Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

18 février 1958

Allocution aux curés et prédicateurs de carême de Rome

Table des matières

Lors de l’au­dience tra­di­tion­nelle accor­dée aux curés et pré­di­ca­teurs de Carême de Rome, le Saint-​Père a pro­non­cé une allo­cu­tion en ita­lien, dont voi­ci la traduction :

Il Nous semble que vos cœurs vibrent d’un saint frémisse­ment de zèle pour la gloire de Dieu et pour le salut des âmes en cette veille de la sainte Mission que vous vous apprê­tez, chers curés et pré­di­ca­teurs de Carême de Rome, à prê­cher ces jours pro­chains aux fils bien-​aimés de Notre dio­cèse romain, à l’oc­ca­sion du cen­te­naire des appa­ri­tions pro­di­gieuses de Lourdes, afin de sus­ci­ter dans toutes les consciences un puis­sant réveil de foi et de vie chré­tienne. A la manière du semeur évan­gé­lique (Matth., xiii, 3 et suiv.), qui se dis­pose, le cœur plein d’es­poir mais aus­si de crainte, à jeter sur les mottes de terre cou­vertes de rosée la bonne semence, peut-​être savourez-​vous déjà en esprit la joie du mois­son­neur le jour où les champs sont dorés par les épis gon­flés, dont l’a­bon­dance vient récom­pen­ser les tra­vaux exté­nuants. S’il est bien de nour­rir, au début de toute entre­prise apos­to­lique, de tels sen­ti­ments d’es­pé­rance et d’ar­deur, fon­dés dans la confiance en Dieu, de qui dépend tout accrois­se­ment (1 Cor., iii, 6), c’est éga­le­ment une sage pen­sée de pré­voir la meilleure façon d’ob­te­nir l’abon­dance sou­hai­tée des fruits, c’est-​à-​dire d’ex­plo­rer avec dili­gence le champ pour recon­naître les ter­rains qu’il convient le mieux d’ex­ploi­ter, les obs­tacles à sup­pri­mer, les fatigues par­ti­cu­lières à affron­ter, les méthodes les plus oppor­tunes et avantageuses.

Ce sont là cer­tai­ne­ment les pen­sées et, peut-​être, les anxié­tés qui occupent vos esprits en ces jour­nées fer­ventes de veille et qui vous ont accom­pa­gnés en Notre pré­sence, dési­reux d’é­cou­ter de Nous des sug­ges­tions et exhor­ta­tions, qui soient pour vous un sou­tien dans l’en­tre­prise ardue de faire revivre, par une lumière et une acti­vi­té nou­velles, chez les Romains, la réa­li­té suprême du Dieu Unique dans la Trinité,

Rome, protagoniste de la vraie civilisation et patrie commune des rachetés, impose des devoirs à ses fils.

