Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

1er novembre 1950

Constitution Apostolique Munificentissimus Deus

Proclamation du dogme de l'Assomption

Donné à Rome, près de Saint-​Pierre, l’an­née du très saint Jubilé mil neuf cent cin­quante, le pre­mier novembre, en la fête de tous les Saints

A nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques, évêques et autres Ordinaires en paix et com­mu­nion avec le Siège apos­to­lique, ain­si qu’à tout le cler­gé et aux fidèles de l’univers catholique

Vénérables Frères,

Salut et Bénédiction apostolique !

1. Dans sa muni­fi­cence, Dieu, qui peut tout, et dont le plan pro­vi­den­tiel est fait de sagesse et d’amour, adou­cit par un mys­té­rieux des­sein de sa pen­sée, les souf­frances des peuples et des indi­vi­dus en y entre­mê­lant des joies, afin que par des pro­cé­dés divers et de diverses façons, toutes choses concourent au bien de ceux qui l’aiment [1].

2. Notre pon­ti­fi­cat, tout comme l’époque actuelle, est acca­blé de mul­tiples sou­cis, pré­oc­cu­pa­tions et angoisses cau­sés par les très graves cala­mi­tés et les dévia­tions de beau­coup d’hommes qui s’écartent de la véri­té et de la ver­tu. Cependant, c’est pour Nous une grande conso­la­tion de voir des mani­fes­ta­tions publiques et vivantes de la foi catho­lique, de voir la pié­té envers la Vierge Marie, Mère de Dieu, en plein essor, et croître chaque jour davan­tage, et offrir presque par­tout des pré­sages d’une vie meilleure et plus sainte. Il arrive de la sorte que tan­dis que la Très Sainte Vierge rem­plit amou­reu­se­ment ses fonc­tions de mère en faveur des âmes rache­tées par le sang du Christ, les esprits et les cœurs des fils sont inci­tés à contem­pler avec plus de soin ses privilèges.

3. Dieu, en effet, qui, de toute éter­ni­té, regarde la Vierge Marie avec une toute par­ti­cu­lière com­plai­sance « dès que vint la plé­ni­tude des temps [2] », réa­li­sa le des­sein de sa Providence de façon que les pri­vi­lèges et les pré­ro­ga­tives dont il l’avait com­blée avec une suprême libé­ra­li­té, res­plen­dissent dans une par­faite har­mo­nie. Que si l’Église a tou­jours recon­nu cette très grande libé­ra­li­té et cette par­faite har­mo­nie des grâces, et si, au cours des siècles, elle les a chaque jour explo­rées plus inti­me­ment, il était cepen­dant réser­vé à notre temps de mettre en plus grande lumière le pri­vi­lège de l’Assomption cor­po­relle au ciel de la Vierge Marie, Mère de Dieu.

4. Ce pri­vi­lège res­plen­dit jadis d’un nou­vel éclat lorsque Notre Prédécesseur d’immortelle mémoire, Pie IX, défi­nit solen­nel­le­ment le Dogme de l’Immaculée Conception de la Mère de Dieu. Ces deux pri­vi­lèges sont en effet très étroi­te­ment liés. Par sa propre mort, le Christ a vain­cu le péché et la mort, et celui qui est sur­na­tu­rel­le­ment régé­né­ré par le bap­tême triomphe par le même Christ du péché et de la mort. Toutefois, en ver­tu d’une loi géné­rale, Dieu ne veut pas accor­der aux justes le plein effet de la vic­toire sur la mort, sinon quand vien­dra la fin des temps. C’est pour­quoi, les corps même des justes sont dis­sous après la mort, et ne seront réunis, cha­cun à sa propre âme glo­rieuse qu’à la fin des temps.

5. Cependant, Dieu a vou­lu exemp­ter de cette loi uni­ver­selle la Bienheureuse Vierge Marie. Grâce à un pri­vi­lège spé­cial, la Vierge Marie a vain­cu le péché par son Immaculée Conception, et de ce fait, elle n’a pas été sujette à la loi de demeu­rer dans la cor­rup­tion du tom­beau, et elle ne dut pas non plus attendre jusqu’à la fin du monde la rédemp­tion de son corps.

6. C’est pour­quoi, lorsqu’il fut solen­nel­le­ment défi­ni que la Vierge Marie, Mère de Dieu, a été pré­ser­vée dès sa concep­tion de la tache ori­gi­nelle, les fidèles furent rem­plis d’un plus grand espoir de voir défi­nir le plus tôt pos­sible, par le suprême magis­tère de l’Église, le Dogme de l’Assomption cor­po­relle au ciel de la Vierge Marie.

7. En fait, on vit alors, non seule­ment les simples fidèles, mais encore les repré­sen­tants des nations et des pro­vinces ecclé­sias­tiques, ain­si que de nom­breux Pères du Concile du Vatican, pos­tu­ler ins­tam­ment cette défi­ni­tion auprès du Siège apostolique.

8. Au cours des siècles, ces péti­tions et ces vœux, loin de dimi­nuer, ne firent que croître en nombre et en ins­tance. En effet, de pieuses croi­sades de prières furent orga­ni­sées à cette fin ; de nom­breux et émi­nents théo­lo­giens en firent l’objet de leurs études empres­sées et atten­tives, soit en par­ti­cu­lier, soit dans des Athénées ou Facultés ecclé­sias­tiques, soit d’autres Instituts des­ti­nés à l’enseignement des sciences sacrées ; des Congrès mariaux natio­naux ou inter­na­tio­naux eurent lieu, en de nom­breuses par­ties du monde. Ces études et ces recherches mirent en meilleure lumière le fait que, dans le dépôt de la foi chré­tienne confié à l’Église, était éga­le­ment conte­nu le Dogme de l’Assomption au ciel de la Vierge Marie ; et géné­ra­le­ment, il en résul­ta des péti­tions dans les­quelles on priait ins­tam­ment le Saint-​Siège de défi­nir solen­nel­le­ment cette vérité.

9. Dans cette pieuse cam­pagne, les fidèles se mon­trèrent admi­ra­ble­ment unis à leurs évêques, les­quels adres­sèrent en nombre vrai­ment impo­sant des péti­tions de ce genre à cette Chaire de Saint-​Pierre. Aussi, au moment de Notre élé­va­tion au trône du Souverain Pontife, plu­sieurs mil­liers de ces sup­pliques avaient été pré­sen­tées au Siège apos­to­lique de toutes les régions de la terre et par des per­sonnes de toutes les classes sociales : par Nos chers Fils les car­di­naux du Sacré-​Collège, par Nos véné­rables Frères les arche­vêques et évêques, par les dio­cèses et les paroisses.

