La grâce rétablit la femme à la hauteur de l’homme, mais pour cela, il faut comprendre l’ordre surnaturel.
Nous avons tous, en effet, été baptisés dans un seul Esprit, pour former un seul corps (1 Cor 12,13). Pour mieux discerner comment la femme peut rester femme dans ce monde où le progrès a introduit des profondes mutations sociétales, Pie XII prend en compte les études de psychologie et de sociologie sur la féminité. Cependant, pour l’Église, ces considérations ne peuvent suffire pour répondre aux prétentions des mouvements féministes. L’Église n’est pas une société qui se modèlerait sur les autres. Sa vie, son origine, sa finalité et son identité sont surnaturelles. On ne pourrait lui appliquer exclusivement les lois sociologiques habituelles pour juger de ce qu’elle devrait être, ou pour connaître la place que la femme devrait y occuper. Ce serait la réinventer, en se détachant de la forme et de la structure que lui a données son fondateur, le Christ.
À chacun la manifestation de l’Esprit est donnée pour l’utilité commune. Lorsqu’il s’agit de l’Église, il importe de découvrir le plan divin tel qu’il nous est manifesté par la création et telle que la Rédemption s’opère. Si la consécration baptismale produit universellement et sans distinction ses effets surnaturels dans les âmes, cela ne signifie pas qu’elle s’épanouira de la même manière en chacun, ni que l’oblation spirituelle qui en dérive suivra la même voie. Les qualités féminines peuvent laisser entre-voir une modalité féminine, tout comme il existera une modalité masculine. Cependant, c’est le saint Esprit, en s’appuyant sur la nature de chacun, qui déterminera pour le consacré comme pour le laïque, pour l’homme comme pour la femme, la place qu’ils occuperont à l’édification du corps mystique.
L’ordre établi par Dieu, restauré par le Christ
Il n’est pas bon que l’homme soit seul ; faisons-lui un aide semblable à lui (Gen. 2,18). De la poussière, Dieu avait créé Adam et d’une côte de l’homme, Il forma Eve. L’admiration immédiate d’Adam pour Eve sa compagne exprima dès le premier instant toute la complémentarité du couple homme-femme.
Pourquoi avez vous fait cela ? (Gen. 3,13) dit Dieu à Eve qui avait écouté le serpent… Vous serez sous la puissance de votre mari, et il vous dominera (Gen. 3,16). Le péché eut pour châtiment la subordination de la femme au pouvoir dominateur de l’homme et la corruption de la nature humaine, introduisant divorce et polygamie, avilit la femme au rang d’esclave ou d’objet de lubricité à la merci des caprices masculins. Le péché originel et ses conséquences atteignent directement la complémentarité originelle de l’homme et de la femme.
Le bon Dieu qui avait admirablement fondé la dignité de la nature humaine, la réforma plus admirablement encore (offertoire de la messe). La satisfaction à la justice divine pour nos péchés du le Christ sur la croix, racheta nos âmes et restaura la complémentarité de l’homme et de la femme. Comme l’annonce saint Paul, il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a pas homme et femme. Car vous êtes tous un dans le Christ Jésus (Ga 3,28).
Un dans le Christ
Vous êtes tous fils de Dieu par la foi dans le Christ Jésus. Car vous tous qui avez été plongés dans le Christ par le baptême, vous avez revêtu le Christ(3,26–27). Aux Galates, Paul annonce qu’ils n’ont plus à observer la loi juive. Les privilèges du peuple juif n’existent plus, et ceux qui viennent d’autres Nations à la foi chrétienne et au baptême reçoivent du Christ la même filiation divine. Par le même baptême, la distinction entre l’esclave et l’homme libre, entre l’homme et femme disparaissent.
Bien sûr, Paul n’entend pas affirmer que cette unité nouvelle dans le Christ efface la différence entre l’homme et la femme, pas plus qu’elle n’effacerait celle entre le Juif et Grec, l’esclave et l’homme libre. Bien au contraire ! l’homme reste homme et la femme, femme. Il énonce une unité plus profonde. Un dans le Christ mais différents, la Rédemption opère la restauration dans l’ordre du Salut de la complémentarité originelle. L’homme et la femme qui avaient été entraînés dans la division du péché sont restaurés par le Rédempteur dans une unité supérieure, le salut par la consécration baptismale.
La réalité de la Rédemption
Par une lente poussée dont l’origine est le Christ lui-même, les sociétés ont changé sous l’influence chrétienne, l’esclavage a disparu et la femme ne fut plus considérée comme une chose.
On ne peut loyalement l’ignorer. C’est un fait indéniable : le divin Maître, rétablissant le mariage dans son éclat, restituait aux époux la gloire de la chasteté conjugale, et l’élevant à la dignité de sacrement, le sanctifia. À la question qui lui est posée, s’il est permis de répudier sa femme pour n’importe quel motif (Mt 19,3), il affirme l’indissolubilité du mariage. L’époux n’a pas plus que l’épouse le droit de répudiation. L’obligation de fidélité identique pour les deux conjoints (Mc 10,11–12), protège la femme et la rétablit dans sa complémentarité originelle.
En rupture
C’est dans la vie du Christ que nous découvrons la rupture de la Rédemption d’avec les codes moraux et sociaux hérités du péché.
