Par cette lettre, le Saint-Office intervenait pour couper court aux réunions œcuméniques auxquelles certains catholique avaient participé en Angleterre. Le Saint-Office dénonce cet œcuménisme ainsi que le principe faux à la base de ces réunions, prétendant que plusieurs communauté séparées ne seraient que des branches d’une seule et même Église. Le clergé anglican adressa une réponse à laquelle le cardinal Patrizzi, qui avaient signé la présente lettre, répondit personnellement. Nous plaçons ces lettres en annexe.
Le Siège apostolique a été informé que quelques catholiques et même des ecclésiastiques se sont fait inscrire parmi les membres d’une Société établie à Londres en 1857, pour procurer (comme ils le disent) l’unité de la chrétienté, et que déjà plusieurs articles, approuvant cette Société, ont été publiés dans les journaux avec la signature de catholiques, ou ont été composés, à ce qu’on assure, par des ecclésiastiques qui lui sont favorables. Le caractère et le but de la Société ressortent clairement, non seulement des articles publiés dans le journal appelé the Union Review, mais du prospectus même qui invite à entrer dans la Société et qui nous fait connaître les personnes enrôlées comme membres. Formée et dirigée par des protestants, cette Société est inspirée par cette idée, qu’elle professe ouvertement, que les trois communions chrétiennes, la communion catholique romaine, la communion schismatique-grecque et la communion anglicane, quoique divisées et séparées, peuvent revendiquer également le nom de catholique. On y reçoit en conséquence toutes les personnes catholiques, grecques-schismatiques ou anglicanes, quel que soit, d’ailleurs, le pays où elles demeurent, à condition de ne soulever aucune question sur les divers points de doctrine où les trois communions diffèrent, tout en laissant à chacun la liberté de suivre paisiblement les doctrines de sa propre confession religieuse. De plus, on prescrit à tous les membres de l’Association des prières qui doivent être récitées, et aux prêtres la célébration de sacrifices qu’ils doivent offrir suivant l’intention de la Société même, c’est-à-dire afin d’obtenir que les trois communions chrétiennes susmentionnées, lesquelles sont censées constituer ensemble l’Eglise catholique, finissent par se réunir pour former un seul corps.
La suprême congrégation du saint-office, à l’examen de laquelle cette affaire a été soumise suivant la coutume, l’ayant mûrement examinée, a jugé nécessaire de prendre des mesures pour avertir les fidèles qu’ils ne doivent pas se mettre sous la direction des hérétiques pour former Société avec eux et avec les schismatiques. Leurs Eminences les cardinaux qui sont préposés avec moi à la sainte Inquisition ne doutent pas que les évêques de ce pays, aussi distingués par leur charité que par leur doctrine, ne s’empressent de signaler les vices nombreux de cette Société et d’écarter les périls qu’elle recèle ; toutefois, ils croiraient manquer aux devoirs de leur charge s’ils ne stimulaient pas le zèle pastoral de ces évêques dans une matière de telle importance : car cette nouveauté est d’autant plus dangereuse qu’elle a une apparence de piété et d’ardente sollicitude pour l’unité de la société chrétienne.
Les principes sur lesquels elle repose sont radicalement subversifs de la Constitution divine de l’Eglise, car ils consistent à supposer que la véritable Eglise de Jésus-Christ se compose en partie de l’Eglise romaine, répandue dans tout l’univers, en partie du schisme de Photius et de l’hérésie anglicane, qui n’auraient avec l’Eglise romaine qu’un Seigneur, qu’une foi et qu’un baptême. Pour faire cesser les divisions qui séparent ces trois communions chrétiennes, divisions qui causent un grand scandale, blessent la vérité et la charité, la Société prescrit des prières et des sacrifices pour obtenir de Dieu la grâce de l’unité. Certainement il n’y a rien de plus désirable pour un catholique que d’arriver à arracher jusqu’à la racine les schismes et les divisions entre les chrétiens, et de les voir tous consacrer leurs efforts à conserver l’unité de l’esprit dans le lien de la paix. [1] C’est pourquoi l’Eglise catholique adresse des prières à Dieu très-bon et très-grand, et engage les fidèles à prier pour que tous ceux qui se sont éloignés de la sainte Eglise romaine se convertissent à la vraie foi, abjurent leurs erreurs et rentrent en grâce avec cette même Eglise, hors de laquelle il n’y a pas de salut, et même pour que tous les hommes parviennent, avec l’aide de Dieu, à la connaissance de la vérité. Mais que des fidèles et des ecclésiastiques prient pour l’unité chrétienne en se plaçant sous la direction d’hérétiques, et, ce qui est encore pire, conformément à une intention souillée et infectée à un haut degré d’hérésie, voilà ce qui ne saurait être toléré en aucune manière.
