Recevant en audience, le samedi matin 8 mars, les curés de Rome et les prédicateurs des stations de Carême, le Souverain Pontife leur a adressé une allocution dont nous donnons ici le texte :
Avec une joie toujours renouvelée, Nous voyons dans le temps du Carême venir à Nous Nos chers fils, les curés et les prédicateurs de Carême de Rome, conduits par Notre Vénérable Frère, le très cher Cardinal Vicaire, désireux qu’ils sont de recevoir de Nous, avec quelques conseils paternels, une bénédiction toute spéciale pour leurs travaux apostoliques. Cette année, dans Notre exhortation du 10 février aux fidèles de Rome [1], Nous avons déjà manifesté Nos désirs les plus ardents, Nous avons lancé un cri de réveil pour la restauration de la vie chrétienne, et Nous savons que Nos paroles ont trouvé l’accueil le plus large, le plus empressé et le plus fervent dans le cœur du peuple romain. Combien d’âmes généreuses n’attendaient que d’être appelées à une œuvre aussi sainte, ne désiraient rien d’autre que de se voir désigner leur champ de travail ! Il vous appartient, chers fils, de propager et de prolonger l’écho de Notre voix dans vos paroisses. Nous n’ignorons pas que vous le faites avec beaucoup de zèle et Nous vous en remercions cordialement. Aussi Nous bornerons-Nous ce matin à vous entretenir brièvement au sujet de deux questions spéciales que Nous avons particulièrement à cœur pour le bien de ce diocèse.
L’une concerne son développement extérieur, l’autre sa vitalité intérieure ; toutes deux sont d’une importance capitale pour rendre toujours plus saine et florissante la vie religieuse et ecclésiastique de Rome.
I. Les moyens extérieurs pour favoriser la vie chrétienne.
Son développement extérieur. Avons-Nous donc besoin de vous en exposer longuement la nécessité et l’urgence – si grandes comme l’a expliqué avec tant de clarté, voici quatre jours seulement, le très zélé Cardinal Vicaire – à vous qui ne connaissez que trop, par votre propre expérience quotidienne, les difficultés et les soucis du ministère pastoral à notre époque ?
Nous voici à la moitié du XXe siècle. Si Nous remontons par la pensée à son début, à Notre esprit se présente l’œuvre salutaire organisée par Notre Prédécesseur, le Bienheureux Pie X : la nouvelle et plus opportune répartition des anciennes paroisses romaines, la fondation de nouvelles paroisses et l’édification de nouvelles églises. Nous fûmes, Nous-même, témoin de ces efforts et des résultats obtenus ; l’œuvre entreprise par ce saint Pontife a été continuée avec résolution par ses successeurs et elle est encore poursuivie aujourd’hui avec une extension de plus en plus vaste et un emploi sans cesse plus grand de moyens.
La situation du diocèse de Rome.
Toutefois, il suffit de jeter un coup d’œil sur l’état concret du ministère des âmes pour être obligé de reconnaître qu’il ne correspond pas encore entièrement aux nécessités présentes. En effet, que trouvons-nous ? Au début du siècle, le diocèse de Rome était divisé en 58 paroisses ; 16 de celles-ci furent supprimées dans la nouvelle circonscription et 5 furent transférées dans d’autres églises. Aujourd’hui, le diocèse de Rome compte 127 paroisses et 3 dessertes qui dépendent du Vicariat et auxquelles on peut ajouter 5 autres qui doivent être prochainement inaugurées et 4 qui seront prêtes dans le courant de l’année.
Que Dieu en soit remercié ! Et, après Lui, Notre reconnaissance va à tous ceux, Prélats, prêtres et laïcs, encore en vie ou déjà en possession de la récompense éternelle, qui ont collaboré à une œuvre si grandiose. Les chiffres que Nous venons de citer sont un témoignage de l’imposante somme de prévoyance et d’énergie, de sagesse dans la conception et de persévérance dans l’exécution, de calcul médité et de zèle ardent pour la gloire de Dieu et le bien des âmes, que ces travaux de fondation et de construction ont réclamée.
Il reste beaucoup à faire.
Ce qui a été accompli est, sans doute aucun, magnifique. Néanmoins avec toute la satisfaction et toute la gratitude pour tout ce qui a été fait, Nous avons le devoir de penser à ce qui reste à faire. Beaucoup de temps s’est écoulé et la Ville de Rome s’est accrue, comme territoire et comme nombre d’habitants, avec une telle rapidité que l’organisation ecclésiastique n’a pu progresser d’un pas égal. On considère, non sans raison, comme déjà surchargées les paroisses avec 10 ou 12 mille âmes : que devra-t-on donc dire de celles qui en ont 30 mille et même davantage ? Dans de telles conditions, l’activité de la paroisse demeure comme submergée dans la mer d’une multitude innombrable.
