Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

1er mai 1948

Lettre encyclique Auspicia quædam

Sur la prière à la Vierge Marie pour la paix (particulièrement en Palestine)

Table des matières

Cette Encyclique fait part au monde entier des angoisses qui étreignent le Souverain Pontife en ces temps trou­blés, et celui-​ci lance un appel à la prière.

Le monde, dit le Souverain Pontife, demeure divi­sé : d’une part, les peuples et les gou­ver­ne­ments dési­rent la paix et des confé­rences se réunissent en vue de l’établir, mais, d’autre part, il reste encore des hommes qui sèment la haine et qui fomentent la guerre :

Un cer­tain nombre d’indices [1] semblent indi­quer clai­re­ment aujourd’hui que toute la grande commu­nauté des peuples, après tant de meurtres et de dévas­ta­tions cau­sés par une longue et ter­rible guerre, s’est orien­tée avec ardeur vers les sen­tiers salu­taires de la paix ; on écoute plus volon­tiers main­te­nant ceux qui s’emploient avec un dur labeur à des œuvres de recons­truc­tion, qui cherchent à apai­ser et conci­lier les dis­cordes et qui s’attachent à faire sur­gir des nom­breuses ruines qui nous affligent un nou­vel ordre de prospé­rité, que ceux qui poussent encore à des que­relles réci­proques et acerbes, à des haines et à des ran­cunes dont ne peuvent venir que de nou­veaux dom­mages et de nou­veaux malheurs.

Mais bien que Nous-​même et le peuple chré­tien ayons de grands motifs de conso­la­tion et que nous puis­sions nous encou­ra­ger par l’espérance de temps meilleurs, des faits et des évé­ne­ments1 ne manquent pas tou­te­fois de don­ner à Notre cœur pater­nel de grandes pré­oc­cu­pa­tions et angoisses. Si la guerre, en effet, a ces­sé presque par­tout, la paix dési­rée n’a pas encore pour­tant ras­sé­ré­né les esprits et les cœurs ; on voit même le ciel s’obscurcir de nuages menaçants.

Le Pape, de son côté, travaille activement à favoriser la paix entre les peuples :

Nous ne ces­sons pas de notre côté, de Nous employer, avec tous Nos moyens à éloi­gner de la famille humaine les risques d’autres cala­mi­tés qui la menacent ; et quand les moyens humains se révèlent impuis­sants, Nous Nous tour­nons sup­pliant vers Dieu et Nous exhor­tons en même temps tous nos Fils dans le Christ, dis­per­sés dans tous les pays du monde, à vou­loir s’unir à Nous pour implo­rer les secours du ciel.

Le Saint-​Père fait un appel spécial aux enfants :

Nous avons trou­vé un récon­fort, les années pré­cé­dentes[2] à invi­ter tout le monde, sur­tout les enfants, qui Nous sont si chers à se pres­ser nom­breux durant le mois de mai, autour de l’autel de la Mère de Dieu pour implo­rer la fin de la funeste guerre ; aujourd’hui, éga­le­ment, Nous les invi­tons par cette lettre à ne pas inter­rompre cette pieuse cou­tume et à vou­loir ajou­ter à leurs sup­pli­ca­tions de bons pro­pos de renou­veau chré­tien et des œuvres de salu­taire pénitence.

Qu’avant tout ils offrent à la Vierge, Mère de Dieu et notre bénigne Mère, les plus vifs remer­ciements pour avoir obte­nu, avec sa puis­sante inter­ces­sion, la fin sou­hai­tée de la grande confla­gration mon­diale, et pour tant d’autres bien­faits accor­dés par le Très-​Haut ; mais, qu’en même temps, ils la sup­plient, de leurs prières répé­tées, de faire enfin res­plen­dir comme un don du ciel la paix mutuelle, fra­ter­nelle et totale entre toutes les nations et la concorde dési­rée entre toutes les classes sociales.

