Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

20 avril 1956

Discours à l'institut national masculin de Rome

Table des matières

Le ven­dre­di 20 avril, le Souverain Pontife a reçu en audience les élèves, pro­fes­seurs et direc­teurs du Pensionnat natio­nal mas­cu­lin de Rome, à l’oc­ca­sion du ving­tième anni­ver­saire de sa nou­velle installation.

Il leur a adres­sé en ita­lien un impor­tant dis­cours, dont nous don­nons la tra­duc­tion suivante :

En vous accueillant avec une satis­fac­tion pater­nelle dans Notre demeure, chers jeunes gens de l’Internat natio­nal mascu­lin de Rome, Nous vous expri­mons la vive satis­fac­tion de Nous trou­ver au milieu de vous, de vos édu­ca­teurs et de vos familles.

Il Nous semble res­pi­rer la brise fraîche de prin­temps que répand autour de lui tout groupe de jeu­nesse ; mais, en outre, comme vous appar­te­nez à un Institut sco­laire romain, Nous avons comme l’im­pres­sion de reve­nir pour de brefs moments aux jours de Notre loin­taine jeu­nesse, lorsque dans un autre Ins­titut, éga­le­ment romain et, comme le vôtre, héri­tier de glorieu­ses tra­di­tions, Nous pas­sions des années sereines, en culti­vant avec l’aide de la grâce, les aspi­ra­tions secrètes de l’âme pour la réa­li­sa­tion des­quelles toute fatigue est légère, tout sacri­fice se trans­forme en joie.

Loin alors de pré­voir ce que seraient les voies que Nous réser­vait la divine Providence, Nous esti­mions que, de toute façon, le pre­mier devoir était de ne pas Lui oppo­ser de résis­tance, mais de suivre doci­le­ment ses des­seins, en pra­ti­quant les conseils et les ensei­gne­ments de ceux qui la repré­sentent auprès de tout enfant, dans la famille, dans l’Eglise et à l’école.

Nous dési­rons tout de suite vous don­ner cette même règle comme sou­ve­nir de cette ren­contre avec Nous, afin que les an­nées que vous pas­sez au col­lège soient de fécondes semences pour toute la vie qui vous attend.

Il rappelle le glorieux passé de l’Institut national masculin actuel.

Vous êtes venus en Notre pré­sence, conscients des glo­rieuses tra­di­tions de votre Internat, qui fut fon­dé, comme on le sait, à la fin du XVIe siècle, par Notre pré­dé­ces­seur Clément VIII, sou­cieux d’as­su­rer à la Noblesse romaine, qui représen­tait en ces temps la classe diri­geante, une jeu­nesse pré­pa­rée reli­gieu­se­ment et cultu­rel­le­ment à affron­ter ses devoirs futurs. L’Institut s’ho­no­rait alors du titre de « Noble Collège pon­ti­fi­cal Clémentin ». Pendant trois siècles envi­ron et grâce à la direc­tion éclai­rée des Religieux Somasques, il répon­dit plei­ne­ment aux inten­tions de son Fondateur, expri­mées dans la Bulle « Ubi pri­mum ad sum­mi apos­to­la­tus api­cem » du 7 juillet 1604 [1], for­mant des géné­ra­tions de valeur, remar­quables par leur foi, leur culture lit­té­raire et artis­tique et par la pra­tique exem­plaire des ver­tus civiles. Il a cer­tai­ne­ment l’hon­neur d’a­voir été un mo­dèle pour tant d’autres Instituts en Italie et en Europe, qui, par tout le bien qu’ils répan­dirent dans la socié­té de l’é­poque, doivent éga­le­ment leur ori­gine à l’ac­tive sol­li­ci­tude de l’Eglise envers la jeunesse.