Si, au moins, le nombre de prêtres correspondait mieux, dans de telles paroisses géantes, à celui des fidèles ! En revanche, à ce point de vue, la disproportion entre les uns et les autres apparaît encore plus impressionnante. Quand, par exemple, cinq ou six prêtres du clergé paroissial doivent supporter la charge de 30 à 40 mille fidèles, comment pourraient-ils suffire à une telle masse de travail ?
Il faut multiplier les paroisses à Rome.
Un pareil état de chose Nous pousse à accélérer et augmenter dans la plus grande mesure possible, la fondation de nouvelles paroisses et l’érection de nouvelles églises. Entre temps, il serait désirable d’instituer, dans le cadre des paroisses les plus vastes et les plus peuplées, des postes provisoires, où des prêtres de Rome, séculiers ou réguliers, n’appartenant pas au clergé paroissial, pourraient, même s’ils sont affectés à d’autres charges, consacrer une partie de leur temps, spécialement les dimanches et les jours de fêtes, à une coopération plus efficace dans le travail pastoral, au moins tant que durera l’extrême besoin actuel. Nous sommes heureux d’ajouter que déjà de nombreux officiers de la Curie Romaine se sont déclarés prêts à une collaboration si méritante.
On devra découvrir des vocations.
Cette extrême nécessité concerne directement le clergé de Rome. Nous voudrions cependant espérer que d’autres diocèses plus favorisés pourront venir en aide, par exemple sous une forme qui a déjà donné ailleurs de bonnes preuves, c’est-à-dire d’une sorte de parrainage, dans le sens que des diocèses déterminés adoptent telle ou telle paroisse de Rome de manière à lui procurer le nombre de prêtres dont elle a besoin.
Mais, chers fils, Nous avons surtout confiance que le spectacle de votre dévouement et de votre esprit de sacrifice – qui chez les curés des bourgades arrive bien souvent à l’héroïsme – l’exemple de votre vie saintement sacerdotale suscitent un plus grand nombre de vocations dans le diocèse même de Rome. Nous ne pourrons jamais assez louer le zèle de tous ceux qui se donnent avec amour à cette Œuvre des œuvres. Mais le rôle principal ne revient-il donc pas aux curés, par droit et par devoir ? Il est par conséquent juste que, du moment où leur a été confiée une paroisse, ils examinent devant Dieu, au fond de leur conscience, s’ils ont fait et font tout leur possible, s’ils ne pourraient peut-être même faire encore davantage, pour découvrir chez les enfants le germe de la vocation, pour en préparer et soigner le développement, pour convaincre les familles de leur devoir en ce domaine, pour obtenir de leurs paroissiens tous les meilleurs concours y compris les aides économiques nécessaires.
II. La sanctification des fidèles.
Le renouvellement du diocèse par la multiplication des paroisses, la construction d’églises, la formation du clergé, était la première question que Nous désirions traiter devant vous. Mais à quoi servirait d’avoir un nombre suffisant de paroisses, d’églises, de prêtres, si la vie chrétienne des paroissiens n’en recevait pas un accroissement proportionné en plénitude et en vigueur ? C’est elle qui est le but ; le reste est un moyen indispensable et puissant, mais qui deviendrait vain, s’il n’était pas ordonné au but lui-même, à la sanctification des fidèles.
Sans doute, spécialement depuis cinquante ans, un grand travail a été accompli dans le domaine spirituel. Mais, si de grands résultats ont été obtenus pour répondre dans le passé aux nécessités du moment, ces dernières n’ont pas cessé de croître avec une rapidité toujours plus grande. Il faudrait que les fidèles, et particulièrement les jeunes, trouvent partout dans la paroisse, dans les associations, dans les organisations catholiques existantes, la satisfaction de leurs légitimes aspirations ; autrement, ils iront la chercher ailleurs, là où leur vie chrétienne, le salut même de leur âme, seraient exposés aux plus graves dangers. Ainsi, pour citer un exemple, Nous avons approuvé que soit donnée, même à la jeunesse féminine, dans ses propres organisations, la possibilité d’une saine activité sportive. Sinon, qui sait où seraient peut-être tentées d’aller certaines jeunes filles ? On n’ose pas le dire, mais on ne le comprend que trop.
