Dix neuf religieux furent victimes en Hollande des protestants « Gueux de mer », plus cruels encore que les Turcs infidèles.
Ces saints martyrs sont fêtés le 9 juillet.
Depuis 1566, la révolte des Gueux embrase les Pays-Bas. Menée par Guillaume le Taciturne, prince d’Orange, celle-ci mêle l’expansion du protestantisme et une opposition politique au roi d’Espagne. Le 1er avril 1572, des protestants partisans du prince d’Orange chassés d’Angleterre débarquent en Hollande dans le port de Brielle. Ce fut le début du soulèvement des provinces calvinistes du Nord au cours de laquelle les Gueux s’illustrèrent par d’innombrables horreurs et cruautés. Dès le 26 juin 1572, Les Gueux de mer encerclent la ville de Gorcum[1]. Les assiégés répondent de leur mieux ; mais la disproportion des forces est trop évidente, la citadelle n’est guère en état d’opposer une longue résistance. Le gouverneur propose de rendre la ville ; le chef des Gueux accepte les conditions de la capitulation : Marin s’engage à ne faire aucun mal à ceux qui sont réfugiés dans la citadelle, soit laïques, soit ecclésiastiques, et à les renvoyer tous libres. Seuls les biens qui s’y trouvent deviendraient la propriété des vainqueurs. Pendant ce temps, les ecclésiastiques et les religieux, qui s’attendent à tout, se confessent les uns aux autres ou entendent les confessions des laïques. Le curé Nicolas Poppel a apporté avec lui les saintes hosties afin de les dérober aux insultes habituelles des hérétiques. Presque tous les réfugiés viennent pieusement recevoir la communion de sa main, semblables à ces premiers chrétiens qui, dans la nuit des prisons, se nourrissaient une dernière fois du pain des forts avant de comparaître dans les amphithéâtres.
Torturés à Gorcum pour l’unique vraie foi
Une fois entré avec toute sa troupe, Marin fait réunir dans une salle supérieure toutes les personnes qu’il trouve dans la forteresse et les calvinistes fanatiques se jetent sur les captifs comme des bêtes féroces. Dix-sept prêtres, séculiers et réguliers, ainsi que deux frères lais,[2] sont injuriés, menacés et atrocement torturés. Ils demeurèrent ainsi dix jours et dix nuits à la merci de la soldatesque de la citadelle. C’était surtout le soir qu’ils avaient à souffrir ; l’habitude était si bien prise de venir les injurier et les torturer après le dîner, qu’il semble que la digestion eût été impossible sans cet aimable passe-temps. Quand une partie de ces bourreaux était rassasiée ou plutôt fatiguée, une autre bande prenait la place et recommençait de plus belle.
Ils appuyèrent également le pistolet sur la poitrine de Nicolas Poppel : « Ton trésor ou la vie ! » lui criaient-ils. Ensuite, leur avarice cédant pour un instant à leur passion de sectaires. « Livre-nous au moins les dieux que tu as fabriqués à la messe : on dit que tu en portes une provision sur toi. Est-ce vrai ? Toi qui as si souvent déblatéré contre nous dans la chaire de ton église, que penses-tu maintenant, en face de ce pistolet, de toutes les sottises que tu débitais aux imbéciles ? » — « Je crois », répondit Nicolas Poppel, « à tout ce que croit et enseigne l’Eglise catholique, apostolique et romaine, et en particulier à la présence réelle de mon Dieu sous les espèces sacramentelles. Si vous voyez là une raison de me tuer, tuez-moi : je serai heureux de mourir à la suite de la confession de foi que vous venez d’exiger ». Mais son sacrifice n’était pas encore consommé ; Dieu, qui voulait ajouter à ses mérites, retint le coup prêt à partir, et le soldat n’osa pas tirer.
Amenés dans la féroce ville de Brielle
Au milieu de la nuit du 5 au 6 juillet, les saints confesseurs de la foi se voient éveillés en sursaut, dépouillés de tous leurs vêtements qui ont quelque valeur et jetés dans une grande barque. La nuit est fraîche. En entrant dans la barque, le curé Léonard Wichel reconnait au gouvernail un de ses paroissiens nommé Roch, auquel il avait donné jadis des témoignages particuliers de sa sollicitude : « Eh quoi ! » lui dit-il, « Roch, c’est donc toi qui nous mènes à la mort ? » Le marin baissa la tête et répondit : « Hélas ! » monsieur le curé, « je ne suis pas le maître ! » Le curé n’ajouta aucune observation. Les saints Martyrs, en quittant Gorcum, étaient au nombre de dix-neuf. Il y eut des défections parmi eux, mais les lâches furent exactement remplacés et, par une permission spéciale de la Providence, ce nombre de dix-neuf se maintint complet jusqu’à la consommation du sacrifice.