Comme tant d’autres Institutions romaines, le « Clementino » subit au cours du siècle der­nier la secousse des agi­ta­tions poli­tiques et tra­ver­sa, en consé­quence de celles-​ci et du change­ment de sa struc­ture, une période, dou­lou­reuse en contraste avec ses tra­di­tions ; cette période fut alors moins pro­pice à une édu­ca­tion par­faite des jeunes gens d’une nation, comme l’Italie, qui ne peut se tenir à l’é­cart des valeurs reli­gieuses. Mais, par une faveur divine, ce ne fut qu’une brève paren­thèse, car, le vent contraire ayant ces­sé, votre Institut, sous son nou­veau nom d”« Internat natio­nal », se reprit lui aus­si à pros­pé­rer et à retrou­ver la confiance des familles chrétiennes.

Actuellement, votre Internat, dans son nou­veau siège, cons­truit selon les exi­gences péda­go­giques modernes, par­fai­te­ment di­rigé par une pha­lange choi­sie de supé­rieurs, de pro­fes­seurs et d’ins­ti­tu­teurs, entou­ré des sol­li­ci­tudes et de l’es­time des auto­ri­tés publiques, pos­sède tout ce que l’on peut dési­rer pour as­surer aux nom­breux jeunes gens qui y accourent de toutes les régions, une par­faite édu­ca­tion reli­gieuse, civile et scolaire.

On connaît éga­le­ment les excel­lents résul­tats obte­nus dans les études, par­ti­cu­liè­re­ment ces der­nières années et démon­trés aux exa­mens finals, dont l’heu­reux suc­cès cou­ronne non seule­ment la dili­gence des élèves, mais, avec non moins de mérite, la sol­li­ci­tude active et la valeur du corps enseignant.

Il donne quelques directives pour l’œuvre éducatrice des collèges.

Toutefois, Nous vou­drions vous deman­der si, dans le do­maine de l’é­du­ca­tion, il est pos­sible de s’ar­rê­ter aux bons ré­sultats, sans s’ef­for­cer, autant que pos­sible et avec la grâce divine, de tendre à la per­fec­tion. Eh bien ! avec la sol­li­ci­tude de celui qui aime par­ti­cu­liè­re­ment la jeu­nesse, Nous dési­rons sai­sir cette occa­sion pour vous expri­mer quelques pen­sées sur l’œuvre édu­ca­tive des col­lèges ; et cela ser­vi­ra éga­le­ment à tant d’autres jeunes gens, dont l’a­ve­nir et celui de la socié­té elle-​même dépendent des brèves années pas­sées dans ces institutions.

Bien que l’é­du­ca­tion dans les col­lèges par­ti­cu­liè­re­ment dans les inter­nats, ait don­né dans le pas­sé comme à pré­sent de bons résul­tats, elle a été l’ob­jet de sévères cri­tiques de la part de cer­tains spé­cia­listes des sciences péda­go­giques, qui vou­draient la pros­crire comme si elle était tout à fait inadap­tée. Mais les cri­tiques, même basées sur telle ou telle défi­cience mani­feste, ne consti­tuent pas un motif suf­fi­sant pour condam­ner d’une façon géné­rale l’é­du­ca­tion dans les collèges.

Certes le milieu fami­lial, sorte de nid pré­pa­ré par la nature, quand il est assis­té par l’Eglise et com­plé­té par l’é­cole, est le plus adap­té pour assu­rer une bonne et même par­faite édu­ca­tion ; mais sou­vent les cir­cons­tances de lieu, de tra­vail et de per­sonnes empêchent la famille de se char­ger à elle seule de cette tâche ardue. Dans ces cas, le col­lège devient une ins­ti­tu­tion providen­tielle, sans laquelle de nom­breux jeunes gens res­te­raient pri­vés de grands biens. Toutefois, il n’exempte pas les parents du devoir de s’oc­cu­per des enfants, il exige même que leur influen­ce soit pré­sente éga­le­ment dans le col­lège pour com­plé­ter l’œu­vre de for­ma­tion qui s’ac­com­plit loin de leurs yeux. Entre l’é­du­ca­tion dans la famille sou­vent empê­chée, et celle au col­lège, obli­ga­toi­re­ment impar­faite, un juste milieu est repré­sen­té par le demi-​internat, où le jeune voit ajou­ter aux avan­tages de l’é­du­ca­tion fami­liale ceux propres à la vie de collège.