Quatre caractères, que nous affirmons, dans le Symbole, comme étant de foi, constituent, par l’autorité divine, la véritable Eglise de Jésus-Christ et la font reconnaître ; et chacun de ces caractères fait tellement corps avec les autres qu’on ne peut l’en séparer. Ainsi, l’Eglise que l’on appelle et qui est réellement catholique, doit en même temps jouir de la prérogative de l’unité, de la sainteté et de la succession apostolique. L’Eglise catholique est donc une, et d’une unité glorieuse, parfaite, qui embrasse toute la terre et toutes les nations, de cette unité dont le principe, la racine, l’origine est l’autorité suprême indéfectible et la primauté du bienheureux Pierre, prince des apôtres, et de ses successeurs dans la Chaire romaine. Et il n’y a pas d’autre Eglise catholique que celle qui, fondée sur Pierre seul, s’élève formant un corps compacte et uni par l’unité de la foi et de la charité.
C’est ce qu’attestait de la manière la plus formelle le bienheureux Cyprien, dans son épître 45e, lorsqu’il tenait au pape Corneille ce langage : Pour que nos collègues se tinssent fermement attachés à vous et à votre communion, c’est-à-dire tout à la fois à l’unité et à la charité de l’Eglise catholique. Le pontife Hormisdas exigea la même déclaration des évêques qui abjuraient le schisme d’Acace, en leur imposant une formule approuvée par toute l’antiquité chrétienne et portant que ceux-là sont séparés de la communion de l’Eglise catholique qui ne s’accordent pas en tout avec le Siège apostolique. Loin que les communions séparées du siège de Rome puissent à juste titre être regardées comme catholiques, cette séparation même et ce désaccord sont un signe auquel on reconnaît les sociétés et les chrétiens qui ne gardent pas la vraie foi et la vraie doctrine du Christ, ainsi que le démontrait excellemment saint Irénée dès le second siècle de l’Eglise. [2] Que les fidèles du Christ aient donc bien soin de ne pas entrer dans ces Sociétés, auxquelles ils ne peuvent adhérer sans blesser l’intégrité de la foi. Qu’ils apprennent de saint Augustin que la vérité et la piété ne peuvent se trouver là où l’unité chrétienne et la charité du Saint-Esprit sont absentes.
En outre, les fidèles doivent s’éloigner avec horreur de la Société de Londres, parce que ceux qui s’y rattachent favorisent l’indifférentisme, et causent du scandale. Cette Société, ou du moins ses fondateurs et ses chefs, prétendent que le schisme de Photius et l’anglicanisme sont deux formes de la vraie religion chrétienne, au sein desquelles, tout aussi bien que dans l’Eglise catholique, on a le bonheur de plaire à Dieu, et que les dissensions qui séparent ces communions chrétiennes ne portent aucune atteinte à l’intégrité de la foi, qui reste une et identique dans toutes, malgré ces déchirements. C’est là, en résumé, le système pestilentiel de l’indifférence en matière de religion qui, de notre temps surtout, s’insinue dans les âmes et leur cause des maux incalculables. Il n’est donc pas besoin de démontrer que les catholiques qui adhèrent à cette Société deviennent une occasion de ruine spirituelle pour les catholiques aussi bien que pour les non catholiques, d’autant plus que, en faisant naître le vain espoir que les trois communions n’en feront qu’une tout en persistant intégralement dans leurs opinions respectives, la Société dont il s’agit détourne les non catholiques de se convertir à la foi et s’efforce de les en empêcher par les journaux qu’elle publie.