Nous accueillons bien volon­tiers votre désir légi­time, cer­tain d’ac­com­plir de la sorte le devoir par­ti­cu­lier qui Nous revient de la charge d’Evêque de Rome, et en outre d’o­béir à une impé­rieuse impul­sion de Notre cœur, comme fils affec­tueux et dévoué de l’Urbs. Rome ! Cité sacrée, éter­nelle et célèbre, choi­sie par la divine Providence pour être dans le monde le porte-​drapeau d’une authen­tique civi­li­sa­tion, et par le Christ pour deve­nir la patrie com­mune de ceux qu’il a rache­tés ! Si tous ses fils qui, par nais­sance ou par choix, aiment à se parer de son nom, étaient davan­tage conscients de sa sublime digni­té, de la splen­deur incom­pa­rable de son pas­sé, de son influence effi­cace sur l’o­rien­ta­tion des peuples et, sur­tout, du des­tin sin­gu­lier vers lequel la conduit mys­té­rieu­se­ment la main du Tout-​Puissant, com­bien serait plus vif chez eux le sens des res­pon­sa­bi­li­tés en vue de conser­ver et défendre sa digni­té ! Il n’y aurait pas lieu d’être per­plexe dans les déci­sions qui concernent la foi chré­tienne et son hon­neur, mais on redou­ble­rait d’ac­ti­vi­té dans les œuvres de jus­tice, d’hon­nê­te­té, de bon exemple dans les mœurs, tan­dis que la conduite exté­rieure de la vie révé­le­rait éga­le­ment une séré­ni­té, une pure­té et une spi­ri­tua­li­té inté­rieures. Surtout un authen­tique fils de l’Urbs ne pour­rait jamais tolé­rer que l’oc­ca­sion fût don­née au monde de se faire de Rome une double image : une, res­plen­dis­sante de gloires his­to­riques et, par consé­quent, admi­rable, et une autre médiocre et sans gloire, à peu près à l’é­gal d’autres lieux tris­te­ment connus pour leur apa­thie reli­gieuse, pour leur insen­si­bi­li­té spi­ri­tuelle et morale. Une telle crainte Nous rend anxieux et Nous empêche presque de dor­mir, spé­cia­le­ment lorsque Nous Nous attar­dons à consi­dérer la rapide exten­sion de nou­veaux quar­tiers, l’af­fluence inces­sante d’hôtes nou­veaux, qui ont sans doute besoin de tout mais ignorent bien sou­vent les bonnes tra­di­tions romaines, les faits peu rares de la « chro­nique noire » et les évé­ne­ments dits « scan­da­leux » : les uns racon­tés au public et mis en relief, avec une pro­fu­sion de détails et, par­fois, avec un sub­til senti­ment de com­plai­sance ; les autres soit entiè­re­ment inven­tés soit ampli­fiés de manière à impli­quer dans une même diffa­mation les noms de per­sonnes hon­nêtes et des ins­ti­tu­tions les plus sacrées. Or, chers curés, Nous deman­dons à vos conscien­ces de pas­teurs, dési­gnés pour être, sous l’au­to­ri­té de vos supé­rieurs, une pro­tec­tion des Romains, leur guide, leur sou­tien, de consi­dé­rer si ne fait pas par­tie de votre charge le devoir de veiller au bon renom de Rome et d’empêcher, autant qu’il vous appar­tient, qu’une faible por­tion de déni­greurs pour­suive impu­né­ment son œuvre de dévas­ta­tion, dans l’es­prit de chan­ger le visage sacré de l’Urbs en un aspect « laïc » comme ils disent, et presque païen, en s’ef­for­çant d’ef­fa­cer des convic­tions et des mœurs du peuple les glo­rieuses tra­di­tions reli­gieuses de leurs pères.

Voilà donc le champ de votre minis­tère ordi­naire et de l’im­mi­nente Mission extra­or­di­naire : Rome, avec envi­ron deux mil­lions d’âmes, aux­quelles on doit assu­rer une pos­ses­sion plus solide et agis­sante de Dieu, au moyen de la pro­fes­sion de la foi catho­lique, accep­tée libre­ment, mais sans com­pro­mis ; Rome, dont le des­tin pro­vi­den­tiel, fon­de­ment de sa gran­deur pré­sente et future, ne peut être garan­ti que par la conduite de vie ouver­tement chré­tienne de ses citoyens.

I. LA MISSION DE ROME

Rome est une cité unique au monde, non pas tant par l’ad­mi­rable ensemble de gran­deurs humaines que signi­fie son nom, mais et sur­tout par la mis­sion spi­ri­tuelle qui lui a été assi­gnée par Dieu, lors­qu’il ins­pi­ra à Pierre de la choi­sir comme siège défi­ni­tif de la Chaire pon­ti­fi­cale et trône de tout pou­voir spi­ri­tuel. Depuis lors, l’en­sei­gne­ment de Rome fut syno­nyme d’en­sei­gne­ment de cette Chaire, de l’Autorité suprême de magis­tère dans le domaine de la foi et de la morale, ensei­gne­ment infaillible parce qu’il est celui du Christ. Dans la suc­ces­sion inin­ter­rom­pue des Souverains Pontifes, qui occu­pèrent tour à tour cette Chaire romaine « au pri­mat pré­émi­nent » [1], cha­cun d’eux fut, comme il le sera tou­jours, le Vicaire du Christ sur la terre, qui parle au monde en Son nom, en dif­fu­sant la lumière de la foi et en pro­po­sant des normes sûres de vie et d’ac­tion. La gran­deur de Rome s’ac­crut à l’é­gal des responsa­bilités que sa Chaire acquit avec une évi­dence crois­sante aux yeux de tous.