… Au collège, le jeune homme doit acquérir les habitudes du de­voir, de la discipline, des responsabilités.

Les prin­ci­pales qua­li­tés de celle-​ci sont la for­ma­tion de l’es­prit à une conscience plus rigou­reuse du devoir, au sens de la dis­ci­pline et de la pré­ci­sion, à l’ha­bi­tude d’or­don­ner ses occu­pa­tions, au sen­ti­ment de la res­pon­sa­bi­li­té de ces propres actes. Au col­lège, le jeune homme est ame­né de bonne heure à savoir vivre en socié­té, grâce aux rela­tions de dif­fé­rents gen­res dans les­quelles il arrive à se trou­ver avec ses supé­rieurs, avec ses condis­ciples et avec ceux qui lui sont infé­rieurs, tout au moins en âge. Il est pous­sé à la saine ému­la­tion, au juste sens de l’hon­neur et à l’ac­cep­ta­tion des sacri­fices néces­saires. La pos­ses­sion de ces dons dès les tendres années, faci­li­te­ra sans aucun doute au jeune homme l’en­trée dans la vie, le sou­tien­dra pour affron­ter les évé­ne­ments et dans l’ac­com­plis­se­ment des devoirs de son état. Cependant, la réa­li­sa­tion de ces résul­tats peut être com­pro­mis par des excès et par des défauts de métho­de, de nature à abou­tir à un effet contraire et, en consé­quence, à four­nir un motif pour juger néga­tive et nui­sible l’é­du­ca­tion de collège.

… Toutefois ce résultat ne peut être acquis que si le règlement est appliqué avec intelligence et sagesse.

Incontestablement, la vie en com­mun, hors du milieu na­turel, sous la domi­na­tion d’un règle­ment rigide, qui ne sache pas dis­cer­ner un indi­vi­du de l’autre, pré­sente ses dan­gers. Pour peu que l’on se trompe, on aura des élèves nul­le­ment prépa­rés au sens des res­pon­sa­bi­li­tés, mais entraî­nés, comme incons­ciemment, par le méca­nisme des actions à un pur for­ma­lisme, aus­si bien dans l’é­tude que dans la dis­ci­pline et dans la prière. La stricte uni­for­mi­té tend à étouf­fer l’é­lan per­son­nel ; la vie iso­lée à res­treindre la vaste vision du monde ; la pres­sion in­flexible du règle­ment sus­cite par­fois l’hy­po­cri­sie, ou bien im­pose un niveau spi­ri­tuel, qui pour les uns sera trop bas et, au contraire, pour les autres irréa­li­sable ; la trop grande sévé­rité finit par chan­ger les carac­tères forts en rebelles et les ti­mides en êtres crain­tifs et ren­fer­més en eux-mêmes.

Le Saint-​Père énumère les qualités essentielles d’une véritable édu­cation chrétienne. La première est l’action personnelle de l’éducateur.

