Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

14 mai 1942

Homélie au peuple romain lors de la célébration de son jubilé épiscopal

Table des matières

Le jeu­di 14 mai 1942, solen­ni­té de l’Ascension, le Saint-​Père a célé­bré, dans la basi­lique de Saint-​Pierre, la messe com­mé­mo­ra­tive du XXVe anni­versaire de sa consé­cra­tion épis­co­pale. Après l’Evangile, s’a­dres­sant en par­ticulier aux Romains, ses dio­cé­sains, il a pro­non­cé cette homélie :

Chers fils de Rome, por­tion choi­sie de l’immense trou­peau chré­tien, confiée d’une façon spé­ciale à Notre sol­li­ci­tude pas­to­rale, per­met­tez que Nous, évêque de Rome avec la charge du sou­ve­rain pon­ti­fi­cat, vous ouvrions Notre cœur recon­nais­sant pour la sainte affec­tion de Père et de fils qui unit Notre âme à la vôtre et qui vous unit à Nous. Votre pré­sence témoigne clai­re­ment du doux lien et de la per­pé­tuelle dévo­tion qui s’est main­te­nue la même durant les siècles au milieu d’événements très divers, et qui unit le peuple romain au Siège de Pierre : sen­ti­ments filiaux que vous mani­fes­tez aujourd’hui plus vive­ment en cet anni­ver­saire de Notre consé­cra­tion épis­co­pale. Nous vous adres­sons la parole en ce jour solen­nel où tout le peuple chré­tien, répan­du à la sur­face de la terre, vit de la foi de Rome, s’unit à Nous et à vous pour ado­rer ce Dieu, Sauveur des hommes, mon­té au ciel, assis à la droite du Père comme notre avo­cat auprès de Lui.

Tout à l’heure, pen­dant qu’au bas de cet autel, au milieu des graves sou­ve­nirs qui émou­vaient et inon­daient Notre âme. Nous revê­tions les orne­ments sacrés pour Nous pré­pa­rer à célé­brer le Sacrifice eucha­ris­tique, Notre regard, en s’élevant, contem­plait, res­plen­dis­sante du som­met de ce mer­veilleux bal­da­quin, dans le cadre de rayons d’or, l’image de la colombe aux ailes déployées, sym­bole évan­gé­lique et conso­lant de l’Esprit-Saint, le divin Paraclet qui plane sur l’Eglise, lui insuffle et répand en elle les mul­tiples cha­rismes de sa grâce et l’abondance de sa paix spi­ri­tuelle. C’est un sym­bole qui parle.

Les derniers appels du Christ.

Et quand pourrait-​il par­ler au cœur humain avec une plus grande effu­sion de pro­messes qu’en cette fête de l’Ascension, où la dis­pa­ri­tion du Rédempteur de la vue de ses dis­ciples sur le mont des Oliviers pré­lu­dait et sem­blait ouvrir la voie céleste aux langues de feu de l’Esprit-Saint des­cen­dant sur le mont Sion ?

Chers fils, mon­tons nous aus­si avec le Christ au ciel ; dis­po­sons dans notre cœur ces ascen­sions de la foi qui tra­verse les nuées, de l’espérance qui dépasse le temps, de l’amour qui conquiert l’éternité. Au moment de son Ascension, le Christ adres­sa aux apôtres la der­nière leçon et le der­nier com­man­de­ment : « Il ne vous est pas don­né, leur dit-​il, de connaître les temps et les moments que le Père a fixés dans sa toute-​puissance » ; voi­ci l’élévation de leur foi dans la sou­mis­sion au gou­ver­ne­ment divin du monde. « Vous serez revê­tus de force, de la force de l’Esprit-Saint » ; voi­ci l’élévation de leur espé­rance dans le cou­rage de l’action. « Vous serez mes témoins… jusqu’aux extré­mi­tés de la terre » ; voi­ci l’élévation de leur cha­ri­té avec tous les sacri­fices que com­porte la dif­fu­sion de l’Evangile (Actes, i, 7–8). Ce sont trois dons, trois ver­tus, trois aver­tis­se­ments qui ont triom­phé du monde, qui ont régé­né­ré et récon­for­té l’homme, qui ont réta­bli ici-​bas le règne de Dieu et ouvert le royaume des cieux.

