(vers 1295-vers 1327)
Fête le 17 août
Les relations d’affaires entre les divers pays de la chrétienté comme entre l’Orient et l’Occident étaient fort intenses au début du XIVe siècle. De nombreux bateaux « barbaresques » se pressaient dans tous les ports de l’Europe méridionale. Mais, avec leurs riches cargaisons, ils transportaient trop souvent les germes de la peste. L’épouvantable épidémie ravageait alors des contrées entières. A cette époque apparut un homme qui, d’un signe de croix, chassait le terrible mal et dont le pouvoir guérisseur ne disparut pas avec sa mort : c’était saint Roch.
La naissance – L’enfance
Jean, peut-être gouverneur, peut-être consul de Montpellier, et sa femme Libérie, semblaient au comble du bonheur ici-bas. Les pauvres se plaisaient à exalter leur générosité, les étrangers leur bonne hospitalité, et tout le monde leur ardente dévotion. Cependant, quelque chose manquait à la félicité des deux époux. Ils avançaient en âge et n’avaient point d’enfant. Leur prière désintéressée finit par toucher le cœur de Dieu, et, vers l’an 1295, Libérie devint mère d’un bel enfant, à qui on donna le nom de Roch. Selon certains, au contraire « Roch » ou « Roq » était un nom de famille ; l’histoire atteste que des personnages ainsi dénommés furent consuls de Montpellier au XIIIe siècle. L’enfant grandit entre ses pieux parents ; il apprenait à s’oublier pour ne penser qu’aux autres ; on le voyait sans cesse occupé à secourir les pauvres et les étrangers, attirant tous les cœurs par ses paroles pleines de douceur et de consolation. Il faisait la joie de ses parents et de toute la ville de Montpellier.
L’abandon des richesses
Mains un jour la mort vint frapper au foyer paternel. Jean, étendu sur un lit de douleur, appela son fils alors dans sa dix-neuvième année, dit-on, pour lui laisser ses derniers conseils et sa bénédiction. Roch promit d’observer fidèlement les conseils de son père, et, quand celui-ci eut rendu son âme à Dieu, il lui fit de magnifiques obsèques. Mais, moins d’un an après, la douleur emporta sa mère dans le tombeau : il n’avait pas encore vingt ans. Il voulut à l’instant lettre à exécution les recommandations de son père mourant ; et, se souvenant des paroles du Sauveur : « Si vous voulez être parfait, distribuez vos biens aux pauvres et suivez-moi », il vendit en secret tout ce qu’il put de ses biens et en distribua le prix aux malheureux. Il céda ensuite à un frère de son père le reste de ses biens et tous ses droits à la succession paternelle.
L’âme ainsi déchargée des sollicitudes de la terre, il se revêtit d’un vieil habit de pèlerin et prit le chemin de Rome.
La guérison des pestiférés
Roch cheminait pauvrement, demandant l’aumône pour l’amour de Dieu, heureux quand il recevait des injures, et triste quand une charitable personne lui prodiguait des soins. Un jour, il arriva à Acquapendente, ville de l’ancien Etat pontifical. La peste y faisait d’étranges ravages. Plein de charité pour le prochain, Roch se présente à l’hôpital en qualité d’infirmier ; mais son jeune âge, son air tendre et délicat font craindre que le fléau l’emporte bien vite. L’administrateur de l’hôpital, dont le nom était Vincent, le remercie de son offre généreuse et ne veut point l’accepter. « Cependant, réplique le jeune homme, Dieu ne peut-il point donner à ses serviteurs la force d’accomplir ce qu’ils se proposent pour sa seule gloire ? » On admire l’élan de sa charité, mais c’est en vain qu’il supplie. Pendant plusieurs jours, il réitère sa demande. Enfin, ses vœux sont accomplis ; on l’accepte. Il passe alors devant tous les lits ; lave les plaies des pestiférés et les panse, puis il trace sur les malades le signe de la croix. Alors, chacun se sent guéri ; pas un seul n’échappe à sa merveilleuse bonté. Il parcourt ensuite les maisons de la ville, soignant et guérissant tous les pestiférés qu’il rencontre. Le miracle fait crier partout qu’un ange est descendu du ciel : mais, pour éviter tout honneur, le jeune étranger s’échappe de la cité. Il apprend alors que la ville de Césène, en Lombardie, est éprouvée par le fléau qu’il vient de faire cesser à Acquapendente ; il s’empresse de s’y rendre et la délivrer par le même prodige. Le souvenir de son passage est rappelé par une fresque de la cathédrale.