Mais il est pos­sible et néces­saire de remé­dier à ces dan­gers par le dis­cer­ne­ment, la modé­ra­tion et la dou­ceur. En pre­mier lieu, il faut savoir dis­cer­ner chez les élèves chaque cas par­ticulier. L’éducation dite de masse, ain­si que l’en­sei­gne­ment de classe, coûte cer­tai­ne­ment moins de fatigue, mais risque de ne pro­fi­ter qu’à quelques-​uns alors que tous ont le droit d’en béné­fi­cier. Les enfants ne sont jamais égaux l’un à l’autre, ni par l’in­tel­li­gence, ni par le carac­tère, ni par les autres qua­li­tés spi­ri­tuelles : c’est là une loi de la vie. On doit donc les con­sidérer dis­tinc­te­ment, aus­si bien en fixant leur condi­tion de vie qu’en les cor­ri­geant et en les jugeant. En tous cas, il faut évi­ter la com­mu­nau­té trop uni­forme, qui oblige par­fois quel­ques cen­taines de col­lé­giens, dif­fé­rents par l’âge, à étu­dier, à dor­mir, à man­ger et à jouer dans un unique édi­fice, avec un unique horaire, sous un unique règle­ment. On doit au con­traire cher­cher à remé­dier à cet incon­vé­nient par la divi­sion en groupes homo­gènes et d’un nombre tel que ceux qui les assistent puissent suivre pater­nel­le­ment chaque sujet dis­tinct. Mais mê­me ain­si divi­sés en groupes — aux­quels il serait oppor­tun d’as­signer un horaire, un règle­ment et des exer­cices dif­fé­rents et pro­por­tion­nés —, et bien que le jeune homme nor­mal tire per­sonnellement de l’en­semble des valeurs spi­ri­tuelles et morales que lui offrent l’é­du­ca­tion et l’é­cole, le bon exemple et le bon livre, les élé­ments néces­saires pour sa juste for­ma­tion, il faut tou­te­fois que cha­cun se sente l’ob­jet d’une atten­tion spé­ciale de la part de l’é­du­ca­teur et qu’il n’ait jamais l’im­pres­sion d’être confon­du et oublié dans la masse, négli­gé dans ses néces­si­tés par­ti­cu­lières, dans ses besoins et dans ses fai­blesses, comme si ne comp­tait que sa pré­sence phy­sique. C’est de cette sollici­tude par­ti­cu­lière que résul­te­ra chez l’é­lève l’en­cou­ra­ge­ment à af­firmer et à déve­lop­per son tem­pé­ra­ment per­son­nel, l’es­prit d’en­treprise, le sens de la res­pon­sa­bi­li­té envers ses supé­rieurs et ses cama­rades, comme s’il vivait au sein d’une famille nom­breuse et bien ordonnée.

…la seconde est la modération.

Le second carac­tère qui doit ins­pi­rer l’é­du­ca­tion dans le col­lège consiste dans la modé­ra­tion. L’antique pré­cepte ne quid nimis, équi­va­lant à Vautre in medio stat vir­tus, doit inspi­rer tout acte de l’é­du­ca­teur, soit quand il éta­blit une règle, soit quand il en exige l’ob­ser­va­tion. Un sens éclai­ré de discré­tion est néces­saire pour fixer la durée de l’é­tude et de la ré­création, la dis­tri­bu­tion des récom­penses et des châ­ti­ments, la conces­sion de liber­tés et les exi­gences de la dis­ci­pline. Les exer­cices de pié­té doivent éga­le­ment connaître la juste mesure, afin qu’ils ne deviennent pas un poids presque insup­por­table et ne laissent pas l’en­nui dans l’es­prit. Plus d’une fois, on a noté l’ef­fet déplo­rable d’un zèle exces­sif sur ce point. On a vu des élèves de col­lèges même catho­liques, où il n’a pas été tenu compte de cette modé­ra­tion, mais où l’on a vou­lu impo­ser un niveau de pra­tiques reli­gieuses, qui eussent peut-​être même été dis­pro­por­tion­nées aux pos­si­bi­li­tés de jeunes clercs, négli­ger, lors­qu’ils sont retour­nés dans leurs familles, les devoirs les plus élé­men­taires du chré­tien, comme la messe du dimanche. On doit cer­tai­ne­ment aider et exhor­ter les jeunes gens à prier ; mais tou­jours dans une mesure telle que la prière demeure un doux besoin de l’âme.

…la troisième est l’ambiance de douceur.

