Léon XIII

256ᵉ pape ; de 1878 à 1903

20 novembre 1901

Lettre encyclique Urbanitatis veteris Græcia

Sur la fondation d'un nouveau séminaire à Athènes

A nos véné­rables frères de l’Église Latine en Grèce

Léon XIII, Pape

Vénérables frères,
Salut et Bénédiction apostolique

La Grèce, phare de la civi­li­sa­tion antique et mère de tous les arts, après tant de revers et de si étranges vicis­si­tudes de la for­tune, n’a point vieilli dans la mémoire et l’admiration des hommes ; il n’est, au contraire, homme si inculte que n’émeuve le sou­ve­nir de sa gran­deur et de ses gloires. En Notre âme, certes, la race grecque trouve ce sou­ve­nir mêlé d’admiration, mais aus­si une affec­tion véri­table, déjà ancienne. Dès l’adoles­cence, Nous avons appris à admi­rer les lettres ioniennes et attiques, et sur­tout cette recherche du vrai, où les princes de vos phi­lo­sophes allèrent si loin, qu’il ne semble pas que l’esprit humain eût pu, avec ses seules lumières, s’y por­ter plus avant. L’estime où Nous tenons la phi­lo­so­phie grecque res­sort assez de Notre zèle et de la mul­ti­pli­ci­té de Nos efforts pour res­tau­rer et mettre en hon­neur, du haut de cette chaire pon­ti­fi­cale, la phi­lo­so­phie du Docteur angé­lique. Car, et ce n’est que jus­tice, il revient bonne part de la gloire des hommes doctes aux maîtres qui gui­dèrent leurs pas vers la science : aus­si conviendra-​t-​on que ç’a été du même coup hono­rer votre Aristote, que de glo­rifier, comme Nous l’avons fait, saint Thomas d’Aquin, entre les plus grands de ses dis­ciples, on peut le dire sans témé­ri­té, le plus illustre. – Que si Nous venons à par­ler des choses chré­tiennes, les formes que le culte a revê­tues en Grèce n’ont ja­mais fait que Nous agréer : dans ces céré­mo­nies et ces rites reli­gieux, que la Grèce conserve jalou­se­ment comme un héri­tage des ancêtres, Nous avons tou­jours aimé à véné­rer un reflet des cou­tumes antiques et une heu­reuse alliance de varié­té et de gran­deur. Et parce qu’il est juste et expé­dient que ces rites soient invio­la­ble­ment et inté­gra­le­ment main­te­nus, à cet effet, Nous avons rame­né à son ins­ti­tu­tion et à sa forme pri­mi­tives le col­lège urbain des sémi­na­ristes de rite grec, pla­cé sous le vo­cable du grand Athanase. Dans le même esprit, autant de Pères et de Docteurs que la Grèce en a pro­duits, et com­bien Dieu lui en a fait pro­duire, et de grands ! ont tou­jours eu de Notre part une véné­ra­tion méri­tée, qui n’a ces­sé, n’en dou­tez pas, de croître avec l’âge. Pourquoi Nous a‑t-​il plu, à peine éle­vé, on peut dire, au Pontificat, de pla­cer Cyrille et Méthode dans une plus vive lumière et à un plus haut faîte ? Nous avons vou­lu, gui­dé par Notre pié­té, que plus de clar­té sur leurs ver­tus et leurs bien­faits rayon­nât d’Orient en Occident, et que des hommes qui avaient si bien méri­té de tout le nom catho­lique reçussent de la catho­li­ci­té entière un culte plus auguste. – Et ne pen­sez pas que le sou­ve­nir Nous soit moins agréable de ceux, entre Nos pré­dé­ces­seurs, qui furent de votre pays et de votre race. Au contraire, Nous Nous sen­tons mer­veilleu­se­ment incli­né vers eux, et il n’est pas rare que Nous Nous redi­sions avec quelle sagesse ils ont sou­te­nu et déve­lop­pé l’Eglise, en des temps où, par­mi des tra­verses sans nombre, sa route était si âpre ; avec quel cou­rage la plu­part d’entre eux, tels que Anaclet, Télesphore, Hygin, cou­ron­nèrent la gloire de leurs tra­vaux par celle du mar­tyre ! Quoique, il faut bien le confes­ser, il ne Nous arrive guère de Nous remé­mo­rer ces Pontifes d’ori­gine grecque, sans que Notre cœur ne sou­pire, attris­té et plein de désir, après une chose bien pré­cieuse, qui périt misérable­ment par les fai­blesses d’un autre âge : Nous vou­lons dire cette union qui embras­sait, sans ombre de dis­si­dence, Grecs et La­tins, alors qu’on allait dans la patrie de Socrate et de Platon cher­cher des hommes pour le Pontificat. L’on eût gar­dé une par­ti­ci­pa­tion com­mune à de grands et de nom­breux bien­faits, si l’on eût gar­dé la concorde.