On doit donc déployer la plus grande sollicitude pour qu’on n’ait pas la douleur de voir des catholiques, séduits par une apparence de piété ou par quelque fausse opinion, s’inscrire comme membres de cette Société, ou de toute autre semblable, ou les favoriser de quelque façon que ce soit, et pour empêcher que, cédant au désir trompeur d’une nouvelle unité chrétienne, ils se séparent de cette unité parfaite qui, par un admirable effet de la grâce de Dieu, a dans Pierre un fondement inébranlable.
Rome, le 16 septembre 1864.
C. Cardinal Patrizi.
Annexe 1 : Réponse du clergé anglican au cardinal Patrizi.
A l’Éminentissime et révérendissime Père en Jésus-Christ et seigneur C. cardinal Patrizi, préfet du saint-office,
Eminentissime Seigneur,
Nous, soussignés, doyens, chanoines, membres du clergé paroissial et autres prêtres de l’Eglise anglo-catholique, désirant vivement la réunion visible, suivant la volonté de Notre Seigneur, des diverses parties de la famille chrétienne, avons lu avec le plus grand regret la lettre de votre Eminence à tous les évêques d’Angleterre.
Dans cette lettre, il est reproché à notre Société, instituée pour procurer la réunion de toute la chrétienté, d’avoir affirmé dans son prospectus que « les trois communions, catholique romaine, orientale et anglicane, ont une égale prétention à s’appeler catholiques. »
Notre prospectus n’a pas formulé d’opinion sur cette question. Ce que nous avons dit se rapportait à la question de fait et non de droit. Nous avons seulement affirmé que l’Eglise anglicane revendiquait le nom de catholique, ainsi que cela ressort surabondamment, tant de sa liturgie que des articles de notre symbole.
Ladite lettre prétend, en outre, relativement à l’intention de notre Société, que notre but spécial serait « que les trois communions susnommées pussent se réunir en une seule, chacune d’elles conservant son intégrité et maintenant ses propres opinions. »
Rien n’est plus éloigné de notre pensée et de celle de notre Société qu’une pareille fin, qui, loin de mener à l’unité ecclésiastique, ne ferait que produire sous un même toit la discorde entre frères et les engager dans un conflit personnel. Ce que nous supplions le Dieu tout-puissant d’accorder et ce que nous désirons de tous nos cœurs, c’est simplement cette intercommunion œcuménique qui existait avant la séparation de l’Orient et de l’Occident, fondée et consolidée sur la profession d’une même foi catholique.
De plus, la Société susnommée devrait d’autant moins exciter votre jalousie qu’elle s’abstient de toute action ; elle prie simplement, en répétant les paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Qu’il puisse y avoir un troupeau et un pasteur. » C’est la seule chose que désire notre cœur, et c’est aussi le principe et le sentiment que nous exprimons à votre Eminence avec la plus grande ardeur d’un cœur sincère et d’un accent plein de franchise.
Quant au journal qui a pour titre : The union Review, le lien entre lui et la Société est purement accidentel, et nous ne sommes, en conséquence, en aucune manière engagés par ce qu’il peut dire. Divers écrivains émettent leurs opinions dans ce petit ouvrage, mais seulement pour arriver, en les développant, à mettre au jour la vérité de la foi catholique. Que ce mode de concourir à la rédaction d’un journal ne soit pas en usage à Rome, où les controverses du jour sont rarement l’objet de discussions, est chose qui ne saurait surprendre. Mais en Angleterre, où presque toutes les questions deviennent en quelque sorte propriétés publiques, aucune n’arrive avec succès à faire naître la conviction sans passer par l’épreuve d’une libre discussion.
Nous avons travaillé depuis plusieurs années pour hâter cet événement. Nous avons réalisé des améliorations qui vont au-delà de ce que nous espérions dans des circonstances où la foi du troupeau, le culte divin ou la discipline ecclésiastique pouvaient laisser à désirer ; et pour n’être pas accusés d’oublier notre prochain, nous avons cherché à inspirer un sentiment de bienveillance envers l’Eglise de Rome, et cette conduite a, pendant longtemps, fait concevoir de la méfiance envers nous.
Nous nous déclarons humblement, de votre Eminence, les serviteurs dévoués à l’unité catholique.
Cette lettre était signée par 498 membres du clergé de l’Eglise d’Angleterre.
Annexe 2 : Réplique de son Éminence le cardinal Patrizzi à la lettre qui précède.