10. En consé­quence, tan­dis que Nous adres­sions à Dieu de fer­ventes prières afin d’obtenir pour Notre âme la lumière du Saint-​Esprit en vue de la déci­sion à prendre en une si grave affaire, Nous édic­tâmes des règles spé­ciales, pour que fussent entre­prises dans un effort com­mun, des études plus rigou­reuses sur cette ques­tion et pour que, pen­dant ce temps, fussent ras­sem­blées et exa­mi­nées avec soin toutes les péti­tions concer­nant l’Assomption au ciel de la Bienheureuse Vierge Marie [3].

11. Mais comme il s’agissait d’une chose par­ti­cu­liè­re­ment grave et impor­tante, Nous jugeâmes oppor­tun de deman­der direc­te­ment et offi­ciel­le­ment à tous les véné­rables Frères dans l’épiscopat de bien vou­loir Nous expri­mer ouver­te­ment cha­cun son sen­ti­ment à ce sujet. C’est pour­quoi, le 1er mai de l’année 1946, Nous leur adres­sâmes la lettre Deiparae Virginis Mariae, dans laquelle se trou­vait ce qui suit : « Est-​ce que vous, véné­rable Frère, dans votre grande sagesse et pru­dence, vous pen­sez que l’Assomption cor­po­relle de la Bienheureuse Vierge puisse être pro­po­sée et défi­nie comme Dogme de foi et est-​ce que vous, votre cler­gé et vos fidèles, vous dési­rez cela ? »

12. Et ceux que « l’Esprit-Saint a éta­blis évêques pour gou­ver­ner l’Église de Dieu [4] » don­nèrent à l’une et à l’autre ques­tion une réponse presque una­ni­me­ment affir­ma­tive. Ce « sin­gu­lier accord des évêques et des fidèles catho­liques [5] », qui estiment que l’Assomption cor­po­relle au ciel de la Mère de Dieu peut être défi­nie comme un Dogme de foi, comme il nous offre l’accord de l’enseignement du magis­tère ordi­naire de l’Église et de la foi concor­dante du peuple chré­tien — que le même magis­tère sou­tient et dirige — mani­feste donc par lui-​même et d’une façon tout à fait cer­taine, et exempte de toute erreur, que ce pri­vi­lège est une véri­té révé­lée par Dieu et conte­nue dans le dépôt divin, confié par le Christ à son Épouse, pour qu’elle le garde fidè­le­ment et le fasse connaître d’une façon infaillible [6], le magis­tère de l’Église, non point certes par des moyens pure­ment humains, mais avec l’assistance de l’Esprit de véri­té [7] et à cause de cela sans com­mettre abso­lu­ment aucune erreur, rem­plit la mis­sion qui lui a été confiée de conser­ver à tra­vers tous les siècles, dans leur pure­té et leur inté­gri­té, les véri­tés révé­lées ; c’est pour­quoi il les trans­met, sans alté­ra­tion, sans y rien ajou­ter, sans y rien sup­pri­mer. « En effet, comme l’enseigne le Concile du Vatican, le Saint-​Esprit ne fut pas pro­mis aux suc­ces­seurs de Saint-​Pierre pour que, Lui révé­lant, ils enseignent une doc­trine nou­velle, mais pour que, avec son assis­tance, ils gardent reli­gieu­se­ment et exposent fidè­le­ment la révé­la­tion trans­mise par les Apôtres, c’est-à-dire le dépôt de la foi » [8]. C’est pour­quoi, de l’accord uni­ver­sel, du magis­tère ordi­naire de l’Église, on tire un argu­ment cer­tain et solide ser­vant à éta­blir que l’Assomption cor­po­relle au ciel de la Bienheureuse Vierge Marie — laquelle, en ce qui concerne la « glo­ri­fi­ca­tion » céleste elle-​même du corps vir­gi­nal de la Mère de Dieu, ne pou­vait être connue par les forces natu­relles d’aucune facul­té de l’âme humaine — est une véri­té révé­lée par Dieu, et par consé­quent elle doit être crue fer­me­ment et fidè­le­ment par tous les enfants de l’Église. Car, ain­si que l’affirme le même Concile du Vatican, « on doit croire de foi divine et catho­lique toutes les choses conte­nues dans la parole de Dieu écrite ou trans­mise, et que l’Église pro­pose à notre foi par son magis­tère ordi­naire ou uni­ver­sel, comme des véri­tés révé­lées par Dieu [9]. »

13. Des témoi­gnages, des indices, des traces mul­tiples de cette foi com­mune de l’Église ont appa­ru au cours des siècles, depuis l’antiquité, et cette même foi s’est mani­fes­tée dans une lumière plus vive de jour en jour.

14. En effet, sous la direc­tion et la conduite de leurs pas­teurs, les fidèles ont appris par la Sainte Écriture que la Vierge Marie a mené au cours de son pèle­ri­nage ici-​bas, une vie de sou­cis, d’angoisses et de souf­frances ; ils ont su, de plus, que s’est réa­li­sée la pré­dic­tion du saint vieillard : qu’un glaive acé­ré lui trans­per­ça le cœur au pied de la croix de son divin Fils, notre Rédempteur. Les fidèles ont éga­le­ment admis sans peine que l’admirable Mère de Dieu, à l’imitation de son Fils unique, quit­ta cette vie. Mais cela ne les a aucu­ne­ment empê­chés de croire et de pro­fes­ser ouver­te­ment que son corps si saint ne fut jamais sou­mis à la cor­rup­tion du tom­beau et que cet auguste taber­nacle du Verbe divin ne fut pas réduit en pour­ri­ture et en pous­sière. Bien plus, éclai­rés par la grâce divine, et pous­sés par leur pié­té envers Celle qui est la Mère de Dieu et aus­si notre très douce Mère, ils ont contem­plé dans une lumière chaque jour plus vive l’admirable har­mo­nie et concor­dance des pri­vi­lèges que Dieu, dans son infi­nie Providence, a accor­dés à cette sainte asso­ciée de notre Rédempteur, pri­vi­lèges si éle­vés que nulle autre créa­ture, en dehors de Marie, sauf la nature humaine de Jésus-​Christ, n’atteignit jamais pareil sommet.

