Sermon de Mgr Tissier de Mallerais à l’occasion des ordinations sacerdotales à Écône. « Prêtres dans un temps de crise dans l’Église, prêtres en exil… »
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Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, ainsi soit-il.
C’est donc un événement et une grande joie pour nous de pouvoir continuer après un quart de siècle l’exercice de cette fonction que Mgr Lefebvre nous transmit il y a 25 ans. C’est aussi l’anniversaire de la Dédicace de notre église du Cœur Immaculé de Marie d’Ecône. On raconte qu’en 1932, après son ordination sacerdotale, à Sion, le chanoine Gabioud, de vénérée mémoire en Valais, raconta la vision qu’il avait eue d’Ecône, avec une grande église dédiée au Cœur Immaculé de Marie. Voilà cette quasi prophétie qui a été accomplie il y a une dizaine d’années.
Et aujourd’hui nous avons la joie d’ordonner des diacres ; ils vont pour la première fois donc pouvoir s’approcher davantage de Jésus-Eucharistie, de pouvoir assister de près, être à l’autel, et si besoin de distribuer la Sainte Communion aux fidèles. Et d’ordonner des prêtres, 6 prêtres pour la FSSPX, un père bénédictin, un père dominicain et un père capucin. C’est donc pour nous une très grande joie de soutenir de toutes manières ces familles sacerdotales et religieuses qui sont nos amies.
Opportet enim sacerdotem offere, benedicere, praeesse, predicare et baptisare
Je commencerai cette petite homélie en vous citant les paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ qu’il apprit à ses apôtres, telles qu’elles sont racontées dans les Actes des Apôtres :
« non est vestrum nosse tempora vel momenta quae Pater posuit in sua potestate sed accipietis virtutem supervenientis Spiritus Sancti in vos et eritis mihi testes in Jerusalem, et in omni Judaea, et Samariam et usque ad ultimum terrae » [1].
« Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a posés dans sa Puissance. Mais vous recevrez la force du Saint-Esprit et vous serez mes témoins en Judée, en Samarie et en Galilée, et jusqu’aux extrémités de la terre. » Voilà, chers ordinands, votre mission, être les témoins de Notre-Seigneur Jésus-Christ, comme les apôtres le furent, non point que vous ayez vu le Christ comme ils le virent, mais comme des témoins de la foi de toujours, que vous devrez prêcher. Vous serez prêtres pour l’Église catholique, vous serez prêtres de la Fraternité Saint-Pie‑X – du moins pour ceux qui sont membres de cette société – et vous serez prêtres en un temps de crise dans l’Église.
Et d’abord prêtres de l’Église catholique, et donc exerçant le sacerdoce catholique tel que le veut, tel que l’a transmis l’Église catholique depuis les apôtres. Et tel que le rite de votre ordination l’exprime. Opportet enim sacerdotem offere, benedicere, praeesse, predicare et baptisare. Cinq mots pour décrire trois fonctions car les trois premières sont une seule fonction, à savoir offere, benedicere et praeesse. Il faut que le prêtre offre, qu’il bénisse et qu’il préside. Et il faut qu’il prêche et qu’il baptise, dans l’ordre, dans l’ordre de dignité. C’est d’abord le pouvoir de consacrer, décrit par trois mots, offrir, bénir et présider. Vous allez offrir à l’Offertoire et à l’Élévation. Vous allez bénir à la Consécration, par une bénédiction immaculée, toute-puissante, qui transformera le pain dans le Corps du Christ et le vin dans son Précieux Sang. Et vous allez présider, non pas comme un président d’assemblée, mais parce que vous avez ce pouvoir de présider la Sainte Messe, pouvoir reçu de Notre-Seigneur Jésus-Christ comme participation de son sacerdoce. Et non pas délégué par le peuple. Voilà votre pouvoir essentiel, consacrer.