Saint Roch à Rome
Le pèlerinage de Roch à Rome avait été retardé, mais un événement vint presser la marche du bienfait voyageur.Jamais Roch ne révéla son nom ni sa patrie ; il craignait de porter atteinte à son humilité et gardait le silence sur ce point. Durant trois ans, il vécut à Rome, parcourant la ville et ses environs, délivrant les pestiférés par le signe de la croix. Plus tard, il s’éloigna et visita les contrées d’Italie atteintes de la peste. Elles étaient nombreuses, et à toutes il fit sentir l’effet de sa puissance auprès de Dieu.
L’épreuve
Il s’arrêta un jour à Plaisance, se rendit à l’hôpital et se mit à panser les malades. Cependant, il fut bientôt accablé de fatigue et le sommeil s’empara de lui. Tandis qu’il dormait, il entendit la voix d’un ange qui lui dit :
Fidèle serviteur, ton courage a été grand pour soulager les maux de tes frères par amour pour moi, qu’il soit encore grand à supporter les maux que je t’enverrai à toi-même.
A cette voix, il se réveille. Il est alors saisi d’une fièvre ardente et ressent à l’aine une violente douleur comme si on l’eût transpercé d’une flèche. Il connaît trop les symptômes du terrible fléau pour éprouver le moindre doute à son sujet : il lève les yeux vers le ciel non pour se plaindre, mais pour rendre grâce à Dieu. On le met au nombre des malades et bientôt son mal s’aggrave ; la douleur l’oppresse et lui fait pousser des cris malgré lui. Alors, pour ne point incommoder ses compagnons, il se traîne jusqu’à la porte. Les passants le pressent de rentrer, dans la crainte de contracter son mal. Mais le nouveau pestiféré, pour ne point les inquiéter à leur tour, se traîne péniblement hors de la ville jusqu’à l’entrée d’une forêt où une cabane lui sert d’asile. Une soif ardente occasionnée par la fièvre vient s’ajouter à la cuisante douleur qu’il éprouve à l’aine.
Ô Dieu de miséricorde, s’écrie-t-il, je vous remercie de me faire souffrir pour vous, mais ne m’abandonnez pas !
A l’instant, une source d’eau limpide jaillit à côté de lui. Il s’y désaltéra et s’y lava.
Le chien charitable
Cependant, non loin du lieu où le thaumaturge s’était retiré, s’élevaient de magnifiques maisons de campagne. Les hommes opulents de la ville y étaient accourus afin d’échapper au fléau. L’un d’eux, nommé Gothard, homme très riche et très noble, vit un jour pendant le repas un de ses chiens enlever de dessus la table un petit pain et s’enfuir en l’emportant dans la gueule. Le lendemain, le fait se renouvela deux fois. Le seigneur crut que l’animal le faisait parce qu’il avait faim et gronda ses serviteurs.
Le jour suivant, il constate que ceux-ci ne le laissaient manquer de rien. Cependant, le chien revint prendre un pain. Intrigué de cette manœuvre, Gothard le suivit. Il le vit s’enfoncer dans la forêt et déposer le pain près d’un malade abandonné. Le pauvre homme recevait le pain avec reconnaissance et bénissait l’animal qui le lui donnait : « Celui-ci est un grand ami de Dieu, se dit Gothard, puisque les animaux lui obéissent. » Alors, il s’approcha de cet inconnu et demanda à celui-ci qui il était et quelle était sa maladie.
Je suis un pestiféré, répondit Roch, c’est pourquoi je vous prie de vous retirer de peur que vous ne gagniez mon mal.
Et Gothard revint chez lui. Mais il se prit aussitôt à réfléchir sur ce qu’il avait vu. Son chien n’était-il pas plus charitable que lui ? Il eut honte de sa crainte et revint vers le malade. Celui-ci vit en ce retour la volonté de Dieu et l’accepta à ses côtés.
Le riche devenu mendiant
Le riche seigneur se fit donc serviteur du pauvre pèlerin ; il ne retournait plus à son château dans la crainte d’épouvanter les siens ou de leur communiquer la maladie de son protégé. Mais le chien n’apportait plus de nourriture et le seigneur fut rempli d’inquiétude.
– Comment ferai-je, demanda-t-il pour trouver à manger ?
– Prenez mon manteau, lui répondit Roch, et allez quêter dans les environs.
L’humiliation semblait grande à un personnage qui était connu de tous côtés ; mais, encouragé avec des parles surnaturelles, il partit pour l’amour de Dieu. Il tendait la main devant chaque porte, mais sa besace de mendiant ne se remplissait pas, les anges transportaient au ciel les injures, les refus, les mauvais traitements ; toutes ces épreuves il les recevait avec un bonheur qu’il n’avait pas encore connu parmi les plaisirs du monde.