15. Cette même croyance est clai­re­ment attes­tée par d’innombrables églises consa­crées à Dieu en l’honneur de la Vierge Marie dans son Assomption ; elle l’est aus­si par les images sacrées expo­sées dans les églises à la véné­ra­tion des fidèles et repré­sen­tant aux yeux de tous ce sin­gu­lier triomphe de la Bienheureuse Vierge. En outre, des villes, des dio­cèses, des régions furent pla­cés sous la pro­tec­tion et le patro­nage spé­ciaux de la Vierge, Mère de Dieu, éle­vée au ciel. Pareillement, des Instituts reli­gieux approu­vés par l’Église furent créés, qui portent le nom de ce pri­vi­lège de Marie. On ne doit pas non plus pas­ser sous silence que dans le rosaire marial, dont le Siège apos­to­lique recom­mande tant la réci­ta­tion, est pro­po­sé à la médi­ta­tion un mys­tère ayant trait, comme cha­cun sait, à l’Assomption au ciel de la Bienheureuse Vierge.

16. Mais cette foi des pas­teurs de l’Église et des fidèles s’est mani­fes­tée d’une façon uni­ver­selle et plus écla­tante lorsque, depuis les temps anciens, en Orient, comme en Occident, furent célé­brées des solen­ni­tés litur­giques en l’honneur de l’Assomption. Les Pères et Docteurs de l’Église, en effet, n’ont jamais man­qué de pui­ser là un lumi­neux argu­ment, atten­du que la litur­gie sacrée, ain­si que tous le savent, « étant aus­si une pro­fes­sion des véri­tés célestes, sou­mises au magis­tère suprême de l’Église, elle peut four­nir des preuves et des témoi­gnages de grande valeur pour déci­der de quelque point par­ti­cu­lier de la doc­trine chré­tienne [10] ».

17. Dans les livres litur­giques où l’on trouve la fête, soit de la Dormition, soit de l’Assomption de Sainte Marie, il y a des expres­sions en quelque sorte concor­dantes pour attes­ter que lorsque la Sainte Vierge, Mère de Dieu, quit­ta cet exil pour les demeures éter­nelles, il arri­va pour son corps sacré, par une dis­po­si­tion de la divine Providence, ce qui était en har­mo­nie avec sa digni­té de Mère du Verbe incar­né, et avec les autres pri­vi­lèges qui lui avaient été accor­dés. Ces expres­sions, pour en don­ner un remar­quable exemple, se lisent dans le Sacramentaire, que Notre pré­dé­ces­seur d’immortelle mémoire, Adrien I, envoya à l’empereur Charlemagne. Il y est dit, en effet : « Vénérable est pour nous, Seigneur, la fête de ce jour, en lequel la Sainte Mère de Dieu subit la mort tem­po­relle, mais cepen­dant ne put être humi­liée par les liens de la mort, elle qui engen­dra de sa chair, ton Fils, Notre-​Seigneur [11]. »

18. Ce qu’indique dans sa sobrié­té ver­bale habi­tuelle la litur­gie romaine, est expri­mé avec plus de détails et de clar­té dans les autres livres de l’ancienne litur­gie, tant orien­tale qu’occidentale. Le Sacramentaire Gallican, pour appor­ter un seul exemple, qua­li­fie ce pri­vi­lège de Marie d’« inex­pli­cable mys­tère, d’autant plus admi­rable qu’il est excep­tion­nel par­mi les hommes, par l’Assomption de la Vierge ». Et, dans la litur­gie byzan­tine, l’Assomption cor­po­relle de la Vierge Marie est reliée plus d’une fois, non seule­ment à la digni­té de Mère de Dieu, mais encore à ses autres pri­vi­lèges, à un titre par­ti­cu­lier à sa mater­ni­té vir­gi­nale, faveur qu’elle doit à un sin­gu­lier des­sein de la divine Providence : « Dieu, le Roi de l’univers, t’a accor­dé des choses qui dépassent la nature, car, de même qu’il te gar­da vierge lorsque tu enfan­tas, de même il pré­ser­va ton corps de la cor­rup­tion du tom­beau et le glo­ri­fia par une divine trans­la­tion » [12]

19. Cependant, le fait que le Siège apos­to­lique, héri­tier de la mis­sion confiée au Prince des apôtres de confir­mer les frères dans la foi ren­dit, en ver­tu de son auto­ri­té, de plus en plus solen­nelle cette fête, a por­té l’esprit des fidèles à consi­dé­rer chaque jour davan­tage la gran­deur du mys­tère qui était com­mé­mo­ré. C’est pour­quoi la fête de l’Assomption, du rang hono­rable qu’elle obtint dès le com­men­ce­ment par­mi les autres fêtes mariales, fut éle­vée au rang des fêtes les plus solen­nelles de tout le cycle litur­gique. Et Notre pré­dé­ces­seur, saint Serge I, pres­cri­vant la lita­nie ou pro­ces­sion sta­tion­nale pour les quatre fêtes mariales, énu­mère ensemble les fêtes de la Nativité, de l’Annonciation, de la Purification et de la Dormition de la Vierge Marie [13]. Plus tard, saint Léon IV eut à cœur de faire célé­brer encore avec plus de solen­ni­té la fête déjà éta­blie sous le titre d’Assomption de la Bienheureuse Mère de Dieu ; à cet effet, il en ins­ti­tua la vigile, puis il pres­cri­vit des prières pour son octave ; et lui-​même, heu­reux de pro­fi­ter de cette occa­sion, entou­ré d’une immense foule, tint à par­ti­ci­per à la célé­bra­tion des solen­ni­tés [14]. Enfin, on déduit très clai­re­ment l’obligation, remon­tant à une date ancienne, de jeû­ner la veille de cette solen­ni­té, des décla­ra­tions de Notre pré­dé­ces­seur saint Nicolas Ier, au sujet des prin­ci­paux jeûnes « que la Sainte Eglise romaine reçut en tra­di­tion et qu’elle observe encore [15] ».

