A nos vénérables frères de l’Église Latine en Grèce
Léon XIII, Pape
Vénérables frères,
Salut et Bénédiction apostolique
La Grèce, phare de la civilisation antique et mère de tous les arts, après tant de revers et de si étranges vicissitudes de la fortune, n’a point vieilli dans la mémoire et l’admiration des hommes ; il n’est, au contraire, homme si inculte que n’émeuve le souvenir de sa grandeur et de ses gloires. En Notre âme, certes, la race grecque trouve ce souvenir mêlé d’admiration, mais aussi une affection véritable, déjà ancienne. Dès l’adolescence, Nous avons appris à admirer les lettres ioniennes et attiques, et surtout cette recherche du vrai, où les princes de vos philosophes allèrent si loin, qu’il ne semble pas que l’esprit humain eût pu, avec ses seules lumières, s’y porter plus avant. L’estime où Nous tenons la philosophie grecque ressort assez de Notre zèle et de la multiplicité de Nos efforts pour restaurer et mettre en honneur, du haut de cette chaire pontificale, la philosophie du Docteur angélique. Car, et ce n’est que justice, il revient bonne part de la gloire des hommes doctes aux maîtres qui guidèrent leurs pas vers la science : aussi conviendra-t-on que ç’a été du même coup honorer votre Aristote, que de glorifier, comme Nous l’avons fait, saint Thomas d’Aquin, entre les plus grands de ses disciples, on peut le dire sans témérité, le plus illustre. – Que si Nous venons à parler des choses chrétiennes, les formes que le culte a revêtues en Grèce n’ont jamais fait que Nous agréer : dans ces cérémonies et ces rites religieux, que la Grèce conserve jalousement comme un héritage des ancêtres, Nous avons toujours aimé à vénérer un reflet des coutumes antiques et une heureuse alliance de variété et de grandeur. Et parce qu’il est juste et expédient que ces rites soient inviolablement et intégralement maintenus, à cet effet, Nous avons ramené à son institution et à sa forme primitives le collège urbain des séminaristes de rite grec, placé sous le vocable du grand Athanase. Dans le même esprit, autant de Pères et de Docteurs que la Grèce en a produits, et combien Dieu lui en a fait produire, et de grands ! ont toujours eu de Notre part une vénération méritée, qui n’a cessé, n’en doutez pas, de croître avec l’âge. Pourquoi Nous a‑t-il plu, à peine élevé, on peut dire, au Pontificat, de placer Cyrille et Méthode dans une plus vive lumière et à un plus haut faîte ? Nous avons voulu, guidé par Notre piété, que plus de clarté sur leurs vertus et leurs bienfaits rayonnât d’Orient en Occident, et que des hommes qui avaient si bien mérité de tout le nom catholique reçussent de la catholicité entière un culte plus auguste. – Et ne pensez pas que le souvenir Nous soit moins agréable de ceux, entre Nos prédécesseurs, qui furent de votre pays et de votre race. Au contraire, Nous Nous sentons merveilleusement incliné vers eux, et il n’est pas rare que Nous Nous redisions avec quelle sagesse ils ont soutenu et développé l’Eglise, en des temps où, parmi des traverses sans nombre, sa route était si âpre ; avec quel courage la plupart d’entre eux, tels que Anaclet, Télesphore, Hygin, couronnèrent la gloire de leurs travaux par celle du martyre ! Quoique, il faut bien le confesser, il ne Nous arrive guère de Nous remémorer ces Pontifes d’origine grecque, sans que Notre cœur ne soupire, attristé et plein de désir, après une chose bien précieuse, qui périt misérablement par les faiblesses d’un autre âge : Nous voulons dire cette union qui embrassait, sans ombre de dissidence, Grecs et Latins, alors qu’on allait dans la patrie de Socrate et de Platon chercher des hommes pour le Pontificat. L’on eût gardé une participation commune à de grands et de nombreux bienfaits, si l’on eût gardé la concorde.
