On entend dire que le vaccin contre la rubéole est fabriqué à partir de fœtus avortés. Dans ces conditions, comment pourrait-il être moral d’en bénéficier ? N’est-il pas préférable de tomber malade, couvert de boutons, plutôt que de coopérer à cette horreur ?
1. Aspect médical
Rappelons d’abord que la rubéole n’est pas, en elle-même, une maladie grave. Cependant, si une femme enceinte attrape cette maladie, le fœtus risque de graves préjudices, comme la surdité, la cécité, des problèmes cardiaques ou un retard mental. D’où l’intérêt du vaccin contre la rubéole.
Comment ce vaccin est-il fabriqué ? Jusque dans les années 1960, le virus atténué qui constituait ce vaccin était cultivé sur des cellules de reins de singes ou d’autres animaux, ce qui posait de multiples difficultés. Entre 1961 et 1964, le microbiologiste américain Leonard Hayflick met au point une nouvelle lignée de cellules diploïdes, appelée WI-38. Cette lignée est préparée à partir de cellules pulmonaires d’un fœtus humain de sexe féminin provenant d’un avortement effectué dans un hôpital suédois. Ce fœtus a été avorté parce que ses parents estimaient avoir trop d’enfants. Actuellement, le vaccin M‑M-RVAXPRO (Sanofi Pasteur MSD), par exemple, est encore cultivé sur les cellules WI-38. Il contient trois vaccins : contre la rougeole, les oreillons et la rubéole. Seul ce dernier est cultivé sur les cellules WI-38. Une autre lignée de cellules diploïdes a été mise au point à la même époque. Ces cellules, appelées MRC‑5, proviennent elles aussi d’un fœtus avorté, et permettent aussi de fabriquer un vaccin contre la rubéole. En 2020, en Europe et aux Etats-Unis, tous les vaccins contre la rubéole sont cultivés sur les cellules WI-38 ou MRC‑5.
Il est donc faux de dire que le vaccin contre la rubéole contient du matériau provenant de fœtus avortés. Il est de même erroné de croire que la fabrication de ce vaccin nécessite de recourir à de nombreux avortements. En effet, l’avortement réalisé une unique fois dans le passé est suffisant. Il n’a pas besoin d’être renouvelé, puisque les cellules prélevées se sont multipliées. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que le virus constituant ce vaccin est cultivé sur des cellules embryonnaires humaines provenant d’un fœtus avorté il y a environ 50 ans. Dans ces conditions, est-il moralement acceptable d’en bénéficier ?
2. Aspect moral
Profiter d’un avortement commis dans le passé, n’est-ce pas coopérer au péché d’homicide et même l’encourager ? Pour bien répondre à cette question, il faut d’abord distinguer la coopération formelle et la coopération matérielle. Par la première, l’agent partage l’intention coupable du péché commis. C’est donc toujours un péché. En revanche, si la coopération n’est que matérielle, le coopérateur désapprouve le péché d’autrui. Une telle coopération est parfois permise moralement, à condition qu’elle soit justifiée par une cause proportionnée.
Cette cause proportionnée doit être d’autant plus importante que le péché auquel on coopère est grave, et que la coopération est prochaine. Dans notre cas, le péché auquel on coopère est très grave, puisqu’il s’agit d’un homicide. Mais la coopération n’est pas toujours prochaine.
S’il s’agit de fabriquer ce vaccin ou de le commercialiser, alors la coopération au péché d’avortement est plus proche. Cette pratique est donc souvent immorale. La culpabilité varie néanmoins selon le rôle exercé. Il est beaucoup plus grave, évidemment, de diriger une entreprise pharmaceutique profitant d’un avortement passé, que d’être un simple laborantin exécutant des ordres, ou un simple chauffeur de camion livrant ce vaccin. Dans le premier cas, il faut changer de métier ou faire cesser l’usage des lignées cellulaires en question. Dans les deux autres, la coopération est éloignée et donc acceptable.
S’il s’agit, pour un médecin, de vacciner un patient contre la rubéole, ou pour un patient de se faire vacciner, alors la coopération est éloignée, dans la mesure où ces actes n’encouragent et ne favorisent le péché d’avortement que de façon très lointaine, légère et indirecte. Pour des raisons de santé, de tels actes sont donc permis moralement.
Cependant, si un vaccin contre la rubéole était obtenu à partir d’une souche cultivée sur des cellules non issues d’un avortement, il faudrait bien sûr utiliser ce vaccin plutôt que l’autre. Mais dans la plupart des pays de monde, spécialement aux Etats-Unis et en Europe, à l’heure actuelle, de tels vaccins ne sont pas accessibles. D’autre part, nous ne devons pas nous contenter de ce déplorable état des choses sans rien faire. Les catholiques influents doivent user de tout leur pouvoir pour inciter l’industrie pharmaceutique à développer de nouveaux vaccins sur d’autres supports cellulaires.
Abbé B. de Lacoste
Sources : La Porte Latine du 10 juin 2020