Pour une vision catholique de l’écologie

Saint François d'Assise et la nature

Mercredi 12 février a été publiée par le Vatican l’exhortation post-​synodale du pape François. Le thème de l’écologie y est pré­pon­dé­rant. Que les hommes poli­tiques parlent sou­vent de l’écologie et prennent des déci­sions pour pro­té­ger l’environnement, pour­quoi pas ? Mais que les auto­ri­tés ecclé­sias­tiques en fassent la prio­ri­té de leur gou­ver­ne­ment et le sujet de pré­di­lec­tion de leur ensei­gne­ment solen­nel, voi­là qui est plus éton­nant. Quelle doit être l’attitude du catho­lique face à la pol­lu­tion et aux dan­gers que court notre pla­nète ? Un catho­lique doit-​il être écologiste ?

L’amour et le respect de la nature

La sainte Eglise nous enseigne à res­pec­ter la nature qui est l’œuvre de Dieu. Tout ce que Dieu a fait est bon, dit l’Ecriture. Mépriser la nature, c’est un peu mépri­ser l’Auteur de la nature. Ce devoir du chré­tien à l’égard de la nature a été mani­fes­té de façon écla­tante chez saint François d’Assise qui voyait dans la nature l’œuvre de Dieu. La créa­ture lui ser­vait à com­prendre le Créateur. Par exemple, lorsqu’il sen­tait la soli­di­té inébran­lable et la puis­sance des rochers, il recon­nais­sait du même coup com­bien Dieu est fort et quel appui il nous offre. L’aspect d’une fleur dans la frai­cheur mati­nale lui révé­lait la pure­té et la beau­té de Dieu. Les petits becs ouverts, avec une confiance ingé­nue, dans un nid d’oiseaux, lui fai­saient com­prendre la ten­dresse infi­nie du cœur de Jésus.

Saint François d’Assise vou­lait aus­si que toute la nature s’unisse à son action de grâce envers Dieu. A Assise, par­mi les oli­viers de la por­tion­cule, « il faut que tu chantes les louanges de Dieu, ma sœur la cigale ! » s’écriait-il, et immé­dia­te­ment sa sœur la cigale se met­tait à chan­ter, jusqu’à ce qu’il lui ordon­nât de se taire.

Saint François d’Assise voyait aus­si dans les créa­tures des sym­boles des réa­li­tés divines. Par exemple, il aimait l’eau qui lui rap­pe­lait le sacre­ment de bap­tême et la puri­fi­ca­tion de l’âme. C’est pour­quoi, quand il se lavait les mains, il choi­sis­sait un endroit où les gouttes d’eau tom­bant de ses mains ne puissent pas être fou­lées aux pieds. Sur les rochers, il met­tait le pied avec pré­cau­tion, parce qu’il pen­sait à cette pierre sym­bo­lique que l’on nomme la pierre angu­laire, sym­bole de Jésus Christ. Lorsqu’un frère abat­tait du bois dans la forêt, il le priait de conser­ver une par­tie de chaque arbre, afin de gar­der l’espérance que cet arbre rever­di­rait, en sou­ve­nir de la croix du Golgotha.

A la fin de sa vie, le pauvre d’Assise com­po­sa le can­tique des créa­tures, appe­lé aus­si can­tique du soleil, qui nous rap­pelle le can­tique des trois enfants dans la four­naise. Dans l’Ancien tes­ta­ment, il est rap­por­té que trois enfants du peuple hébreux refu­sèrent d’adorer une idole. Ils furent aus­si­tôt jetés dans une four­naise ardente, mais, par une pro­tec­tion divine mira­cu­leuse, n’en reçurent aucun mal. Alors, au milieu de la four­naise, ils chan­tèrent un can­tique d’action de grâce : « Louez le Seigneur, toutes les eaux qui cou­lez, louez le Seigneur, soleil et lune, étoiles du ciel. Louez le Seigneur, pluie et rosée, feu et cha­leur, oiseaux du ciel, ani­maux des champs, etc. »

