Du 27 janvier au 12 mai 1943, Pie XII a adressé cinq discours aux jeunes époux qui clôturent la longue série d’entretiens sur le mariage qu’il avait inaugurée lors de l’audience du 26 avril 1939 [1], Ces discours ont pour thème « les vertus du foyer domestique ».
I. — Qu’est-ce qu’un foyer ?
La joie que Nous éprouvons toujours à accueillir auprès de Nous les jeunes mariés désireux de Notre bénédiction naît en particulier de l’espérance que suscite en Nous l’affectueuse considération de la sainte et vaste tâche que Dieu leur confie : la tâche de restaurer et de promouvoir une société saine, forte, animée d’un esprit et de sentiments profondément et pratiquement chrétiens. N’est-ce donc pas là ce qui découle du simple fait qu’ils sont appelés à fonder un foyer ?
Le foyer ! Que de fois, chers jeunes époux, spécialement depuis le jour où vous avez eu la pensée de vos noces, depuis le temps de vos fiançailles, que de fois n’avez-vous, dans le chœur des félicitations et des vœux que vous présentaient vos parents et amis, entendu de vos oreilles le son de cette parole ! Que de fois n’est-elle pas montée spontanément de votre cœur à vos lèvres ! Que de fois ne vous a‑t-elle pas remplis d’indicible douceur, cette parole qui renferme tout un rêve, tout un idéal, toute une vie ! Parole d’amour, parole d’enchantement que toute âme bien née comprend et entend avec délices, soit qu’elle en savoure la présente intimité, soit qu’elle y pense dans l’absence, dans la captivité, au loin, avec douleur, soit qu’elle salue la joyeuse espérance d’y retourner bientôt.
Cet enchantement toutefois peut vous porter à vous faire du foyer une image vague et comme noyée dans un nuage rose, dans un nuage d’or. Aussi voudrions-Nous ce matin vous en exposer la signification profonde. La précision n’en diminuera point la poésie, et elle en manifestera mieux la beauté, la grandeur et la fécondité.
Le foyer, centre de convergence et de rayonnement.
1. Le foyer, voilà un terme riche de sens et qui peut se rapporter à des choses bien nombreuses et bien diverses. Il désigne la maison, lorsque nous disons : le foyer paternel, conjugal, domestique ou, dans un sens plus large, le foyer du soldat, de l’artiste, de l’étudiant. On dit aussi : un foyer d’étude, de science, de prière, d’action, d’apostolat. Dans l’ordre de la matière, il y a le foyer avec un vrai feu où l’on va pour se réchauffer ou pour cuire les aliments ; le foyer des fourneaux qui travaillent le fer et les autres métaux ; le foyer de la chaudière à vapeur qui fournit sa force motrice à la machine. Le médecin ne découvre-t-il pas dans le malade le foyer d’infection qui met sa vie en danger, ou le foyer d’épidémie, quand une maladie frappe à la fois plusieurs personnes d’une même maison ou d’une même région ? L’antiquité païenne tenait pour sacré le culte du foyer domestique, auquel Vesta servait de déesse ; l’antiquité célébrait l’héroïsme des braves qui combattaient pour les autels et les foyers — pro aris et focis [2]. Tous ces divers usages ou significations doivent avoir pour fondement un élément commun à même de justifier ce terme commun de foyer. La légende — Nous ne voulons pas dire l’histoire — raconte qu’au siège de Syracuse le grand Archimède se servit de puissants miroirs concaves pour incendier à distance la flotte de Marcellus. Sans recourir à de pareils exemples, ne vous est-il jamais arrivé, dans les jeux de votre enfance, de faire brûler à l’aide d’une loupe que vous teniez juste au point voulu, un bout de papier ou un peu d’étoupe ? Les rayons du soleil convergeaient vers un même point fixe pour en repartir avec une puissance de chaleur et de lumière considérablement accrue, comme si ce point de « feu » avait été, pour ainsi dire, un petit soleil. C’est cela, le foyer : que ce mot s’emploie pour une chose ou pour une autre, c’est toujours le point où tout se concentre pour de là rayonner ensuite.
Le foyer familial doit imiter le foyer de Nazareth.
2. Le foyer dont Nous voulons parler maintenant, c’est le foyer de la famille, ce foyer que vous avez fondé et allumé par votre mariage. Mais la gloire de ce beau nom ne se méritera qu’à la double condition de concentrer et de rayonner chaleur et lumière. Forment-ils un foyer, ces jeunes époux dont l’unique satisfaction est de vivre le plus souvent possible hors de leur maison et que seuls peuvent mettre de bonne humeur les jours de fêtes, les visites, les voyages, les stations de plaisir, les spectacles mondains ou plus que mondains ? Non, ce n’est pas un foyer que l’habitation délaissée, froide, déserte, muette, obscure, vide de la sereine et chaude lumière de la vie commune, de la vie familiale. Ce ne sont pas non plus de vrais foyers, les demeures trop fermées, verrouillées et pour ainsi dire inaccessibles, vers lesquelles ni lumière ni chaleur ne convergent du dehors pour en rayonner ensuite : n’est-ce pas plutôt des prisons, ou des solitudes d’ermites ?