20. Vu que la litur­gie catho­lique n’engendre pas la foi catho­lique, mais plu­tôt en est la consé­quence, et que, comme les fruits d’un arbre, en pro­viennent les rites du culte sacré, les Saints Pères et les grands Docteurs, à cause de cela même, n’y pui­sèrent pas cette doc­trine comme d’une source pre­mière dans les homé­lies et dis­cours qu’ils adres­saient au peuple ; mais ils en par­laient plu­tôt comme d’une chose déjà connue des fidèles et par eux accep­tée. Ils l’ont mise en plus grande lumière. Ils en ont expo­sé le fait et le sens par des rai­sons plus pro­fondes, met­tant sur­tout en un jour plus lumi­neux ce que les livres litur­giques très sou­vent tou­chaient briè­ve­ment et suc­cinc­te­ment : à savoir que cette fête rap­pe­lait non seule­ment qu’il n’y eut aucune cor­rup­tion du corps inani­mé de la Bienheureuse Vierge Marie, mais encore son triomphe rem­por­té sur la mort et sa « glo­ri­fi­ca­tion » céleste, à l’exemple de son Fils unique Jésus-Christ.

21. C’est pour­quoi saint Jean Damascène, qui demeure par­mi tant d’autres, le héraut par excel­lence de cette véri­té dans la tra­di­tion, lorsqu’il com­pare l’Assomption cor­po­relle de l’auguste Mère de Dieu avec tous les autres dons et pri­vi­lèges, pro­clame avec une puis­sante élo­quence : « Il fal­lait que Celle qui avait conser­vé sans tache sa vir­gi­ni­té dans l’enfantement, conser­vât son corps sans cor­rup­tion même après la mort. Il fal­lait que Celle qui avait por­té le Créateur comme enfant dans son sein, demeu­rât dans les divins taber­nacles. Il fal­lait que l’Épouse que le Père s’était unie habi­tât le séjour du ciel. Il fal­lait que Celle qui avait vu son Fils sur la croix et avait échap­pé au glaive de dou­leur en le met­tant au monde, l’avait reçu en son sein, le contem­plât encore sié­geant avec son Père. Il fal­lait que la Mère de Dieu pos­sé­dât tout ce qui appar­tient à son Fils et qu’elle fût hono­rée par toute créa­ture comme la Mère de Dieu et sa ser­vante [16] ».

22. Cette voix de saint Jean Damascène répond fidè­le­ment à celle des autres qui sou­tiennent la même doc­trine. Car on trouve des décla­ra­tions non moins claires et exactes dans tous ces dis­cours que les Pères de la même époque ou de la pré­cé­dente ont tenus géné­ra­le­ment à l’occasion de cette fête. C’est pour­quoi, pour en venir à d’autres exemples, saint Germain de Constantinople esti­mait que l’incorruption du corps de la Vierge Marie, Mère de Dieu, et son élé­va­tion au ciel, non seule­ment conve­naient à sa mater­ni­té divine, mais encore à la sain­te­té par­ti­cu­lière de son corps vir­gi­nal : « Tu appa­rais, comme il est écrit, en splen­deur ; et ton corps vir­gi­nal est entiè­re­ment saint, entiè­re­ment chaste, entiè­re­ment la demeure de Dieu ; de sorte que, de ce fait, il est ensuite exempt de tom­ber en pous­sière ; trans­for­mé dans son huma­ni­té en une sublime vie d’incorruptibilité, vivant lui-​même et très glo­rieux, intact, et par­ti­ci­pant de la vie par­faite [17] ». Un autre écri­vain des plus anciens déclare : « A titre donc de très glo­rieuse Mère du Christ, le Sauveur notre Dieu, Auteur de la vie et de l’immortalité, elle est vivi­fiée, dans une incor­rup­ti­bi­li­té éter­nelle de son corps, par Celui-​là même qui l’a res­sus­ci­tée du tom­beau et l’a éle­vée jusqu’à lui, comme lui seul la connaît [18] ».

23. Comme cette fête litur­gique se célé­brait chaque jour en plus de lieux et avec une pié­té plus consi­dé­rable, les pas­teurs de l’Église et les ora­teurs sacrés, d’un nombre tou­jours crois­sant, esti­mèrent qu’il était de leur devoir d’exposer clai­re­ment et ouver­te­ment le mys­tère que rap­pelle cette fête et de décla­rer qu’il est très lié avec les autres véri­tés révélées.

24. Parmi les théo­lo­giens sco­las­tiques, il n’en man­qua pas qui, vou­lant appro­fon­dir les véri­tés divi­ne­ment révé­lées et dési­rant offrir cet accord par­fait qui se trouve entre la rai­son théo­lo­gique et la foi catho­lique, pen­sèrent qu’il fal­lait recon­naître que ce pri­vi­lège de l’Assomption de la Vierge Marie s’accorde d’une façon admi­rable avec les véri­tés divines que nous livrent les Saintes Lettres.

25. En par­tant de là par voie de rai­son­ne­ment, ils ont pré­sen­té des argu­ments variés qui éclairent ce pri­vi­lège marial, et le pre­mier, pour ain­si dire, de ces argu­ments, déclaraient-​ils, est le fait que Jésus-​Christ, à cause de sa pié­té à l’égard de sa Mère, a vou­lu l’élever au ciel. Et la force de ces argu­ments s’appuyait sur l’incomparable digni­té de sa mater­ni­té divine et de toutes les grâces qui en découlent, à savoir : sa sain­te­té insigne qui sur­passe la sain­te­té de tous les hommes et des anges : l’intime union de la Mère avec son Fils, et ce sen­ti­ment d’amour pri­vi­lé­gié dont le Fils hono­rait sa très digne Mère.

26. Souvent ain­si, des théo­lo­giens et des ora­teurs sacrés se pré­sentent qui, sui­vant les traces des Saints Pères [19], pour illus­trer leur foi en l’Assomption, usant d’une cer­taine liber­té, rap­portent des évé­ne­ments et des paroles qu’ils empruntent aux Saintes Lettres. Pour Nous en tenir à quelques cita­tions qui sont sur ce sujet le plus sou­vent employées, il y a des ora­teurs qui citent la parole du psal­miste : « Lève-​toi, Seigneur, au lieu de ton repos, toi et l’arche de ta majes­té [20] » ; et ils envi­sagent l’« Arche d’alliance » faite de bois incor­rup­tible et pla­cée dans le temple de Dieu, comme une image du corps très pur de la Vierge Marie, gar­dé exempt de toute cor­rup­tion du sépulcre et éle­vé à une telle gloire dans le ciel. De la même façon, en trai­tant de cette ques­tion, ils décrivent la Reine entrant triom­pha­le­ment dans la cour des cieux et sié­geant à la droite du divin Rédempteur [21] ; ain­si ils pré­sentent l’Épouse du Cantique « qui monte du désert comme une colonne de fumée exha­lant la myrrhe et l’encens » pour ceindre la cou­ronne [22]. Ils pro­posent ce qui pré­cède comme des images de cette Reine du ciel, cette Épouse céleste qui, en union avec son Époux divin, est éle­vée à la cour des cieux.