Dans le même esprit, saint François d’Assise com­po­sa ce chant : « Loué sois-​tu, Seigneur, avec toutes tes créa­tures, et tout par­ti­cu­liè­re­ment notre frère le soleil, qui nous donne le jour et par qui tu nous éclaires, et qui est beau et rayon­nant, et qui, avec sa grande splen­deur, nous porte signi­fi­ca­tion de toi, Très-​haut ! Et loué sois-​tu, Seigneur, pour nos sœurs la lune et les étoiles, que tu as créées au ciel, claires et pré­cieuses et belles ! Et loué sois-​tu, Seigneur, pour notre frère le vent, et pour notre sœur l’eau, et pour notre frère le feu, etc. »

Saint François avait un regard de foi sur la nature. Son regard mon­tait jusqu’à Dieu dans l’action de grâce. Nous aus­si, quand nous admi­rons la beau­té de la mer, des mon­tagnes, des étoiles ou de la cam­pagne, notre esprit s’élève vers Celui qui les a créées.

C’est donc un devoir pour tout catho­lique d’aimer, de res­pec­ter et de pro­té­ger la nature qui est l’œuvre de Dieu.

Le mépris des choses de la terre

Cependant, et c’est là que nous sommes obli­gés de prendre de la dis­tance par rap­port à l’enseignement des auto­ri­tés moder­nistes, la sainte Eglise a tou­jours ensei­gné que le mépris de la terre était très bon et même néces­saire. Nous prions ain­si dans la messe du Sacré-​Cœur de Jésus : « Apprenez-​nous à mépri­ser les choses de la terre et à aimer les réa­li­tés du ciel ». De même, le jour de la fête de saint Pierre Damien (23 février), nous prions « pour que le mépris des choses de la terre nous fasse obte­nir les joies éternelles ».

Ces orai­sons ont été sup­pri­mées du mis­sel de Paul VI. Pourquoi ? Parce que les moder­nistes refusent de mépri­ser les choses de la terre. Ils ne veulent regar­der que le bon côté des réa­li­tés ter­restres. Leur regard est dés­équi­li­bré, uto­pique, d’un opti­misme qui met de côté la dimen­sion sur­na­tu­relle de notre vie humaine. C’est un regard de païen qui oublie notre des­ti­née véri­table qui est dans l’au-delà ; et qui oublie aus­si com­bien l’homme bles­sé par le péché ori­gi­nel peut être séduit et trom­pé par les sirènes de ce monde.

Saint Paul disait aux Colossiens : « Recherchez les choses qui sont en haut, ayez du goût pour les choses d’en haut, non pour celles qui sont sur la terre ».

Saint Jean de la Croix, dans son livre La mon­tée du Carmel, explique bien com­ment la foi sur­na­tu­relle nous fait consi­dé­rer le monde : « Tout ce qui existe sur la terre et dans le ciel, dit le doc­teur de l’Eglise, est du pur néant, si on le com­pare à Dieu. Les astres, com­pa­rés à Dieu, sont de pures ténèbres. Ainsi toutes les créa­tures, envi­sa­gées à ce point de vue, ne sont que néant, et l’amour qui nous y attache est pour ain­si dire moins encore, puisqu’il est empê­che­ment et pri­va­tion de la trans­for­ma­tion en Dieu ».

Ces paroles sont un écho de l’Ecclésiaste : « Vanité des vani­tés, tout est vani­té ». Effectivement, les biens de la terre sont cor­rup­tibles, pré­caires, éphé­mères, fugi­tifs, insuf­fi­sants, vains, déri­soires, trompeurs.

Comment concilier ces deux obligations en apparence contradictoires ?