Elévation des âmes par la foi

Elevons notre foi en cette heure où l’ouragan qui gronde et fait rage entraîne dans la lutte peuples et nations. Il ne nous appar­tient pas à nous non plus de connaître les temps et les moments que règle la main toute-​puissante de notre Père céleste, les abré­geant ou les allon­geant selon le conseil pré­voyant et inson­dable avec lequel il dirige tous les évé­ne­ments vers la fin très haute et secrète de sa gloire. Il est l’heureux et unique sou­ve­rain Roi des rois et Seigneur des sei­gneurs (i Tim., vi, 15) ; il ne change pas en lui-​même, mais gou­verne et régit tous les chan­ge­ments des temps et des moments dans un des­sein immuable, don­nant et reti­rant “la puis­sance à qui il veut, exal­tant les humbles et humi­liant les orgueilleux, afin que tous les hommes recon­naissent que tout pou­voir vient de Lui, et que per­sonne n’aurait de pou­voir s’il ne l’avait reçu d’en haut (Jean, xix, 11). Notre foi s’élève au-​dessus de ce bas monde ; le royaume du Christ n’est pas de ce monde, tout en ayant les pieds ici-​bas : il est au-​dedans de nous. Le Christ n’était pas venu réta­blir, comme le deman­daient les apôtres, le royaume d’Israël (cf. Actes, i, 6), mais rendre témoi­gnage à la véri­té qui nous élève si haut, à. la véri­té qui est jus­tice, qui est paix, qui est res­pect du droit, qui est liber­té sainte et invio­lable de la conscience humaine, qui est récon­fort aus­si au milieu des tri­bu­la­tions, des dou­leurs, des deuils actuels ; comme elle était récon­fort aux temps et aux moments des mar­tyrs, comme elle l’est pour vous, qui faites de la bien­veillante Providence divine le fon­de­ment qui sou­tient votre espérance.

… par l’espérance

Oui ! votre espé­rance s’élève par la force du céleste Paraclet qui vient en nous ; espé­rance que ne confond pas, que n’obscurcit pas la nuée qui voile à nos regards le Christ mon­tant au ciel. Par le chrême de l’Esprit-Saint, le chré­tien est un sol­dat qui résiste jusqu’au sang, en com­bat­tant contre le péché ; à l’exemple et sous la con­duite du Christ son Roi, il ne se lasse pas, en per­dant cou­rage ; parce que notre divin Capitaine, tout en étant remon­té au ciel, reste tou­jours avec nous tous les jours jusqu’à la consom­ma­tion des siècles, et sur cet autel, dans les com­bats de l’âme, il se fait notre nour­ri­ture et notre breu­vage sous le voile des espèces sacra­mentelles. Présent et caché, il com­bat avec nous ; dans les dan­gers et dans les angoisses, dans les tri­bu­la­tions et dans les peines, dans les deuils et dans les morts, il sublime notre espé­rance. Dure, future, mais pos­sible encore pour nous, avec notre Capitaine tout-​puissant qui nous a pré­cé­dés au ciel, est la conquête du ciel, cou­ronne de notre espé­rance. Non, en mou­rant dans le Christ, nous ne péri­rons pas. « Si nous avons pla­cé dans le Christ nos espoirs pour cette vie ter­restre seule­ment, criait saint Paul aux nations, nous sommes les plus mal­heu­reux de tous les hommes » (i Cor., xv, 19).

… par la charité.