Quoi qu’il en soit, il ne faut pas se laisser abattre par le souvenir du passé, mais s’exciter à une salutaire vigilance et à de fructueux labeurs. Vous, vénérables frères, continuez de remplir votre charge, comme vous le faites, avec une sainte industrie : que par votre œuvre, quiconque obéit à votre juridiction ait un sentiment chaque jour plus intime de ce que la profession catholique exige de lui, et apprenne de votre exemple à unir avec l’affection due à la patrie l’amour et le zèle pour notre foi sainte. Quant à Nous, Nous mettrons à défendre, à soutenir, à affermir chez vous les intérêts catholiques toute l’activité et tout le zèle dont Nous sommes capable. Dans ces sentiments et sous cette inspiration, convaincus que les mœurs, la civilisation et le nom catholique lui-même, n’ont qu’à gagner aux progrès de l’esprit et à la culture des lettres, Nous Nous sommes efforcé de contribuer dans une certaine mesure à la formation intellectuelle de votre jeunesse : témoin ce collège fondé à Athènes, il y a quelques années, où toute facilité est offerte aux jeunes gens catholiques de s’appliquer à l’étude des lettres, et surtout de s’initier à cette langue, qui, maniée par Homère et Démosthène, en a reçu tant d’éclat. Et voici que vos Lettres collectives du 9 septembre suggèrent l’établissement d’une institution analogue en faveur des jeunes clercs. Nous adoptons vos vues : Nous estimons, en effet, très utile et très opportun que cette école littéraire d’Athènes, dont nous avons parlé, accueille aussi des étudiants catholiques, avec le but de s’y livrer à l’étude des hautes humanités, et sous la loi de n’aborder ni théologie ni philosophie, qu’ils ne se soient auparavant profondément pénétrés de la langue et de la littérature de leur pays, dans sa capitale même. De là dériveront, on n’en peut douter, et plus de lustre à leur profession et plus d’efficacité à leur ministère. Nous avons donc embrassé volontiers le projet, présenté par vous, d’établir dans l’édifice même du collège susdit, un Séminaire pour les jeunes clercs de rite latin et de race grecque, sans en exclure d’ailleurs les autres Orientaux parlant le grec. Nous Nous réservons de tracer dans des Lettres spéciales toute 1’organisation et toute l’économie de cet Institut.
Au surplus, si vous regardez quelque peu en arrière, vous trouverez les mêmes sentiments chez les Pontifes antérieurs ; et vous constaterez qu’il n’est sorte de bons offices qu’ils ne vous aient rendus, dès qu’ils les jugeaient de quelque profit à votre nation et dans les limites de leur pouvoir. L’histoire atteste, par exemple, que dans cette alliance des princes chrétiens que couronnèrent les magnifiques triomphes de Lépante, Pie V avait en vue, non seulement la défense de l’Italie, mais encore la délivrance de toute la Grèce. Tant les intérêts publics et le salut de votre pays étaient à cœur à ce saint Pontife. Ses espérances et ses efforts furent trompés, il est vrai ; mais il avait conçu là un dessein magnanime, respirant la plus ardente charité, et il ne tint pas à lui qu’il n’aboutît. A une époque beaucoup plus récente, quand vos pères luttaient contre la domination étrangère, quand ils poursuivaient, les armes à la main, la revendication de leurs droits, à combien d’émigrés, fugitifs de leur patrie, les cités romaines ne prêtèrent pas un asile assuré ! Impossible de les accueillir plus libéralement que ne fit Pie VII : non content d’ordonner que la frontière de ses États leur restât ouverte, il mit à leur service toute la mesure de secours et de ressources qui lui était permise.
Nous n’avons d’autre motif d’évoquer ici ces souvenirs que de mettre en relief le vrai caractère et les vraies visées du Pontificat romain. Les préjugés, que de regrettables conjonctures ont eu autrefois le triste pouvoir d’enraciner dans les esprits, pourquoi donc, avec le secours de Dieu, ne céderaient-ils pas insensiblement devant la vérité ? Quiconque regardera les choses équitablement et d’un œil serein comprendra sans peine que les nations d’Orient n’ont rien à appréhender d’une réconciliation avec l’Église romaine ; que la Grèce, en particulier, loin d’y perdre ni de sa dignité, ni de son nom, ni de ses titres de gloire, y puiserait plutôt un regain de force et un nouveau lustre. Qu’a-t-il manqué à la prospérité publique pendant la période constantinienne ? Qu’ont laissé à désirer les temps d’Athanase et de Chrysostome ? Temps heureux où le pouvoir du Pontife romain était sacré à tous, où l’Orient aussi bien que l’Occident, unis dans les mêmes sentiments et la même profession, lui obéissaient comme au légitime successeur de saint Pierre, el, conséquence nécessaire, comme au chef souverain et au législateur suprême de la chrétienté.
En attendant, et c’est tout ce que Nous pouvons et devons faire. Nous continuerons de recommander votre nation au commun Sauveur des hommes, Jésus-Christ, et non vainement, Nous en avons la confiance, grâce à l’intercession de la Vierge Mère de Dieu, que les Grecs honorent d’un culte particulier et qu’ils ont coutume d’invoquer sous ce nom si gracieux et si vrai de Toute Sainte.
Gomme gage des faveurs divines et en témoignage de Notre bienveillance, Vénérables Frères, Nous vous accordons très affectueusement, ainsi qu’à votre clergé et à votre peuple, la bénédiction dans le Seigneur.
Donné à Rome, près de Saint Pierre, le 20 novembre de l’année 1901, de Notre Pontificat la vingt-quatrième.
LÉON XIII, PAPE.
Source : Lettres apostoliques de S. S. Léon XIII, tome 7, La Bonne Presse.