27. Et de plus, les Docteurs sco­las­tiques, non seule­ment dans les diverses figures de l’Ancien Testament, mais aus­si dans cette Femme revê­tue de soleil que contem­pla l’Apôtre Jean dans l’île de Patmos [23], ont vu l’indication de l’Assomption de la Vierge Mère de Dieu. De même, des pas­sages du Nouveau Testament, ils ont pro­po­sé avec un soin par­ti­cu­lier à leur consi­dé­ra­tion ces mots : « Salut pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre les femmes [24], alors qu’ils voyaient dans le mys­tère de l’Assomption le com­plé­ment de cette sur­abon­dante grâce accor­dée à la Bienheureuse Vierge, et cette béné­dic­tion unique en oppo­si­tion avec la malé­dic­tion d’Eve.

28. C’est pour­quoi, au début de la théo­lo­gie sco­las­tique, cet homme très pieux, Amédée, évêque de Lausanne, affirme que la chair de la Vierge Marie est res­tée sans cor­rup­tion — car on ne peut croire que son corps ait vu la cor­rup­tion — puisqu’il a, en effet, été uni de nou­veau à son âme et conjoin­te­ment avec elle, dans la cour céleste, cou­ron­né de la gloire d’En-Haut. « Elle était, en effet, pleine de grâce et bénie entre les femmes [25]. Seule, elle a méri­té de conce­voir le vrai Dieu de vrai Dieu, que vierge elle a mis au monde, que vierge, elle a allai­té, le pres­sant sur son sein, et qu’elle a ser­vi en toute chose d’une sainte obéis­sance » [26].

29. Parmi les saints écri­vains qui, à cette époque, se sont ser­vis des textes et de diverses simi­li­tudes ou ana­lo­gies des Saintes Écritures pour illus­trer ou confir­mer la doc­trine de l’Assomption, objet d’une pieuse croyance, le Docteur évan­gé­lique saint Antoine de Padoue occupe une place à part. C’est lui, en effet, qui, le jour de l’Assomption, expli­quait ces paroles du Prophète Isaïe : « Je glo­ri­fie­rai le lieu où reposent mes pieds [27] », affir­ma d’une façon cer­taine que le divin Rédempteur a orné de la plus haute gloire sa Mère très chère, dont il avait pris sa chair d’homme. « Par là, vous savez clai­re­ment, dit-​il, que la Bienheureuse Vierge dans son corps, où fut le lieu où repo­sèrent les pieds du Seigneur, a été éle­vée (au ciel). » C’est pour­quoi le Psalmiste sacré écrit : « Lève-​toi, Seigneur, au lieu de ton repos, toi, et l’arche de ta majes­té. » De la même façon, comme il l’affirme lui-​même, que Jésus-​Christ est res­sus­ci­té en triom­phant de la mort, et mon­té à la droite de son Père, ain­si pareille­ment « est res­sus­ci­tée aus­si l’Arche de sa sanc­ti­fi­ca­tion lorsqu’en ce jour, la Vierge Mère a été éle­vée dans la demeure céleste [28] ».

30. Au Moyen Âge, alors que la théo­lo­gie sco­las­tique était dans tout son éclat, saint Albert le Grand, après avoir réuni, pour en éta­blir la preuve, divers argu­ments fon­dés sur les Saintes Lettres, les textes de la tra­di­tion ancienne et enfin la litur­gie et le rai­son­ne­ment théo­lo­gique, comme on dit, conclut ain­si : « Pour toutes ces rai­sons, et ces témoi­gnages qui font auto­ri­té, il est clair que la Bienheureuse Mère de Dieu a été éle­vée en âme et en corps au-​dessus des chœurs des anges. Et nous croyons que cela est vrai de toutes façons [29] ». Dans le ser­mon qu’il pro­non­ça le saint jour de l’Annonciation de la Bienheureuse Vierge Marie, en expli­quant ces paroles de l’Ange la saluant : « Ave, gra­tia ple­na »…, le Docteur uni­ver­sel, com­pa­rant à Eve la Très Sainte Vierge, sou­tient clai­re­ment et expres­sé­ment qu’elle fut exempte de la qua­druple malé­dic­tion qui frap­pa Eve [30].

31. Le Docteur angé­lique, à la suite de son remar­quable Maître, bien qu’il n’ait jamais trai­té expres­sé­ment la ques­tion, chaque fois cepen­dant qu’incidemment il y touche, main­tient constam­ment en union avec l’Église catho­lique que le corps de Marie a été éle­vé au ciel avec son âme [31].

32. Le Docteur séra­phique, entre beau­coup d’autres, se déclare dans le même sens. Pour lui, il est tout à fait cer­tain que Dieu, de la même façon qu’il a gar­dé Marie, la Très Sainte, exempte de la vio­la­tion de son inté­gri­té vir­gi­nale et de sa pure­té vir­gi­nale, soit quand elle a conçu, soit quand elle enfan­ta, ain­si Dieu n’a pas per­mis en aucune façon que son corps fût réduit à la cor­rup­tion ou réduit en cendres [32]. En inter­pré­tant ces paroles de la Sainte Écriture et les appli­quant en un cer­tain sens acco­mo­da­tice à la Bienheureuse Vierge : Quae est ista, quae ascen­dit de deser­to, deli­ciis affluens, innixa super dilec­tum suum. [33] ? », il rai­sonne ain­si : « De là encore, il résulte qu’elle s’y trouve en corps… Car, en effet, sa béa­ti­tude ne serait pas consom­mée si elle ne s’y trou­vait pas en per­sonne, mais c’est l’union (du corps et de l’âme) qui la consti­tue ; il est évident qu’en tant que sui­vant cette union, c’est-à-dire en son corps et en son âme, elle s’y trouve : sans quoi, elle n’aurait pas la jouis­sance béa­ti­fique ache­vée [34]. »