Honorables et très-chers Messieurs,
Dans la lettre que vous m’avez envoyée, vous déclarez d’un cœur sincère et d’un accent plein de franchise que votre seul désir est que, conformément aux paroles de Notre-Seigneur, il n’y ait plus qu’un seul troupeau et un seul pasteur, ce qui donne à la Sacrée Congrégation la douce espérance que vous parviendrez enfin, par la grâce divine, à la véritable unité. Vous devez cependant prendre garde, en cherchant cette unité, de ne pas vous éloigner de la voie qui y conduit. La Sacrée Congrégation éprouve le plus profond chagrin de voir que c’est là ce qui vous arrive, en tant que vous imaginez que ces communions religieuses, qui prétendent avoir hérité du sacerdoce et du nom de catholique, constituent des parties de la véritable Eglise de Jésus-Christ, quoique divisées et séparées du siège apostolique de Pierre. Rien ne saurait être plus éloigné de la véritable idée de l’Eglise catholique qu’une pareille opinion. Car, comme l’établit ma lettre aux évêques d’Angleterre, l’Eglise catholique est celle qui, bâtie sur Pierre, grandit en un seul corps dont les parties sont liées entre elles et rendues compactes dans l’unité de foi et de charité [3]. Si vous voulez examiner avec soin la matière et la considérer sans passion, des preuves évidentes vous montreront que cette unité de foi et de charité, – c’est-à-dire de communion, – est par l’institution immuable de Jésus-Christ, non seulement un attribut principal et fondamental de l’Eglise, mais une note sûre et toujours visible à l’aide de laquelle l’Eglise peut être distinguée de toutes les sectes d’une manière facile et sûre. C’est ce dont portent témoignage les affirmations expresses, les métaphores précises, les paraboles, les comparaisons par lesquelles l’Ecriture sainte esquisse et trace en quelque sorte le portrait de l’Eglise ; c’est ce dont portent aussi témoignage les documents des saints Pères et des conciles, la méthode uniforme que l’Eglise a suivie dès le commencement contre les hérétiques et les schismatiques de toutes les races dont plusieurs aussi avaient la prétention de s’attribuer le sacerdoce et le nom de catholique. Ainsi donc, comme l’Eglise de Jésus-Christ est catholique et est appelée telle en vertu de cette unité suprême de foi et de communion, qu’elle maintient fermement tout en étant répandue comme elle l’est chez toutes les nations et dans tous les temps ; de même, en vertu de cette même unité, elle est appelée sainte et apostolique, et comme, sans cette unité, elle cesserait de jure et de facto d’être catholique, ainsi elle perdrait tout à la fois les attributs de la sainteté et de la succession apostolique.
Or, l’Eglise du Christ n’a jamais perdu cette unité et ne la perdra pas, même pour le plus court espace de temps, attendu que, selon les oracles divins, l’Eglise durera éternellement. Mais comment croire sa durée perpétuelle si la succession des siècles devait produire de nouveaux aspects et de nouvelles formes dans sa condition essentielle, comme il arrive pour les choses inconstantes de ce monde, et si l’Eglise elle-même pouvait quelquefois s’éloigner de cette unité de foi et de communion dans laquelle elle a été fondée par Jésus-Christ et répandue par les apôtres ? C’est pourquoi, dit saint Ambroise, le règne de l’Eglise durera toujours, parce que la foi est non divisée et le corps est un [4]. Donc, si l’Eglise de Jésus-Christ est indéfectible, il suit de là qu’on doit affirmer et croire qu’elle est aussi infaillible en exposant les doctrines de l’Evangile. Et c’est un dogme fixe de la foi catholique, que Jésus-Christ Notre-Seigneur, par un don merveilleux, a concédé à son Eglise dont il est lui-même le chef, l’époux et la pierre angulaire, cette prérogative d’infaillibilité. Quel est l’homme d’un esprit sain qui pourrait se persuader que l’erreur peut se glisser dans l’enseignement public et autorisé de