Aux Vénérables Frères Etienne Pierre X, patriarche de Cilicie, aux archevêques et évêques, ainsi qu’aux chers Fils du clergé et des Ordres monastiques et au peuple de rite arménien, en grâce et en communion avec le Siège Apostolique.
LÉON XIII, PAPE
Vénérables Frères, chers Fils, Salut et Bénédiction Apostolique.
La paternelle charité avec laquelle Nous aimons toutes les parties du troupeau du Seigneur est telle, par sa force et sa nature, que Nous ressentons, connue dans une intime et constante communauté de sentiments, tout ce qui arrive de propice ou d’adverse dans la république chrétienne. C’est pourquoi, de même qu’une douleur vive et prolongée s’était emparée de Notre cœur à cause qu’un certain nombre d’Arméniens, surtout dans la ville de Constantinople, s’étaient séparés de Notre société fraternelle, de même aussi ressentons-Nous maintenant une joie toute spéciale et ardemment désirée en voyant que cette dissension s’est, grâce à Dieu, heureusement apaisée. Mais, pendant que Nous Nous réjouissons de la concorde et de la paix qui vous sont rendues, Nous ne pouvons faire moins que de Vous exhorter vivement à conserver avec soin et à Vous efforcer d’accroître encore ce grand bienfait de la bonté divine. Et afin de l’obtenir, afin que Vous professiez une même doctrine, les mêmes sentiments en ce qui concerne la religion, il faut que Vous demeuriez tous constants, comme Vous l’êtes, dans l’obéissance à ce Siège Apostolique ; et quant à Vous, chers Fils, Vous devez être fidèlement soumis et obéissants à Votre patriarche et aux autres évêques qui ont le droit de Vous diriger.
Or, comme pour ébranler cette religieuse concorde, l’occasion vient souvent, soit des dissensions dans les affaires publiques, soit des contestations dans les choses privées, il Vous faut conjurer celles-là par ce respect et cette soumission que Vous professez si louablement envers le potentat suprême de l’empire ottoman dont Nous connaissons bien l’esprit de justice, le zèle à conserver la paix et les excellentes dispositions à Notre égard, attestées par de brillants témoignages. Quant aux contestations et aux rivalités, Vous en serez aisément délivrés, si Vous gravez profondément dans Votre esprit et si Vous retracez dans Notre conduite les préceptes que saint Paul, l’apôtre des nations, donne au sujet de la parfaite charité, laquelle est patiente et bénigne, ne porte pas envie, n’agit pas inconsidérément, ne s’enfle pas d’orgueil, n’est pas ambitieuse, ne recherche pas ses propres intérêts, ne s’irrite point, ne pense pas à mal [1]. En outre, cette excellente et parfaite concorde des Aines Vous assurera un autre bienfait pour que, grâce à elle, Vous puissiez accroître, comme Nous l’avons dit, et faire développer de plus en plus les résultats de la paix et de l’accord qui Vous ont été rendus. Elle vous attirera, en effet, les regards et les cœurs de ceux qui, tout en ayant de commun avec Vous la race et la nationalité, sont encore cependant séparés de Vous et de Nous et ne se trouvent pas dans l’enclos sacré du bercail dont nous avons la garde. En voyant l’exemple de Votre concorde et de Votre charité, ils se persuaderont aisément que l’esprit du Christ a parmi vous toute sa vitalité, car lui seul peut ainsi unir les siens, qu’ils ne forment qu’un seul corps, Dieu veuille qu’ils le reconnaissent et qu’ils se décident à revenir à cette unité dont leurs ancêtres se sont séparés ! Il leur arriverait certainement alors d’être inondés d’une indicible joie, en voyant que, par leur union à Nous et à Vous, ils seraient aussi unis aux autres fidèles qui, dans le monde entier, appartiennent au catholicisme ; ils comprendraient alors qu’ils habiteraient les demeures de cette mystique Sion à laquelle seule il a été donné, de par les divins oracles, de dresser partout ses tentes et d’étendre sur toute la terre les voiles de ses tabernacles.