A pré­sent, la mis­sion de Rome, comme centre spi­ri­tuel et moral du monde, non seule­ment conti­nue sans alté­ra­tion, mais il y a lieu de croire qu’elle appa­raî­tra avec une évi­dence tou­jours plus grande. En effet, le monde est en train de prendre chaque jour davan­tage conscience de son uni­té. Les hommes ne sont plus, comme autre­fois, étran­gers les uns aux autres, ni ne se contentent de la rela­tion qui naît du fait d’être sem­blables ou iden­tiques, de même qu’ils ne se satis­font pas des rap­ports qui dérivent de la fina­li­té com­mune ; c’est-​à-​dire qu’il ne leur suf­fit pas d’être et de se consi­dé­rer sim­ple­ment comme proches et asso­ciés ; mais ils se plaisent à se dire une « famille humaine » et ils sont atten­tifs et émer­veillés chaque fois qu’on leur révèle et qu’on leur explique la sublime beau­té du Corps mys­tique du Christ. Quand on dit aux hommes qu’ils sont des membres d’un seul corps – des membres libres parce que conscients, et, tou­te­fois, unis par l’Esprit-​Saint – on sus­cite tout d’a­bord la stu­peur, puis le jaillis­se­ment de la joie dans une appro­ba­tion émue. Cela signi­fie que par­ler de l’hu­ma­ni­té comme d’une mul­ti­tude de créa­tures des­ti­nées à deve­nir l’Eglise n’est pas aus­si dif­fi­cile qu’il pour­rait le sem­bler à cer­tains ; cela indique d’autre part que, l’Eglise ayant son centre à Rome, la pré­vi­sion d’un insigne poète païen, ins­pi­ré par un enthou­siasme patrio­tique, devien­dra de plus en plus réa­li­sable aux yeux de l’es­prit : l’é­ten­due de la cité de Rome coïn­ci­de­ra avec le ter­ri­toire du monde : Gentibus est aliis tel­lus data limite cer­to ; Romanæ spa­tium est Urbis et orbis idem[2].

Parce que – comme Nous l’a­vons dit d’autres fois – peut-​être sonne pour la Chrétienté une heure com­pa­rable aux temps de son his­toire pri­mi­tive. Aujourd’hui, le monde se pré­pare à regar­der Rome, la Rome chré­tienne, comme une cité située sur la mon­tagne, comme un phare à la puis­sante lumière.

II. L’ÉTAT PRÉSENT DE ROME

Que per­sonne ne s’é­tonne de ce qui pour­rait sem­bler une digres­sion alors que c’est le fond d’un tableau que Nous devons, Nous et vous, avoir en ce moment devant les yeux.

Essayons de gar­der notre séré­ni­té, chers fils ; nous ne devons pas exa­gé­rer les ombres, ni sous-​évaluer les lumières. Si nous voyons la réa­li­té, telle qu’elle se pré­sente, nous aurons déjà fait le pre­mier pas pour appor­ter un remède aux incon­vé­nients, qui se sont révé­lés dans leur gra­vi­té plus ou moins sérieuse.

Vous savez très bien ce que votre zèle, votre sacri­fice quo­ti­dien et par­fois héroïque obtient des âmes qui vous sont confiées. Vous le savez et Nous ne pou­vons l’i­gno­rer Nous-​même qui – autant que cela Nous est pos­sible – vous sui­vons, en fai­sant Nôtres vos anxié­tés et vos joies. Mais vous n’i­gno­rez pas non plus que beau­coup de vos parois­siens sont tom­bés dans un état de tor­peur spi­ri­tuelle ; vous n’i­gno­rez pas que cer­tains, encore pra­ti­quants, ne veulent pas sor­tir d’une cer­taine forme d’é­goïsme spi­ri­tuel ; d’autres croient et, tou­te­fois, ne veulent pas pra­ti­quer ; d’autres enfin sont vacillants dans la foi ou même ont com­plè­te­ment renon­cé à croire.

Il ne manque pas à Rome, comme ils ne man­quèrent pas déjà autour du divin Rédempteur, d’hommes misé­rables, qui répandent les offenses contre les per­sonnes et les choses sacrées ; qui ne se privent d’au­cun moyen de lutte ni n’ex­cluent aucun coup. Peut-​on donc dire que Rome éga­le­ment a ses zones d’ombre, ses îlots à évan­gé­li­ser, comme une terre de mis­sion ? Ceux qui, comme vous, connaissent à fond la ville, ne peuvent se dis­pen­ser de l’ad­mettre. Peut-​être y aura-​t-​il des âmes éga­rées qui s’en réjoui­ront, invi­tées du reste elles aus­si à mar­cher dans la lumière tant qu’elle brille (Jean, xii, 35). Nous devons en revanche, Nous et vous, demeu­rer pré­oc­cu­pés ; nous devons lais­ser notre âme en proie à une pro­fonde tris­tesse, qui, cepen­dant, ne doit pas abattre l’a­pôtre, mais au contraire allu­mer dans son cœur un zèle plus ardent.