Que cessent ces dis­cordes, qui ne sont avanta­geuses à per­sonne ; que s’apaisent avec jus­tice les que­relles, qui sont sou­vent les germes de nou­veaux mal­heurs ; que s’accroissent et se conso­lident entre les nations les rela­tions publiques et pri­vées ; que la reli­gion, mère de toutes les ver­tus, ait la liber­té qui lui est due ; et que le tra­vail paci­fique des hommes, sous les aus­pices de la jus­tice et le souffle divin de la cha­ri­té, pro­duise, pour le bien de tous, les fruits les plus abondants.

La prière des hommes n’est agréable à Dieu que si celui qui la prononce est dans un état de vie conforme à la volonté de Dieu. Les Évêques du monde sont invités à provoquer un réveil des consciences afin que la prière du peuple soit efficace.

Vous savez bien, Vénérables Frères, que nos prières sont agréables à la Très Sainte-​Vierge sur­tout lorsqu’elles ne sont pas des mots éphé­mères et vides, mais qu’elles jaillissent de cœurs ornés des ver­tus néces­saires. Em­ployez-​vous donc, avec votre zèle apos­to­lique, à ce qu’aux prières publiques qui montent vers le ciel durant le mois de mai cor­res­ponde un réveil de vie chré­tienne. De ce seul pré­sup­po­sé, il est, en effet, per­mis d’espérer que le cours des choses et des évé­ne­ments, dans la vie publique, comme dans la vie pri­vée, puisse être orien­té, selon l’ordre, et qu’il soit don­né aux hommes de conqué­rir avec l’aide de Dieu, non seule­ment la pros­pé­ri­té pos­sible en ce monde, mais aus­si la féli­ci­té céleste qui ne fini­ra pas.

Une nouvelle source de douleur peine le cœur de Pie XII et de tout chrétien : le conflit entre les Juifs et les Arabes qui ravage la Palestine.

Mais il y a à pré­sent, un sujet par­ti­cu­lier qui afflige et angoisse vive­ment Notre cœur. Nous vou­lons par­ler des Lieux Saints de Palestine qui depuis long­temps déjà sont trou­blés par de tristes évé­ne­ments et qui sont presque chaque jour dévas­tés par de nou­veaux meurtres et de nou­velles ruines [3]. Or, s’il y a une région qui doit être par­ti­cu­liè­re­ment chère à toute âme bien née et civi­li­sée, c’est cer­tai­ne­ment la Palestine, d’où est sor­tie depuis les obs­curs débuts de l’Histoire tant de lumière de véri­té pour toutes les nations ; où le Verbe de Dieu incar­né, a fait annon­cer, par les chœurs des Anges la paix à tous les hommes de bonne volon­té, où Jésus-​Christ, enfin, sus­pen­du à l’arbre de la Croix a appor­té le salut à tout le genre humain et les bras éten­dus, comme pour invi­ter tous les peuples à une étreinte fra­ter­nelle, a consa­cré par l’effusion de son sang le grand pré­cepte de la cha­ri­té[4].

Nous dési­rons donc, ô Vénérables Frères, que les prières du mois de mai aient pour but spé­cial, cette année, d’obtenir de la Très Sainte Vierge que la situa­tion en Palestine soit fina­le­ment arran­gée selon l’équité et que là aus­si triomphent enfin la concorde et la paix.

Les chrétiens durant ce mois de mai prieront donc tout particulièrement afin que la paix revienne en Palestine : Le Pape donne un programme de prières à réaliser pendant ce mois de mai 1948 :

Nous pla­çons un grand espoir dans le patro­nage tout-​puissant de Notre Mère du ciel ; patro­nage que, durant ce mois qui lui est consa­cré, les enfants inno­cents sur­tout, vou­dront implo­rer par une sainte croi­sade de prières. Ce sera pré­ci­sé­ment votre tâche de les invi­ter et de les y sti­mu­ler avec toute votre sol­li­ci­tude ; et non seule­ment eux, mais aus­si leurs pères et leurs mères qui, en cela doivent les pré­cé­der, en nombre, par leur exemple.