La ville de Brielle était sur pied pour les recevoir ; mais quel accueil et quelle hospitalité ! Ils s’avançaient lentement, toujours entre deux haies serrées d’insulteurs qui, sitôt qu’ils avaient passé, couraient se reformer devant eux un peu plus loin. Ce n’était pourtant pas un spectacle bien divertissant que celui de ces hommes pâles, défaits, demi nus, tous déjà plus ou moins défigurés par les traces des violences antérieures. L’un d’eux était sexagénaire, un second septuagénaire, un troisième touchait à sa quatre-vingt-dixième année ; mais les foules, à certains jours, s’exaltent et s’enivrent jusqu’à en perdre tout sentiment humain. Tel les attendait les mains pleines de pierres ou de sable pour leur jeter à la figure ; tel autre avec des pots d’eau sale dont il leur lançait le contenu au visage en répétant, aux acclamations des voisins : Asperges me, Domine, hyssopo et mundabor. Les femmes, si accessibles d’ordinaire à la pitié, en montrèrent encore moins que les hommes. Le père capucin Jérôme de Werden, qui avait autrefois voyagé en Terre-Sainte et subi la captivité chez les infidèles, déclara qu’il n’avait jamais rien vu de pareil parmi les Turcs. Le sauvage tue, mais il n’insulte pas.
On arrêta les martyrs sur la grande place de Brielle, devant une potence qui s’y dressait en permanence, et on les força d’en faire trois fois le tour, comme pour la première fois, puis de s’agenouiller et de chanter encore les litanies des Saints. Ils le firent de si grand cœur qu’on eût dit qu’ils y prenaient goût. La foule demeura interdite, muette et comme ébranlée. Mais ce bon mouvement n’eut pas de durée, et les insultes recommencèrent. Enfin on les conduisit en prison. Ils y trouvèrent des compagnons inattendus. Sans compter les malfaiteurs, hôtes habituels de ce séjour, quatre autres prêtres s’y trouvaient enfermés depuis peu de temps. Ceux-ci eurent l’honneur d’être compris dans le nombre des dix-neuf martyrs. La prison de Brielle se composait de trois cachots superposés et disposés de façon à rendre inhabitable le plus bas des trois, celui précisément où se trouvaient nos martyrs. Aucun conduit spécial n’avait été ménagé pour les ordures ; elles coulaient le long des murs jusqu’au bas de l’étage inférieur. Au sein d’une obscurité telle qu’en plein midi on ne se reconnaissait qu’au son de la voix, les bienheureux prisonniers ne savaient où se mettre pour échapper à la fange et à l’odeur fétide dont ils étaient asphyxiés. A force de tâter avec les pieds, ils parvinrent à reconnaître un point où le sol était plus élevé qu’ailleurs ; ils s’y entassèrent pour ainsi dire les uns sur les autres, tellement qu’ils étouffaient.
Le comte de la Marche tente de les faire apostasier
La soirée fut employée à les interroger sur la foi en présence du comte de la Marche, du parti des Gueux, dans l’Hôtel de ville. Leur fermeté ne leur attira toutefois aucun nouvel outrage, sauf au curé Léonard Wichel, qu’un des soldats du comte, irrité de ses réponses, frappa du revers d’une hache qu’il tenait à la main. « Frappez encore », dit le prêtre sans s’émouvoir ; « frappez : ma chair est en votre pouvoir ; elle n’y sera pas longtemps ». Parole qui rappelle celle du divin Rédempteur dans sa passion, lorsqu’il disait : « Ceci est votre heure, et l’empire des ténèbres. » Un autre soldat lança à Léonard un petit marteau qui l’atteignit au front et fit jaillir le sang à flots.
Le lendemain, 8 juillet, on choisit donc les sept d’entre eux les plus savants, et on les fit comparaître pour la seconde fois, enchaînés, devant le Conseil de la ville. L’un des juges les plus instruit et tout bourré de citations de la Bible, se nommait André. C’était l’ancien curé catholique de la paroisse Sainte-Catherine de Brielle devenu apostat. Voyant les Gueux maîtres de sa paroisse, il avait changé de religion cette année-là, en même temps que de drapeau politique. « Puisque », lui dit habilement Léonard Wichel, « vous me paraissez disposé à raisonner d’après l’Ecriture Sainte, acceptez une conférence en règle, et argumentons en forme d’après la Bible ». La discussion fut acceptée, elle ne fit pas honneur aux protestants et se termina brusquement par l’expulsion des théologiens catholiques hors de la salle.