III. LA MISSION À ROME

On com­prend alors, chers fils, pour­quoi Nous avons accueilli avec joie la nou­velle qu’une Mission extra­or­di­naire aurait lieu à Rome à l’oc­ca­sion du cen­te­naire des appa­ri­tions de Lourdes ; une Mission qui veut atteindre tout le monde et obte­nir le plus pos­sible de tous ; compte tenu natu­rel­le­ment de l’am­pleur de Rome, du nombre extra­or­di­nai­re­ment accru de ses habi­tants et, sur­tout, de la libre déter­mi­na­tion des créa­tures humaines, dont cer­taines pour­raient même être inon­dées par une pluie de béné­dic­tions divines, sub­mer­gées par la grâce de l’Esprit-​Saint et, tou­te­fois, ne pas en être ébran­lées et demeu­rer obsti­nées et absentes.

Nous avons donc confiance que la Mission obtien­dra l’ef­fet dési­ré et atten­du. Entre temps, une pha­lange d’âmes qui prient et qui souffrent ont tout de suite accep­té d’être comme des lampes allu­mées, qui brûlent et se consument devant le Seigneur pour implo­rer l’a­bon­dance de ses béné­dic­tions sur l’Urbs. Des pré­lats, des prêtres du cler­gé dio­cé­sain et reli­gieux, des mili­tants catho­liques de toutes caté­go­ries se sont offerts en une émou­vante lutte de géné­ro­si­té : l’Action Catholique est au pre­mier rang et toutes les autres Associations catho­liques se sont join­tes à elle, en une com­mu­nau­té fra­ter­nelle d’in­ten­tions. Nous avons lu per­son­nel­le­ment les réponses que les curés ont don­nées au ques­tion­naire qui leur avait été envoyé et Nous avons noté que tout marche bien dans la mesure du pos­sible, étant don­né la briè­ve­té de temps et la com­plexi­té d’une pré­pa­ra­tion appropriée.

Nous recom­man­dons à Nos chers fils, les pré­di­ca­teurs de la Mission, de déve­lop­per avec dili­gence, pro­fon­deur et clar­té, les thèmes envi­sa­gés. Il Nous semble qu’ils peuvent par­fai­te­ment s’employer à atteindre l’es­prit et le cœur de chaque caté­go­rie de per­sonnes, en disant à chaque âme la parole dont elle a besoin. Quelques-​unes doivent être ame­nées à recher­cher Dieu ; d’autres ont besoin d’être pous­sées à en appro­fon­dir la connais­sance ; pour beau­coup il est néces­saire de pas­ser de la connais­sance à l’a­mour et de celui-​ci au service.

De nombreuses âmes recherchent Dieu.

A pro­pos de « recherche de Dieu », il fau­dra faire une dis­tinction entre les âmes déli­bé­ré­ment éloi­gnées de Lui et celles qui cherchent de quelque manière à s’ap­pro­cher du Seigneur. Aux pre­mières – à celles qui aspirent aux choses de la terre, qui ter­re­na sapiunt (PhiL, iii, 19) et ont sub­sti­tué au Dieu vivant des idoles caduques –, il fau­dra faire noter le déclin de tant de gloires, la ruine de tant de richesses, le lien mys­té­rieux et tou­te­fois réel entre la boue et le plai­sir inter­dit et tant de larmes ver­sées et tant de sang répan­du. Aux autres – à ceux qui savent déjà s’é­le­ver au-​dessus de l’in­té­rêt per­son­nel et ma­tériel – il fau­dra don­ner fra­ter­nel­le­ment la main et les aider à se rendre compte qu’ils sont moins loin de Dieu qu’on ne pour­rait le pen­ser : en effet leur tou­chant atta­che­ment à la famille, leur culte du devoir, leur besoin d’a­mour, leur faim et soif de jus­tice ne sont autre chose que des signes d’as­pi­ra­tion à Dieu, de recherche effec­tive, voire peut-​être encore incons­ciente, de Dieu.

L’étude assidue et systématique de la religion conduit logiquement à l’amour de Dieu.