Quoi qu’il en soit, il ne faut pas se lais­ser abattre par le sou­ve­nir du pas­sé, mais s’exciter à une salu­taire vigi­lance et à de fruc­tueux labeurs. Vous, véné­rables frères, conti­nuez de rem­plir votre charge, comme vous le faites, avec une sainte indus­trie : que par votre œuvre, qui­conque obéit à votre juri­diction ait un sen­ti­ment chaque jour plus intime de ce que la pro­fes­sion catho­lique exige de lui, et apprenne de votre exemple à unir avec l’affection due à la patrie l’a­mour et le zèle pour notre foi sainte. Quant à Nous, Nous met­trons à défendre, à sou­te­nir, à affer­mir chez vous les inté­rêts catho­liques toute l’activité et tout le zèle dont Nous sommes capable. Dans ces sen­ti­ments et sous cette ins­pi­ra­tion, convain­cus que les mœurs, la civi­li­sa­tion et le nom catho­lique lui-​même, n’ont qu’à ga­gner aux pro­grès de l’esprit et à la culture des lettres, Nous Nous sommes effor­cé de contri­buer dans une cer­taine mesure à la for­ma­tion intel­lec­tuelle de votre jeu­nesse : témoin ce col­lège fon­dé à Athènes, il y a quelques années, où toute faci­li­té est offerte aux jeunes gens catho­liques de s’appliquer à l’étude des lettres, et sur­tout de s’initier à cette langue, qui, maniée par Homère et Démosthène, en a reçu tant d’éclat. Et voi­ci que vos Lettres col­lec­tives du 9 sep­tembre sug­gèrent l’établisse­ment d’une ins­ti­tu­tion ana­logue en faveur des jeunes clercs. Nous adop­tons vos vues : Nous esti­mons, en effet, très utile et très oppor­tun que cette école lit­té­raire d’Athènes, dont nous avons par­lé, accueille aus­si des étu­diants catho­liques, avec le but de s’y livrer à l’étude des hautes huma­ni­tés, et sous la loi de n’aborder ni théo­lo­gie ni phi­lo­so­phie, qu’ils ne se soient aupa­ra­vant pro­fon­dé­ment péné­trés de la langue et de la litté­rature de leur pays, dans sa capi­tale même. De là déri­ve­ront, on n’en peut dou­ter, et plus de lustre à leur pro­fes­sion et plus d’efficacité à leur minis­tère. Nous avons donc embras­sé volon­tiers le pro­jet, pré­sen­té par vous, d’établir dans l’édifice même du col­lège sus­dit, un Séminaire pour les jeunes clercs de rite latin et de race grecque, sans en exclure d’ailleurs les autres Orientaux par­lant le grec. Nous Nous réser­vons de tra­cer dans des Lettres spé­ciales toute 1’organisation et toute l’économie de cet Institut.