Une atmo­sphère de dou­ceur sereine devrait, en troi­sième lieu, régner dans tout col­lège, mais de nature à ne pas compromet­tre la for­ma­tion de carac­tères forts. Spécialement à des jeunes gens qui pro­viennent de familles saines, on doit incul­quer le sens du devoir par la per­sua­sion per­son­nelle et par des ar­guments de rai­son et de sen­ti­ment. Un sujet, qui est per­sua­dé de l’a­mour de ses parents et de ses supé­rieurs, ne man­que­ra pas de répondre tôt ou tard à leurs sol­li­ci­tudes. Il faut donc pros­crire l’ordre qui ne donne pas ou ne sup­pose pas quelque jus­ti­fi­ca­tion rai­son­nable, le reproche qui tra­hit une ran­cœur per­son­nelle, la puni­tion exclu­si­ve­ment vin­di­ca­tive. La dou­ceur ne doit être aban­don­née qu’en der­nier lieu, pour un temps bref et dans des cas par­ti­cu­liers. Elle doit pré­si­der au juge­ment et débor­der la stricte jus­tice, car l’es­prit de l’a­do­les­cent n’est pres­que jamais assez mûr pour com­prendre tout le mal, ni assez tenace dans celui-​ci pour ne pas savoir reprendre la bonne voie dès qu’elle lui est indiquée.

Ces pré­ceptes, choi­sis par­mi ceux de carac­tère plus géné­ral et plus pra­tique, et ceux, bien connus de vous qui êtes for­més par les sciences péda­go­giques, ne man­que­ront pas, grâce à une appli­ca­tion dili­gente, d’as­su­rer à votre œuvre d’é­du­ca­teurs d’ex­cellents résul­tats. Nous dési­rons main­te­nant adres­ser Notre pa­role plus direc­te­ment aux jeunes gens qui sont édu­qués dans des col­lèges sem­blables au vôtre, afin qu’ils sachent ce qu’atten­dent d’eux les familles, la socié­té et l’Eglise elle-​même et de quelle manière ils doivent répondre à tant de sol­li­ci­tudes af­fectueuses. Ce n’est pas tou­jours sous la contrainte des circons­tances anor­males que Nous avons signa­lées, que les familles ont recours au col­lège ; mais elles choi­sissent pour leurs enfants ce type d’é­du­ca­tion dans la convic­tion fon­dée de les mettre dans une condi­tion plus favo­rable pour obte­nir une for­ma­tion ex­cellente et, autant que pos­sible, com­plète. De leur côté les col­lèges, tels que le vôtre, se pro­posent comme fin par­ti­cu­lière, bien que non exclu­sive, de for­mer des hommes émi­nents sous tous les aspects, des hommes au-​dessus de la médio­cri­té, sur les­quels la socié­té, aus­si bien reli­gieuse que civile, puisse comp­ter pour l’avenir.

Puis le Saint-​Père s’adresse directement aux jeunes gens, leur demande en premier lieu d’avoir comme idéal de viser toujours plus haut, et de le poursuivre avec un zèle constant.

Mais com­ment un col­lège, même excellent à tous points de vue, réussira-​t-​il à for­mer des hommes insignes, si vous-​mêmes, jeunes gens, n’êtes pas les pre­miers à dési­rer ardem­ment de deve­nir tels ? Donc viser au plus haut degré pos­sible est le pre­mier pas de toute édu­ca­tion par­faite. Le jeune âge incite spon­ta­né­ment l’a­do­les­cent intel­li­gent et sain à se pro­po­ser de beaux et grands idéals ; mais plus d’une fois sur­viennent une apa­thie et une indo­lence ou bien des influences exté­rieures, qui conspirent à étouf­fer les élans et à réduire à de modestes pro­portions les dési­rs d’ex­cel­ler. Il n’y a pas de pire début dans le che­min de la vie que de renon­cer avant l’é­preuve, se replier avant la bataille, se rési­gner avant l’adversité.

De nos jours mal­heu­reu­se­ment, il y a de nom­breux jeunes gens que laissent insen­sibles l’at­trait et la gran­deur de buts sains et éle­vés, des jeunes au carac­tère veule, dont l’am­bi­tion se bor­ne à tendre à leur petit monde de com­mo­di­tés per­son­nelles et qui, s’ils caressent jamais des idéals, les choi­sissent par­mi ceux dont la valeur est éphé­mère, appa­rente et d’un avan­tage immé­diat. Ils pour­ront deve­nir de bons citoyens, être même utiles à la socié­té ; mais qu’adviendrait-​il d’une nation, dont la jeu­nesse n’o­se­rait pas aspi­rer, en nombre suf­fi­sant, à de grandes et su­blimes entre­prises ? Son ave­nir, qui exige pro­grès, avan­ce­ment, amé­lio­ra­tion demeu­re­rait gra­ve­ment com­pro­mis. Nous vou­drions donc Vous exhor­ter à ouvrir vos âmes à de grands dési­rs et, mê­me dans la juste esti­ma­tion de vos forces, à vous fixer des buts har­dis, de telle sorte que durant toute votre vie vous puis­siez appor­ter de hautes contri­bu­tions dans le domaine de la science ou de l’art, ou de l’ac­tion à la socié­té, qui attend des jeunes gens qu’ils deviennent les guides effi­caces de son avenir.