A pro­pos de « connais­sance de Dieu », Nous vou­drions vous recom­man­der d’in­sis­ter sur la néces­si­té que tous les fidèles arrivent à un appro­fon­dis­se­ment de la doc­trine sur Dieu au moyen de l’é­tude assi­due et sys­té­ma­tique. Trop de fois au pro­grès de la culture pro­fane ne cor­res­pond pas en pro­por­tion le déve­lop­pe­ment de la culture sacrée : alors voi­ci les doutes qui res­tent sans solu­tion, voi­ci l’ag­nos­ti­cisme, voi­ci la perte de la foi. En revanche, si la connais­sance de Dieu était com­plète, dans les limites per­mises par le déve­lop­pe­ment cultu­rel d’une âme, celle-​ci par­vien­drait plus faci­le­ment à la « recon­nais­sance de Dieu » et pren­drait ain­si la posi­tion qui convient devant Lui. Et se rap­pe­lant que sa rela­tion avec Dieu est réelle et consti­tutive de son propre être, elle se com­por­te­rait avec Lui comme on se com­porte avec le Maître abso­lu, qui est en même temps son Tout. Ensuite comme, par un effet d’a­mour sur­abon­dant, l’âme a reçu de Dieu avec la grâce Sa vie même, elle Le consi­dérerait comme son Père et s’es­ti­me­rait, ce qu’elle est en réa­li­té, une vraie fille de Dieu. Et voi­ci qu’ap­pa­raît, logique et néces­saire, l”« amour de Dieu » : qui, tout d’a­bord, est un désir de ses dons, puis est un désir de Lui-​même. Les âmes vou­dront donc connaître sa volon­té, s’y confor­mer, s’y atta­cher ; elles en arrivent ain­si à « ser­vir Dieu » : spon­ta­né­ment, tota­le­ment, joyeusement.

Nous recom­man­dons à tous les prêtres et aux laïcs qui col­la­borent avec eux de prier et de tra­vailler sans répit et tout aus­si ins­tam­ment, afin que Jésus trouve débar­ras­sée de résis­tances cou­pables la voie pour arri­ver dans tout cœur, dans toute famille, dans toute mai­son, dans toute école, dans toute usine.

Soyez dis­crets pour ne pas trou­bler par des gestes inoppor­tuns le cli­mat de libre fer­veur, qui devra se créer avec l’aide de Dieu ; mais soyez éga­le­ment cou­ra­geux, soyez sain­te­ment ingé­nieux. Des âmes qui répon­dirent « non » au pre­mier appel cédèrent ensuite aux insis­tances dont elles furent dou­ce­ment, mais fer­me­ment, l’ob­jet, pour qu’elles ne laissent pas Jésus pas­ser en vain.

Soyez éga­le­ment pra­tiques, en aidant les fidèles à tirer des sublimes véri­tés chré­tiennes les règles morales concer­nant les actes quo­ti­diens, dont la vie est tis­sée. Désirant donc vous conseiller dans ce domaine, Nous pren­drons comme exemple trois points par­ti­cu­liers de la morale chrétienne.

Le commandement de la sanctification des fêtes

Le pre­mier concerne le com­man­de­ment de la sanc­ti­fi­ca­tion des jours de fête. Le monde d’au­jourd’­hui, spé­cia­le­ment dans les grandes villes, est bien loin, dans l’u­ti­li­sa­tion du repos du jour férié, du sens pri­mi­tif de reli­gion enten­du par l’Eglise. A sa place s’est sub­sti­tuée une fré­né­sie de jouis­sance maté­rielle (bien dif­fé­rente du délas­se­ment néces­saire et légi­time), qui entraîne riches et pauvres, par­fois sans rete­nue morale et avec le gas­pillage des éco­no­mies de la semaine. Même quand est res­pec­tée l’es­sence du pré­cepte, par l’as­sis­tance à la sainte messe, il est assez rare de trou­ver quel­qu’un qui se réserve une heure de recueille­ment pour culti­ver son esprit, pour édu­quer ses enfants, pour accom­plir quelque œuvre de misé­ri­corde par­mi les indi­gents ou les malades. Que dire ensuite du tra­vail ser­vile non néces­saire par lequel, plus d’une fois, même à Rome, on pro­fane le jour férié, par­fois publi­que­ment et à grand scan­dale ? Peut-​on donc par­ler de bon exemple chré­tien d’une ville, lorsque, comme on Nous le rap­porte, on n’a pas encore réus­si à orga­ni­ser cer­tains mar­chés publics de manière que plu­sieurs mil­liers de tra­vailleurs puissent jouir du droit au repos domi­nical et accom­plir leurs devoirs reli­gieux ? Enseignez donc à vos fidèles l’es­prit avec lequel on doit pas­ser le jour férié, les limites morales que l’on doit s’im­po­ser dans les dis­trac­tions, les œuvres posi­tives de bien dont Dieu exige l’ac­com­plis­se­ment en ce jour, qui est plus le « Sien » que le nôtre.