Afin que cet heureux retour se réalise, c’est à Vous surtout, Vénérables Frères, placés à la tête des diocèses de l’Arménie, qu’il appartient de consacrer Votre activité, Vous à qui ne manque, Nous le savons bien, ni le zèle pour exhorter, ni la doctrine pour persuader. Nous voulons même que les dissidents soient rappelés par Vous en Notre nom et sur Notre parole : car, loin d’avoir à en rougir, il est d’une haute convenance de ramener à la maison paternelle les fils qui s’en sont éloignés et qui sont depuis longtemps attendus ; bien plus, il faut aller à leur rencontre et leur ouvrir les bras pour les embrasser à leur retour. Non, Nous ne croyons pas que Vos paroles et Vos exhortations restent stériles. En effet, l’espoir du résultat désiré Nous est inspiré, d’abord, par l’immense miséricorde de Dieu qui s’est répandue sur toutes les nations, et aussi par la docilité et les qualités natives du peuple arménien. De nombreux documents historiques attestent combien il est enclin à embrasser la vérité dès qu’il la connaît, combien aussi il est disposé à y revenir s’il s’aperçoit d’en avoir dévié. Ceux-là mêmes qui sont séparés de Vous dans leur culte se glorifient de ce que le peuple arménien ait été instruit dans la foi du Christ par Grégoire, homme très saint, surnommé Illuminateur, et ils le vénèrent tout particulièrement comme leur Père et leur patron. Parmi eux aussi, est resté mémorable le voyage qu’il fit à Home, en témoignage de sa fidélité et de son respect envers le Pontife Romain saint Sylvestre. On dit même qu’il en reçut l’accueil le plus bienveillant et qu’il en obtint plusieurs privilèges ; qu’ensuite, ces mêmes sentiments de Grégoire envers le Siège Apostolique lurent partagés par beaucoup d’autres de ceux qui eurent à régir les Eglises arméniennes ; cela résulte de leurs propres écrits, de leurs pérégrinations à Rome, et, notamment, des décrets synodaux.
Bien digne est, en vérité, d’être rappelé à l’appui, ce que les Pères arméniens, réunis en Synode à Sis, en 1307, proclamèrent sur le devoir d’obéir à ce Siège Apostolique : De même que c’est le propre du corps d’être soumis à la tête, de même aussi l’Eglise universelle (qui est le corps du Christ) doit obéir à celui que le Christ Notre-Seigneur a constitué chef de toute l’Eglise. C’est ce qui fut confirmé et développé plus clairement encore au Concile d’Adana, en la seizième année du même siècle.
Et, sans parler de choses de moindre importance, ce qui fut fait au Concile de Florence Vous est bien notoire. Là, les délégués du patriarche Constantin V, s’étant présentés pour vénérer comme Vicaire du Christ Eugène IV, Notre prédécesseur, déclarèrent qu’ils étaient venus vers celui qui était la tête, le pasteur et le fondement de l’Eglise, le priant que la tète prît en pitié les membres, que le pasteur réunît le troupeau, que le fondement affermît l’Eglise [2] et, lui présentant le symbole de leur foi, ils le suppliaient en ces termes. S’il y manque quelque chose, fais-nous le connaître. Alors fut rendue par le Pontife la constitution conciliaire Exultate Deo, par laquelle il les instruisit de tout ce qu’il jugea nécessaire de connaître de la doctrine catholique ; et les délégués, recevant cette Constitution, déclarèrent, en leur nom et au nom de leur patriarche et de toute la nation arménienne, y adhérer pleinement et s’y soumettre d’un cœur docile et empressé, professant au nom comme ci-dessus et comme vrais fils d’obéissance, d’obtempérer fidèlement aux ordres et aux prescriptions du Siège Apostolique. Aussi le patriarche de Cilicie, Azarie, dans ses lettres à Grégoire XIII, Notre prédécesseur, en date du iv des ides d’avril 1585, put-il écrire en toute vérité : Voici que nous possédons les documents de nos ancêtres sur l’obéissance de nos catholicos et patriarches au Pontife de Rome, de même que saint Grégoire l’Illuminateur fut obéissant au pape saint Sylvestre. C’est pourquoi la nation arménienne reçut avec les plus grands honneurs les délégués qu’elle avait envoyés à cet effet au Saint-Siège, et elle se fit un devoir d’en observer fidèlement les préceptes.
