Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

14 janvier 1958

Allocution aux professeurs et élèves de l’«Angelicum»

Table des matières

Recevant en audience les supé­rieurs, pro­fes­seurs et élèves de l’Athé­née Pontifical « Angelicum », le Saint-​Père leur adres­sa en latin le dis­cours que voici :

De vous voir ici assem­blés, supé­rieurs, pro­fes­seurs, étu­diants de l’Athénée Pontifical « Angelicum », cela Nous pro­cure une joie sin­gu­lière ; joie d’au­tant plus grande en ce moment que, don­nant suite à Notre désir et au vôtre, il Nous est enfin loi­sible de vous accueillir ce matin, de vous voir en Notre présen­ce, de vous adres­ser la parole.

Mais avant de vous dire cer­taines choses qui vous seront utiles — Nous espé­rons que, la grâce aidant, il en sera ain­si — Nous vous féli­ci­tons volon­tiers et sans réserve des développe­ments de votre Athénée. Aux facul­tés de théo­lo­gie, de droit canon, de phi­lo­so­phie se sont ajou­tés deux Instituts, l’un d’as­cétique et de mys­tique, l’autre de sciences sociales ; le nombre des pro­fes­seurs a aug­men­té ; la doc­trine et les écrits de saint Thomas d’Aquin sont plus pro­fon­dé­ment explo­rés et plus large­ment dif­fu­sés. Tout cela, Nous le consta­tons, Nous l’ap­prou­vons et le louons, comme il se doit.

Votre Athénée Pontifical — dont Nous sommes heu­reux de saluer le Grand Chancelier, Notre cher fils Michel Browne, votre Maître Général ici pré­sent — a été créé dans le but de répandre dans le monde entier, tel un phare très brillant, l’é­clat de la sagesse thomiste.

Vous fête­rez bien­tôt le cin­quan­te­naire de votre Institution, et déjà Nous aimons à Nous repré­sen­ter la joie que vous procu­rera ce mémo­rable évé­ne­ment. A juste titre du reste, car ce qui en ce temps-​là était espoir mêlé d’in­quié­tude et simple début d’une entre­prise, connaît à pré­sent des résul­tats extrê­me­ment favo­rables, et ce grâce à la très puis­sante pro­tec­tion de votre céleste Patron et au labeur du si nom­breux et émi­nent corps aca­dé­mique de votre Institution. Sans nul doute, si celle-​ci s’est acquis une renom­mée illustre « dans la mai­son de Dieu, qui est l’Eglise du Dieu vivant, colonne et fon­de­ment de la véri­té » (I Tim., iii, 15), c’est avant tout parce que l”« Angelicum » pé­nètre avec soin et dif­fuse lar­ge­ment les ensei­gne­ments de saint Thomas d’Aquin. Il est bon le che­min que vous pour­sui­vez dans le sillage lumi­neux de ce Guide supé­rieur, tout orné d’é­mi­nentes vertus.

Dans les prières litur­giques adres­sées à Dieu le jour de la fête de saint Thomas d’Aquin, l’on implore ces deux impor­tants et augustes bien­faits : … de bien com­prendre ce qu’il a ensei­gné et de l’i­mi­ter, en accom­plis­sant ce qu’il a fait (Oraison de la fête).

Docilité et respect dus à l’autorité de l’Eglise catholique.

Eh bien ! Nous posons la ques­tion : qu’est-​ce donc que l’Aquinate a sur­tout ensei­gné ? Où donc se trouve résu­mé son ensei­gne­ment spé­ci­fique, comme en une pre­mière ébauche apte à nous ins­truire ? C’est l’é­vi­dence même, par la parole et par les exemples de sa vie il a ensei­gné à ceux sur­tout qui cultivent les sciences sacrées, mais aus­si à ceux qui s’a­donnent aux recher­ches ration­nelles de la phi­lo­so­phie, qu’ils doivent à l’au­to­ri­té de l’Eglise catho­lique sou­mis­sion entière et res­pect sou­ve­rain [1].

La fidé­li­té de cette sou­mis­sion à l’au­to­ri­té de l’Eglise se fon­dait sur la per­sua­sion abso­lue du saint Docteur que le magis­tère vivant et infaillible de l’Eglise est la règle immé­diate et univer­selle de la véri­té catholique.