Nous savons bien que Nous n’avons jamais fait appel en vain au zèle ardent dont vous êtes enflam­més ; et c’est pour­quoi il Nous semble voir déjà des mul­ti­tudes pres­sées d’enfants, d’hommes et de femmes venir en foule dans les églises pour deman­der à la Mère de Dieu toutes les grâces et les faveurs dont nous avons besoin. Que Celle qui nous a don­né Jésus nous obtienne que tous ceux qui se sont éloi­gnés du droit sen­tier y reviennent au plus vite, mus par un salu­taire repen­tir ; qu’elle nous obtienne — elle qui est notre très bénigne Mère et qui dans tous les dan­gers s’est tou­jours mon­trée notre aide puis­sante et média­trice de grâces — qu’elle nous obtienne encore, disons-​Nous, que dans les graves néces­si­tés dont nous sommes angois­sés, une juste solu­tion soit trou­vée aux dis­putes et qu’une paix sûre et libre res­plen­disse enfin sur l’Église et sur toutes les nations.

En particulier, Pie XII demande que chacun personnellement et que chaque institution sociale se consacre au Cœur Immaculé de Marie.

Il y a quelques années, tous s’en sou­viennent, tan­dis que la der­nière guerre fai­sait rage encore, voyant que les moyens humains demeu­raient incer­tains et insuf­fi­sants à éteindre la cruelle confla­gra­tion, Nous adres­sâmes nos fer­ventes prières à notre misé­ri­cor­dieux Rédempteur, par l’inter­médiaire du puis­sant patro­nage du Cœur Immaculé de Marie [5]). Et comme notre pré­dé­ces­seur, d’immor­telle mémoire, Léon XIII, à l’aube de notre xxe siècle vou­lut consa­crer tout le genre humain au Sacré-​Cœur de Jésus [6]. Nous avons vou­lu de même comme repré­sen­tant de la famille humaine rache­tée, la consa­crer aus­si au Cœur Immaculé de Marie.

Nous dési­rons, par consé­quent, que, si les cir­cons­tances oppor­tunes le conseillent, on fasse cette consé­cra­tion dans les dio­cèses, comme dans chaque paroisse et dans les familles, et Nous avons confiance que de cette consé­cra­tion pri­vée et publique sor­ti­ront en abon­dance les bien­faits et les faveurs célestes.

Sous ces pré­sages et en gage de Notre pater­nelle bien­veillance Nous accor­dons, de tout Notre cœur, la Bénédiction apos­to­lique à cha­cun de vous, Vénérables Frères, à tous ceux qui répon­dront géné­reu­se­ment à notre lettre d’exhortation et par­ti­cu­liè­re­ment aux troupes nom­breuses et pres­sées de Nos très chers enfants.

Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Labergerie. – D’après le texte latin de A. A. S. XL, 1948, p. 169 ; tra­duc­tion fran­çaise dans La Documentation Catholique, t. XLV, col. 705.

Notes de bas de page
  1. Ces indices au début de 1948 sont les sui­vants : – Sur le plan poli­tique : Les élec­tions ita­liennes du 18 avril 1948 ont mar­qué une vic­toire du par­ti démo­crate chré­tien sur le par­ti com­mu­niste ; De même les élec­tions muni­ci­pales fran­çaises du 26 octobre 1947 avaient mar­qué un recul com­mu­niste ; La confé­rence pan­amé­ri­caine réunie le 30 mars 1948 à Bogota se pro­nonce à l’unanimité contre le com­mu­nisme. – Sur le plan éco­no­mique : Le 23 décembre 1947 M. Truman, pré­sident des États-​Unis, signe la loi sur l’aide inté­ri­maire aux pays d’Europe ; Signature le 17 mars 1948 du Pacte de Bruxelles où la France, la Grande-​Bretagne et les pays du Benelux se mettent d’accord pour col­la­bo­rer étroi­te­ment dans les domaines poli­tique, éco­no­mique et mili­taire ; Le 16 avril 1948, seize nations euro­péennes signent une conven­tion de coopé­ra­tion éco­no­mique.[]
  2. Déjà les années pré­cé­dentes le Souverain Pontife s’adressa aux enfants au début de mai, pour les invi­ter à la prière : Lettre de S. Em. le Cardinal Maglione du 20 avril 1939 (A. A. S. XXI, 1939, p. 154) ; Id., 15 avril 1940 (A. A. S. XXXII, 1940, p. 144) ; Id., 20 avril 1941 (A. A. S. XXXIII, 1941, p. 110) ; Id., 15 avril 1942 (A. A. S. XXXIV, 1942, p. 125) ; Id., 15 avril 1943 (A. A. S. XXXV, 1943, p. 103) ; Id., 24 avril 1944 (A. A. S. XXXVI, 1944, p. 145) ; Encyclique Communium interpres dolo­rum, 15 avril 1945, (A. A. S., XXXVII, 1945, p. 97).[]
  3. Le pro­blème de la Palestine a été posé depuis la décla­ra­tion du ministre Balfour, le 2 novembre 1917. Jusqu’alors en effet, la Palestine fai­sait par­tie inté­grante de l’Empire turc ; elle comp­tait 689.000 habi­tants dont 85.000 Juifs ; le reste étant com­po­sé d’Arabes dont moins de 10 % sont chrétiens.

