Georges Bernanos fait partie de ces « écrivains catholiques » du début du XXe siècle, où l’on retrouve Péguy, Mauriac, Claudel, etc.
« Écrivains catholiques » en un sens particulier : pas seulement des écrivains qui étaient personnellement catholiques ; ni même uniquement des écrivains faisant profession publique et militante de catholicisme ; mais, plus techniquement, des écrivains mettant en scène dans leur œuvre des éléments entiers de la foi et de la vie catholiques.
Ce qui caractérise Bernanos, parmi ce groupe, c’est d’abord la dualité de son œuvre : d’un côté, des romans ; de l’autre, ce qu’on pourrait appeler des « essais-pamphlets ». Chacune des deux parties éclaire l’autre.
Deux thèmes sont immédiatement remarquables dans ses romans, par leur profonde originalité : la grâce sacerdotale ; la difficulté de l’influence de la grâce dans le monde actuel.
Le premier, et sans doute le seul, Bernanos a pris comme personnage central le prêtre, non pas comme notable, ou personne privée, ou silhouette comique, mais véritablement en tant que prêtre, essayant de décrire de l’intérieur la grâce même qui le fait prêtre.
Il s’est inspiré, évidemment, de modèles réels comme le Curé d’Ars. Mais il a creusé profondément cette veine, travaillant à reconstituer de l’intérieur, à restituer à la conscience les sentiments intérieurs de ces âmes sacerdotales.
En face de cela, Bernanos met en lumière la résistance à la grâce. Il y a, bien sûr, ce qu’on pourrait appeler la « résistance ordinaire », celle qui découle du péché originel, des habitudes humaines du péché, de la pesanteur de la chair.
Mais, si l’on y fait attention, il y a plus : une forme de désespérance. Bernanos laisse entendre que la grâce (qui n’a pas perdu son efficacité intrinsèque, bien sûr) rencontre des obstacles nouveaux, qui restreignent son efflorescence.
Et c’est dans ses essais-pamphlets qu’on peut trouver la clé de cette sorte d’impossibilité. Cette partie de son œuvre charrie sans aucun doute des opinions politiques contestables et des jugements injustes : c’est le genre du pamphlet.
Mais, au-delà de ces scories, Bernanos pointe du doigt cette atmosphère spécifique qui rend de nos jours considérablement plus difficile l’œuvre de la grâce. Le monde que l’homme édifie aujourd’hui est un monde où la pensée même de Dieu et de la gratuité de sa grâce a perdu tout sens.
Les grands cimetières sous la lune, Scandale de la vérité, La France contre les robots, Les enfants humiliés, Français si vous saviez redisent tous, à leur façon, ce que Bernanos a résumé d’une phrase qui suffirait à assurer sa gloire littéraire :
On ne comprend rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure.
Cette vigoureuse dénonciation de ce qui rend la vie humaine comme « étanche » à la grâce n’a pas été du goût de tout le monde et a déclenché La grande peur des bien-pensants (titre de son meilleur essai-pamphlet, sans doute).
Les « bien-pensants » ne sont pas, comme on le croit facilement, les petits-bourgeois frileux et moralisateurs. Les « bien-pensants » sont ceux qui ne veulent pas voir que la modernité est en train d’étouffer l’homme, de le faire mourir en le coupant de Dieu et de sa grâce.
Les « bien-pensants », ce sont ceux qui oseraient faire un jour cette déclaration :
La vieille histoire du Samaritain a été le modèle de la spiritualité du Concile. Une sympathie sans bornes l’a envahi tout entier. (…) Le Concile, dans le jugement qu’il a porté sur l’homme, s’est arrêté bien plus à cet aspect heureux de l’homme qu’à son aspect malheureux. Son attitude a été nettement et volontairement optimiste. Un courant d’affection et d’admiration a débordé du Concile sur le monde humain moderne.
Heureusement pour eux, Bernanos était déjà mort.
Abbé Régis de Cacqueray †, Supérieur du District de France
Source : Fideliter n° 184