D’un côté, les biens ter­restres sont aimables et res­pec­tables. De l’autre, ils ne sont que néant et obs­tacles à notre salut. Les choses de la terre sont-​elles donc en même temps mépri­sables et non mépri­sables ? Comment sor­tir de la contra­dic­tion ? Grâce à un don du St Esprit. Le don de science nous fait juger cor­rec­te­ment des créa­tures. Il donne une juste éva­lua­tion des choses créées. Voyant dans ces réa­li­tés ter­restres une occa­sion de péché, l’homme est rem­pli de tris­tesse, de larmes. C’est pour­quoi, d’après saint Augustin, la béa­ti­tude des larmes répond au don de science : heu­reux ceux qui pleurent, car ils seront conso­lés. Ce don obtient comme récom­pense la joie spi­ri­tuelle déjà en cette vie, mais sur­tout dans la vie éternelle.

Ce don de science explique les larmes de sainte Marie-​Madeleine lorsqu’elle s’est ren­du compte de la gra­vi­té de ses fautes. Ce don explique aus­si les larmes de saint Pierre après son triple renie­ment. Ces deux saints ont pleu­ré leur atta­che­ment déré­glé aux biens de la terre qui leur a fait négli­ger leur devoir.

Pleurer et s’attrister devant la vani­té des choses ter­restres, et devant l’affection exces­sive dont nous étions rem­plis, c’est le signe que nous avons un juge­ment lucide sur les créatures.

Les insen­sés au contraire voient dans les créa­tures le but de la vie. Ils mettent toute leur espé­rance dans la vie ter­restre. Ils dépensent toute leur éner­gie pour amé­lio­rer la vie des hommes ici-​bas et se moquent de l’au-delà. C’est de la folie !

Nous voyons bien que la nature et la terre peuvent nous détour­ner de Dieu, si nous les consi­dé­rons sans la foi, avec un regard de païen. Le prin­ci­pal dan­ger consiste à accor­der plus d’importance à la matière qu’à l’esprit, au corps qu’à l’âme, à ce qui est cor­rup­tible qu’à ce qui est éter­nel. Par exemple, tel éco­lo­giste mili­tant tra­vaille béné­vo­le­ment pour pro­té­ger cer­tains oiseaux en voie de dis­pa­ri­tion, ce qui est louable. Mais dans le même temps, il est pour l’avortement : pour lui, les petits oiseaux ont plus de valeur que les êtres humains. Tel autre éco­lo­giste œuvre avec zèle pour réduire l’émission de dioxyde de car­bone, ce qui est louable. A cette fin, il n’envoie pas ses enfants au caté­chisme et ne les emmène pas à la messe le dimanche, afin de limi­ter ses dépla­ce­ments en voi­ture. Pour lui, la qua­li­té de l’air est plus impor­tante que l’âme immor­telle de ses enfants !

Les choses de la terre sont donc mépri­sables en tant qu’elles peuvent nous détour­ner de Dieu, et en tant que leur valeur objec­tive est déri­soire par rap­port à l’éternité ; et ces choses sont aimables et res­pec­tables en tant qu’elles viennent de Dieu et qu’elles doivent nous conduire à Dieu.

En conclu­sion, si l’écologie consiste à res­pec­ter la nature et ses lois, alors tout catho­lique doit être éco­lo­giste. Mais si l’écologie consiste, et c’est son sens actuel, à accor­der plus d’importance à notre pla­nète qu’à la vie éter­nelle, alors nous la refu­sons. Le sou­ci de l’environnement, chez un chré­tien, ne peut pas être prio­ri­taire. Écoutons Notre Seigneur : « Ne vous inquié­tez pas en disant : que mangerons-​nous, ou que boirons-​nous, ou de quoi nous vêtirons-​nous. De tout cela les païens se pré­oc­cupent, mais votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez donc pre­miè­re­ment le royaume de Dieu et sa jus­tice, et tout le reste vous sera don­né par surcroît ».

Abbé Bernard de Lacoste

Sources : La Porte Latine du 19 février 2020

FSSPX

M. l’ab­bé Bernard de Lacoste est direc­teur du Séminaire International Saint Pie X d’Écône (Suisse). Il est éga­le­ment le direc­teur du Courrier de Rome.