33. A une époque plus tar­dive de la théo­lo­gie sco­las­tique, soit au XVe siècle, saint Bernardin de Sienne, repre­nant d’une manière géné­rale, et étu­diant de nou­veau avec soin tout ce que les théo­lo­giens du Moyen Age avaient décla­ré et dis­cu­té sur cette ques­tion, ne se conten­ta pas de rap­por­ter les prin­ci­pales consi­dé­ra­tions que les doc­teurs du temps pas­sé avaient pro­po­sées, mais il en ajou­ta de nou­velles. A savoir la res­sem­blance de la divine Mère et de son divin Fils pour ce qui touche à la noblesse et à la digni­té de l’âme et du corps — à cause de cette res­sem­blance, nous ne pou­vons pas même pen­ser que la Reine du Ciel soit sépa­rée du Roi du Ciel — demande que Marie « ne puisse se trou­ver que là où est le Christ [35] », et, d’autre part, il est conforme à la rai­son et conve­nable que de même que pour l’homme, ain­si le corps et l’âme de la femme arrivent à la gloire éter­nelle dans le ciel ; et, enfin, puisque l’Église n’a jamais recher­ché les restes de la Bienheureuse Vierge et ne les a jamais pro­po­sés au culte du peuple. Il y a là un argu­ment qu’on peut offrir, « comme une preuve sen­sible [36] ».

34. En des temps plus récents, ces décla­ra­tions des Saints Pères et Docteurs que nous avons rap­por­tées furent d’un usage com­mun. Embrassant cette una­ni­mi­té des chré­tiens dans la tra­di­tion des siècles anté­rieurs, saint Robert Bellarmin s’écrie : « Et qui pour­rait croire, je vous prie, que l’arche de la sain­te­té, la demeure du Verbe, le temple de l’Esprit-Saint se soit écrou­lé ? Mon âme répugne fran­che­ment même à pen­ser que cette chair vir­gi­nale qui a engen­dré Dieu, lui a don­né le jour, l’a allai­té, l’a por­té, ou soit tom­bée en cendres ou ait été livrée à la pâture des vers [37]. »

35. De la même façon, saint François de Sales, après avoir sou­te­nu qu’on ne peut mettre en doute que Jésus-​Christ a accom­pli à la per­fec­tion le com­man­de­ment divin qui pres­crit aux fils d’honorer leurs parents, se pose cette ques­tion : « Qui est l’enfant qui ne res­sus­ci­tast sa bonne mère s’il pou­voit et ne la mist en para­dis après qu’elle seroit décé­dée [38] ? » Et saint Alphonse écrit : « Jésus n’a pas vou­lu que le corps de Marie se cor­rom­pît après sa mort, car c’eût été un objet de honte pour lui si sa chair vir­gi­nale était tom­bée en pour­ri­ture, cette chair dont lui-​même avait pris la sienne [39]. »

36. Mais comme ce mys­tère, objet de la célé­bra­tion de cette fête, se trou­vait déjà mis en lumière, il ne man­qua pas de Docteurs qui, plu­tôt que de se ser­vir des argu­ments théo­lo­giques qui démontrent qu’il convient abso­lu­ment et qu’il est logique de croire à l’Assomption au ciel de la Bienheureuse Vierge Marie en son corps, tour­naient leur esprit et leur cœur à la foi de l’Église, Épouse mys­tique du Christ qui n’a ni tache ni ride [40], et que l’Apôtre appelle « la colonne et la base de la véri­té [41] » ; appuyés sur cette foi com­mune, ils pen­saient que l’opinion contraire était témé­raire pour ne pas dire héré­tique. Du moins, saint Pierre Canisius, comme tant d’autres, après avoir décla­ré que le mot même d’Assomption signi­fie « glo­ri­fi­ca­tion » non seule­ment de l’âme, mais encore du corps, et que l’Église, déjà au cours de nom­breux siècles, vénère et célèbre avec solen­ni­té ce mys­tère marial de l’Assomption, remarque ce qui suit : « Ce sen­ti­ment pré­vaut déjà depuis des siècles ; il est ancré au cœur des pieux fidèles et confié ain­si à toute l’Église. Par consé­quent, on ne doit pas sup­por­ter d’entendre ceux qui nient que le corps de Marie a été éle­vé dans le ciel, mais on doit les sif­fler, à l’occasion, comme des gens trop entê­tés, et par ailleurs témé­raires, et comme des gens imbus d’un esprit plus héré­tique que catho­lique [42] ».

37. A la même époque, le Docteur excellent qui pro­fes­sait cette règle en mario­lo­gie que « les mys­tères de grâce opé­rés par Dieu dans la Vierge ne doivent pas se mesu­rer aux règles ordi­naires, mais à la toute-​puissance divine, étant sup­po­sée la conve­nance de ce dont il s’agit et que cela ne soit pas en contra­dic­tion avec les Saintes Ecritures ou incon­ci­liable avec le texte sacré [43] », en ce qui concerne le mys­tère de l’Assomption, fort de la foi com­mune de l’Eglise tout entière, il pou­vait conclure que ce mys­tère doit être cru avec la même fer­me­té d’âme que l’Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie, et déjà il affir­mait que ces véri­tés pou­vaient être définies.

38. Tous ces argu­ments et consi­dé­ra­tions des Saints Pères et des théo­lo­giens s’appuient sur les Saintes Lettres comme sur leur pre­mier fon­de­ment. Celles-​ci nous pro­posent, comme sous nos yeux, l’auguste Mère de Dieu dans l’union la plus étroite avec son divin Fils et par­ta­geant tou­jours son sort. C’est pour­quoi il est impos­sible de consi­dé­rer Celle qui a conçu le Christ, l’a mis au monde, nour­ri de son lait, por­té dans ses bras et ser­ré sur son sein, sépa­rée de lui, après cette vie ter­restre, sinon dans son âme, du moins dans son corps. Puisque notre Rédempteur est le Fils de Marie, il ne pou­vait cer­tai­ne­ment pas, lui qui fut l’observateur de la loi divine le plus par­fait, ne pas hono­rer, avec son Père éter­nel, sa Mère très aimée. Or, il pou­vait la parer d’un si grand hon­neur qu’il la gar­de­rait exempte de la cor­rup­tion du tom­beau. Il faut donc croire que c’est ce qu’il a fait en réalité.

