Recevant en audience les supérieurs, professeurs et élèves de l’Athénée Pontifical « Angelicum », le Saint-Père leur adressa en latin le discours que voici :
De vous voir ici assemblés, supérieurs, professeurs, étudiants de l’Athénée Pontifical « Angelicum », cela Nous procure une joie singulière ; joie d’autant plus grande en ce moment que, donnant suite à Notre désir et au vôtre, il Nous est enfin loisible de vous accueillir ce matin, de vous voir en Notre présence, de vous adresser la parole.
Mais avant de vous dire certaines choses qui vous seront utiles — Nous espérons que, la grâce aidant, il en sera ainsi — Nous vous félicitons volontiers et sans réserve des développements de votre Athénée. Aux facultés de théologie, de droit canon, de philosophie se sont ajoutés deux Instituts, l’un d’ascétique et de mystique, l’autre de sciences sociales ; le nombre des professeurs a augmenté ; la doctrine et les écrits de saint Thomas d’Aquin sont plus profondément explorés et plus largement diffusés. Tout cela, Nous le constatons, Nous l’approuvons et le louons, comme il se doit.
Votre Athénée Pontifical — dont Nous sommes heureux de saluer le Grand Chancelier, Notre cher fils Michel Browne, votre Maître Général ici présent — a été créé dans le but de répandre dans le monde entier, tel un phare très brillant, l’éclat de la sagesse thomiste.
Vous fêterez bientôt le cinquantenaire de votre Institution, et déjà Nous aimons à Nous représenter la joie que vous procurera ce mémorable événement. A juste titre du reste, car ce qui en ce temps-là était espoir mêlé d’inquiétude et simple début d’une entreprise, connaît à présent des résultats extrêmement favorables, et ce grâce à la très puissante protection de votre céleste Patron et au labeur du si nombreux et éminent corps académique de votre Institution. Sans nul doute, si celle-ci s’est acquis une renommée illustre « dans la maison de Dieu, qui est l’Eglise du Dieu vivant, colonne et fondement de la vérité » (I Tim., iii, 15), c’est avant tout parce que l”« Angelicum » pénètre avec soin et diffuse largement les enseignements de saint Thomas d’Aquin. Il est bon le chemin que vous poursuivez dans le sillage lumineux de ce Guide supérieur, tout orné d’éminentes vertus.
Dans les prières liturgiques adressées à Dieu le jour de la fête de saint Thomas d’Aquin, l’on implore ces deux importants et augustes bienfaits : … de bien comprendre ce qu’il a enseigné et de l’imiter, en accomplissant ce qu’il a fait (Oraison de la fête).
Docilité et respect dus à l’autorité de l’Eglise catholique.
Eh bien ! Nous posons la question : qu’est-ce donc que l’Aquinate a surtout enseigné ? Où donc se trouve résumé son enseignement spécifique, comme en une première ébauche apte à nous instruire ? C’est l’évidence même, par la parole et par les exemples de sa vie il a enseigné à ceux surtout qui cultivent les sciences sacrées, mais aussi à ceux qui s’adonnent aux recherches rationnelles de la philosophie, qu’ils doivent à l’autorité de l’Eglise catholique soumission entière et respect souverain [1].
La fidélité de cette soumission à l’autorité de l’Eglise se fondait sur la persuasion absolue du saint Docteur que le magistère vivant et infaillible de l’Eglise est la règle immédiate et universelle de la vérité catholique.
Suivant l’exemple de saint Thomas d’Aquin et des membres éminents de l’Ordre dominicain, qui brillèrent par leur piété et la sainteté de leur vie, dès que se fait entendre la voix du magistère de l’Eglise, tant ordinaire qu’extraordinaire, recueillez-la, cette voie, d’une oreille attentive et d’un esprit docile. Vous surtout, chers fils, qui par un singulier bienfait de Dieu vous adonnez aux études sacrées en cette Ville auguste, auprès de la « Chaire de Pierre et l’église principale, d’où l’unité sacerdotale a tiré son origine » [2]. Et il ne vous faut pas seulement donner votre adhésion exacte et prompte aux règles et décrets du Magistère sacré qui se rapportent aux vérités divinement révélées — car l’Eglise catholique et elle seule, Epouse du Christ, est la gardienne fidèle de ce dépôt sacré et son interprète infaillible ; mais l’on doit recevoir aussi dans une humble soumission d’esprit les enseignements ayant trait aux questions de l’ordre naturel et humain ; car il y a là aussi, pour ceux qui font profession de foi catholique et — c’est évident —, surtout pour les théologiens et les philosophes, des vérités qu’ils doivent estimer grandement, lorsque, du moins, ces éléments d’un ordre inférieur sont proposés comme connexes et unis aux vérités de la foi chrétienne et à la fin surnaturelle de l’homme.
La méditation des saintes Ecritures, base indispensable des études théologiques.