Pendant que le comte de la Marche se livrait à ses orgies nocturnes, il se leva, appela l’officier qui remplissait auprès de lui les fonctions de justicier, ou plutôt de grand exécuteur, et lui ordonna de mener pendre sur l’heure tous ces religieux. Ensuite, s’adressant à Jean Omal, un prêtre apostat de Liège, il le chargea personnellement de veiller à la stricte et complète exécution de sa volonté. « Vous me répondez », lui dit-il, « que, ni par fraude, ni par connivence ou faiblesse, pas un seul de ces prisonniers ne sera soustrait à ma vengeance ; on les pendra tous, les grands comme les petits, les jeunes comme les vieux ». L’officier et l’apostat n’eurent garde de lui faire observer que ce n’est pas à minuit, et en se levant de table, qu’on porte des sentences de mort. Ils coururent à la prison auprès des martyrs qui déjà attendaient, au nombre de vingt, liés deux à deux par les bras. De nombreux soldats les entouraient, les uns à pied, les autres à cheval, et la foule ne tarda pas à affluer, malgré les ténèbres, à la nouvelle du spectacle impatiemment attendu.
C’était le 9 juillet 1572. Une heure du matin venait de sonner.
Le don suprême de leur vie pour Jésus-Christ
On les conduisit hors de Brielle, et on chercha un endroit convenable pour le supplice. Il y avait, non loin de la ville, au lieu appelé Ruggense, un monastère du nom de Sainte-Elisabeth, naguère habité par des chanoines réguliers de Saint-Augustin, mais maintenant vide, saccagé par les Gueux et à moitié démoli. Ce fut là qu’on s’arrêta, dans un bâtiment qui avait servi de grenier et dont les murailles étaient traversées de deux poutres, la première longue et allant d’un mur à l’autre, la seconde beaucoup plus courte. Les bienheureux Martyrs s’embrassent les uns les autres, donnent ou reçoivent une dernière fois l’absolution de leurs fautes et se prodiguent réciproquement l’exemple du courage. Une chose leur fut pénible à tous : ce fut d’être complètement dépouillés de leurs vêtements. On aurait pu leur épargner cet outrage inutile, mais ils l’acceptèrent comme un point de plus de ressemblance avec la grande victime du Calvaire.
Les chefs héroïques
Le Père gardien des Capucin, Nicolas Pic, monta le premier à l’échelle fatale. Après avoir donné à tous un dernier baiser : « Voici », leur dit-il, « que je vous montre le chemin, le chemin du ciel ! Suivez-moi comme de vaillants soldats de Jésus-Christ, et qu’après avoir combattu ensemble, aucun ne manque au triomphe éternel qui nous attend là-haut ! » Il ne cessa de les exhorter que lorsque la corde, en lui serrant la gorge, intercepta sa voix. Ce chef héroïque des martyrs de Gorcum était dans sa trente-huitième année.
Dès que sa forte parole vint à manquer, son vicaire, Jérôme de Werden, et Nicaise Johnson, ainsi que les deux curés de Gorcum, se chargèrent du soin de le suppléer. Et ce soin ne fut pas inutile. Il y avait là un ministre calviniste qui s’efforçait de séduire les frères lais et les jeunes religieux, et leur offrait la vie et d’autres avantages s’ils voulaient renoncer au catholicisme. Nicaise, qui connaissait la simplicité de plusieurs d’entre eux et les savait incapables de démêler sûrement par eux-mêmes les arguties, les citations captieuses ou tronquées, et tous les sophismes de l’hérésie, se jetait, pour ainsi dire, comme un bouclier entre eux et le tentateur. Nicaise leur ordonna d’éviter la discussion et de confesser simplement par une affirmation, la constance de leur foi. Souvent même il répondait pour eux et disait au ministre : « Vous perdez votre temps, ils ne vous écouteront pas ; nous sommes tous catholiques jusqu’à la mort ! »
Deux flanchent et apostasient
Comme le vicaire-gardien capucin Jérôme de Werden montait les barreaux de l’échelle en invoquant la sainte Vierge et divers saints, le ministre hérétique vint se mettre droit devant lui et lui reprocha une dernière fois sa prétendue idolâtrie : « Adore Dieu seul », lui cria-t-il, « et laisse là les saints, sottes idoles qui ne t’entendent pas ! » Jérôme, saintement indigné de ces blasphèmes, lança son pied vers lui à travers les barreaux et le frappa si rudement au milieu du ventre qu’il le fit tomber à la renverse. Cet acte de violence peut sembler étrange dans un martyr : mais ce qui l’excuse mieux encore que l’indignation causée par le blasphème du ministre, ce fut l’affligeant spectacle que le bienheureux eut la douleur de voir en ce moment. Le novice Henri, le plus jeune des confesseurs, après avoir donné une première preuve de faiblesse en se disant âgé de seize ans seulement, tandis qu’il en avait dix-huit, mensonge inspiré par l’espoir d’attendrir les bourreaux, venait de faire signe qu’il acceptait les conditions du ministre. On le délia, et on le fit sortir du cercle de ceux qui mouraient ou allaient mourir.