Une qua­li­té cer­taine de l’é­du­ca­tion dans les col­lèges est de sti­mu­ler les esprits à connaître et à dési­rer de grandes choses, soit par l’é­mu­la­tion spon­ta­née, soit par l’in­fluence de maîtres remar­quables. Toutefois le fait de faire par­tie d’ins­ti­tuts si loua­bles, qui dis­posent de tous les moyens pour don­ner une excel­lente et com­plète édu­ca­tion, pour­rait vous induire à croire que, pour atteindre le but, il suf­fit de vivre quelques années dans un de ceux-​ci ; un peu comme, pour arri­ver à un port loin­tain, il suf­fit de res­ter sur le navire, sans s’oc­cu­per d’autre chose. Or le choix de hauts buts dans la vie n’est que le pre­mier de nom­breux et pénibles autres pas, qui res­tent à accom­plir. Il n’existe pas de ver­tu magique qui trans­forme les idéals en réa­li­té, si ce n’est la ferme volon­té et l’en­ga­ge­ment total des forces dont on dis­pose. Le désir doit donc être sui­vi du zèle ; celui-​ci, à son tour, doit être constant, inflexible dans les dif­fi­cul­tés, prêt aux épreuves et aux renon­ce­ments, car, ain­si que l’en­seigne une an­cienne maxime, ce qui ne coûte pas n’a pas de valeur. On ne reçoit pas des autres les biens moraux, en don, comme les héri­tages ; mais il faut les conqué­rir par ses efforts per­son­nels. Tou­tefois, le col­lège peut vous aider effi­ca­ce­ment dans la mesure où vous col­la­bo­re­rez avec vos édu­ca­teurs. Mais de quelle maniè­re se tra­dui­ra dans la réa­li­té votre col­la­bo­ra­tion ? Avant tout, en met­tant en eux toute votre confiance.

Il fait aux jeunes gens, trois recommandations importantes ; con­fiance dans leurs éducateurs.

La confiance, fruit de l’es­time, consiste en la per­sua­sion inti­me que tout ce qui vous est ensei­gné, conseillé, pres­crit, résulte de l’af­fec­tion et vise à votre plus grand bien, même si, à pre­mière vue, vous n’en voyez pas clai­re­ment les motifs. Beau­coup de nau­frages de la vie ont eu leur ori­gine dans le refus de faire confiance aux parents et aux édu­ca­teurs ; en revanche de nom­breuses expé­riences amères seraient évi­tées si l’on croyait avec confiance en ceux qui ont une plus grande expé­rience. Met­tez donc une entière confiance en ceux qui ont pris sur eux et acceptent de la Providence la grave res­pon­sa­bi­li­té de votre ave­nir et pos­sèdent pour cela les dons néces­saires d’es­prit et de cœur. Parmi ces édu­ca­teurs, les pre­miers sont les parents, dont les conseils ne devraient jamais faire l’ob­jet de dis­cus­sion de votre part, au moins jus­qu’au jour où vous vous sen­ti­rez des hommes mûrs à toute épreuve.

… docilité envers eux.