Que le théologien, suivant en cela l’exemple de l’Aquinate, se fasse aussi une loi de compulser et de scruter avec grand soin et persévérance les saintes Ecritures, qui sont d’une importance incomparable pour ceux qui s’appliquent à l’étude des sciences religieuses : car au témoignage même du saint Docteur, « ses arguments (de la doctrine sacrée) propres et certains lui viennent des documents de l’Ecriture canonique… car notre foi repose sur la révélation faite aux apôtres et aux prophètes, qui ont écrit les livres canoniques, non sur quelque autre révélation, s’il en existe, faite à des docteurs privés » [3]. Lui-même conforma toujours sa conduite à ses enseignements. En effet, ses Commentaires sur les livres de l’Ancien et du Nouveau Testaments, et en tout premier lieu des Epîtres de saint Paul, au dire des meilleurs juges en la matière, se distinguent par tant de profondeur, de finesse et de discernement, qu’ils peuvent être comptés parmi les plus grandes œuvres théologiques du Saint et sont estimés comme fournissant à ces œuvres mêmes un complément biblique important. C’est pourquoi si quelqu’un les négligeait, on ne pourrait dire de lui qu’il fréquente le Docteur angélique de façon intime et parfaite. Que l’étude et l’habitude des saintes Ecritures, qui furent sans cesse mêlées aux approfondissements théologiques de l’Aquinate et consolèrent ses derniers moments ne soient donc jamais absentes de vos activités intellectuelles ni du comportement coutumier de votre vie intérieure. En outre Nous estimons digne de spéciale recommandation l’étude spéculative de la théologie thomiste, laquelle vous doit être fort à cœur, de par le précepte même de votre dernier Chapitre d’élections : « la Théologie Thomiste spéculative fut toujours le singulier patrimoine de votre Ordre » [4]. Qu’en votre Athénée la théologie soit donc florissante, toujours en faveur et en parfaite estime, cette théologie pour laquelle le très illustre Aquinate revendiqua justement, en son temps, les prérogatives d’une vraie science et d’une vraie sagesse, et à laquelle il attribua la primauté sur toutes les doctrines et tous les arts [5].
De cette théologie, Nous avons Nous-même, dans l’encyclique Humani generis, soutenu ouvertement les principaux mérites, contre certains sectateurs de nouveautés [6]. En ce qui concerne les diverses questions théologiques à traiter, s’il est juste de ne point sous-estimer les progrès réalisés par les sciences historiques et par les sciences expérimentales, il faut néanmoins maintenir avec soin les principes et les points capitaux de la doctrine de saint Thomas.
Nous estimons devoir en dire autant, toutes proportions gardées, pour ce qui a trait aux études de philosophie.
Cultiver, à l’exemple de saint Thomas, l’amour de la vérité et la vérité de l’amour.
Après avoir admiré, des yeux de l’esprit, la sagesse quasi angélique de votre Guide et Maître, méditez maintenant avec Nous ses vertus, afin de vous appliquer dans un effort continu à les traduire dans votre conduite. Lui-même, à n’en pas douter, ordonna à son progrès spirituel ces maximes de l’apôtre saint Paul : « Si j’avais le don de prophétie, et que je connaisse tous les mystères et toute la science…, mais que je n’aie pas la charité, je ne suis rien » (i Cor., xiii, 2) et « La science enfle, mais la charité édifie » (I Cor., viii, 2). Bien que saint Thomas cultivât de tout son cœur les doctrines d’ordre spéculatif, il reconnut cependant que la primauté revient à la charité, que les autres vertus servent comme une reine au diadème plus étincelant : c’est d’elle en effet que la foi reçoit sa vitalité, et les dons de l’Esprit-Saint leur force ; d’elle encore que vient à la contemplation des mystères de Dieu la flamme secrète qui l’alimente. Cultivez donc, vous aussi, la charité avec un grand zèle et un effort constant, et avec elle les sentiments d’une piété vivante ainsi que les autres vertus, exigées par votre condition et votre état, afin que les études austères où vous vous plongez, bien loin de vous nuire, vous aident à gravir les degrés de la perfection évangélique. En même temps que les vertus surnaturelles, gardez avec un soin vigilant vos vœux de religion et les règles de votre Institut particulier ; que la sainte liturgie vous tienne à cœur et soit votre joie ; que de vos lèvres, bien mieux, de votre cœur, jaillissent fréquemment, ainsi que d’une riche veine, de fervents entretiens sur les choses de Dieu ; que vous ayez enfin tout ensemble pour fidèle compagnon et éveilleur de pensées élevées l’amour de la vérité et la vérité de l’amour.
Avant de clore Notre discours, Nous voulons proposer à vos réflexions et résolutions quelques très belles paroles de saint Bonaventure, qui était uni à saint Thomas d’Aquin par les liens d’une bienveillante amitié : « Que personne ne croie que puissent suffire la lecture sans l’onction, la spéculation sans la dévotion, la recherche sans l’admiration, l’effort de l’esprit sans les transports du cœur, la science sans la charité, l’intelligence sans l’humilité, l’étude sans la grâce divine, l’image reflétée sans la sagesse communiquée par Dieu… Exerce-toi donc, homme de Dieu, à stimuler en toi le tourment de la connaissance avant que de porter ton regard sur les rayons de la sagesse, réfléchis en son miroir, de peur que, par le réfléchissement même des rayons, tu ne tombes dans un plus profond abîme de ténèbres » [7].
Enfin, comme gage du secours de Dieu, de qui vient la charité et qui est charité, que vous soit de bon augure la Bénédiction apostolique que très volontiers et affectueusement Nous donnons à vous tous, à ce que vous avez entrepris et à vos projets les plus chers.
Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-Augustin Saint Maurice – D’après le texte latin des A. A. S., L, 1958, p. 150 ; traduction française de l’Osservatore Romano, du 24 janvier 1958.
- S. Th., 3 p. Suppl. q. 29, a. 3, Sed contra 2 ; et 2a 2ae p., q. 10, a. 12 in c.[↩]
- S. Cypr. Epist. 55, c. 14.[↩]
- S. Th., 1 p., q. 1, a. 8 ad. 2.[↩]
- Acta Capit. Gener. elect. 1955, n. 113.[↩]
- S. Th., 1 p., q. 1, a. 6.[↩]
- Cf. A. A. S., XXXXII, 1950, p. 573 ; Documents Pontificaux 1950, p. 295.[↩]
- S. Bonaventure, Itineriarum mentis in Deum, Prol. n. 4.[↩]