39. Il faut sur­tout se sou­ve­nir que, depuis le IIe siècle, les Saints Pères pro­posent la Vierge Marie comme une Eve nou­velle en face du nou­vel Adam et, si elle lui est sou­mise, elle lui est étroi­te­ment unie dans cette lutte contre l’ennemi infer­nal, lutte qui devait, ain­si que l’annonçait le pro­té­van­gile [44], abou­tir à une com­plète vic­toire sur le péché et la mort, qui sont tou­jours liés l’un à l’autre dans les écrits de l’Apôtre des Nations [45]. C’est pour­quoi, de même que la glo­rieuse Résurrection du Christ fut la par­tie essen­tielle de cette vic­toire et comme son suprême tro­phée, ain­si le com­bat com­mun de la Bienheureuse Vierge et de son Fils devait se ter­mi­ner par la « glo­ri­fi­ca­tion » de son corps vir­gi­nal ; car, comme le dit ce même Apôtre, « lorsque ce corps mor­tel aura revê­tu l’immortalité, alors s’accomplira la parole qui est écrite : la mort a été englou­tie dans sa vic­toire [46] ».

40. C’est pour­quoi l’auguste Mère de Dieu, unie de toute éter­ni­té à Jésus-​Christ, d’une manière mys­té­rieuse, par « un même et unique décret [47] » de pré­des­ti­na­tion, imma­cu­lée dans sa concep­tion, Vierge très pure dans sa divine Maternité, géné­reuse asso­ciée du Divin Rédempteur qui rem­por­ta un com­plet triomphe du péché et de ses suites, a enfin obte­nu comme suprême cou­ron­ne­ment de ses pri­vi­lèges d’être gar­dée intacte de la cor­rup­tion du sépulcre, en sorte que, comme son Fils, déjà aupa­ra­vant, après sa vic­toire sur la mort, elle fut éle­vée dans son corps et dans son âme, à la gloire suprême du ciel où Reine, elle res­plen­di­rait à la droite de son fils, Roi immor­tel des siècles. [48] ».

41. Alors, puisque l’Église uni­ver­selle, en laquelle vit l’Esprit de véri­té, cet Esprit qui la dirige infailli­ble­ment pour par­faire la connais­sance des véri­tés révé­lées, a mani­fes­té de mul­tiples façons sa foi au cours des siècles, et puisque les évêques du monde entier, d’un sen­ti­ment presque una­nime, demandent que soit défi­nie, comme dogme de foi divine et catho­lique, la véri­té de l’Assomption au ciel de la Bienheureuse Vierge Marie — véri­té qui s’appuie sur les Saintes Lettres et ancrée pro­fon­dé­ment dans l’âme des fidèles, approu­vée depuis la plus haute anti­qui­té par le culte de l’Église, en par­fait accord avec les autres véri­tés révé­lées, démon­trée et expli­quée par l’étude, la science et la sagesse des théo­lo­giens, — nous pen­sons que le moment, fixé par le des­sein de Dieu dans sa Providence, est main­te­nant arri­vé où nous devons décla­rer solen­nel­le­ment cet insigne pri­vi­lège de la Vierge Marie.

42. Nous, qui avons confié Notre pon­ti­fi­cat au patro­nage par­ti­cu­lier de la Très Sainte Vierge, vers qui Nous Nous réfu­gions en tant de vicis­si­tudes des plus tristes réa­li­tés, Nous qui avons consa­cré à son Cœur Immaculé le genre humain tout entier en une céré­mo­nie publique, et qui avons éprou­vé sou­vent sa très puis­sante assis­tance, Nous avons une entière confiance que cette pro­cla­ma­tion et défi­ni­tion solen­nelle de son Assomption appor­te­ra un pro­fit non négli­geable à la socié­té humaine, car elle tour­ne­ra à la gloire de la Très Sainte Trinité à laquelle la Vierge Mère de Dieu est unie par des liens tout par­ti­cu­liers. Il faut, en effet, espé­rer que tous les fidèles seront por­tés à une pié­té plus grande envers leur céleste Mère ; que les âmes de tous ceux qui se glo­ri­fient du nom de chré­tiens, seront pous­sées au désir de par­ti­ci­per à l’unité du Corps mys­tique de Jésus-​Christ et d’augmenter leur amour envers Celle qui, à l’égard de tous les membres de cet auguste corps, garde un cœur mater­nel. Et il faut éga­le­ment espé­rer que ceux qui méditent les glo­rieux exemples de Marie se per­sua­de­ront de plus en plus de quelle grande valeur est la vie humaine si elle est entiè­re­ment vouée à l’accomplissement de la volon­té du Père céleste et au bien à pro­cu­rer au pro­chain ; que, alors que les inven­tions du « maté­ria­lisme » et la cor­rup­tion des mœurs qui en découle menacent de sub­mer­ger l’existence de la ver­tu et, en exci­tant les guerres, de perdre les vies humaines, sera mani­fes­té le plus clai­re­ment pos­sible, en pleine lumière, aux yeux de tous, à quel but sublime sont des­ti­nés notre âme et notre, corps ; et enfin que la foi de l’Assomption céleste de Marie dans son corps ren­dra plus ferme notre foi en notre propre résur­rec­tion, et la ren­dra plus active.

43. Ce Nous est une très grande joie que cet évé­ne­ment solen­nel arrive, par un des­sein de la Providence de Dieu, alors que l’Année Sainte suit son cours, car ain­si nous pou­vons, pen­dant la célé­bra­tion du très grand Jubilé, orner le front de la Vierge Mère de Dieu de ce brillant joyau et lais­ser un sou­ve­nir plus durable que l’airain de Notre pié­té très ardente envers la Mère de Dieu.

44. C’est pour­quoi, après avoir adres­sé à Dieu d’incessantes et sup­pliantes prières, et invo­qué les lumières de l’Esprit de véri­té, pour la gloire du Dieu Tout-​Puissant, qui pro­di­gua sa par­ti­cu­lière bien­veillance à la Vierge Marie, pour l’honneur de son Fils, Roi immor­tel des siècles et vain­queur de la mort et du péché, pour accroître la gloire de son auguste Mère et pour la joie et l’exultation de l’Église tout entière, par l’autorité de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, des bien­heu­reux apôtres Pierre et Paul, et par la Nôtre, Nous pro­cla­mons, décla­rons et défi­nis­sons que c’est un dogme divi­ne­ment révé­lé que Marie, l’Immaculée Mère de Dieu tou­jours Vierge, à la fin du cours de sa vie ter­restre, a été éle­vée en âme et en corps à la gloire céleste.