l’Eglise, quand elle remplit une mission instituée par Jésus-Christ pour que nous ne soyons pas ballottés comme des enfants et entraînés à tous vents de doctrine, pour devenir les jouets de la malice des hommes et de la ruse par laquelle ils cherchent à nous tromper [5], et cela quand il a promis que son Eglise ne serait jamais privée de sa présence, et que toute vérité lui serait enseignée par le Saint-Esprit, par qui il a voulu que toutes les nations fussent appelées à l’obéissance de la foi et fussent instruites de ce qu’elles doivent croire et de ce qu’elles doivent faire ? Comment se persuader que l’erreur peut se glisser dans l’enseignement de l’Eglise, quand Jésus-Christ a dit qu’il condamnerait ceux qui ne croiraient pas à la prédication des apôtres et de leurs successeurs légitimes, auxquels il a donné la fonction et l’autorité de prescrire la forme des saines paroles qui doivent servir d’union à tous ceux qui sont instruits des choses de Dieu ? C’est pourquoi saint Paul appelle l’Eglise la colonne et le fondement de la vérité [6]. Mais comment l’Eglise serait-elle le fondement de la vérité à moins que ceux qui la cherchent ne soient sûrs d’obtenir d’elle la vérité ? En outre, les saints Pères, s’exprimant d’une même voix, proclament que l’unité de la foi et de la doctrine de Jésus-Christ est si inhérente à l’unité de l’Eglise que l’une ne peut pas être séparée de l’autre ; ce qui est la pensée de cette parole d’or de saint Cyprien que l’Eglise est la demeure de l’unité et de la vérité [7]. Aussi l’Eglise catholique n’a jamais douté de cette prérogative qui lui a été promise et communiquée par la présence continuelle de Jésus-Christ et l’assistance du Saint-Esprit, aussi souvent qu’elle a eu à décider des controverses soulevées sur la foi, à interpréter les Ecritures ou à renverser des erreurs contraires au dépôt de la révélation qui lui est confié. Elle a toujours énoncé et proposé ses définitions du dogme comme règle certaine et immuable de foi, obligeant chacun d’y donner son assentiment intérieur comme à une règle de foi, sans aucun doute, incertitude ou hésitation. Et quiconque résisterait à ces définitions serait par le fait jugé comme ayant perdu la foi nécessaire au salut et ayant cessé d’appartenir au troupeau de Jésus-Christ. Toutes choses qui font ressortir de plus en plus l’absurdité de cette fiction d’une Eglise catholique produit d’une coalition de trois communions ; fiction dont les auteurs sont nécessairement entraînés à nier l’infaillibilité de l’Eglise.
Tout aussi certaine est la preuve que Jésus-Christ, afin de produire et de conserver toujours l’unité dans son Eglise et d’écarter toute occasion de schisme [8] par l’institution d’un chef, a, par une providence spéciale, choisi saint Pierre de préférence aux autres apôtres pour être leur prince, pour devenir le centre et le lien de cette unité. Sur lui il a bâti son Eglise et à lui il a donné mission de paître tout le troupeau, de confirmer ses frères, de lier et de délier dans le monde entier, en continuant cette mission à ses successeurs dans tous les siècles. C’est là un dogme catholique reçu de la bouche du Christ, enseigné et défendu par l’enseignement perpétuel des Pères, religieusement conservé par l’Eglise universelle à travers tous les siècles et qu’elle a souvent confirmé contre les erreurs des innovateurs, par décrets des souverains Pontifes et des conciles. C’est pourquoi l’Eglise que l’on a toujours cru être l’Eglise catholique est celle qui est unie de foi et de communion avec le siège des Pontifes romains, successeurs de Pierre ; le siège nommé pour cela par saint Cyprien la racine et la matrice de l’Eglise catholique [9], désigné par les Pères et les conciles, sous le nom de siège apostolique, comme son titre spécial ; le siège d’où est sortie l’unité sacerdotale [10] ; d’où découlent pour tous les lois de la communion