Enfin, après une longue course, il rapporta au malade tout juste deux petits pains. Roch se réjouit de savoir que son bienfaiteur avait souffert pour l’amour de Jésus-Christ ; puis, afin d’imiter le divin Maître pardonnant à ses bourreaux, il se rendit lui-même à la ville et guérit par le signe de la croix les pestiférés de l’hôpital et des maisons particulières. Comme il retournait à sa chétive habitation, beaucoup de personnes, frappées des merveilles accomplies dans la ville, le suivaient en rendant grâce à Dieu.
Soudain, une voix venue du ciel se fait entendre :
Roch, mon fidèle serviteur, la santé t’est rendue, retourne en ta patrie et fais‑y des œuvres de pénitence pour mériter d’être rangé parmi les Bienheureux.
A l’instant, Roch fut guéri. Un jeune homme se précipite à ses pieds, le prie d’étendre sa protection sur la ville et ses environs et il en reçoit l’assurance.
La charité récompensée
Cependant, Roch ne quitta pas aussitôt Plaisance. Il venait de conquérir une âme à Jésus-Christ, il voulait de plus en assurer la persévérance. Frappé des prodiges dont il avait été témoin, Gothard écouta avec plaisir les conseils de Roch qui le poussait dans la voie de perfection ; il renonça aux richesses et aux honneurs dont il jouissait pour mener au fond d’un bois une vie pauvre, oubliée, et entièrement donnée à Dieu. Son ami Roch le forma aux pratiques de la mortification et de la prière, et, quand il vit la marche de son disciple assurée dans ce nouveau chemin, il prit congé de lui. On ne connait pas la date de la mort de Gothard. Parfois, les anciens récits lui donnent le titre de Saint.
Le prisonnier innocent
Pour obéir à l’ordre descendu du ciel, Roch regagna sa patrie. Car, quoi qu’on ait pu en dire, c’est bien à Montpellier qu’il est revenu mourir. A ce moment-là, la ville était en état de guerre, un rien rendait un homme suspect. A peine Roch fut-il entré, qu’on s’empara de lui et qu’on le conduisit devant les tribunaux. Par la négligence de son oncle qui ne le reconnut point, il fut jeté en prison comme espion. Joyeux de pouvoir souffrir, Roch se garda bien de dire qui il était, imitant en cela l’exemple de saint Alexis.
Enfermé dans un cachot infect, où aucun rayon de lumière ne trouvait entrée, Roch y demeura cinq ans, souffrant tout pour l’amour de Jésus crucifié. Cela lui paraissait encore peu : il refusait les aliments cuits, se meurtrissait la poitrine de coups, déchirait tout son corps avec des fouets et passait tout le jour et la nuit en prière. Cependant un jour, une lumière éclatante illumina l’obscurité de cette prison : c’était Jésus qui venait annoncer au captif sa prochaine délivrance. La mort allait le retirer de la main des hommes.
L’heure de la délivrance – le triomphe
Pendant ce temps, une voix du ciel s’était fit entendre à Roch.
Voici ton heure arrivée, avait-elle dit, tu vas entrer dans ma gloire ; s’il te reste quelque grâce à demander, fais-le maintenant.
Le captif pria pour le pardon de ses fautes, son admission à la gloire céleste, et demanda à Dieu de préserver ou de délivrer de la peste tous ceux qui auraient recours à lui. Puis, il s’étendit sur la terre, leva les yeux vers le ciel, et sa belle âme s’échappa de son corps. C’était le 16 août 1327.A l’instant, à travers les fentes de la porte de son cachot, on vit paraître les rayons d’une brillante lumière : on s’empressa d’ouvrir, et l’on aperçut, étendu à terre, le corps du prisonnier devenu tout resplendissant. A côté, une planchette portait cette inscription : « Ceux qui, frappés de la peste, imploreront le secours de Roch, seront délivrés de la terrible maladie. »
Le fait fut aussitôt rapporté au magistrat de la cité. L’oncle de Roch fut rempli de douleur et de confusion, car, à son insu, il avait été le bourreau de son propre neveu et bienfaiteur insigne. Pour réparer sa cruauté dans la mesure du possible, il fit exposer les restes du saint homme à la vénération des fidèles : car, après les merveilles que l’on racontait de lui, personne ne doutait que Dieu l’eût mis au nombre des Saints. La foule s’empressait de venir lui baiser les pieds et les mains. On lui fit des obsèques triomphales. Ses restes furent déposés dans l’église principale, et plus tard on les transporta dans une chapelle bâtie en son honneur.