Et les deux autres pouvoirs sont le pouvoir de prêcher et de baptiser. Vous allez être envoyés prêcher au Nom de Notre-Seigneur, dans le monde entier, prêcher l’Évangile à toute créature. Enseigner toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ces deux dernières fonctions sont des fonctions préalables ; il faut d’abord prêcher, annoncer la bonne nouvelle du salut, il faut ensuite baptiser, faire des chrétiens, et ensuite les réunir autour de l’autel du sacrifice pour offrir le sacrifice de la Messe. Voilà votre rôle décrit, votre rôle, votre fonction de prêtre, décrite par l’Église catholique dans son pontifical. Il n’y a pas à hésiter, il n’y a pas de doutes à avoir. Remarquez bien que la fonction de prêcher et la fonction de sanctifier sont moindres, sont de moindre dignité que la fonction d’offrir, la fonction liturgique, d’offrir cette grande prière – comme disaient les Indiens d’Amérique quand ils voyaient nos missionnaires – la grande prière qui est le saint sacrifice de la Messe. La fonction du prêtre est d’abord d’offrir et de consacrer le Corps et le Sang du Christ.
Voilà, chers amis, ce sacerdoce catholique que l’Église catholique vous remet aujourd’hui. Mais pour cela vous devez en être indignes évidemment mais vous devez en être le plus digne possible. Saint Jean Chrysostome, cité par saint Pie X dans son Exhortation au clergé catholique [2], nous rappelle la nécessité de la sainteté sacerdotale, de la sainteté du prêtre, combien plus pure encore qu’un rayon de soleil doit être cette main du prêtre qui partage une telle chair, celle du Christ. Combien plus pure qu’un rayon de soleil doit être cette bouche qui contient un feu spirituel, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Combien plus pure qu’un rayon de soleil doit être cette langue que rougit un Sang si redoutable, le Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Dans la pureté de sa doctrine et toute la charité de son zèle missionnaire
Prêtres pour l’Église, prêtres de l’Église catholique, vous serez aussi prêtres, au moins pour la plupart d’entre vous, de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie‑X. Pour recevoir ce sacerdoce transmis par l’Église depuis les apôtres, pour le recevoir comme disait notre fondateur, comme nous l’avons rappelé hier dans cette déclaration, pour le recevoir, pur et immaculé, tel que le Christ l’a donné aux apôtres, dans la pureté de sa doctrine et toute la charité de son zèle missionnaire. Cette mission, que vous avez comme prêtres de la Fraternité Saint-Pie‑X, a été saluée, approuvée, encouragée par l’Église. Lorsque Mgr Charrier, évêque de Fribourg, le 1er novembre 1970, approuva les statuts et érigea cette fraternité sacerdotale et quand, le 18 février 1971, la congrégation du clergé à Rome encouragea et loua cette société sacerdotale et ses statuts et ses sages normes de vie sacerdotale.
Donc nous sommes appuyés sur cette approbation initiale, fondatrice de l’Église catholique, chers futurs prêtres. C’est notre assurance que nous sommes œuvre d’Église. Cet apostolat, contenu dans nos statuts, décrits par eux, est très varié. Vous pourrez être, comme je le fus, professeur de séminaire, ou bien aumônier de maison religieuse, comme je le fus, ou bien chargé d’une chapelle, comme je le fus, ou bien peut-être mieux prieur, supérieur de district, etc. Professeur dans une école ou plutôt directeur spirituel dans une école, je ne sais pas ce qui vous attend, cet été, vous le verrez, mais il y aura une chose commune à tous, c’est le saint sacrifice de la Messe.