Suivant l’exemple de saint Thomas d’Aquin et des membres émi­nents de l’Ordre domi­ni­cain, qui brillèrent par leur pié­té et la sain­te­té de leur vie, dès que se fait entendre la voix du ma­gistère de l’Eglise, tant ordi­naire qu’ex­tra­or­di­naire, recueillez-​la, cette voie, d’une oreille atten­tive et d’un esprit docile. Vous sur­tout, chers fils, qui par un sin­gu­lier bien­fait de Dieu vous adon­nez aux études sacrées en cette Ville auguste, auprès de la « Chaire de Pierre et l’é­glise prin­ci­pale, d’où l’u­ni­té sacer­do­tale a tiré son ori­gine » [2]. Et il ne vous faut pas seule­ment don­ner votre adhé­sion exacte et prompte aux règles et décrets du Ma­gistère sacré qui se rap­portent aux véri­tés divi­ne­ment révé­lées — car l’Eglise catho­lique et elle seule, Epouse du Christ, est la gar­dienne fidèle de ce dépôt sacré et son inter­prète infaillible ; mais l’on doit rece­voir aus­si dans une humble sou­mis­sion d’es­prit les ensei­gne­ments ayant trait aux ques­tions de l’ordre natu­rel et humain ; car il y a là aus­si, pour ceux qui font pro­fes­sion de foi catho­lique et — c’est évident —, sur­tout pour les théolo­giens et les phi­lo­sophes, des véri­tés qu’ils doivent esti­mer gran­dement, lorsque, du moins, ces élé­ments d’un ordre infé­rieur sont pro­po­sés comme connexes et unis aux véri­tés de la foi chré­tienne et à la fin sur­na­tu­relle de l’homme.

La méditation des saintes Ecritures, base indispensable des études théologiques.

Que le théo­lo­gien, sui­vant en cela l’exemple de l’Aquinate, se fasse aus­si une loi de com­pul­ser et de scru­ter avec grand soin et per­sé­vé­rance les saintes Ecritures, qui sont d’une impor­tance incom­pa­rable pour ceux qui s’ap­pliquent à l’é­tude des sciences reli­gieuses : car au témoi­gnage même du saint Docteur, « ses argu­ments (de la doc­trine sacrée) propres et cer­tains lui viennent des docu­ments de l’Ecriture cano­nique… car notre foi repose sur la révé­la­tion faite aux apôtres et aux pro­phètes, qui ont écrit les livres cano­niques, non sur quelque autre révéla­tion, s’il en existe, faite à des doc­teurs pri­vés » [3]. Lui-​même confor­ma tou­jours sa conduite à ses ensei­gne­ments. En effet, ses Commentaires sur les livres de l’Ancien et du Nouveau Tes­taments, et en tout pre­mier lieu des Epîtres de saint Paul, au dire des meilleurs juges en la matière, se dis­tinguent par tant de pro­fon­deur, de finesse et de dis­cer­ne­ment, qu’ils peuvent être comp­tés par­mi les plus grandes œuvres théo­lo­giques du Saint et sont esti­més comme four­nis­sant à ces œuvres mêmes un com­plément biblique impor­tant. C’est pour­quoi si quel­qu’un les négli­geait, on ne pour­rait dire de lui qu’il fré­quente le Docteur angé­lique de façon intime et par­faite. Que l’é­tude et l’ha­bi­tude des saintes Ecritures, qui furent sans cesse mêlées aux appro­fondissements théo­lo­giques de l’Aquinate et conso­lèrent ses der­niers moments ne soient donc jamais absentes de vos acti­vi­tés intel­lec­tuelles ni du com­por­te­ment cou­tu­mier de votre vie inté­rieure. En outre Nous esti­mons digne de spé­ciale recommanda­tion l’é­tude spé­cu­la­tive de la théo­lo­gie tho­miste, laquelle vous doit être fort à cœur, de par le pré­cepte même de votre der­nier Chapitre d’é­lec­tions : « la Théologie Thomiste spé­cu­la­tive fut tou­jours le sin­gu­lier patri­moine de votre Ordre » [4]. Qu’en votre Athénée la théo­lo­gie soit donc flo­ris­sante, tou­jours en faveur et en par­faite estime, cette théo­lo­gie pour laquelle le très illus­tre Aquinate reven­di­qua jus­te­ment, en son temps, les préroga­tives d’une vraie science et d’une vraie sagesse, et à laquelle il attri­bua la pri­mau­té sur toutes les doc­trines et tous les arts [5].

De cette théo­lo­gie, Nous avons Nous-​même, dans l’encycli­que Humani gene­ris, sou­te­nu ouver­te­ment les prin­ci­paux méri­tes, contre cer­tains sec­ta­teurs de nou­veau­tés [6]. En ce qui concer­ne les diverses ques­tions théo­lo­giques à trai­ter, s’il est juste de ne point sous-​estimer les pro­grès réa­li­sés par les sciences histo­riques et par les sciences expé­ri­men­tales, il faut néan­moins main­tenir avec soin les prin­cipes et les points capi­taux de la doctri­ne de saint Thomas.