religieuse[11] ; siège dans lequel Pierre vit, et d’où il préside et distribue les vérités de la foi à tous ceux qui les cherchent [12]. Quand saint Augustin, comme vous le savez, veut rappeler les donatistes convaincus de schisme à la racine et à la vigne dont ils s’étaient séparés, il se sert d’un argument dont les premiers Pères font souvent usage : « Venez, mes frères, si vous voulez être greffés sur la vigne. Il est douloureux de vous voir séparés et jetés à terre. Comptez les prêtres du siège même de Pierre et voyez qui dans cette série de Pères lui a succédé. C’est là la pierre contre laquelle les superbes portes de l’enfer ne prévaudront pas[13]. »
Cela seul suffit à démontrer que celui qui n’est pas uni à cette pierre, sur laquelle a été posé le fondement de l’unité catholique, n’est pas dans l’Eglise catholique. Dans le même sens, saint Jérôme regardait comme profane quiconque n’était pas uni en communion avec le siège de Pierre et le Pontife qui y est assis, « Ne suivant pas d’autre chef que le Christ (écrivait-il à Damase), je suis uni en communion avec votre Sainteté, c’est-à-dire avec la chaire de Pierre. Je sais que l’Eglise est bâtie sur ce roc. Quiconque mange l’agneau hors de cette maison est profane. Si quelqu’un ne se trouve pas dans l’arche de Noé, il périra quand viendra le déluge. Quiconque ne récolte pas avec toi, dissipe, c’est-à-dire celui qui n’est pas du Christ est contre le Christ [14]. »
Saint Optat de Milève proclame aussi dans le même sens que cette chaire est une, connue de tous, établie à Rome, que l’unité doit y être conservée par tous, que quiconque élève une autre chaire contre cette chaire unique est schismatique et hérétique [15]. Et c’est avec raison ; car, comme saint Irénée le proclame ouvertement à tous, par l’ordination et la succession des Pontifes romains, la tradition et l’enseignement de la vérité dans l’Eglise, qui ont commencé avec les apôtres sont descendus jusqu’à nous ; ceci étant une preuve complète qu’une même foi une et vivifiante dans l’Eglise est transmise et conservée dans la vérité depuis les apôtres jusqu’à ce jour [16].
Si donc c’est une marque spéciale et perpétuelle de l’Eglise du Christ d’être cohérente et de fleurir avec une parfaite unité dans la foi et la charité de communion, et d’être comme une cité bâtie sur une montagne visible à tous les hommes et en tous temps ; si, en outre, Jésus-Christ a voulu que le Siège apostolique de Pierre fût la source, le centre et le lien de cette unité, il s’ensuit qu’aucune société, quelle qu’elle soit, qui est séparée de la communion et de l’obéissance extérieures et visibles du Pontife romain, ne peut être l’Eglise de Jésus-Christ, ni ne peut appartenir en aucune manière à son Eglise, à cette Eglise qui, après la sainte Trinité, est proposée à notre croyance dans le symbole comme une Eglise sainte, une, vraie et catholique [17] ; qui est appelée catholique non seulement par ses enfants, mais aussi par tous ses ennemis [18] ; qui est en possession si exclusive de ce nom, que tandis que tous les hérétiques ont la prétention d’être appelés catholiques, néanmoins si un étranger demandait où se réunit l’Eglise catholique, pas un hérétique n’oserait lui indiquer son propre temple ou lieu de réunion [19]. Il ne peut, en effet, appartenir à cette Eglise, par l’intermédiaire de laquelle Jésus-Christ dispense les bienfaits de sa rédemption comme par un corps qui est en union intime avec lui ; à cette Eglise dont, par le fait seul qu’il est séparé de l’unité de Jésus-Christ, quelque irréprochable qu’il puisse croire sa conduite, il sera, par ce seul péché, privé de la vie, et la colère de Dieu s’appesantira sur lui [20]. En conséquence, comme le nom de catholique ne peut, par aucune considération de droit, appartenir à ces communions séparées, on ne peut en aucune façon le leur donner sans se rendre coupable d’hérésie manifeste.