Et pourtant c’est si beau un foyer à la fois intime et rayonnant ! Qu’il en soit ainsi du vôtre, bien-aimés fils et filles, à la fidèle imitation du foyer de Nazareth. Jamais foyer ne fut plus recueilli, mais en même temps plus cordialement accueillant, plus affectueux, plus pacifique dans la pauvreté, plus rayonnant : pourquoi donc la société chrétienne ne vit-elle pas dans la lumière de son rayonnement ? Voyez : plus le monde s’en éloigne, plus l’envahissent les ténèbres et la froidure.
Les vertus de vos ancêtres
3. Quels sont donc les rayons qui doivent se réunir et se concentrer dans votre foyer pour y trouver la force de se répandre ensuite en de puissants faisceaux de lumière et de chaleur ? Ils sont des plus variés, comme les rayons qui émanent du soleil avec leur gamme infinie de couleurs et de nuances, les uns plus lumineux, les autres plus chauds. Ce sont les grâces et les attraits de l’esprit et du cœur ; on les appelle qualités, dons, talents, qui sont les uns l’héritage d’une double lignée d’ancêtres, et les autres le fruit du travail, de l’effort, de la lutte. Les plus précieux sont les vertus que la charité du Saint-Esprit, pure bienveillance, infuse dans la nature humaine et qui se développent par la pratique de la vie chrétienne.
Hier encore, vos familles étaient l’une à l’autre étrangères : chacune avait ses traditions, ses souvenirs, ses traits particuliers d’esprit et de cœur qui lui donnaient sa physionomie propre ; chacune avait ses relations de parenté et d’amitié ; et voilà que, le jour de vos noces, ces deux cœurs se sont réunis en une harmonie nouvelle qui se prolongera dans votre descendance et qui déjà commence à résonner autour de vous.
… développées par la communauté des efforts
Riches de ce double héritage, vous vous enrichissez encore par la mise en commun de vos apports personnels : les événements et les rencontres de votre vie professionnelle, domestique et sociale, vos conversations et vos lectures, vos études littéraires, scientifiques, philosophiques peut-être, religieuses surtout, vous ramènent, aux heures d’intimité, l’un vers l’autre, chargés de nectar comme les abeilles de retour à la ruche, et dans vos entretiens intimes vous en distillez un miel des plus doux et des plus nourrissants dont vous ferez part, peut-être à votre insu, à tous ceux qui approcheront de vous. Dans le contact de chaque jour, dans l’accord mutuel des pensées et de la conduite, fruit d’innombrables petites concessions, d’innombrables petites victoires, vous acquerrez et porterez à un degré plus haut toutes les vertus morales, force et douceur, ardeur et patience, franchise et délicatesse. Ces vertus vous uniront dans une affection toujours croissante ; elles mettront votre empreinte sur l’éducation de vos enfants ; elles donneront à votre demeure un charme attrayant, et ce charme ne cessera pas de rayonner dans la société qui vous fréquente ou qui vous entoure.
…et élevées par la grâce à l’ordre surnaturel.
Telles sont les vertus du foyer domestique. Chez les époux chrétiens et dans la famille chrétienne, elles sont sanctifiées, elles sont élevées à l’ordre surnaturel, et par là d’une valeur incomparablement supérieure à toutes les capacités naturelles ; car la grâce de votre baptême a greffé dans votre âme des facultés d’ordre divin, des facultés que les plus héroïques efforts purement humains ne parviendraient point à créer, ne fût-ce qu’au moindre degré.
De ces vertus, Nous parlerons aux jeunes mariés, chrétiens comme vous, qui vous suivront ici. Nous espérons que vous lirez les enseignements que Nous leur donnerons ; Nous espérons aussi qu’ils seront lus, non sans profit, même par des âmes droites et nobles mais qui n’ont pas comme vous le bonheur de vivre de cette vie divine. Par la loyauté et la générosité de leurs efforts à cultiver et à développer leurs vertus naturelles, elles attireront sur elles-mêmes la lumière et le secours de Dieu ; elles aspireront avec une sainte envie à ces dons surnaturels de foi, d’espérance et de charité qui confèrent à la vie de l’homme, dès ici-bas, une incomparable dignité et qui le mettent, dans l’éternité, en participation du bonheur même de Dieu. Dans leur désir fervent de ces dons sublimes, elles tendront leur regard vers le ciel, elles invoqueront le Père des lumières, elles se tourneront vers la croix du Rédempteur, leur unique espérance, elles s’ouvriront à l’Esprit qui est amour et elles en seront remplies, car à celui qui fait son propre devoir avec droiture, tel qu’il le connaît, sans pécher contre la lumière, à celui-là Dieu donne une plus grande abondance de lumière pour aller à lui et il ne lui refuse jamais sa grâce.
Cette grâce, Nous l’implorons de tout cœur sur vous et sur tous ceux à qui le rayonnement de votre foyer portera Notre parole paternelle et Nous vous accordons, en gage des dons divins et avec une particulière affection, la Bénédiction apostolique.
Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, Édition Saint-Augustin Saint-Maurice. – D’après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. IV, p. 375 ; cf. la traduction française de Georges Huber, dans les Discours aux jeunes époux, publiés en 2 vol. par les Editions Saint-Augustin, t. II, p. 249.