La confiance doit être accom­pa­gnée de la doci­li­té, qui con­siste à mettre en pra­tique les conseils, à accep­ter les cor­rec­tions, à se sou­mettre aux orien­ta­tions qui vous seront don­nées avec une affec­tion éclai­rée. Le sens cri­tique qui se déve­loppe à votre âge vous pous­se­ra sou­vent à mettre en doute tel ou tel pré­cepte, tan­dis que les sug­ges­tions de gens aux­quels votre ave­nir importe bien peu en réa­li­té, vous inci­te­ront plus d’une fois à repous­ser la main de ceux qui vous guident : vous devrez alors vous rap­peler que la matu­ri­té du juge­ment vient avec les années et que c’est vous seuls qui subi­rez les consé­quences d’actes inconsidérés.

… générosité constante.

La géné­ro­si­té constante dans le dévoue­ment doit être la troi­sième ver­tu de ceux qui aspirent à se dis­tin­guer. Le jeune homme qui hésite en com­men­çant, qui fait alter­ner des semaines d’é­tude intense avec d’autres de paresse ou d’oc­cu­pa­tions frivo­les, qui ren­voie ses devoirs au jour sui­vant, n’ar­ri­ve­ra jamais à des buts éle­vés. Vous pos­sé­dez main­te­nant un pré­cieux tré­sor : votre jeu­nesse même. Ses mer­veilleuses qua­li­tés sont la ten­dance natu­relle au vrai et au bien, la mal­léa­bi­li­té de l’es­prit, l’a­bon­dance d’éner­gies phy­siques, l’in­té­gri­té des facul­tés spiri­tuelles, la vigueur des élans. Ces richesses, comme les talents de l’Evangile, ne seront pas tou­jours à votre dis­po­si­tion. Or, le col­lège, grâce à la vigi­lance pater­nelle des édu­ca­teurs, à la sage répar­ti­tion de l’ho­raire, en ensei­gnant la méthode et la préci­sion et par les autres normes aux­quelles se confor­me­ront vos édu­ca­teurs, vous aide­ra beau­coup à tirer le plus grand fruit de vos talents ; mais il reste tou­jours vrai que c’est à vous qu’il appar­tient de secon­der cette oeuvre et de veiller à ce que ces talents ne soient pas gaspillés.

Le Saint-​Père leur recom­mande la col­la­bo­ra­tion entre eux, de même entre le col­lège, les élèves et les familles.

Il faut en outre que les jeunes gens col­la­borent ensemble à édi­fier leur splen­dide ave­nir. Bien que sou­vent ils ne s’en ren­dent pas compte eux-​mêmes, il existe entre eux une interdépen­dance déci­sive d’in­fluences due à une plus grande compréhen­sion mutuelle. Malgré l’œuvre la plus sage des édu­ca­teurs, un mau­vais condis­ciple peut détruire ce qu’ils édi­fient, de même aus­si qu’un vrai ami ren­for­ce­ra, au contraire, les pré­ceptes du maître mieux que celui-​ci ne peut le faire. Il appar­tient à cha­cun de vous de se gar­der de la triste influence de tel ou tel camara­de, faci­le­ment recon­nais­sable par l’op­po­si­tion que vous consta­terez entre ses sug­ges­tions et les conseils des édu­ca­teurs, mais votre devoir est aus­si d’a­gir sur les autres à leur avan­tage. Il en résulte de la sorte entre les condis­ciples d’un même col­lège ces saines et pro­fondes ami­tiés, que ni les années ni les dis­tances n’af­fai­bli­ront ; elles seront le résul­tat le plus cher et le plus pré­cieux des loin­taines années d’éducation.