Vous verrez, honorés et très chers Messieurs, d’après toutes ces citations, pourquoi la Sacrée Congrégation a si soigneusement avisé à ce qu’il ne soit pas permis aux fidèles de Jésus-Christ de s’enrôler dans la Société que vous avez récemment fondée ou de la favoriser de quelque manière, cette Société étant établie pour procurer (comme vous le dites) l’unité de la chrétienté. Vous devez aussi voir que tout effort vers une réconciliation serait fait en vain, si ce n’est en se conformant à ces principes sur lesquels l’Eglise de Jésus-Christ a d’abord été fondée, et qui ont été propagés depuis dans la succession des siècles, une et la même à travers le monde par les apôtres et leurs successeurs ; principes clairement exprimés dans la formule bien connue d’Hormisdas, qui a été incontestablement approuvée dans toute l’Eglise catholique. Vous verrez enfin que l’intercommunion universelle dont vous parlez comme ayant existé avant le schisme de Photius, a été obtenue, parce qu’à cette époque les Eglises d’Orient ne s’étaient pas écartées de la soumission due au Siège apostolique, et que, pour rétablir cette intercommunion si grandement à désirer, il ne suffit pas de faire trêve à tout mauvais vouloir, à toute haine envers l’Eglise de Rome ; mais il faut encore, en vertu du précepte et de l’institution de Jésus-Christ et par une nécessité absolue, accepter la foi et la communion de l’Eglise romaine ; car, d’après les paroles de votre illustre compatriote, le vénérable Bède :
Quels que soient ceux qui se séparent de quelque manière de l’unité de foi ou de communion avec lui (saint Pierre), ils ne peuvent ni être absous des liens de leurs péchés, ni franchir la porte du royaume céleste.
Hom. in nat. S. Petri et Pauli.
C’est pourquoi, honorés et très chers Messieurs, en voyant qu’il a été démontré que l’Eglise catholique est une et incapable de partage ou de division [21], nous avons la confiance que vous n’hésiterez pas davantage à vous réfugier dans le sein de cette Eglise qui, de l’aveu du monde entier, est en possession de l’autorité suprême par la succession de ses évêques venant du Siège apostolique, et contre laquelle les hérétiques luttent en vain [22]. Puisse le Saint-Esprit accorder d’achever et perfectionner sans délai ce qu’il a commencé en vous par cette bonne volonté qu’il vous a inspirée envers l’Eglise. Et d’accord en cela avec la Sacrée Congrégation, notre très saint Père le Pape Pie IX désire de tout son cœur ce résultat, et il demande avec instance au Dieu de miséricorde et au Père de lumière que vous tous, sortant de l’état déshérité et séparé où vous êtes, puissiez entrer dans l’héritage du Christ, la véritable Eglise catholique, à laquelle ont indubitablement appartenu vos ancêtres avant la déplorable séparation du seizième siècle, et arriver heureusement à la source de la charité dans le lien de la paix et l’association de l’unité [23].
Valete.
C. card. Patrizi.
Rome, le 8 novembre 1865.
Source : De la réunion de l’Eglise d’Angleterre protestante à l’Eglise catholique, par Jules Gondon, 1867.
- Ephes. iv.[↩]
- Liv. III, contre les hérésies, ch. iii.[↩]
- S. Ambros., de Offic. ministr., lib. III, c. 3, n. 19.[↩]
- In Luc, lib. vii, n° 91.[↩]
- Ephes., iv, 14.[↩]
- 1 Tm 3, 15.[↩]
- Epit. viii, ad Cornel. ap. Constant, n. 1.[↩]
- S. Hieronym., lib. I, adv. Jovin., n° 26.[↩]
- Epist. iv, ad Cornel. ap. Constant, n° 3.[↩]
- S. Cyp., Epist. xii a Cornel. ad Constant, n° 11.[↩]
- Epist. Conc. Aquil. ad Gratian. imp. an 381, inter epist. S. Ambrosii.[↩]
- S. Petr. Chrysol., epist. ad Eutych., act. iii concil. Ephes. ap. Harduin, I, 1478.[↩]
- Psalm. in part. Donati.[↩]
- Epist. xiv, al. 57, ad Damas., n° 2.[↩]
- De Schism. Donatist, lib. II, n° 2.[↩]
- Lib. III, contra Hæres., c. 3, n° 3, et vet. interpret.[↩]
- S. Aug., de Symbol, ad Catech., c. vi.[↩]
- S. Aug., de Vera relig., c. vii.[↩]
- S. Aug., contra Epist. Fundam , c. iv, n° 5.[↩]
- S. Aug., Ep. cxli, al. 152, n° 5.[↩]
- S. Cypr., Ep. viii, ad Cornel, ap, Constant, n° 2.[↩]
- S. Aug., de Utilit. credendi, c. xvii, n° 35.[↩]
- S. Aug., Ep. lxi, al. 223, n° 2 ; Ep. LXIX, al. 238, n° 1.[↩]