Nous pro­cla­mons, décla­rons et défi­nis­sons que c’est un dogme divi­ne­ment révé­lé que Marie, l’Immaculée Mère de Dieu tou­jours Vierge, à la fin du cours de sa vie ter­restre, a été éle­vée en âme et en corps à la gloire céleste.

45. C’est pour­quoi, si quelqu’un — ce qu’à Dieu ne plaise — osait volon­tai­re­ment nier ou mettre en doute ce que Nous avons défi­ni, qu’il sache qu’il a fait com­plè­te­ment défec­tion dans la foi divine et catholique.

46. Et pour que Notre défi­ni­tion de l’Assomption au ciel de la Vierge Marie dans son corps par­vienne à la connais­sance de l’Église uni­ver­selle, Nous vou­lons que Nos lettres apos­to­liques pré­sentes demeurent pour en per­pé­tuer la mémoire, ordon­nant que les copies qui en seront faites, ou même les exem­plaires qui en seront impri­més, contre­si­gnés de la main d’un notaire public, et munis du sceau d’une per­sonne consti­tuée en digni­té ecclé­sias­tique, obtiennent foi abso­lu­ment auprès de tous, comme le feraient les pré­sentes Lettres elles-​mêmes si elles étaient exhi­bées ou montrées.

47. Qu’il ne soit per­mis à qui que ce soit de détruire ou d’attaquer ou contre­dire, par une auda­cieuse témé­ri­té, cet écrit de Notre décla­ra­tion, déci­sion et défi­ni­tion. Si quelqu’un avait la pré­somp­tion d’y atten­ter, qu’il sache qu’il encour­rait l’indignation du Dieu Tout-​Puissant et des bien­heu­reux apôtres Pierre et Paul.

48. Donné à Rome, près de Saint-​Pierre, l’année du très saint Jubilé mil neuf cent cin­quante, le pre­mier novembre, en la fête de tous les Saints, de Notre pon­ti­fi­cat la dou­zième année.

Pie XII, Pape.

Notes de bas de page
  1. Rom 8, 28.[]
  2. Gal 4, 4.[]
  3. Cf. Hentrich-​Von Moos, Petitiones de Assumptione cor­po­rea B. Virginis Mariae in Caelum defi­nien­da ad S. Sedem dela­tae, 2 volumes, Typis Polyglottis Vaticanis, 1942[]
  4. Act 20, 28.[]
  5. Bulle Ineffabilis Deus, Acta Pii IX, pars 1 , Vol. 1, p. 615.[]
  6. Concile du Vatican, Constitution Dei Filius, c. 4.[]
  7. Jean 14, 26.[]
  8. Concile du Vatican, Constitution Pastor Aeternus, c. 4.[]
  9. Ibid., Dei Filius, c. 3.[]
  10. Encyclique Mediator Dei, Acta Apostolicae Sedis, XXXIX, 541.[]
  11. Sacramentorum Gregorianum.[]
  12. Menaei Totius Anni.[]
  13. Liber Pontificalis.[]
  14. Ibid.[]
  15. Responsa Nicolai Papae I ad Consulta Bulgarorum.[]
  16. S. Jean Damascène, Encomium in Dormitionem Dei Genitricis Semperque Virginis Mariae, hom. II, n. 14 ; cf. éga­le­ment ibid., n. 3.[]
  17. S. Germain de Constantinople, In sanc­tae Dei Genitricis Dormitionem, ser­mon I.[]
  18. Encomium in Dormitionem Sanctissimae Dominae Nostrate Deiparae Semperque Virginis Mariae, attri­bué à S. Modeste de Jérusalem, n. 14.[]
  19. Cf. S. Jean Damascène, op. cit., Hom. II, n. 11 ; et aus­si l’Encomium attri­bué à saint Modeste.[]
  20. Ps. 131, 8.[]
  21. Ps. 44, 10 ‑14.[]
  22. Cant 3, 6 ; cf. 4, 8 ; 6, 9.[]
  23. Ap 12, 1 et seq., IV.[]
  24. Luc 1, 23.[]
  25. Luc 1, 28.[]
  26. Amédée de Lausanne, De Beatae Virginis Obitu, Assumptione in Caelum Exaltatione ad Filii Dexteram.[]
  27. Is 61,13.[]
  28. S. Antoine de Padoue, Sermones domi­ni­cales et in solem­ni­ta­ti­bus, In Assumptione S. Mariae Virginis ser­mo.[]
  29. S. Albert le Grand, Mariale, q. 132.[]
  30. S. Albert le Grand, Sermones de Sanctis, ser­mon XV in Annuntiatione B. Mariae ; cf- éga­le­ment Mariale, q. 132.[]
  31. St. Thomas d’Aquin, Summa Theol., I, lla ; q. 27, a. 1 ; q. 83, a. 5, ad 8 ; Expositio Salutationis Angelicae ; In Symb. Apostolorum Expositio, a. S ; In IV Sent., d. 12, q. 1, a. 3, sol. 3 ; d. 43, q. 1, a. 3, sol. 1, 2.[]
  32. S. Bonaventure, De Nativitate B. Mariae Virginis, Sermon V.[]
  33. « Quelle est celle-​ci qui monte du désert, pleine de délices, appuyée sur son bien-​aimé ? Cant 8, 5.[]
  34. S. Bonaventure, De Assumptione B. Mariae Virginis, ser­mon 1.[]
  35. S. Bernardin de Sienne, in Assumptione Beatae Mariae Virginis, ser­mon 11.[]
  36. Ibid.[]
  37. S. Robert Bellarmin, Contiones habi­tae Lovanii, n. 40, De Assumptione B. Mariae Virginis.[]
  38. Œuvres de S. François de Sales, ser­mon pour la fête de l’Assomption.[]
  39. S. Alphonse de Liguori, Les Gloires de Marie, Part. 2, d. 1.[]
  40. Eph 5, 27.[]
  41. I Tim 3, 15.[]
  42. S. Pierre Canisius, De Maria Virgine.[]
  43. Suarez, In Tertiam Partem D. Thomae, q.27, a. 2, disp. 3, seq. 5, n. 31.[]
  44. Gen 3, 15.[]
  45. Rom 5–6 ; I Cor. 15, 21–26, 54–57.[]
  46. I Cor 15, 54.[]
  47. Bulle Ineffabilis Deus, doc. cit., p. 599.[]
  48. I Tim 1, 17.[]