Le culte de saint Roch
Dès lors, les populations de la Provence et du Languedoc, celles des régions de l’Italie où Roch avait séjourné, eurent recours, dans toutes les maladies contagieuses, à la puissante intercession du serviteur de Dieu. Mais ce culte était local, il allait s’étendre à l’Eglise universelle. On raconte que tandis que le Concile général s’était réuni dans la ville de Constance pour mettre fin à ce qu’on a appelé « le Grand Schisme d’Occident », une terrible épidémie s’abattit sur la cité et menaça d’interrompre les travaux des Pères, au grand détriment de la chrétienté. Mais un jeune Allemand proposa, sous l’inspiration divine, de prier saint Roch, selon une pratique usitée déjà dans de nombreuses contrées en des circonstances semblables.
Aussitôt, on se livre à la prière, au jeûne ; on organise des processions dans lesquelles on porte l’image du saint pèlerin. Devant elles, le fléau paraît s’enfuir ; bientôt il ne reste plus un malade dans la ville, tous sont guéris. A ce moment-là saint Roch fut en quelque sorte canonisé par les acclamations des évêques. Rome confirma par la suite la légitimité de ces honneurs en autorisant sous le pontificat d’Alexandre VI, de pieuses confréries et l’érection d’une église en l’honneur du Saint en inscrivant ensuite son nom au martyrologe romain sous Grégoire XIII.
Saint Roch est honoré dans la famille franciscaine comme l’un des patrons du Tiers-Ordre, en vertu d’une tradition selon laquelle le saint pèlerin aurait fait partie de cette pieuse milice. Le Souverain Pontife Innocent XII accorda aux Frères Mineurs de l’Observance la faculté de célébrer sa fête sous le rite double majeur.
Iconographie et popularité de saint Roch
La dévotion des peuples envers le serviteur de Dieu, loin de s’affaiblir avec le temps, n’a fait que s’accroître. L’iconographie si riche du Saint en fournit en témoignage irrécusable. Depuis la fin du XIVe siècle, la sculpture et la peinture n’ont pas cessé, avec un art plus ou moins grand, mais toujours pour exprimer l’ardente confiance des peuples, de représenter saint Roch aux époques les plus caractéristiques de sa vie : on le voit principalement guérissant les pestiférés, averti par un ange qu’il est atteint par l’épidémie et montrant sa plaie, plus rarement recevant la nourriture d’un chien devenu son légendaire compagnon, ou encore mourant dans sa prison. Ses heureux concitoyens conservent et célèbrent sa mémoire avec un soin jaloux. Une magnifique église s’est élevée à Montpellier pour perpétuer à travers les âges le nom immortel de saint Roch. Chaque année, en cette église votive des foules nombreuses viennent implorer sa protection.
Toutefois, le culte de saint Roch est connu non pas seulement à Montpellier et dans les régions méditerranéennes, mais il est encore populaire dans toute la France, où le Saint est invoqué comme protecteur contre les épidémies et les épizooties, c’est-à-dire à la fois en faveur des hommes et des animaux. A Paris, autrefois la fête de saint Roch était devenue, sous la poussée de la dévotion populaire, fête d’obligation. Et quand au XVIIe siècle les archevêques Hardouin de Péréfixe puis François de Harlay voulurent faire cesser un usage qui ne s’appuyait sur aucune décision de l’autorité, ils rencontrèrent une vive opposition.D’ailleurs presque toutes les paroisses de cette ville avaient leur confrérie de Saint-Roch : le 16 août, les groupes professionnels de fripiers, rôtisseurs, « raccoutreurs » de bas, cardeurs de laine, paveurs, avaient aussi chacun leur cérémonie propre en diverses églises. Une belle église parisienne porte son nom ; la première pierre fut posée, en 1653, par Louis XIV enfant et la reine-mère Anne d’Autriche. Elle est le siège d’une confrérie affiliée à l’archiconfrérie de Montpellier. Saint Roch est aussi très honoré dans les églises de Lorraine et notamment à Nancy, où une église paroissiale lui fut élevée dans la ville neuve.
L’Italie, de son côté, n’a jamais cessé de faire preuve d’une grande vénération pour saint Roch. Sans parler de Rome, Venise, en particulier, lui a été élevé un magnifique sanctuaire pour abriter des reliques qui, par ruse, dit-on, furent dérobées à Montpellier en 1485. Reliques partielles, et non son corps tout entier comme l’affirme une tradition reprise par le Martyrologe, car dès avant 1485 des fragments très importants avaient été distraits de son corps, notamment au bénéfice d’églises provençales.
Source : Un saint pour chaque jour du mois, août, Maison de la Bonne Presse