Le respect de sa propre vie …

Il est un second point que Nous dési­rons que vous trai­tiez, curés et pré­di­ca­teurs, durant la Mission et par la suite encore, enga­geant en cela la force de votre per­sua­sion pater­nelle. La vie, même per­son­nelle, appar­tient exclu­si­ve­ment à Dieu, et per­sonne ne peut y renon­cer sans com­mettre une très grave faute. Vous com­pre­nez que Nous fai­sons allu­sion au trop grand nombre de sui­cides, ten­tés ou accom­plis, dans votre ville comme dans d’au­tres, com­mis peut-​on dire par les membres de toutes les classes sociales, sans exclu­sion d’âge, même de celui où l’es­pé­rance de la vie éter­nelle appa­raît plus lumi­neuse. Quand – et cela arrive sou­vent – en par­cou­rant les chro­niques de la ville, votre regard tombe sur la nou­velle d’un de ces cas si pitoyables, un ter­rible doute devrait assaillir votre conscience sacer­do­tale : avons-​nous fait assez, nous pas­teurs d’âmes, pour enra­ci­ner dans les cœurs la foi et l’es­pé­rance chré­tiennes ? pour ins­pi­rer le cou­rage dans les épreuves, la patience dans les mala­dies, la confiance en la Providence, la force spi­ri­tuelle contre une si grande lâche­té ? pour ébran­ler salu­tai­re­ment ceux qui sont ten­tés par une sug­ges­tion si insen­sée ? Le sui­cide n’est pas seule­ment un péché excluant les voies nor­males de la miséri­corde divine, mais il est éga­le­ment l’in­di­ca­tion de l’ab­sence de la foi ou de l’es­pé­rance chré­tiennes. Enseignez donc à vos fidèles l’hor­reur de ce crime, éduquez-​les à sup­por­ter les mal­heurs, effrayez-​les, si c’est néces­saire pour leur salut, avec les argu­ments divins et humains que la morale catho­lique expose ample­ment. Faites tout le pos­sible pour empê­cher que cette plaie sociale ne s’é­tende. La lutte contre le sui­cide entre pleine­ment par­mi les devoirs du minis­tère sacerdotal.

… et de celle des autres.

Le troi­sième point de morale pra­tique qui laisse assez à dési­rer dans une grande métro­pole comme Rome, est conte­nu dans le cin­quième com­man­de­ment : tu ne tue­ras pas. Nous enten­dons faire allu­sion au trop grand nombre de vies humaines fau­chées ou de per­sonnes bles­sées par l’u­sage impru­dent des véhi­cules modernes. La fré­quence des acci­dents mor­tels de la route a mal­heu­reu­se­ment atté­nué la sen­si­bi­li­té natu­relle envers l’hor­reur, au moins objec­tive, de ce fait : une vie sup­pri­mée d’un ins­tant à l’autre, sans aucun motif et par son sem­blable, le plus sou­vent incon­nu. Les chiffres de ces morts inutiles, don­nés par les sta­tis­tiques, sont effrayants. Dans la Commune de Rome seule­ment, durant le seul mois de novembre de l’an der­nier, selon un rap­port publié dans les jour­naux, 2,968 acci­dents ont fait perdre la vie à 31 per­sonnes, et 1928 ont été bles­sées. Chiffres qui, réunis pour toute l’an­née et pour toute la pénin­sule, dépas­se­raient le nombre des morts de batailles même célèbres 1 Ces tristes faits ne peuvent être attri­bués à la tech­nique par elle-​même, mais à la cou­pable impru­dence de ceux qui osent conduire sans expé­rience, ou dans des condi­tions psy­chiques défa­vo­rables, ou en négli­geant les pré­cau­tions et règles vou­lues. Que dire aus­si de la légè­re­té de conduc­teurs insen­sés, qui se laissent entraî­ner par la fré­né­sie de la vitesse et de la riva­li­té, par­fois en plein centre de la ville, indif­fé­rents à leur sécu­ri­té et à celle d’au­trui ? Comment un chré­tien, un hon­nête homme peut-​il ne pas trem­bler à la seule pen­sée d’être clas­sé par sa propre conscience et contre sa volon­té, au moins directe, par­mi les homi­cides, pour avoir cédé à la ten­ta­tion d’une hâte vaine et sou­vent injus­ti­fiée ? Tandis qu’il appar­tient aux Autorités civiles de sévir contre ceux qui contre­viennent au code de la route et d’a­dop­ter les mesures de pré­voyance néces­saires, le devoir vous revient à vous, curés et prêtres, de contri­buer au même but, en éclai­rant les consciences des conduc­teurs, en fai­sant res­sor­tir les consé­quences éga­le­ment reli­gieuses en cas de décès immé­diat de la vic­time et en rappe­lant les res­pon­sa­bi­li­tés morales devant la socié­té et Dieu même.