Car toutes ces missions, tous ces types d’apostolat sont unis, ont un centre qui est la célébration du saint sacrifice de la Messe, qui fait l’unité de votre vie sacerdotale, comme le veulent nos statuts, centrés sur la célébration de la Messe, pour la royauté sociale de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Puisque Notre-Seigneur Jésus-Christ règne par le bois de sa croix. Regnavit a ligno Deus, donc Dieu veut régner par le bois de sa croix, il faut donc célébrer, reproduire incessamment ce sacrifice de la croix sur nos autels afin que Jésus règne dans les cœurs et dans les sociétés. Voilà votre rôle public dans l’Église et dans la cité, chers prêtres, par la Messe que le Christ règne. La Messe qui est le sacrement de la Passion de Jésus-Christ comme l’enseigne saint Thomas d’Aquin. Nous n’avons pas à chercher d’autres définitions. Le sacrement de la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, toute la Passion de Notre-Seigneur, résumée dans cet acte de la séparation de son Corps et de son Sang sur la croix, et renouvelé sur l’autel sacramentellement, lors de la consécration, à votre parole qui consacre séparément le Corps, puis le Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Voilà le mystère de la Messe, mystère incompréhensible et que nous devons méditer et qui est tout notre esprit, car si la Messe est vraiment la Passion de Jésus, sacramentellement présente, de là découle l’esprit chrétien. Communier, c’est communier à l’esprit de sacrifice de Jésus, célébrer c’est s’unir personnellement au sacrifice de Notre-Seigneur Jésus-Christ. L’esprit catholique, c’est l’esprit de sacrifice, chers fidèles. Cet esprit qui est complètement perdu maintenant dans l’Église conciliaire. Et cet esprit de sacrifice est la source des vocations religieuses et sacerdotales. Pourquoi avons-nous la joie dans nos familles, souvent, d’avoir plusieurs membres de la même famille, appelés par Dieu à la vie religieuse ou sacerdotale, mais parce que les parents ont su inculquer par leur exemple l’esprit de sacrifice à leurs enfants. Alors, tout naturellement, cet esprit de sacrifice s’épanouit dans l’appel divin. Donc vous serez prêtres de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie‑X, dans cet esprit, ou prêtres des sociétés amies, dans le même esprit.
Prêtres dans un temps de crise dans l’Église, prêtres en exil…
Et troisièmement, vous allez être prêtres dans un temps de crise dans l’Église. Tant que Dieu voudra, ce n’est pas à nous de connaître les temps et les moments. Mais vous serez des témoins. Depuis le début de la Fraternité pratiquement, après cette lettre de louange du clergé romain, nous avons été en proie à la condamnation, à la persécution, à l’exclusion, à la relégation canonique et psychologique, et nous persistons. C’est mystérieux, ça ne paraît pas normal, je dirais c’est exceptionnel. Ce qui n’est pas normal, c’est une Église occupée par l’ennemi. Donc depuis le début, nous devons pratiquer, chers jeunes prêtres, chers futurs prêtres, la béatitude de ceux qui sont persécutés. Bienheureux ceux qui sont persécutés pour la justice, parce que le Royaume des Cieux est à eux. Nous ne sommes pas très malheureux, mais la persécution pourrait être de plus en plus grave. Il faudra tenir bon, il faudra devenir et demander à la Sainte Vierge d’être des âmes de confesseurs de la foi. Comme le furent els saints.
Regardez l’exemple de saint Hilaire, de Poitiers. Évêque de Poitiers en Gaule au moment de l’aryanisme où la plupart des chrétiens étaient devenus hérétiques, aryens. Et saint Hilaire, à Poitiers, restait un évêque catholique mais il fut condamné par l’Empereur à l’exil, en Égypte. Que serait-il devenu, qu’aurait-il fait, s’il était resté en Gaule ? Il aurait dû pactiser avec l’hérésie. Bienheureux Hilaire qui s’en fut en exil pour prêcher la foi catholique, la foi en la Sainte Trinité. Voilà un exemple pour décrire notre situation. Nous sommes dans une certaine situation d’exil, mais bienheureux d’être libres pour prêcher la foi entière, sans compromission avec l’erreur.
