Une des grandes preuves de la divinité de l’Eglise est qu’elle ne peut pas mourir. C’est la seule société humaine qui survit aux fautes de ses membres. Les dynasties, les royaumes disparaissent, les états sont démembrés, les peuples entiers parfois sont déracinés ou disparaissent dans un génocide effrayant. Mais malgré les fautes des hommes, l’Eglise renaît sans cesse. Elle est divine vivant de la vie de son Maître, Notre Seigneur Jésus-Christ, Dieu fait homme ! Si en nos temps si troublés, nous aurions tendance à oublier la divinité d’un Dieu qui se cache, Il se plaît au temps qu’il a choisi, à montrer qu’il est toujours le maître, dans la gloire comme dans l’affliction.
Les origines de notre chapelle sont très anciennes. Les Cordeliers furent installés à Bergerac par l’évêque de Périgueux, Mgr Roul de Lastour (1217). Leur premier couvent fut installé un peu plus bas que les restes de l’actuel, plus proches des rives de la Dordogne. Mais des premières fondations des couvents mendiants de la ville, il ne reste rien. Des attaques des réformés dès 1544, envahissant le couvent, brisant les croix et dérobant les objets du culte jusqu’à l’adoption massive de la réforme par les groupes dominants de la ville en 1562, faisant de Bergerac une place protestante, conduisirent à leur abandon. Leurs restes servirent de carrière de pierre tant pour les particuliers que pour la ville qui les utilisa à la réparation des remparts. L’église des Cordeliers fut détruite par les protestants en 1553.
Au retour de la paix, ils se réinstallèrent progressivement. Après la reprise de la ville par les catholiques en 1621, le roi ordonna la destruction des murailles (on voit, en 1630, le prieur des Carmes intervenir dans la procédure d’adjudication des murailles). Il est donc probable que certaines pierres servirent à la réédification des nouveaux bâtiments par un retour souriant de la Providence.
En 1651, les Cordeliers commencèrent par « reconstruire une petite maison proche de leur chais qui est au devant de la porte de Clayrac », un peu plus haut que l’ancien couvent, à l’adresse actuelle au nº2 de la rue Clairat.
Il faudra attendre la paix apportée par la fin des troubles de la Fronde pour que, pendant les années 1660–1680, période d’intense activité de reconstruction religieuse, la nouvelle église des Cordeliers voie le jour. Elle fut consacrée en 1682 par Mgr Le Boux, Evêque de Périgueux, sous le titre Saint-Jean-l’Evangéliste.
Après l’interdiction des ordres religieux et la vente de leurs biens, en 1791, l’église des Cordeliers fut conservée pour servir de succursale à la paroisse (comme celle des Jacobins), tandis que les autres biens, le corps de maison, le cloître, deux jardins, une maison, un chai et une maison de jardinier, seront vendus le 8 juin 1791 à un Bergeracois, M. Dussumier aîné.
Au milieu du XIXème, l’Evêque de Périgueux, souhaitant l’aide des sœurs contemplatives pour achever la conversion de la ville, appela une fondation carmélitaine. Devant les difficultés innombrables se dressant contre ce projet, les sœurs firent vœux de placer le Carmel sous le vocable du Sacré Cœur pendant que de son côté l’évêque faisait la même promesse à saint Joseph. Tous les obstacles disparurent comme par enchantement, et tous, même les plus opposés, devinrent les plus empressés à seconder cette installation.
Les sœurs, venues du couvent de Montpellier, arrivèrent à Bergerac le vendredi 16 avril 1858, elles furent reçues chez les sœurs du saint Sauveur par la supérieure, Mère Emmanuel.
Le dimanche 18 avril 1858, depuis l’église paroissiale, elles furent conduites en procession derrière le Saint Sacrement porté par les mains du Vicaire général M. de Saint Exupéry, accompagnées par une foule immense, emmenée par les magistrats de la ville, pour leur installation provisoire rue Clairat, au couvent des Cordeliers. Elles y passeront trois ans pendant la construction de leur monastère, rue Valette, qu’elles gagneront en voiture fermée pour y chanter les 1ères Vêpres de saint Joseph le 18 mars 1861 !
En 1885, la propriété fut achetée en liquidation judiciaire à un brasseur de Périgueux (M. Gisell). Depuis cette époque jusqu’à notre achat le 25 février 2003, elle fut, sans discontinuité, un hôtel-restaurant établi dans la maison conventuelle, la chapelle servant d’écurie (on peut toujours voir à l’extérieur les anneaux métalliques servant à attacher les chevaux).