    Dans cette décla­ra­tion, le ministre bri­tan­nique disait que son Gouvernement envi­sa­ge­rait avec faveur l’établissement d’un État juif en Palestine. Cette décla­ration fai­sait suite aux reven­di­ca­tions du mou­ve­ment sio­niste dont la pre­mière mani­fes­ta­tion fut un Congrès tenu à Bâle en 1897.

    De fait en 1922, la Palestine était mise sous man­dat de la Société des Nations et celle-​ci y favo­ri­sa l’immigration des Juifs.

    Dès 1920, des troubles avaient agi­té la Palestine ; les Arabes n’entendant pas par­ta­ger leur ter­ri­toire avec les Juifs. Tous les efforts ten­tés pour obte­nir la colla­boration entre Arabes et Juifs demeu­rèrent vains. Les Anglais occu­pèrent la Pales­tine et la trai­tèrent comme une colo­nie ; ils se pro­po­sèrent de divi­ser la Palestine en deux États, l’un juif, l’autre arabe. Mais les Arabes n’acceptèrent jamais cette pro­po­si­tion. En 1945, la popu­la­tion de la Palestine avait subi un accrois­se­ment notable ; elle comp­tait 1.765.000 habi­tants dont 534.000 Juifs (soit 31 %).

    Le 29 novembre 1947, la 2e ses­sion de l’Assemblée géné­rale des Nations Unies adop­tait une réso­lu­tion approu­vant le plan de par­tage de la Palestine.

    En 1947, au moment où les troupes bri­tan­niques quit­tèrent la Palestine les désordres dégé­né­rèrent en une véri­table guerre civile entre Juifs et Arabes (cf. Report of the Anglo-​American Committee of Enquiry regar­ding the pro­blems of European Jewry and Palestine. Lausanne, 20 avril 1946. Ed., London His Majesty’s, Stationery Office).[]

  4. En rece­vant en audience le 3 août 1946, une délé­ga­tion arabe, le Saint-​Père disait : « Nous vou­drions que la terre où Jésus-​Christ a prê­ché un royaume de paix, demeure une terre de paix. »[]
  5. Le 31 octobre 1942, le Pape Pie XII ter­mi­nait un radio-​message au peuple por­tu­gais (A. A. S., XXXIV, 1942, p. 313) par une for­mule de consé­cra­tion au Cœur Immaculé de Marie. Le 8 décembre 1942, en la Basilique de Saint-​Pierre, le Souverain Pontife consa­crait solen­nel­le­ment le monde au Cœur Immaculé de Marie. (A. A. S., XXXIV, 1942, p. 345.) Un décret du 4 mai 1944, ins­ti­tuait la fête du Cœur Immaculé de Marie pour gar­der le sou­ve­nir de cette consé­cra­tion. (A. A. S., XXXVII, 1945, p. 41.[]
  6. Dans l’Encyclique Annum Sacrum du 25 mai 1899, Léon XIII annon­çait que le 11 juin, il pro­non­ce­rait la consé­cra­tion du genre humain au Sacré-​Cœur.[]