M. le Vicaire épiscopal,
Mes bien chers confrères dans le sacerdoce,
Mes bien chers frères,
ous voici réunis par monsieur l’abbé Delpech. Sûrement, il aurait été surpris de nous voir tous ici…Aussi je tiens spécialement à remercier son Excellence Monseigneur POULAIN pour la facilité qu’il nous a offerte si généreusement aujourd’hui., monsieur l’abbé FAYOLLE-FRICOUT qui le représente et l’abbé BAUDY, qui avec beaucoup de gentillesse et de simplicité, nous ouvre les portes de son église avec toutes ses facilités.
Notre abbé Delpech était si discret et effacé pour tout ce qui le concernait lui-même qu’il pensait passer discrètement jusqu’à sa dernière demeure.
Mais votre assistance si nombreuse, beaucoup trop pour notre petite chapelle, nous a valu cette attention de Monseigneur.
Monsieur le curé Delpech malgré sa grande discrétion pour tout ce qui le concernait personnellement n’était pas un personnage falot. Le premier trait qui s’imposait lorsqu’on le rencontrait était la vertu de force.
Vous l’avez connu pour beaucoup d’entre vous bien mieux que moi. Malgré la maladie, malgré le grand âge et les infirmités, qui le retenaient depuis longtemps dans sa chambre et là même au fauteuil qu’il ne quittait qu’avec difficulté pour raccompagner ses visiteurs avec un bon sourire, le contraste était saisissant entre ce pauvre corps, qui semblait n’obéir qu’à regret comme une vieille locomotive qui s’époumone en arrivant au sommet du col, et la force de ce visage si déterminé !
Au premier contact, certainement, il devait intimider son interlocuteur. Monsieur l’abbé n’avait pas été professeur en vain. Après son ordination, il avait été nommé au petit séminaire de Bergerac où il enseignait la philosophie plusieurs années. Il y avait sûrement appris, là, la force des principes et cette rigueur et cette clarté d’exposition qui frappaient ses paroissiens.
Il savait exprimer avec des mots simples, compréhensibles par tous, ces vérités très hautes de notre sainte religion ou ces questions délicates touchant à la crise du monde ou de l’Eglise. Ce don particulier lui attirait même l’assistance de quelques personnes intéressées par ses conférences et qui pourtant ne venaient pas à la messe, mais étaient captivées par ses exposés, par la grâce de ses paroles.
Aussi cette profonde maîtrise de lui-même qui ne laissait que bien peu, ou pas, paraître de ses émotions, de ses impressions sur son visage, d’où venait-elle ?
Le saint Pape, Pie X, dans une lettre à l’évêque d’Orléans en 1908 nous révèle ce secret, si loin de notre monde actuel. : la raison de cet abaissement si général des caractères, c’est le manque de conviction, dit-il. La volonté est une faculté aveugle si elle n’est pas éclairée par une intelligence droite, elle marche comme à tâtons dans le noir. C’est pourquoi nos contemporains sont si hésitants, si instables, si pusillanimes. Il leur manque ces convictions fortes. Et où les trouver si ce n’est dans la Foi ? Immuable, parce que révélée par Dieu. Qui argumentera contre Dieu ? La philosophie elle-même est protégée de l’erreur par la révélation, comme du dehors ou d’en Haut.
Et monsieur l’abbé Delpech fut vraiment cet homme de foi aux convictions profondes. Il avait compris la nécessité, rappelée par le Saint Pape, de conformer toute sa vie aux principes de la Foi. C’est ce radicalisme tout divin qui a fait de lui cet homme exceptionnel. Cette force lui venait de la lumière, de la foi qui fait entrer par l’esprit dans l’immutabilité de Dieu.
Cela ne s’est pas fait en un clin d’œil. Tourmenté par la crise terrible que traversait l’Eglise, il a cherché la vérité pendant plusieurs années. Par le concours de plusieurs circonstances providentielles, il est allé faire une retraite où il a rencontré Mgr Lefebvre qui partait juste au moment où lui arrivait. Ils ont discuté toute une après-midi. Au terme de cette semaine de réflexion, seul en face de Dieu, le curé d’Issigeac a repris sa soutane et la messe de son ordination. Tous ses paroissiens se souviendront de sa déclaration à son retour. C’était tout lui : « jamais plus je ne dirai cette messe que les protestants accepteraient de dire ! ».
