux qui les ont ratifiées. Le corps médical peut entrer en contact avec les assemblées législatives par des initiatives et des propositions pour intégrer au droit international projeté les points acquis dans les traités conclus. Une autre possibilité serait d’annexer aux conventions existantes, avec une valeur juridique égale le schéma de droit médical déjà en vigueur.
On n’entreprendra pas ce travail avec l’espoir utopique d’atteindre le but d’aujourd’hui à demain, mais avec calme, souplesse et cette persévérance tenace, sans laquelle les entreprises importantes n’aboutissent presque jamais.
Ceci concernait la nécessité de créer un droit médical international et le moyen de le réaliser.
A la base de ce Droit il faudrait affirmer le pouvoir d’exercer la profession partout où l’assistance du médecin est requise.
Pour le contenu de ce droit et les énoncés juridiques à rédiger le projet déjà préparé fournit des indications suffisantes. Au point de vue technique, Nous n’avons pas l’intention d’intervenir. Nous traitons de la morale médicale.
Sous cet aspect, le droit médical codifié devrait avoir comme fondement ce que renferment vos principes de base. Ce devrait donc être un point de droit que le médecin peut exercer sa profession toujours et partout où cela s’avère possible ; même envers l’ennemi blessé, auprès des soldats comme des civils, des prisonniers et des internés, comme en général auprès de tous ceux qui sont atteints par la maladie, le malheur et la souffrance. Les besoins les plus grands ont toujours ici la priorité, ainsi que les secours qu’on ne peut différer. On ne pourra poursuivre au pénal aucun médecin pour le seul motif qu’il a soigné ceux qui en avaient besoin, qu’il a refusé de laisser périr des malades ou des blessés sans les secourir, de nuire à la vie ou au corps humain, de mutiler ou même de tuer.
De même il faudrait déclarer que tout médecin doit prêter assistance à tous ceux qui réclament ses soins.
Mais ce serait trop peu pour le droit médical que d’énoncer ce que le médecin peut faire ; il faut en outre dire ce qu’il doit faire. En d’autres termes, partout où l’on a donné une permission devrait aussi apparaître un devoir. Ceci concernerait autant le médecin d’un parti, que celui de l’ennemi et celui qui, venant d’un pays neutre, a été engagé au service d’une des puissances belligérantes. L’impératif qui s’applique aux médecins, suppose un second impératif, qui s’adresse aux gouvernements et aux chefs d’armée, et leur défend, d’une part, d’entraver le médecin dans son activité, tandis qu’il les oblige, d’autre part, à le soutenir dans la mesure du possible, en lui accordant le personnel nécessaire et en mettant à sa disposition le matériel requis. Ces exigences ne peuvent devenir normes obligatoires d’un droit international que si le médecin lui-même s’interdit, pendant la durée du conflit, toute activité politique ou militaire et n’y est amené par aucun des deux partis.
Le Droit devrait codifier le secret professionnel.
Un point devrait encore faire partie du droit médical international : le secret professionnel. En vertu d’une loi formelle, le médecin doit avoir, pendant la guerre aussi, la possibilité et l’obligation de garder secret ce qu’on lui confie dans l’exercice de la profession. Ce serait une interprétation fautive que de voir dans ce secret seulement un bonum privatum, une mesure destinée au bien de l’individu ; elle est exigée tout autant par le bonum commune, le bien commun. En cas de conflit entre deux aspects du même bien commun, une réflexion posée montrera lequel l’emporte. Nous n’avons pas à expliquer maintenant quels motifs, par exception, délient du secret médical, même contre la volonté du patient. Le rôle de la loi est de décider sur le cas habituel, pour lequel le silence est de règle.
Il y a donc de grands progrès à faire :
Si l’on réussissait — et en partie on a déjà réussi — à insérer les exigences morales susdites dans des traités internationaux ayant force de loi, le résultat obtenu ne serait pas négligeable. Que l’on se persuade toujours ici que le médecin est le « faible » ; les prescriptions juridiques qui le concernent serviront peu en cas de conflit si l’on n’obtient des autorités de l’Etat de se soumettre à de telles obligations et de faire le sacrifice que comportent toujours, d’une certaine manière, des conventions internationales de ce genre.
Il faudra aussi déterminer quelle est cette autorité qui aura droit d’imposer ce Code.
Reste la question, difficile aussi pour d’autres traités internationaux, du contrôle et des sanctions d’un droit médical international. Il faut bien concéder que de tels accords ne produisent leurs effets bienfaisants que si l’on réussit à résoudre ce problème d’une manière satisfaisante. La question posée à l’ONU lors de la discussion des droits de l’homme, et sur laquelle vous avez attiré Notre attention, caractérise la difficulté présente : « L’Assemblée générale est-elle une académie appelée à rédiger des Conventions qui ne seront jamais appliquées ? » [5]. La Convention de Genève de 1949, bien connue et si importante, est arrivée jusqu’à cette question du contrôle et des sanctions, mais elle en est restée là.
Vous offrez donc des propositions concrètes. Vous attirez l’attention sur la Cour de justice internationale déjà existante, et proposez de lui annexer une section pour le droit mondial des médecins, dont la tâche serait de surveiller, de recevoir les plaintes, de fournir des informations, en certains cas de prononcer jugement et condamnation ; l’exécution de celle-ci, quand il s’agit d’individus isolés, est confiée à l’Etat auquel ils appartiennent ; ou à celui dans le territoire duquel ils se trouvent, ou à celui auquel il faut les livrer. Pour la question si souvent décisive en cas de guerre : celle des sanctions, quand le jugement frappe un Etat souverain ou un groupe d’Etats, en particulier quand l’Etat coupable sort vainqueur du conflit, cette question attend encore d’être réglée par un droit codifié.
Il restera toujours que tout droit devra être fondé sur l’autorité suprême de Dieu.
Pour ne pas terminer Notre exposé sur des considérations moins satisfaisantes, Nous voudrions en concluant attirer votre attention vers quelque chose de plus haut : Nous disions tantôt que la sanction dernière de la conscience médicale est Dieu. Dieu est aussi votre force intime la plus puissante, quand votre profession demande des sacrifices. Agissez en vertu de cette force, celle de l’Amour de Jésus-Christ, le Dieu fait homme. Vous savez très bien vous-mêmes quelles œuvres imposantes la charité chrétienne, inspirée par cet amour, a accomplies dans tous les domaines pour le salut de l’humanité souffrante. Cette force et cet amour, Nous vous les souhaitons de tout cœur.
Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, année 1953, Édition Saint-Augustin Saint-Maurice. – D’après le texte français des A. A. S., XXXXV, 1953, p. 744.