Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

2 juillet 1941

Discours aux jeunes époux

L'efficacité de la prière

Table des matières

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 2 juillet 1941

Que de choses, chers jeunes époux, vous avez à deman­der à Dieu en ces jours où vous visi­tez les grands sanc­tuaires de Rome ! Ces visites sont comme autant de pieux pèle­ri­nages, tout comme la vie d’ici-​bas est un pèle­ri­nage vers Dieu, dans l’al­ter­nance de la joie et de la dou­leur. Vous che­mi­nez main­te­nant dans l’au­rore de la joie. Devant les saints autels, vous avez prié pour vous-​mêmes, pour le foyer que vous venez de fon­der, pour les enfants qui vien­dront l’é­gayer et vous réjouir. La terre où vous avez mis le pied est une terre bien connue que des mil­liers de peuples, des mil­lions de pèle­rins ont fou­lée de leurs pieds au cours des siècles : tels les mar­tyrs que vous avez véné­rés aux cata­combes, dans les basi­liques et les églises, et que l’a­pôtre saint Jean enten­dit crier d’une voix forte : « Jusques à quand, ô Maître saint et véri­table, ne ferez-​vous pas jus­tice et ne redemanderez-​vous pas notre sang à ceux qui habitent sur la terre ? » Alors on leur répon­dit de se tenir en repos encore un peu de temps, jus­qu’à ce que fût com­plet le nombre de leurs com­pa­gnons de ser­vice et de leurs frères (cf. Apoc. Ap 6,10). Eux aus­si prient ; mais pour Dieu l’heure de les exau­cer n’est pas encore arri­vée. Ils ont une confiance inébran­lable dans la pro­messe de Dieu : ils seront cer­tai­ne­ment exau­cés, comme ils le furent lors du triomphe de leur foi en face des tyrans.

Vous aus­si, vous avez prié ; et main­te­nant vous voyez exau­cées les prières que vous avez, il y a long­temps peut-​être, adres­sées au ciel, pour obte­nir la grâce de contrac­ter cette sainte union, qui était alors l’ob­jet de vos dési­rs, et qui est main­te­nant le foyer de votre bonheur.

Rien, en effet, ne nous aide tant à prier que notre expé­rience per­son­nelle de l’ef­fi­ca­ci­té de nos prières, lorsque l’a­mou­reuse Providence nous a don­né en réponse lar­ge­ment, plei­ne­ment, ce que nous lui deman­dions. Mais sou­vent la Providence nous dit, comme aux mar­tyrs de l’Apocalypse, de nous tenir en repos encore un peu de temps, le temps fixé par elle.

Ne jamais perdre confiance si Dieu tarde à exaucer nos prières

Que Dieu tarde à exau­cer leurs prières, beau­coup sentent leur confiance ébran­lée ; beau­coup ne savent point se tenir en repos, lorsque la Providence semble fer­mer l’o­reille à toutes leurs supplications.

Non, ne per­dez jamais votre confiance en ce Dieu qui vous a créés, qui vous a aimés avant que vous fus­siez capables de l’ai­mer, qui a fait de vous ses amis. N’est-​ce pas le propre de l’a­mi­tié, que l’a­mi brûle de rem­plir le désir de son ami et qu’il veuille son bien et sa per­fec­tion ? Qu’est-​ce donc qu’ai­mer, sinon vou­loir du bien à quel­qu’un ? Et le bien de la créa­ture ne découle-​t-​il pas en entier de la bon­té divine ? [1]

Ayez confiance en Dieu : ses grâces, selon le mot de Pétrarque [2], ne furent jamais lentes. Et pour­tant, par­mi ceux qui prient, il y en a, et même beau­coup, qui trouvent que les grâces divines tardent trop. Ce qu’ils demandent à Dieu leur semble bon, utile, néces­saire, bon non seule­ment pour le corps, mais aus­si pour leur âme, et pour les âmes de ceux qui leur sont chers : avec fer­veur, ils prient durant des mois, et ils constatent qu’il n’ont encore rien obte­nu. La san­té néces­saire pour s’oc­cu­per de sa famille n’a pas encore été accor­dée à telle mère. Ce fils, cette fille, qui par leur conduite mettent en péril leur salut éter­nel, ne sont pas encore reve­nus à de meilleurs sen­ti­ments. Ces sou­cis maté­riels au milieu des­quels ces parents s’a­gitent et s’in­quiètent, ne font que croître et deve­nir plus durs et plus mena­çants. L’Eglise entière et tous les peuples avec elle mul­ti­plient les prières pour obte­nir la fin des cala­mi­tés qui jettent la grande famille humaine dans la dou­leur, et elle tarde encore, cette paix selon la jus­tice, objet des dési­rs, des invo­ca­tions, des sou­pirs et des ins­tances de l’Eglise, cette paix qui semble si néces­saire au bien de tous et au bien même des âmes.