« O infortune, pire que tous les supplices », s’écria le vicaire-gardien à cette défection : « c’est toi, ministre de Satan, qui répondras devant Dieu de la perte éternelle de cet adolescent dont tu séduis l’inexpérience ! » Les Gueux lui fermèrent la bouche à coups de pique et lui déformèrent toute la figure. Ensuite, comme l’a raconté depuis le malheureux apostat, à qui Dieu fit la grâce de se convertir, ils se mirent à effacer, au tranchant de leurs épées, l’image de la croix que le vicaire, dans son voyage à Jérusalem, s’était tatouée sur la poitrine et sur le bras droit, et ils ne furent satisfait que lorsque ces empreintes symboliques furent ou enlevées avec la chair, ou disparues sous le sang qui les inondait. Le courageux vicaire respirait encore et ne cessait point pour cela de prier et d’encourager ses compagnons.
Une autre défection, plus déplorable encore que celle de Henri, fut celle d’un capucin nommé Guillaume qui, au moment où il touchait au terme et à la récompense de tant de maux, s’écria en français qu’il ne voulait pas mourir, qu’il renonçait au Pape et à tout ce qu’on voudrait, et suppliait les soldats de le sauver. Les soldats coupèrent la corde de ce lâche, le couvrirent d’une de leurs tuniques et d’un casque, pour qu’il ne fût pas reconnu, et le firent évader. Du reste, ce misérable ne prolongea que de quelques jours une vie achetée au prix d’une apostasie. Enrôlé parmi les Gueux, et d’autant plus abandonné du ciel qu’il avait abusé de plus de grâces, il ne tarda pas à tomber dans toute sorte d’excès ; il fut pendu deux mois après, non plus, hélas ! pour une cause sainte et glorieuse, mais pour crime de vol.
Il n’est pas facile d’aller jusqu’au martyr
Il y eut aussi un ou deux des plus jeunes martyrs qui, saisis de l’horreur de la mort, horreur si naturelle à tous les hommes, implorèrent en secret la pitié du bourreau et demandèrent qu’on coupât leurs cordes, mais sans consentir toutefois à renier le catholicisme ; aussi ne furent-ils point écoutés. Dieu, toujours compatissant aux faiblesses humaines, a permis néanmoins qu’ils soient comptés au nombre des martyrs de Gorcum. Ils furent comme le prince des Apôtres, « ils étendirent leurs mains, et un autre les ceignit et les mena où ils ne voulaient point aller ». Godefroy de Merville répéta avant de mourir les paroles de Jésus-Christ sur la croix : « Pardonnez-leur, Seigneur, car ils ne savent ce qu’ils font ! »
Léonard Wichel songea à sa famille, et dit qu’une seule chose l’attristait en ce moment, c’était la pensée de la douleur de sa mère, déjà bien affaiblie par l’âge, lorsqu’elle apprendrait sa mort. Il ralentissait le pas sous le poids de cette pensée et ne semblait pas gravir l’échelle avec assez de diligence. Godefroy Van Duynen lui cria : « Courage ! maître Léonard, aujourd’hui nous nous assoirons dans le ciel au festin de l’Agneau ! » Godefroy Van Duynen fut pendu le dernier. Comme les soldats hésitaient à retirer l’échelle de dessous ses pieds et se disaient : « Ah ! épargnons au moins celui-là, nous savons tous que c’est un innocent ! » — « Non, non », leur dit-il, « hâtez-vous de m’associer à mes frères : je vois les cieux ouverts ! ». Et il ajouta : « Si j’ai offensé ou scandalisé quelqu’un, je le prie de me pardonner ».
