Extrait de Fideliter n° 160 (Juillet-août 2004)
L’engagement des catholiques en politique
Pour un catholique, la question politique est toujours difficile. Il oscille entre le désengagement au nom d’une piété mal comprise et l’enrôlement total sous la bannière d’un parti, au risque de perdre de vue la primauté de la foi catholique.
Civitas : Mgr Lefebvre prônait régulièrement l’engagement des catholiques dans la Cité. Pouvez-vous nous rappeler ce qu’il entendait par là ?
Abbé de Cacqueray : Comme il l’a expliqué dans son livre « Ils l’ont découronné », Monseigneur Lefebvre a assisté à la disparition des derniers États catholiques dans le monde, contraints de s’effacer à la demande de la nouvelle doctrine conciliaire qui affirmait l’indépendance de l’État vis-à-vis de l’Église. Mais de même que notre évêque fondateur de la Fraternité ne s’est jamais résigné à voir s’éteindre les vrais sacrements, il lui a paru impossible de subir comme une fatalité la fin de l’époque de la politique chrétienne. Sa foi puissante le portait à rappeler inlassablement aux hommes leur devoir de reprendre les armes pour un combat bien réel dans la Cité. Son soutien bien connu à la Cité catholique de Jean Ousset illustre son souci de la formation politique des élites. Il encourageait volontiers les initiatives que pouvaient prendre les laïcs dans le domaine politique, mais a été souvent déçu par les déviations qui se produisirent ensuite, faute d’une connaissance suffisante des bons principes. Les paroles les plus mémorables qu’il a prononcées sur cette question sont sans doute celles de son jubilé sacerdotal du 23 septembre 1979, en s’adressant principalement aux chefs de famille :
« Vous n’avez pas le droit de laisser votre pays envahi par le socialisme et le communisme, vous devez militer au moment des élections pour avoir des maires catholiques. »
Comme vous l’entendez bien, ce sont des paroles qui poussent à un militantisme bien concret ! Monseigneur Lefebvre ne considérait pas comme une victoire sans intérêt la conquête d’une modeste mairie.
Permettez-moi d’insister encore un peu. Lui a accompli son grand devoir épiscopal jusqu’au bout, jusqu’aux héroïques consécrations épiscopales du 30 juin 1988. C’est grâce à lui qu’il existe encore aujourd’hui des prêtres vraiment catholiques et que la transmission de la foi se fait encore. En revanche, il faut malheureusement admettre que la formation d’un mouvement politique catholique et français n’a pas abouti. Bien des essais courageux se sont succédé, laissant souvent derrière eux lassitude et déceptions. Or l’appel de Mgr Lefebvre demeure pourtant, et doit être entendu. C’est certainement un premier mérite de Civitas d’avoir vaincu des appréhensions légitimes et de s’être jeté dans ce combat politique.
Civitas : Ce combat pourtant est difficile, car il se heurte à la société civile, tout entière dressée aujourd’hui contre le règne de Notre-Seigneur. Un tel engagement n’est-il pas voué à l’échec ?
Abbé de Cacqueray : Certes, il s’agit d’un combat difficile. Nos ennemis semblent tout-puissants et nos forces bien maigrichonnes. Cependant toute l’Histoire, depuis l’armée de Gédéon jusqu’aux galères de Lépante, n’est-elle pas là pour nous interdire ces découragements faciles, ce fatalisme à l’arrière-goût déjà islamique, qui a à peu près consenti à voir la chrétienté finir de disparaître ? Notre fête nationale de sainte Jeanne d’Arc ne vient-elle pas nous rappeler encore que la sainte détermination d’une simple jeune fille l’a emporté plus encore sur la torpeur d’un peuple résigné que sur les forces ennemies présentes sur notre sol ? Notre espérance jaillit de notre foi. Lorsqu’elle demeure présente dans une âme, elle peut suffire pour que des armées entières reprennent courage. Elle s’appuie sur des motifs surnaturels et se laisse peu impressionner par le nombre des ennemis et les moyens dont ils disposent. Elle procure au contraire la lucidité pour distinguer les faiblesses de leur dispositif et l’intelligence des armes à employer pour combattre. Il ne nous est pas demandé de remporter la victoire, c’est Dieu qui nous la donnera. Ce qui nous revient, c’est de mener la bataille dans tous les domaines et de considérer l’engagement politique comme un devoir pour les laïcs. Si la crainte de l’échec est une tentation, le véritable combat politique mené sous l’étendard du Christ-Roi et selon les principes catholiques triomphera certainement à l’heure de Dieu. Nous nous affaiblissons bien davantage de nos lâchetés que de la force des méchants. En baissant les bras, nous sommes effectivement certains de ne rien obtenir ! Mais en nous efforçant d’agir comme de vrais catholiques, nous contribuons à un combat qui aboutira certainement.
Civitas : Ne vaut-il pas mieux consolider nos positions en consacrant exclusivement nos forces à nos chapelles et nos écoles qui en ont tant besoin ?