Notre vocation en cette crise dans l’Église, chers jeunes prêtres, ça vous rassurera peut-être, notre vocation n’est pas d’inoculer un vaccin anti-moderniste à l’Église conciliaire, mais de porter le trésor de l’Église car nous le portons. L’Église indéfectible ne peut pas perdre le trésor de sa Tradition, de sa foi, de son sacerdoce. Il faut bien qu’il y ait quelqu’un qui le porte, ce trésor. Nous sommes de ceux-là. Je crois qu’il faut situer ainsi la question. Dans l’exil, dans l’ostracisme, nous portons l’Église. Voilà de quoi nous enthousiasmer, chers fidèles, chers prêtres, chers confrères. Regardez l’Enfant-Jésus, porté en exil en Égypte par saint Joseph. Saint Joseph portait Jésus en exil, c’était l’Église qui partait en exil mais l’Église existait encore. Elle ne cessait pas d’exister. Jésus, l’Enfant-Jésus était en germe l’Église catholique puisqu’Il est le chef de son Corps mystique. Dans cette situation d’exil, Il était l’exil. Dans notre exil, nous portons l’Église. N’ayez pas peur, nous sommes, et vous serez des porteurs de l’Église. Une mission dont nous sommes totalement indignes.
Nous ne sommes et n’avons jamais été une Église parallèle
Nous ne sommes pas n’importe quoi, nous ne sommes pas une secte, nous ne sommes pas une petite Église dont on ne revient jamais à la grande Église. Bien sûr, d’accord, nous ne sommes pas cela. Nous ne sommes et n’avons jamais été une Église parallèle depuis les sacres épiscopaux. L’Église parallèle, elle est ailleurs. Suivez mon regard. Nous sommes de l’Église catholique, avec la Rome éternelle.
Alors, chers futurs prêtres, chers futurs diacres, soyez des porteurs de l’Église. Ayez cette fierté, et en même temps cette profonde humilité car nous ne sommes rien. C’est un mystère que Dieu ait choisi Mgr Lefebvre et sa petite famille de la Tradition pour porter l’Église. C’est une vocation éminente, exceptionnelle, source de grâces inestimables, pourvu que nous les recueillions ces grâces.
Je ferai pour conclure un appel aux familles catholiques. Chères familles, vous êtes l’espoir de l’Église. Le pape Pie XII s’adressant aux jeunes mariés leur disait cette même vérité : vous êtes l’espoir de l’Église et de la Cité si vous acceptez de donner la vie à de nombreux enfants, si vous acceptez de leur transmettre la foi catholique, si vous comprenez comment les préservez dans la grâce sanctifiante, si vous comprenez que l’école catholique est le meilleur auxiliaire de votre fonction d’éducateurs, de pères et de mères catholiques. Et c’est de cette responsabilité à vous, chers parents chrétiens, que dépendent les vocations, l’efflorescence de nos sociétés sacerdotales et religieuses. Rendez-vous compte que nous manquons de prêtres, que nous manquons d’âmes généreuses acceptant de vivre la vie religieuse.
Et vous, chers enfants, chers jeunes gens et chères jeunes filles, c’est aujourd’hui, en cette occasion, qu’il est bon de recevoir les grâces du Bon Dieu, de prendre les décisions qui peuvent engager votre vie au service de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en vous consacrant dans la vie sacerdotale ou religieuse, pour que l’Église continue.
Transmettre le sacerdoce catholique de Notre-Seigneur Jésus-Christ, dans toute sa pureté doctrinale, dans toute sa charité missionnaire. C’est ce que Mgr Lefebvre a voulu, selon ce que Notre-Seigneur lui a montré lorsqu’il était dans la cathédrale de Dakar, vers 1960. Mais c’est ce que l’Église est par la médiation de la Très Sainte Vierge Marie, si vous lisez, si vous entendez tout à l’heure dans la Préface que l’évêque va chanter, la préface de la Dédicace. Quel merveilleuse description de l’Église.
L’Église qui est sedes commutabilis veritatis santuarium eternae cartitatis. Description de l’Église. L’Église est le siège de la vérité immuable, qui ne change pas. L’Église est le sanctuaire de l’éternelle charité qui doit remplir vos cœurs désormais, par l’intercession de Marie Immaculée, chers jeunes prêtres et diacres, amen.
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, ainsi soit-il.
Mgr Bernard Tissier de Mallerais
Sources : Séminaire d’Ecône/La Porte Latine
La transcription [Y. B‑R] et les intertitres sont de la rédaction de La Porte Latine
Version audio : LPL/130628