… car ses promesses ne manquent point.

Sous le poids de telles pen­sées, beau­coup regardent sur­pris vers les saints autels où l’on prie ; ils demeurent peut-​être scan­da­li­sés et per­plexes, à entendre la sainte litur­gie rap­pe­ler sans cesse et pro­cla­mer les pro­messes du divin Sauveur : « Tout ce que vous deman­de­rez avec foi dans la prière, vous l’ob­tien­drez… » (Mt 21,22). « Demandez, et vous rece­vrez… Quiconque demande, reçoit… » (Mt 7,7). « Tout ce que vous deman­de­rez au Père en mon nom, il le fera. En véri­té, en véri­té, je vous le dis, tout ce que vous deman­de­rez au Père en mon nom, il vous l’ac­cor­de­ra » (Jn 14,13 Jn 15,16 Jn 16,23). Les pro­messes du divin Sauveur pouvaient-​elles être plus expli­cites, plus claires, plus solen­nelles ? Quelques-​uns ne seront-​ils pas ten­tés, en pré­sence du silence de Dieu, d’y voir peut-​être une amère dérision ?

Mais Dieu n’exerce pas toujours selon nos désirs.

Mais Dieu ne ment ni ne peut men­tir ; ce qu’il a pro­mis, il le tien­dra ; ce qu’il a dit, il le fera. Elevez vos esprits, bien-​aimés fils et filles, et écou­tez ce qu’en­seigne le grand Docteur saint Thomas d’Aquin [3], lors­qu’il explique pour­quoi Dieu n’exauce pas tou­jours les prières. « Dieu exauce les dési­rs de la créa­ture rai­son­nable pour autant qu’elle désire le bien. Or, elle désire par­fois quelque chose qui n’est pas un vrai bien, mais seule­ment un bien appa­rent, ou plu­tôt un vrai mal. Partant, Dieu ne sau­rait exau­cer pareille prière. Aussi l’Ecriture sainte dit-​elle : « Vous deman­dez, et vous ne rece­vez pas, parce que vous deman­dez mal » (Jc 4,3). Vous dési­rez, vous deman­dez une chose qui vous semble un bien ; mais Dieu voit plus loin que vous, il voit bien au-​delà de l’ob­jet que vous deman­dez. Il arrive, ajoute le même saint Docteur, que quel­qu’un refuse par ami­tié telle chose à son ami parce qu’elle lui serait nui­sible, ou que le contraire de cette chose lui sera plus avan­ta­geux, comme le méde­cin refuse par­fois ce que le patient lui demande, à la pen­sée que cela ne contri­bue­rait pas à le gué­rir. Ainsi, c’est l’a­mour qu’il porte à la créa­ture rai­son­nable qui pousse Dieu à exau­cer les prières, et il ne faut donc point s’é­ton­ner qu’il lui arrive de ne pas exau­cer les prières de ceux qu’il aime d’un amour spé­cial, car c’est pour leur accor­der ce qui leur est en réa­li­té le plus utile. Aussi, bien que l’a­pôtre lui en eût fait par trois fois la demande, il n’en­le­va pas à saint Paul l’é­charde enfon­cée dans sa chair (2Co 12,7) – il s’a­gis­sait très pro­ba­ble­ment d’une infir­mi­té cor­po­relle – et cela pour le main­te­nir dans l’hu­mi­li­té. De la sorte, le grand apôtre ne fut point exau­cé ad volun­ta­tem, selon sa volon­té, puis­qu’il ne fut pas libé­ré de cette misère qui l’af­fli­geait ; mais il fut exau­cé selon son salut, ad salu­tem, puisque Dieu l’exau­ça encore plus par­fai­te­ment en lui pro­met­tant le récon­fort de sa grâce, moyen d’at­teindre avec plus de mérite le but dési­ré [4].

Nécessité de prier au nom de Jésus.