Chers fils, ne man­quons pas à la foi et à l’espérance. La ver­tu de l’Esprit-Saint s’est repo­sée éga­le­ment sur nous sous forme de langues de lumière et de feu, de ce feu de la cha­ri­té appor­té par le Christ sur terre, pour qu’il s’allume et s’embrase dans le monde. Nous aus­si, nous devons rendre témoi­gnage au Christ jus­qu’aux extré­mi­tés de la terre, parce que la foi de Rome a été annon­cée dans le monde entier ; la foi de Pierre et de Paul, les deux princes des apôtres, foi qu’il Nous semble entre­voir sous l’aspect de ces deux per­son­nages vêtus de blanc qui, au moment de l’Ascension du Christ, s’approchèrent des dis­ciples et leur dirent : « Galiléens, pour­quoi res­ter ain­si à regar­der le ciel ? Ce même Jésus qui vient de vous être ravi au ciel, en des­cen­dra de la même manière que vous l’y avez vu mon­ter » (Actes, i, 10–11). N’est-ce pas là la pré­di­ca­tion de Pierre et de Paul ? N’ont-ils pas annon­cé au monde et à Rome et témoi­gné de leur sang que ce Jésus, que nous cache main­te­nant la nuée de la foi, est le Rédempteur du monde, qu’il est vivant à la droite du Père, d’où il vien­dra juger les vivants et les morts ? Cet autel n’est-il pas la confes­sion de Pierre qui, devant nous et les nations, répond à Jésus : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. Seigneur, à qui irions-​nous ? Vous avez les paroles de la vie éter­nelle » (Matth., xvi, 16 ; Jean, vi, 69). Confessez vous aus­si le Christ, chers fils ; que votre amour pour Lui soit la flamme de la cha­ri­té envers le pro­chain ; que votre langue soit votre vie ver­tueuse ; que votre apos­to­lat soit la lumière de cette action reli­gieuse et sainte, inté­rieure et pieuse, qui exalte et atteste à la face des nations la foi et l’espérance de Rome.

Invocation à l’Esprit-Saint.

L’exhortation du divin Rédempteur mon­tant au ciel s’adresse éga­le­ment à nous. Prenant modèle sur Pierre et les dis­ciples dans le pre­mier Cénacle de l’Eglise nais­sante, que notre cœur brûle d’amour pour s’élever en invo­quant l’Esprit Illuminateur, Maître et Consolateur ; que de ce gran­diose Cénacle rem­pli de fidèles monte au ciel l’humble appel de la fer­vente prière : Veni Creator Spiritus.

O Esprit créa­teur qui, en pla­nant à la sur­face des eaux du monde, avez renou­ve­lé la face de la terre ; vous qui avez fait par­ve­nir la pre­mière annonce de la véri­té et du salut aux Romains pré­sents à Jérusalem et qui écou­taient la pré­di­ca­tion de Pierre (Actes, ii, 10) ; tournez-​vous vers les enfants de cette Rome, cœur du monde, à laquelle Pierre, plus tard, devait, par sa vie d’apôtre et par sa mort de mar­tyr, prou­ver la fer­me­té de sa foi, l’immobilité de son espé­rance, l’étendue de son amour, « et regar­dez du haut du ciel et conser­vez et pre­nez soin de cette vigne, et pro­té­gez ce que vous avez plan­té de votre main » (Ps., lxxix, 15–16).

Descendez, ô Esprit Créateur. Oui, vous êtes déjà des­cen­du ; vous êtes avec nous ; vous êtes auprès de l’Epouse du Christ ; vous êtes sa vie, son âme, son récon­fort, son sou­tien à chaque ins­tant, mais d’une façon par­ti­cu­lière aux temps de la tri­bu­la­tion et de la dou­leur. Répandez d’en haut une telle plé­ni­tude de vos dons que tous, Pasteur et trou­peau, rayonnent dans le monde la lumière de leur foi, le sou­tien de leur espé­rance, la force de leur amour.

Que par vous, Esprit illu­mi­na­teur, Esprit de conseil et de force, les esprits chré­tiens de toute condi­tion, humble ou éle­vée, com­prennent et éprouvent non seule­ment l’extraordinaire gra­vi­té, mais l’énorme res­pon­sa­bi­li­té de l’heure pré­sente, où un vieux monde qui décline dans la dou­leur est en train d’en engen­drer un nou­veau. Faites voir à tous ceux qui portent au front le nom du Christ le sen­tier étroit de la ver­tu qui seul conduit au salut, afin qu’ils se réveillent du som­meil de l’indifférence, de la tié­deur, de l’irrésolu­tion, et qu’ils com­mencent à mar­cher en dehors des dédales tor­tueux des choses terrestres.