Il n’y avait là nul fanatisme, nulle dureté, ni intransigeance. Jamais je ne l’ai entendu accuser qui que ce soit, jamais il ne s’est battu contre quelqu’un, mais son esprit, épris d’absolu, cherchait de toutes ses forces cette unité intérieure que la vérité donne à celui qui se soumet à toutes ses exigences. Il ne se contentait pas de connaître, mais il aimait la vérité, et c’est cette recherche qui fit de lui le juste que décrit saint Albert : le juste qui professe de bouche la vérité qu’il a reçu dans son esprit et qui, ensuite, conforme ses actes à ce qu’il dit. C’est ainsi que la vérité vous rendra libre, libre de cet esclavage des passions qui agitent l’âme en tout sens.
C’était la raison de cette sérénité un peu hiératique de son visage, à cause de l’habitude de l’enseignement, qui n’avait rien de la dureté, mais beaucoup de la vertu.
Dans cette chambre, qui était tout son univers sur la fin de sa vie, il n’y avait que des livres, rien de ces petites douceurs, petites faiblesses aimables qu’on pourrait trouver chez un vieux célibataire. Jamais on ne l’entendait se plaindre ou parler de lui-même. Et s’il répondait aux questions sur sa santé, il fuyait très vite le sujet : sa personne semblait s’effacer derrière ses convictions. S’il avait été ce caractère dur et intransigeant, comment aurait-il pu monter et conserver ces grandes chorales qui furent certainement une de ses consolations de prêtre. Malgré ses exigences, ses paroissiens venaient avec plaisir, tous, les jeunes et les moins jeunes. Ils savaient, à l’inclination de son béret, qu’elle était son humeur, mais cela ne leur faisait pas peur.
Monsieur l’abbé Ollivier, qui fut son vicaire à Saint-Jacques, ramassait les troupes dans Bergerac avec sa 2CV, troupes qui ont ainsi monté jusqu’à une cinquantaine de personnes. Que de zèle pour un tyran ! Son sacristain aussi, qui forcément le côtoie de prés et dans les moments de presse parfois, était tout ému à la nouvelle du rappel à Dieu de son ancien curé. Il s’est donné bien du mal pour rechercher et enfin trouver son curé d’il y a trente ans, pour le revoir une dernière fois, faire une prière aux pieds de sa dépouille.
Malgré cette vie de Foi qui semblait l’absorber, nos conversations tournaient toujours autour de cette tourmente de l’Eglise, de son mécanisme et elles se finissaient très souvent sur cette considération de la miséricorde de Dieu, sur ces moyens extraordinaires que le Seigneur a laissés entre les mains de ses prêtres, la sainte Messe et la confession. La puissance de l’Eglise est là, disait-il, et bien des jeunes prêtres ne le savent plus. Pourtant quel pouvoir étendu ont-ils là :! Quel trésor le Bon Dieu leur a confié !
C’était un homme de Foi. De Foi profonde aux conséquences pratiques. C’est elle qui donnait à son regard cette force extraordinaire quand il était porté par son sujet et qui allait jusqu’à sembler traverser son interlocuteur, une bonté qui n’avait rien de sentimental mais toute la Force du juste qui possède son âme : pour donner il faut se posséder. La charité n’est pas une émotion, c’est une vertu qui demande à être forte comme celle de Dieu. D’une force qui rend délicat et attentif. Il y a quelques mois, on lui avait caché, pour ne pas l’inquiéter une intervention que subissait sa fidèle gouvernante. En l’apprenant quelques jours plus tard, il n’eut pas un mot de reproche mais il ne put empêcher quelques larmes sur son visage pourtant impassible. Si l’Abbé était secret à propos de lui-même, il n’en était pas moins humain. La vertu de force rend bon comme Dieu quand elle est une vraie vertu.
Prions donc la Très Sainte Vierge, notre Mère du ciel et mère du prêtre spécialement qu’elle accorde son secours tant maternel à celui qui pendant si longtemps fut votre père dans l’ordre de la grâce. Nous avons là une dette non seulement en charité mais aussi en stricte justice afin qu’au plus vite il puisse intercéder pour nous de tout en haut, nous aidant à comprendre les exigences si spéciales de la Foi en ces temps troublés, où le redoublement de violence des ennemis de Dieu vient surtout de la faiblesse des bons…
Ainsi soit-il !
Abbé François de Champeaux †
Prieur du Périgord