Abbé de Cacqueray : Il ne s’agit évidemment pas de soustraire l’homme à ses devoirs, mais d’en déterminer au contraire la liste précise pour qu’il n’en oublie aucun. Ses obligations envers Dieu lui sont rappelées par les prières qui ponctuent ses journées, par le respect du jour de Seigneur et l’assistance à la sainte messe, et par les différentes pratiques marquées par l’Église. La gravité de la situation religieuse actuelle l’amène aisément à comprendre la place qu’il doit tenir. La présence de sa femme et de ses enfants lui redit tous les jours qu’il en est le chef, le protecteur et le modèle, et qu’il dépend de ses vertus, de sa bonté et de son honneur de chrétien de procurer la félicité des siens. Le devoir professionnel ne pourra, lui non plus, être oublié facilement. La conjoncture économique est difficile, le chômage menaçant, les entreprises impitoyables : celui qui ne fait pas l’affaire à cause de son incompétence ou de sa légèreté est rapidement mis dehors ou relégué en des fonctions secondaires. Mais quel rappel l’homme a‑t-il encore aujourd’hui de son devoir dans la Cité ? Est-ce l’apport de son bulletin aux urnes lorsque le jour des élections arrive ? C’est à ce seul geste que l’on veut réduire son devoir de citoyen français. Et lorsqu’il l’a accompli, il est censé repartir déchargé de ses devoirs et peut se désintéresser en toute quiétude de son village, de sa ville, de son pays comme s’il n’avait plus rien à faire. Or, mon village ou ma ville va bien mal, mon pays se meurt ! Il m’appartient donc à moi, en tant que citoyen français, avec les moyens qui sont à ma portée, de ne pas accepter que mes enfants deviennent des ilotes du mondialisme et de combattre, au maximum, la révolution en marche et les barbaries. Et c’est sur ce devoir politique que nous voulons appeler l’attention des fidèles de la Tradition. Ils ne doivent pas le négliger. Ils peuvent obtenir de petites victoires politiques, assez importantes pour susciter de l’espérance, pour donner de l’allant au combat et pour exprimer leur résolution ferme de ne pas se laisser faire.
Civitas : Vous connaissez l’Institut Civitas, le soin qu’il apporte à la formation doctrinale et à l’apprentissage de l’action dans la Cité. Pensez-vous que tous les fidèles de la Tradition sont capables d’agir dans la Cité, y compris dans le domaine politique ? N’est-ce pas une affaire de spécialistes ?
Abbé de Cacqueray : Le mérite de l’Institut Civitas est à mes yeux de n’avoir pas omis d’afficher très clairement sa finalité politique. Il existe donc bien aujourd’hui au moins un institut politique qui se présente ouvertement comme catholique et qui œuvre à la restauration du règne social de Notre Seigneur Jésus-Christ. Les responsables de Civitas sont encore trop peu nombreux pour réaliser tout ce que l’on attend d’eux. La formation de cadres politiques demande un investissement considérable en travaux intellectuels et beaucoup de temps. Civitas a déjà su développer une revue d’excellente tenue, il lui faudrait du renfort pour pouvoir amplifier son travail de formation de chefs de cellule et de cadres.
Cette formation politique doit être transmise aussi profondément et aussi largement que possible afin de réveiller le sens du combat chez les catholiques et de leur rappeler les principes qui président au combat politique. Les hommes, et au premier chef les pères de famille, ainsi que tous ceux qui exercent des responsabilités, ne peuvent se désintéresser du délitement de la France. Entre l’islam et la laïcité, n’existe-t-il donc pas une solution politique catholique à promouvoir ? Chacun doit, là où il se trouve, à la place aussi modeste qu’elle soit où le bon Dieu l’a voulu, oeuvrer contre les barbaries modernes pour la restauration du règne politique de Notre-Seigneur. Il est évident que si les catholiques parviennent enfin à se mettre d’accord pour unir leurs forces dans la vérité, il en ressortira des avantages considérables pour notre combat. Le rôle de la Fraternité n’est pas de définir la ligne politique qui doit être adoptée ; elle peut y aider, elle peut encourager et donner ses conseils pour que l’orientation choisie soit fidèle à la doctrine politique de l’Église. En rappelant une vérité de l’ordre naturel, à savoir que l’homme est un animal politique, elle met en garde ceux qui persistent à vouloir l’ignorer, et dont le désintérêt pour la Cité produit un recroquevillement désastreux de la famille et des personnalités.
Civitas : L’Institut Civitas a choisi de travailler en relation étroite avec la Fraternité Saint-Pie X. Quelle coopération les prêtres de la Fraternité attendent-ils de la part des membres de Civitas ?
Abbé de Cacqueray : L’équipe nationale de Civitas possède son indépendance légitime dans le combat politique qu’elle prépare ou qu’elle mène. Ses dirigeants, convaincus que la Fraternité Saint-Pie X enseigne la doctrine immuable de l’Église sur les rapports qui doivent exister entre l’Église et l’État, se sont tournés vers elle pour qu’elle leur rappelle ces principes. La Fraternité n’attend de Civitas que sa fidélité aux vrais principes. Elle peut être amenée à lui suggérer certaines actions à mener (par exemple, la reprise du combat contre l’avortement), mais n’a pas vocation à juger des choix politiques de l’Institut.
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Revue bimestrielle du District de France de la Fraternité Saint-Pie X.
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