Pas plus que la paroisse et l’église, l’association, quelque nom qu’elle porte, n’est une fin en soi ; son but est le bien spirituel des membres qui la composent. C’est clair, dira peut-être quelqu’un ; mais quand les fidèles sont en contact à tout bout de champ avec des opinions et des usages opposés aux principes chrétiens les plus élémentaires, il est opportun de leur rappeler ceux-ci et d’observer si leurs fils demeurent fermes devant ces habitudes de vie répréhensibles, ou si au contraire, il y a malheureusement des défections. C’est l’avertissement que l’Apôtre Paul adressait aux communautés chrétiennes naissantes de Rome : « Ne vous modelez pas sur le siècle présent, mais transformez-vous par le renouvellement de votre esprit »[2], c’est-à-dire selon la volonté de Dieu et à l’image du Christ.
Le Saint-Père pose quelques questions :
En venant alors à considérer quelques notes essentielles de la vie chrétienne, Nous demandons : nos fidèles prient-ils suffisamment ? Leur assiduité à la prière et aux sacrements est-elle suffisante pour les maintenir constamment en état de grâce, au milieu du tourbillon de la vie dans les grandes villes modernes ? Leur vénération envers l’auguste Sacrifice de l’autel est-elle si grande qu’ils sont prêts à s’imposer quelques privations pour y assister régulièrement ? D’une façon spéciale, profitent-ils de toutes les occasions qui leur sont offertes pour assister à la Messe avant de se lancer en foule dans les sorties de ski et de sport ? Leur morale conjugale est-elle vraiment irrépréhensible et leur vie de famille exemplairement chrétienne ? Admettent-ils sans distinction dans leurs demeures des personnes qui vivent dans une situation moralement irrégulière, favorisant par-là, surtout dans les jeunes générations, une dangereuse insensibilité et indifférence dans la distinction entre le bien et le mal ? La pureté de la jeunesse est-elle si solide qu’elle les empêche de glisser vers l’abîme ? Les enfants, de même que les adultes, fréquentent-ils l’enseignement religieux [3] ? Il y a près de cinq ans (Discours du 7 septembre 1947), Nous exhortions les Hommes d’Action Catholique italienne à opposer un front solide à la corruption envahissante dans la vie économique et sociale. Comment ce front fait-il sentir, à Rome, sa fermeté et sa force ? Qu’est-ce qu’il a fait pour atténuer l’intolérable contraste entre un luxe immodéré et une pauvreté, parfois honteuse, et toujours navrante ?
Aller de l’avant de toutes ses forces.
Nous pourrions continuer longuement sur ce sujet. Mais vous savez, chers fils, combien est difficile le ministère pastoral, alors qu’il s’agit de réagir contre la décadence de la vie religieuse et de lui faire remonter une pente abrupte. Sans aucun doute, on ne peut réussir d’un jour à l’autre. Mais, il faut se mettre tout de suite au travail et aller de l’avant avec toutes ses forces.
Ce dont l’Eglise a un besoin urgent, c’est de fidèles et de groupes de fidèles de toutes conditions, qui, libres de l’esclavage du respect humain, conforment toute leur vie et leurs activités aux commandements de Dieu et à la loi du Christ. Or, cette conformité n’est ordinairement possible qu’à ceux qui dès leur jeune âge se sont habitués, par amour pour Lui, à l’abnégation et au sacrifice.
Nous avons rappelé plus haut l’avertissement de saint Paul. A travers toutes ses lettres se manifestent la lutte contre le péché, un effort constant pour affranchir ses chrétiens de l’esclavage des préjugés et des usages corrompus du monde qui les entoure. En les lisant, nous sentons combien dure était une lutte de ce genre. Parcourez en esprit l’histoire de l’Eglise des premiers siècles : ce n’est que le développement de ce prélude. Elle brisa la puissance du paganisme qui opprimait les âmes, non point par des triomphes fulgurants, mais bien dans les larmes et le sang, dans les supplications implorant la force et la grâce divines, avec la patience sous les coups des ennemis, dans un effort pénible, mais tenace et confiant.
L’Eglise, ferment de l’humanité.
Or, l’histoire continue ; il vous revient d’en écrire les prochaines pages. Aujourd’hui, comme dans le passé, l’Eglise est le ferment de l’humanité. Son œuvre ne permet ni commodes condescendances, ni repos, ni trêve, mais exige une impulsion toujours puissante pour correspondre aux volontés du Christ et à leur réalisation dans la vie des fidèles. Que le Seigneur daigne vous soutenir dans vos difficultés, vous accordant une foi vigoureuse, un courage inébranlable, un sens absolu de l’immolation. Pour Notre part, en son nom et dans l’effusion de Notre cœur, Nous donnons à vous tous, à vos collaborateurs, à vos paroissiens et auditeurs, Notre paternelle Bénédiction apostolique.
Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-Augustin Saint Maurice – D’après le texte italien des A. A. S., XXXXIV ; 1952, p. 221.