Il y a enfin une troi­sième col­la­bo­ra­tion qui ne pour­ra jamais être assez recom­man­dée et qui unit dans une œuvre soli­daire et indis­pen­sable le col­lège, les élèves et les familles. Un par­fait accord de prin­cipes et d’o­rien­ta­tion est avant tout néces­saire en­tre le col­lège et la famille, afin que l’un ne détruise pas l’ac­tion de l’autre et vice-​versa. La famille en par­ti­cu­lier, comme Nous y avons déjà fait allu­sion, ne renonce pas à ses droits en con­fiant l’en­fant au col­lège ni ne se trouve déchar­gée de ses res­ponsabilités. Il lui appar­tient de secon­der, de sou­te­nir, de conti­nuer l’œuvre des édu­ca­teurs. Parfois une plus grande confiance envers l’é­lève sera néces­saire et par­fois aus­si, une plus grande sévé­ri­té ou une atten­tion plus assi­due ; par­fois même il fau­dra sacri­fier quelque chose de ses propres sen­ti­ments. Mais il est sur­tout néces­saire que les jeunes gens voient tou­jours une en­tente par­faite entre le col­lège et la famille. Avec cette triple col­la­bo­ra­tion, à laquelle s’a­jou­te­ra celle plus éle­vée, plus effi­cace et plus intime qu’exerce la reli­gion par l’in­ter­mé­diaire de ses ministres, on peut espé­rer à juste titre que les hauts idéals choi­sis par les jeunes, sou­hai­tés par les familles, pour­sui­vis par le col­lège, devien­dront un jour une heu­reuse réalité.

Le Saint-​Père termine en rappelant aux jeunes gens du Collège na­tional de Rome les directives de l’ancien Collège Clémentin : dévotion, obéissance, étude… auxquelles Il ajoute : progrès.

Quant à votre conduite pra­tique, chers fils de l’Internat na­tional de Rome, il Nous plaît de vous rap­pe­ler que les premiè­res règles du « Noble Collège pon­ti­fi­cal Clémentin » recomman­daient spé­cia­le­ment trois choses : la « dévo­tion », 1′« obéissan­ce » et 1′« étude ». A trois siècles de dis­tance, Nous ne sau­rions vous don­ner de meilleurs conseils pour que se réa­lise votre col­laboration avec les édu­ca­teurs. Soyez pieux avec joie et pure­té de cœur, per­sua­dés que la foi est la base solide de votre vie. Obéissez, non sous la contrainte ni par peur, mais pous­sés par la cer­ti­tude que ceux qui vous aiment se pro­posent votre bien. Livrez-​vous à l’é­tude avec méthode et assi­dui­té, non seule­ment pour enri­chir votre pen­sée, mais aus­si pour vous sou­mettre à l’o­bli­ga­tion du tra­vail. Nous vou­drions en outre ajou­ter un de­voir par­ti­cu­lier propre à votre âge, dont la carac­té­ris­tique essen­tielle est de croître. De même que chaque nou­veau jour trouve les jeunes gens plus déve­lop­pés phy­si­que­ment, il doit pareille­ment les trou­ver plus avan­cés intel­lec­tuel­le­ment et mora­le­ment. La plus haute louange que le saint Evangile rend à l’en­fance de Jésus consiste à rap­por­ter qu”« Il pro­gres­sait en sagesse, en taille et en grâce auprès de Dieu et des hommes » (Luc II, 52). L’ami divin doit donc être votre modèle non seule­ment quant au pro­grès inces­sant en sagesse et en grâce, mais aus­si quant au récon­fort que votre conduite don­ne­ra à ceux qui voient en vous leurs plus chers tré­sors en ce monde : vos parents et vos éducateurs.

Nous vous sou­hai­tons — ain­si qu’aux autres jeunes gens qui pour­suivent leur édu­ca­tion dans les col­lèges d’Italie — d’ac­cueillir Nos ensei­gne­ments pater­nels et, en les pra­ti­quant, de for­mer en vous des hommes de carac­tère, des citoyens irrépro­chables, des modèles de ver­tus reli­gieuses, fami­liales et sociales, en un mot dignes des meilleures tra­di­tions de votre patrie : c’est dans ces sen­ti­ments que Nous appe­lons sur vous, sur vos édu­cateurs, et sur vos familles l’a­bon­dance des faveurs célestes, en gage des­quelles Nous don­nons à tous Notre Bénédiction apostolique.

Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-​Augustin Saint Maurice – D’après le texte ita­lien de Discorsi e radio­mes­sag­gi, XVIII, tra­duc­tion fran­çaise de l’Osservatore Romano, du 4 mai 1956.

Notes de bas de page
  1. Bullar. Rom. t. XI, p. 90 et suiv.[]