Nous gardons vraiment la confiance que ces souvenirs seront très efficaces pour induire à rechercher l’union plusieurs de ceux qui sont encore séparés de Nous. Que si la cause de leur indécision et de leur hésitation était la crainte de trouver moins de sollicitude à leur égard dans le Siège Apostolique et d’être accueillis par Nous avec moins d’affection qu’ils en désireraient, invitez-les, Vénérables Frères, à se rappeler ce qu’ont fait les Pontifes Romains Nos prédécesseurs, qui jamais ne se sont trouvés en défaut de témoignage de leur charité paternelle envers les Arméniens. Ils ont toujours reçu avec bienveillance ceux d’entre eux qui sont venus en pèlerinage à Home, ou qui ont eu recours à leur protection ; ils ont même voulu que des maisons hospitalières fussent ouvertes pour eux. Grégoire XIII, on le sait, avait conçu le dessein de fonder un établissement pour la sainte instruction des jeunes gens arméniens, et s’il fut empêché par la mort de mettre ce dessein à exécution, Urbain VIII le réalisa en partie en accueillant, avec les autres élèves étrangers, les Arméniens aussi, dans le vaste collège qu’il institua pour la propagation de la foi. Quant à Nous, malgré le malheur des temps, Nous avons pu, grâce à Dieu, exécuter plus largement le dessein conçu par Grégoire XIII, et Nous avons assigné aux élèves Arméniens un assez grand bâtiment près de Saint-Nicolas de Tolentino, en y instituant leur collège dans les formes voulues. Cela a été fait de telle sorte qu’il a été pourvu à ce que l’on respectât comme de juste la liturgie et la langue de l’Arménie, si recommandables par l’antiquité, l’élégance et le grand nombre d’insignes écrivains ; bien plus, il a été pourvu aussi à ce qu’un évêque de Votre rite demeurât constamment à Rome pour initier aux choses saintes tous ceux de ces élèves que le Seigneur appellerait à son service spécial.
A cet effet aussi, une école avait été fondée depuis longtemps dans le collège Urbain de la Propagande pour l’enseignement de la langue arménienne, et Pie IX, Notre prédécesseur, avait pourvu à ce que, dans le gymnase du Séminaire pontifical romain, il y eût un professeur pour enseigner aux élèves du pays la langue, la littérature et l’histoire de la nation arménienne. Au reste, la sollicitude des Pontifes Romains envers les Arméniens n’est pas restée circonscrite aux limites de cette ville, car rien ne leur a été plus à cœur que de tirer Votre Eglise des difficultés où elle était engagée, de réparer les maux qu’elle avait eu à souffrir de la perversité des temps et de pourvoir à ses intérêts. Nul n’ignore avec quel soin Benoit XIV s’efforça de protéger et de conserver intacte Votre liturgie de même que celle des autres églises orientales, et de faire en sorte que la succession des patriarches catholiques d’Arménie fût réintégrée en faveur du siège de Sis.
Vous savez également que Léon XII et Pie VIII consacrèrent leurs soins afin que, dans la capitale même de l’empire ottoman, les Arméniens eussent un préfet de leur nation pour les affaires civiles à l’instar des autres communautés qui appartiennent à cet empire. Tout récent enfin est le souvenir des actes accomplis par Grégoire XVI et Pie IX afin d’accroître, dans votre pays, le nombre des sièges épiscopaux et afin que le prélat arménien de Constantinople l’emportât en honneur et en dignité. Cela fut fait d’abord en instituant à Constantinople le siège archiépiscopal et primatial, et ensuite en décrétant l’union avec le patriarcat de Cilicie, à la condition que la résidence du patriarche fût établie dans la capitale de l’empire.