Nous esti­mons devoir en dire autant, toutes pro­por­tions gar­dées, pour ce qui a trait aux études de philosophie.

Cultiver, à l’exemple de saint Thomas, l’amour de la vérité et la vérité de l’amour.

Après avoir admi­ré, des yeux de l’es­prit, la sagesse qua­si angé­lique de votre Guide et Maître, médi­tez main­te­nant avec Nous ses ver­tus, afin de vous appli­quer dans un effort conti­nu à les tra­duire dans votre conduite. Lui-​même, à n’en pas dou­ter, ordon­na à son pro­grès spi­ri­tuel ces maximes de l’a­pôtre saint Paul : « Si j’a­vais le don de pro­phé­tie, et que je connaisse tous les mys­tères et toute la science…, mais que je n’aie pas la cha­rité, je ne suis rien » (i Cor., xiii, 2) et « La science enfle, mais la cha­ri­té édi­fie » (I Cor., viii, 2). Bien que saint Thomas culti­vât de tout son cœur les doc­trines d’ordre spé­cu­la­tif, il re­connut cepen­dant que la pri­mau­té revient à la cha­ri­té, que les autres ver­tus servent comme une reine au dia­dème plus étince­lant : c’est d’elle en effet que la foi reçoit sa vita­li­té, et les dons de l’Esprit-​Saint leur force ; d’elle encore que vient à la con­templation des mys­tères de Dieu la flamme secrète qui l’ali­mente. Cultivez donc, vous aus­si, la cha­ri­té avec un grand zèle et un effort constant, et avec elle les sen­ti­ments d’une pié­té vi­vante ain­si que les autres ver­tus, exi­gées par votre condi­tion et votre état, afin que les études aus­tères où vous vous plon­gez, bien loin de vous nuire, vous aident à gra­vir les degrés de la per­fec­tion évan­gé­lique. En même temps que les ver­tus surnatu­relles, gar­dez avec un soin vigi­lant vos vœux de reli­gion et les règles de votre Institut par­ti­cu­lier ; que la sainte litur­gie vous tienne à cœur et soit votre joie ; que de vos lèvres, bien mieux, de votre cœur, jaillissent fré­quem­ment, ain­si que d’une riche vei­ne, de fer­vents entre­tiens sur les choses de Dieu ; que vous ayez enfin tout ensemble pour fidèle com­pa­gnon et éveilleur de pen­sées éle­vées l’a­mour de la véri­té et la véri­té de l’amour.

Avant de clore Notre dis­cours, Nous vou­lons pro­po­ser à vos réflexions et réso­lu­tions quelques très belles paroles de saint Bonaventure, qui était uni à saint Thomas d’Aquin par les liens d’une bien­veillante ami­tié : « Que per­sonne ne croie que puis­sent suf­fire la lec­ture sans l’onc­tion, la spé­cu­la­tion sans la dévo­tion, la recherche sans l’ad­mi­ra­tion, l’ef­fort de l’es­prit sans les trans­ports du cœur, la science sans la cha­ri­té, l’in­tel­li­gence sans l’hu­mi­li­té, l’é­tude sans la grâce divine, l’i­mage reflé­tée sans la sagesse com­mu­ni­quée par Dieu… Exerce-​toi donc, homme de Dieu, à sti­mu­ler en toi le tour­ment de la connais­sance avant que de por­ter ton regard sur les rayons de la sagesse, réflé­chis en son miroir, de peur que, par le réflé­chis­se­ment même des rayons, tu ne tombes dans un plus pro­fond abîme de ténè­bres » [7].

Enfin, comme gage du secours de Dieu, de qui vient la chari­té et qui est cha­ri­té, que vous soit de bon augure la Bénédiction apos­to­lique que très volon­tiers et affec­tueu­se­ment Nous don­nons à vous tous, à ce que vous avez entre­pris et à vos pro­jets les plus chers.

Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-​Augustin Saint Maurice – D’après le texte latin des A. A. S., L, 1958, p. 150 ; tra­duc­tion fran­çaise de l’Osservatore Romano, du 24 jan­vier 1958.

Notes de bas de page
  1. S. Th., 3 p. Suppl. q. 29, a. 3, Sed contra 2 ; et 2a 2ae p., q. 10, a. 12 in c.[]
  2. S. Cypr. Epist. 55, c. 14.[]
  3. S. Th., 1 p., q. 1, a. 8 ad. 2.[]
  4. Acta Capit. Gener. elect. 1955, n. 113.[]
  5. S. Th., 1 p., q. 1, a. 6.[]
  6. Cf. A. A. S., XXXXII, 1950, p. 573 ; Documents Pontificaux 1950, p. 295.[]
  7. S. Bonaventure, Itineriarum men­tis in Deum, Prol. n. 4.[]