Des noms glorieux pour toujours
Il est bon de contempler cette glorieuse rangée de suppliciés et de les compter par leurs noms comme le fait l’Eglise elle-même lorsqu’elle leur décerne les suprêmes honneurs. Ils étaient en tout dix-neuf, dont onze Capucins, deux Prémontrés, un Dominicain, un Chanoine régulier de Saint-Augustin et quatre prêtres séculiers.
Nous avons dit que le grenier était traversé par deux poutres, l’une longue, l’autre plus courte. A celle-ci étaient attachés trois des martyrs seulement :
- Saint Nicolas Pik, gardien ou supérieur des Capucins.
- A côté de lui saint Godefroy Van Duynen, prêtre séculier.
- Ensuite, saint Corneille de Wyck, c’est-à-dire né à Wyck. C’était un frère capucin qui savait, par la promptitude et la simplicité de son obéissance, acquérir dans les occupations les plus viles des mérites que les fonctions élevées ne procurent pas toujours aussi aisément.
A la poutre la plus longue étaient alignés quinze des martyrs :
- Saint Jérôme de Werden, vicaire ou vice-gardien des Capucins, né à Werden, dans le comté de Hoorn, et qui avait habité quelque temps les couvents de son Ordre en Terre-Sainte ;
- Saint Thierry Embden, né à Amersfoort, près d’Utrecht, directeur des religieuses de Saint-Agnès, à Gorcum ;
- Saint Nicaise Johnson, vulgairement appelé de Hèze, capucin bachelier de l’université de Louvain, prédicateur éloquent, et qui savait par cœur tout le Nouveau Testament ;
- Saint Willald, capucin, danois de nation, âgé de quatre-vingt-dix ans, homme à la stature élevée , mais si amaigri, qu’il n’avait plus, suivant l’expression vulgaire, que les os et la peau, et qui après avoir confessé la foi catholique dans sa patrie jusqu’à l’exil, la confessa sur la terre étrangère jusqu’au sacrifice de sa vie ;
- Saint Godefroy de Merville, capucin, né à Merville, ville située sur la rive gauche de la Lys. Il remplissait au couvent de Gorcum les fonctions de confesseur et était chargé de tout ce qui regardait le culte divin.
- Saint Antoine de Werden, capucin, né à Werden dans le comté de Hoorn. Prédicateur éloquent, il consacra de longues années de sa vie à repousser les attaques dirigées contre la foi de Jésus-Christ, et à combattre l’erreur partout où il la rencontrait. Sa charité pour les pauvres le portait non seulement à secourir les âmes, mais à soulager les misères du corps au moyen des aumônes qu’il allait recueillir lui-même pour ensuite les leur distribuer ;
- Saint Antoine de Hornaer, capucin ; Hornaer était un petit village près de Gorcum ;
- Saint François de Roye, de Bruxelles, capucin, encore jeune et ordonné prêtre depuis peu d’années ;
- Saint Pierre d’Assche, en Brabant, capucin frère lais, qui s’employait avec zèle au service des autres membres du couvent ;
- Saint Léonard Wichel, né à Bois-le-Duc ville importante du Brabant, curé de Gorcum ;
- Saint Nicolas Poppel, de Weerd, petit village de Hollande, autre curé de Gorcum ;
- Saint Jean d’Oosterwyck, en Brabant, homme déjà avancé en âge, chanoine régulier de Saint-Augustin et du monastère même de Sainte-Elisabeth, dans l’enceinte duquel il cueillit la palme du martyre ;
- Saint Jean de Cologne, curé de Hornaer, dominicain de la province de Cologne, qui n’était pas dans la citadelle de Gorcum au moment du siège, mais y avait été conduit depuis, parce qu’on l’avait surpris à baptiser un enfant ;
- Saint Adrien Becan, de l’Ordre des Prémontrés, âgé de trente-neuf à quarante ans, né à Hilvarembeck, en Brabant, amené depuis l’avant-veille seulement de Munster, où il remplissait les devoirs du saint ministère ;
- Saint André Walter, curé de Heinort, dans le territoire de Dordrecht ;
Enfin, comme la place finit par manquer sur les poutres, le dix-neuvième et dernier martyr fut pendu au sommet d’une échelle.
- C’était Jacques Lacop, Prémontré, né à Audenarde, en Flandre, vicaire à Munster.