Et pour empêcher que la distance ne vint à affaiblir l’étroite union des fidèles arméniens avec l’Eglise romaine, il a été sagement pourvu à ce que le délégué apostolique résidât dans la même ville, pour y tenir la place de Pontife Romain. Vous pouvez donc être Vous-mêmes garants de la sollicitude que Nous avons eue pour Votre nation, et Nous le sommes réciproquement de l’attachement que Vous professez envers Nous et dont Nous avons maintes fois reçu le témoignage.
C’est pourquoi, comme d’une part, les qualités de Votre peuple, la pratique des ancêtres et de toute l’histoire des siècles passés, sont faites de leur nature pour attirer vers cette citadelle de la vérité les Arméniens qui sont séparés de Vous, et cela avec une efficacité si grande qu’ils ne sauraient être retenus par un plus long délai ; et que, d’autre part, le Siège Apostolique s’est toujours efforcé de s’attacher étroitement Votre nation et de la rappeler à l’union première, si parfois elle s’en éloignait, – il en résulte assurément de très solides raisons pour que Vous, Vénérables Frères, Vous conseilliez, et pour que Nous, à Notre tour, Nous ayons bon espoir que l’antique union soit pleinement rétablie.
Cela tournera certainement au profit de toute Votre nation, non seulement pour le salut éternel des âmes, mais aussi pour cette prospérité et cette gloire que l’on peut légitimement désirer sur la terre. L’histoire atteste, en effet, que, parmi les pasteurs sacrés de l’Arménie, ceux-là ont resplendi d’un plus vif éclat, comme de brillantes étoiles, qui ont été plus étroitement attachés à l’Eglise Romaine, et que la gloire de Votre nation a atteint son apogée dans les siècles où la religion catholique y a le plus largement prospéré.
Dieu seul, de qui relèvent toutes choses, peut accorder que cela arrive conformément à Nos vœux et à Nos désirs, lui qui appelle ceux qu’il veut honorer et qui inspire des sentiments religieux à qui il lui plaît [3]. Faites monter vers lui avec Nous de suppliantes prières, Vénérables Frères et chers Fils, afin que, mus par sa grâce triomphante, tous ceux de Votre nation, qui, par le baptême, sont rentrés dans la société de la vie chrétienne et qui, cependant, sont séparés de Notre communion, Nous comblent d’une joie entière en revenant à Nous, en professant la même doctrine, en ayant la même charité et en nourrissant tous les mêmes sentiments [4]. Efforcez-vous d’avoir pour auxiliatrice auprès du trône de la grâce la glorieuse, bénie, sainte, toujours Vierge Marie, Mère de Dieu, Mère du Christ, pour qu’elle offre nos prières à son Fils, notre Dieu [5]. Employez aussi comme intercesseur avec elle l’illustre martyr Grégoire l’Illuminateur, afin que, en sa qualité de ministre de la grâce divine, il accomplisse et confirme l’œuvre qu’il a commencée au prix de ses labeurs et de son invincible patience dans les tourments. Demandez enfin, à l’initiative de Notre propre prière, que la docilité des Arméniens et leur retour à l’unité catholique servent d’exemple et de stimulant à tous ceux qui adorent le Christ, mais qui sont séparés de l’Eglise Romaine, afin qu’ils reviennent là d’où ils sont partis, et qu’il n’y ait plus qu’un seul troupeau et un seul Pasteur.
Pendant que Nous y consacrons Nos vœux et Notre espoir, Nous accordons dans l’effusion de la charité et comme gage de la bonté divine, la bénédiction apostolique à Vous, Vénérables Frères et à Vous tous, chers fils.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 25 juin 1888, en la onzième année de Notre Pontificat.
LÉON XIII, PAPE.
Source : Lettres apostoliques de S. S. Léon XIII, tome 2, La Bonne Presse.