Par vous, Esprit conso­la­teur, que non seule­ment l’adoucissement de la rési­gna­tion, mais avant tout la vigueur de la foi reviennent en les vivi­fiant aux cœurs innom­brables qui gémissent et sont sur le point de se bri­ser, abat­tus sous le poids des anxié­tés et des gênes, des sacri­fices et des injus­tices, des oppres­sions et de l’avilissement. Soyez le repos dans la fatigue, le rafraî­chis­se­ment dans les cha­leurs, la cha­leur dans le froid, le sou­la­ge­ment dans la dou­leur. Soyez le père des orphe­lins, le défen­seur des veuves, la nour­ri­ture des pauvres, le sou­tien des aban­don­nés, l’abri des exi­lés, le défen­seur des per­sé­cu­tés, la pro­tec­tion des com­bat­tants, le libé­ra­teur des pri­son­niers, le baume des bles­sés, le remède pour les malades, le refuge pour les pécheurs, l’aide pour les mou­rants. Consolez et réunis­sez ceux qui s’aimaient d’un amour pur et que les dures cir­cons­tances d’aujourd’hui ont sépa­rés. Faites que là où la voix des conso­la­tions humaines se tait, parlent le sou­rire et le geste bien­fai­sant de la cha­ri­té chré­tienne ; faites que devant les yeux de la foi de ces chré­tiens res­plen­disse, gage d’une joie qui ne ces­se­ra jamais, l’aurore du jour où la sur­abondance de votre inef­fable récom­pense réa­li­se­ra la parole de l’Apo­calypse : « Dieu essuie­ra toute larme de leurs yeux ; la mort ne sera plus ! Il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni dou­leur, car les condi­tions pre­mières auront dis­pa­ru » (Apoc., xxi, 4).

Que par vous, Esprit maître de véri­té, s’insuffle et se dif­fuse dans les cœurs et les intel­li­gences des hommes, non par appré­hen­sion du sacri­fice, mais par réveil moral, un intense désir de paix ; paix de jus­tice, de modé­ra­tion et de sagesse, paix qui dans sa teneur, sa sub­stance et son accom­plis­se­ment, n’oublie pas votre aver­tis­se­ment : « Il n’y a ni sagesse, ni pru­dence, ni conseil contre le Seigneur » (Prov., xxi, 30). En même temps, faites naître dans les hommes un vou­loir si déli­bé­ré de cette paix, qu’ils n’en récusent pas les indis­pensables condi­tions, les don­nées fon­da­men­tales, les consé­quences néces­saires. Faites que les conduc­teurs des peuples élèvent et dirigent leur pen­sée vers la gran­deur, la digni­té, les avan­tages, les mérites d’une paix tant dési­rée, et mesurent les droits vitaux de leurs nations, non d’après la lon­gueur de leur épée ni l’étendue des avan­tages ambi­tionnés, mais selon la sainte règle de la divine volon­té et de la loi de Dieu.

Ô Esprit créa­teur, visi­tez les esprits de vos fidèles et rem­plis­sez les cœurs de votre grâce. Tant que dure­ra ce temps d’épreuve, avec la toute-​puissance de vos dons, accor­dez à Nous, le gar­dien du ber­cail du Christ, et à tous ceux qui écou­te­ront Notre voix, de pou­voir accom­plir et faire pro­gres­ser, dans une foi ferme, une joyeuse espé­rance et une ardente cha­ri­té, la mis­sion de salut confiée par le Rédempteur à ses dis­ciples : Eritis mihi testes, jusqu’au jour où l’Eglise ayant dépo­sé le deuil de son indi­cible dou­leur, pour­ra, recon­nais­sante, s’écrier en liesse devant le Dieu de la paix et le Soleil de jus­tice : « La main droite du Seigneur a fait des pro­diges : la main droite du Seigneur m’a exal­tée !… Je ne mour­rai pas, mais je vivrai et je racon­te­rai les œuvres du Seigneur » (Ps., cxvii, 17). 

Ainsi soit-​il.

Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, Édition Saint-​Augustin Saint-​Maurice. – D’après le texte ita­lien des A. A. S., 1942, p. 167 ; cf. la tra­duc­tion fran­çaise des Actes de S. S. Pie XII, t. IV, p. 131.