L’atroce boucherie des hérétiques
L’agonie de la plupart des victimes fut longue et douloureuse. La soldatesque s’était acquittée des derniers préparatifs avec une négligence barbare : pourvu qu’ils mourussent, peu importait quand et comment. L’un était supporté par la corde, par l’extrémité du menton ; un autre l’avait dans la bouche et la mordait comme un frein ; d’autres l’avaient bien autour du cou, mais pas assez serrée pour la strangulation. Nicaise n’expira qu’après le lever du soleil.
Les soldats, si impitoyables pour les vivants, s’acharnèrent sur les morts. Ils employèrent deux heures, de deux à quatre heures du matin, uniquement à les mutiler et à les insulter : « Voici deux brochettes de fin gibier », se disaient-ils dans leur ignoble langage en se montrant les deux horribles poutres. « Des museaux de moines et des jambons de curés, ce sont de friands morceaux ; on n’en a pas tous les jours ! » Et ils tailladaient en tous sens les cadavres devenus méconnaissables. On eût dit qu’ils allaient s’en repaître ; ils ne poussèrent cependant pas jusque-là la férocité, mais ils coupèrent, qui un nez, qui une oreille, qui une main, un pied ou d’autres parties du corps : ils les fixèrent à leurs casques en guise de cocardes, les suspendirent à leurs piques et s’en vinrent les promener par la ville arrêtant par la force les passants et recherchant les femmes, et particulièrement les religieuses, pour leur jeter au visage, avec des plaisanteries féroces, ces honteux trophées. Quelques-uns, persuadés que la graisse des condamnés à mort est un remède efficace contre certaines maladies, ouvrirent et fouillèrent les entrailles, dans un but de spéculation. Ils suspendirent entre autres à une échelle, sous une fenêtre, le corps du vicaire-gardien Jérôme de Werden, le dépecèrent à loisir comme un animal de boucherie, et vendirent ce qu’ils en retirèrent à des marchands d’onguents. Des entrailles, dont la provenance était audacieusement indiquée par des étiquettes, furent apportées jusque sur le marché de Gorcum.
La charité de bonnes âmes
Sur le soir, un catholique de Gorcum, citoyen grave et considéré, et qui s’était rendu sur le lieu du supplice, représenta aux magistrats de Brielle l’inutilité de ces ignominies, qui couvraient de honte ceux qui n’avaient rien fait pour les réprimer. Il obtint, non sans débourser une certaine somme à laquelle d’autres habitants de Gorcum contribuèrent, l’autorisation d’ensevelir les martyrs. Il revint donc le lendemain 10 juillet, au point du jour, pour s’acquitter de ce pieux devoir ; mais il trouva que les soldats l’avaient devancé pendant la nuit par l’ordre des magistrats. Deux fosses avaient été creusées, l’une plus large, où l’on avait entassé les quinze corps de la longue poutre, la seconde plus étroite, et où furent jetés les quatre autres.
Honorés par l’Eglise
Les reliques des martyrs, ramenées à Bruxelles par le père André de Soto durant la Trève de Douze Ans (1609–1621), se trouvent dans une châsse déposée dans l’église Saint-Nicolas, de la Bourse à Bruxelles.
Le 24 novembre 1675, les Martyrs furent béatifiés à Rome, par le pape Clément X et l’auguste cérémonie eut lieu avec toute la splendeur accoutumée au milieu d’un immense concours de fidèles dans la basilique de Saint-Pierre.
Le 29 juin 1867, jour consacré à la mémoire des princes des apôtres Pierre et Paul, aux applaudissements de l’univers catholique, l’immortel Pontife Pie IX inscrivait au livre des Saints les martyrs de Gorcum après les avoir canonisés sur la place Saint-Pierre, ils reçurent ainsi les plus éclatants honneurs de notre culte.
La commémoration de leur martyre a lieu le 9 juillet.
Chaque été,[3] le district du Benelux de la Fraternité Saint-Pie X organise aux Pays-Bas un pèlerinage néerlandophone sur les pas des 19 religieux martyrs de Gorcum (1572). Durant deux jours, les pèlerins parcourent à pied (72 km) le chemin que les 19 saints ont fait en bateau de Gorcum à Brielle, lieu de leur martyre.
Sources : La Porte Latine /District du Benelux de la Fraternité Saint-Pie X /Les Martyrs de Gorcum, Abbé Patrice Chauvierre, Lethielleux. /Vies des Saints, tome 7, Abbé Paul Guérin, Palmé.