Au sur­plus, si vous regar­dez quelque peu en arrière, vous trou­ve­rez les mêmes sen­ti­ments chez les Pontifes anté­rieurs ; et vous consta­te­rez qu’il n’est sorte de bons offices qu’ils ne vous aient ren­dus, dès qu’ils les jugeaient de quelque pro­fit à votre nation et dans les limites de leur pou­voir. L’histoire atteste, par exemple, que dans cette alliance des princes chré­tiens que cou­ron­nèrent les magni­fiques triomphes de Lépante, Pie V avait en vue, non seule­ment la défense de l’Italie, mais encore la déli­vrance de toute la Grèce. Tant les inté­rêts publics et le salut de votre pays étaient à cœur à ce saint Pontife. Ses espé­rances et ses efforts furent trom­pés, il est vrai ; mais il avait conçu là un des­sein magna­nime, res­pi­rant la plus ardente cha­rité, et il ne tint pas à lui qu’il n’aboutît. A une époque beau­coup plus récente, quand vos pères lut­taient contre la domina­tion étran­gère, quand ils pour­sui­vaient, les armes à la main, la reven­di­ca­tion de leurs droits, à com­bien d’émigrés, fugi­tifs de leur patrie, les cités romaines ne prê­tèrent pas un asile assu­ré ! Impossible de les accueillir plus libé­ra­le­ment que ne fit Pie VII : non content d’ordonner que la fron­tière de ses États leur res­tât ouverte, il mit à leur ser­vice toute la mesure de secours et de res­sources qui lui était permise.

Nous n’a­vons d’autre motif d’évoquer ici ces sou­ve­nirs que de mettre en relief le vrai carac­tère et les vraies visées du Ponti­ficat romain. Les pré­ju­gés, que de regret­tables conjonc­tures ont eu autre­fois le triste pou­voir d’enraciner dans les esprits, pour­quoi donc, avec le secours de Dieu, ne céderaient-​ils pas insen­si­ble­ment devant la véri­té ? Quiconque regar­de­ra les choses équi­ta­ble­ment et d’un œil serein com­pren­dra sans peine que les nations d’Orient n’ont rien à appré­hen­der d’une ré­conciliation avec l’Église romaine ; que la Grèce, en par­ti­cu­lier, loin d’y perdre ni de sa digni­té, ni de son nom, ni de ses titres de gloire, y pui­se­rait plu­tôt un regain de force et un nou­veau lustre. Qu’a-​t-​il man­qué à la pros­pé­ri­té publique pen­dant la période constan­ti­nienne ? Qu’ont lais­sé à dési­rer les temps d’Athanase et de Chrysostome ? Temps heu­reux où le pou­voir du Pontife romain était sacré à tous, où l’Orient aus­si bien que l’Occident, unis dans les mêmes sen­ti­ments et la même pro­fession, lui obéis­saient comme au légi­time suc­ces­seur de saint Pierre, el, consé­quence néces­saire, comme au chef sou­ve­rain et au légis­la­teur suprême de la chrétienté.

En atten­dant, et c’est tout ce que Nous pou­vons et devons faire. Nous conti­nue­rons de recom­man­der votre nation au com­mun Sauveur des hommes, Jésus-​Christ, et non vai­ne­ment, Nous en avons la confiance, grâce à l’in­ter­ces­sion de la Vierge Mère de Dieu, que les Grecs honorent d’un culte par­ti­cu­lier et qu’ils ont cou­tume d’invoquer sous ce nom si gra­cieux et si vrai de Toute Sainte.

Gomme gage des faveurs divines et en témoi­gnage de Notre bien­veillance, Vénérables Frères, Nous vous accor­dons très affec­tueu­se­ment, ain­si qu’à votre cler­gé et à votre peuple, la béné­dic­tion dans le Seigneur.

Donné à Rome, près de Saint Pierre, le 20 novembre de l’année 1901, de Notre Pontificat la vingt-quatrième.

LÉON XIII, PAPE.

Source : Lettres apos­to­liques de S. S. Léon XIII, tome 7, La Bonne Presse.