En 2003, la Providence nous a fait ce cadeau magnifique. Alors qu’au cœurs des remplacements des années précédentes tous les prêtres desservant notre petite chapelle Sainte-Jehanne-d’Arc, très franciscaine d’esprit et de confort, jetaient un œil plein d’une espérance, surnaturelle seulement,. n’osant concrétiser la chose, voici qu’à peine le prieuré est-il rouvert, que dans la première semaine nous apprenons incidemment que la propriétaire désirerait vendre alors qu’elle n’a pas encore fait de démarche publique. Notre premier contact aura lieu le jour de la fête des stigmates de Saint François : nous ignorions alors tout de l’histoire de la chapelle, son appartenance à l’ordre franciscain. Mais ce n’est encore qu’un début.
Contre toute attente, notre Supérieur, libéré de façon imprévisible de ses obligation, pourra venir visiter « notre chapelle » le jour de la fête de Notre Dame de la Merci, et lançant ainsi, sous la protection de Notre Dame pour le rachat des captifs, le processus de « libération » de cette chapelle… Mgr Fellay donnera son aval le jour de la fête de Notre Dame de la Médaille Miraculeuse.
Le 27 décembre, fête de Saint Jean, notre notaire nous téléphone l’autorisation officielle pour signer le compromis de vente le 7 janvier. Ce même notaire, ayant obtenu le chèque de banque et la procuration en moins de 24 heures – ayant réussi à convaincre nos supérieurs de l’urgence – se verra bloquée à l’aéroport par une panne de l’avion ! Elle devra attendre plus d’une heure et changer d’appareil ! Mais nous signerons l’acte authentique, en dépit de tous les obstacles, le 25 février après l’heure habituelle de fermeture de l’office du notaire. Après plus d’un siècle d’oubli, la fille de Sion retourne à son Dieu…mais dans quel état !
Quand les démolisseurs auront emporté les restes de l’hôtel bâti à l’intérieur de la nef, il ne restera dans ce grand corps déshabité que les murs, nus, aux fenêtres aveugles pour la moitié d’entre elles, sans vitraux, sans portes, sans autel…
Mais déjà l’on se plaît à rêver au vitrail qui attend son retour au-dessus du Maître autel à venir, du retable du XVIIº siècle qui a enseigné tant de générations après le concile de Trente leur présentant, en images vivantes les mystères touchants de la miséricorde et les voies mystérieuses de la Rédemption. D’une chaire d’où les Franciscains reconquirent les cœurs des Bergeracois à la religion de leurs pères par leur prédication, des fonts baptismaux où les petits enfants retrouveront la vraie vie, celle qui s’épanouit dans l’éternité. Des portes, grandes et fortes, par lesquelles on entre dans l’Eglise, seule arche du salut, ouvrant leurs battants aux curieux, aux catholiques désabusés, qui déjà ralentissent souvent le pas à la hauteur de notre maison : « Tiens, une chapelle ? Messe, à quelle heure ? ». Ils cherchent, au moins du regard, la porte qui pour l’instant attend d’exister pour pouvoir s’ouvrir sur une Eglise vivant de la vie de grâce dont elle est une vivante image. Ce que la Providence nous a offert, avec tant de petits signes de sa présence, ne demande plus qu’à s’achever.
Mais si la Sainte Providence n’est pas du monde, elle use quand même de ceux qui sont dans le monde. Aider à la restauration d’une église en pleine ville, ce n’est pas seulement restaurer quelques pierres, vestiges d’un passé révolu, mais beaucoup plus que cela, c’est redonner vie à l’Eglise. La Sainte Eglise, qui distribue la vie de son Seigneur née de son sacrifice, sans cesse renouvelé sur l’Autel et déployée largement par tous les sacrements. Ces sacrements donnés, tous normalement, dans ce vaisseau de pierre, image vivante de la Jérusalem du Ciel, organisée autour de l’Agneau Immolé et pourtant vivant. C’est rendre à l’Eglise son instrument normal par lequel elle répand la vie au cœur des hommes, l’église visible où l’Eglise est rendue visible. Les murmures et les réflexions qui montent de la rue si souvent jusqu’à notre bureau n’attendent plus que l’ouverture des portes pour entrer et retrouver l’Eglise éternelle.
Par François de Champeaux