Veille donc, homme de foi, aver­tit saint Augustin, et écoute avec vigi­lance ce qu’en­seigne le divin Maître : quand vous deman­dez ce que vous dési­rez, ne le deman­dez point d’une façon quel­conque, mais en mon nom, in nomine meo. Et quel est son nom ? Jésus-​Christ. Christ signi­fie roi, Jésus signi­fie Sauveur. Evidemment, ce n’est pas un roi quel­conque qui nous sau­ve­ra, mais le Roi Sauveur. Et lorsque nous deman­dons une chose contraire à notre salut, nous ne la deman­dons point au nom du Sauveur. Or, il est notre Sauveur aus­si bien lors­qu’il n’exauce pas nos prières que lors­qu’il fait ce que nous lui deman­dons, car, en n’exau­çant pas les prières qui tour­ne­raient contre notre salut, il agit en véri­table Sauveur. N’est-​il point le divin méde­cin du salut éter­nel ? Il sait, lui, ce qui nous est utile, et ce qui ne l’est pas… Il n’est pas seule­ment le Sauveur, mais encore le bon Maître : afin de faire ce que nous lui deman­de­rions, il a, dans la prière qu’il nous a lui-​même ensei­gnée, indi­qué ce que nous devons deman­der ; et par là encore, il nous aver­tit que ce que nous lui deman­dons en dehors de la règle qu’il nous a tra­cée, nous ne le deman­dons point au nom du Maître. Sauveur et Maître à la fois, Jésus connaît le temps favo­rable, le temps du salut, et, même lorsque nous lui deman­dons quelque chose en son nom, il n’exauce pas tou­jours notre prière tout de suite : il l’exauce à son heure, il dif­fère, mais ne refuse point de nous exau­cer [5].

C’est donc au nom de Jésus que nous devons offrir à Dieu nos prières ; car il n’est point sur terre d’autre nom où nous puis­sions trou­ver le salut (Ac 4,12). C’est le nom de Jésus qui rend nos aspi­ra­tions puis­santes et effi­caces auprès de Dieu ; c’est ce nom qui fait que nos bons dési­rs soient la cause de ce que Dieu, dans sa Providence, a dis­po­sé que nous obtien­drions par la prière ; car la prière ne change point l’ordre immuable éta­bli par Dieu, mais elle l’ac­com­plit, en tant que dans cet ordre pro­vi­den­tiel Dieu a lié l’oc­troi des biens que nous lui deman­dons aux prières que nous lui offrons. De là, cette parole de saint Alphonse de Liguori, que qui prie se sauve, qui ne prie point se damne 7 ; et affir­mer qu’il n’est pas néces­saire, puisque l’ordre de sa Providence est immuable, de prier pour obte­nir une grâce de Dieu, ce serait affir­mer, observe le Docteur angé­lique saint Thomas, qu’il n’est point néces­saire de mar­cher pour arri­ver à tel point, ni de man­ger pour se nour­rir : asser­tions évi­dem­ment absurdes 8.

Ainsi vous voyez, chers jeunes époux, com­ment l’ef­fi­ca­ci­té de la prière se lie à sa néces­si­té, et com­ment les prières qui se pré­sentent à Dieu ne sont pas toutes faites au nom de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ et, par­tant, ne sont pas toutes exaucées.

Redites donc au Sauveur avec les apôtres : « Seigneur, apprenez-​nous à prier », Domine, doce nos orare (Lc 11,1). Que vos prières s’é­lèvent vers lui comme l’en­cens, et vos mains comme l’of­frande du soir (Ps., cxli, 2). Et que la grâce de Dieu des­cende sur vous et vos nou­velles familles, pareille à la rosée de l’Hermon qui des­cend sur les som­mets de Sion (Ps., cxxxm, 3).

PIE XII, Pape.

Notes de bas de page
  1. Cf. S. Thomas, Somme contre les Gentils, 1. 3, c. 95.[]
  2. Trionfo dell’Eternità, 13.[]
  3. Somme contre les Gentils, l. 3, c. 96.[]
  4. Cf. S. Augustin, In Epist. Joannis ad Parthos, tract. VI, n. 6–7 ; Migne, P. L., t. 35. col. 2023. « S. Augustin, In Joannis Evang., tract. LXXIII, n. 3–4 j Migne, P. L., t. 35, col. 1825–1826.[]
  5. Somme contre les Gentils, l. 3, c. 96.[]