IV. EXHORTATION FINALE

Un der­nier mot, chers fils !

Désireux comme Nous le sommes que Rome soit telle que Dieu la veut, comme l’exigent son pas­sé, son pré­sent et son ave­nir, Nous vous conju­rons de faire tous vos efforts afin que les fruits que vous recueille­rez de la Mission ne soient pas pro­vi­soires ni éphé­mères, mais apportent à la cité des bien­faits vrai­ment durables.

C’est l’heure de l’ac­tion, de l’ac­tion la plus urgente ; travail­lez sans trêve et appe­lez à votre aide les âmes les plus géné­reuses. Il y en a, grâce à Dieu, de tout âge et de toute condi­tion ; il y en a dans tout quar­tier, dans toute mai­son, sou­vent dans toute famille. Faites d’elles autant de mis­sion­naires et demandez-​leur de se vouer à toute sorte d’hé­roïsme pour se pré­pa­rer à sou­te­nir le heurt inévi­table avec le monde de l’indif­férence, de l’a­po­sta­sie, de la haine anti­re­li­gieuse. Dites-​leur avec cou­rage et confiance, qu’il y a un besoin de saints dans le monde : de saints prêtres, de saints reli­gieux, de saintes reli­gieuses. Mais qu’il y a éga­le­ment besoin, spé­cia­le­ment au­jourd’hui, de saints laïcs. Que tous entre­voient l’en­chan­te­ment d’une vie secrète avec le Christ en Dieu et, tou­te­fois, consa­crée à Le faire connaître, à Le faire aimer, à Le faire ser­vir dans le monde ! Multipliez, chers fils, les saintes avant-​gardes d’une armée héroïque, dont l’ac­tion, si Dieu le veut, peut pré­pa­rer une vic­toire et un triomphe dif­fi­ci­le­ment ima­gi­nables aujourd’hui.

Et puis, employez-​vous par tous les moyens à coor­don­ner les efforts de tous, afin que de l’in­ten­tion unique, de la volon­té unique naisse une action unique.

Cette uni­té est aujourd’­hui abso­lu­ment indis­pen­sable. Soyez per­sua­dés que seul l’a­pos­to­lat constant, ordon­né et coor­don­né pour­ra faire de Rome une cité sainte ; c’est-​à-​dire digne de sa mis­sion éter­nelle : une cité où l’on cherche Dieu, où l’on connaît Dieu, où l’on aime Dieu, où l’on sert Dieu.

Rome doit être une cité où tous et tout coopèrent à l’exécu­tion des des­seins de Dieu, qui veut pos­sé­der toutes les choses, en les éle­vant dans la mesure où elles se tournent vers Lui. Car un jour II sera tout en toutes choses ; et seront consom­mées la sanc­ti­fi­ca­tion de l’in­di­vi­du, l’har­mo­nie des indi­vi­dus entre eux, dans l’u­nique volon­té du Seigneur, laquelle a en vue tout ensemble la plus grande gloire du Père et la féli­ci­té éter­nelle de ses fils. Ainsi soit-il !

Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-​Augustin Saint Maurice – D’après le texte ita­lien des A. A. S., L, 1958, p. 161 ; tra­duc­tion fran­çaise de l’Osservatore Romano, du 28 février 1958.

Notes de bas de page
  1. Conc. Vatic., Sess. IV, ch. 2 – Denz. n. 1823.[]
  2. Ovid. Fastorum., liv. 2, vers. 683–684.[]