Ignorant les coutumes qui tendaient à refuser à la femme des contacts normaux dans la vie sociale, le Christ n’hésite pas à entamer ce long et merveilleux dialogue avec la Samaritaine, au point de susciter l’étonnement de ses disciples (Jn 4,27). À cette âme, il découvre intentionnellement les trésors de la grâce et adopte un comportement cohérent avec la Rédemption qu’il opère.
Les prescriptions légales imposaient à certaines femmes un état humiliant d’impureté ; il guérit l’hémorroïsse. Libérée de toute honte, Il l’invite à se présenter devant la foule et à prendre conscience de la valeur de sa foi (Mc 5, 25–34).
Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère… Que celui de vous qui est sans péché jette le premier la pierre (Jn 7,4–6). Jésus protège cette femme de ses prédateurs et la pardonnant, Il la rétablit dans son intégrité. Je ne te condamne pas non plus : va, et ne pèche plus. Il en est de même dans la leçon qu’il donne à Simon. Cette pécheresse que Simon méprisait reçoit le pardon. Le contraste entre l’accueil froid de Simon et la ferveur de cette femme met en relief l’effet surnaturel de la Rédemption dans son âme (Lc 7,36–50). En vérité, je vous le dis, les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu (Mt 21,31).
En prenant la défense de Marie de Béthanie contre l’incompréhension des disciples, il approuve l’onction parfumée et lui reconnaît le droit de l’honorer à sa manière. Certes, c’est un hommage spécifiquement féminin, mais le Saint-Esprit inspire chacun selon sa propre personnalité. La grâce ne détruit pas la nature mais la surélève.
Le Christ et les femmes
Au témoignage de Luc (8,1–3), des femmes nombreuses accompagnaient le Christ. Cette présence d’un groupe de femmes constituait une nouveauté : aucun prophète ni aucun maître en Israël n’avait été accompagné par un groupe féminin. N’hésitant pas à aller à l’encontre des coutumes juives, le Christ se rend proche de toute âme.
Jésus n’a pas déterminé d’activités spécifiques aux femmes qui l’accompagnaient, pas plus qu’il ne l’a fait aux hommes qui ne devinrent pas prêtres. Il nous est dit qu’elles servaient les disciples (Lc 8,3) ou Jésus (Mc 15,41). Ce service, le Christ l’avait défini lui-même : Le Fils de l’homme est venu pour servir (Mc 10,45 ; Mt 20,28). Servir, c’est partager à sa mesure et à sa place le mystère de l’Incarnation.
Ce service ne se réduit pas aux tâches matérielles. Pour faire pénétrer la foi dans la bourgade de Sichem, Jésus choisit une femme en faisant d’elle une messagère enthousiaste qui invite ses compatriotes à venir le voir et à croire en lui. Sans compromettre le titre de témoin de la résurrection que s’attribueront plus tard les douze (cf. Act 1,22), Jésus a voulu que Marie-Madeleine soit le premier témoin le matin de Pâques, en dépit de tous les préjugés juifs qui suspectaient la valeur du témoignage féminin. Envoyée aux apôtres, elle reconnaît l’autorité établie par le Christ lui-même.
Les femmes comme les hommes
Bienheureux les pauvres (Mt 5,3). Certainement la Rédemption procure aux saintes femmes de l’Évangile l’épanouissement de leur être féminin. Il serait vain de justifier dans le comportement du Christ une quelconque volonté d’émancipation de la femme. Dans le royaume de Dieu, il n’y a plus ni homme ni femme.
Apportant la présence divine en ce monde, Jésus se rend accessible aux âmes de bonne volonté. Désormais, personne ne peut revendiquer, en vertu de sa valeur humaine ou de sa différence, l’accès à Dieu : c’est Dieu qui est maître souverain de ses relations avec l’humanité.
Le Christ ne s’engage pas non plus dans une voie qui se proposerait de rendre la femme identique à l’homme : la Rédemption universelle n’implique pas l’identité des âmes. Indifféremment, dans les paraboles, Jésus se plaît à mettre sous nos yeux des figures de femmes aussi bien que d’hommes, et la comparaison qui en résulte n’est jamais à l’avantage de l’un ou de l’autre. Pour illustrer la vigilance, il parle des serviteurs qui attendent le retour de leur maître mais aussi des jeunes filles qui attendent l’époux. Pour la persévérance dans la prière il nous donne l’exemple de l’ami importun mais aussi de la veuve importune. Et bien d’autres exemples encore.
Je suis venu pour servir
Autant d’exemples ne sauraient justifier d’une quelconque preuve de mission spécifique confiée aux femmes dans le développement de l’Église, comme souvent il est avancé. Que dire alors de la vocation des Apôtres, de la conversion du lépreux ou du centurion ?
Le regard de Jésus sur les hommes est distinct pour chacun. La coutume juive n’empêchait pas la présence de la femme au repas pascal, pourtant Il choisit de ne permettre qu’aux Apôtres de participer à la cène : pour les faire prêtres de la nouvelle Alliance et leur dire Faites ceci en mémoire de moi. Jésus confie uniquement aux disciples le ministère pastoral, il n’appelle pas tous les hommes.
Pas plus qu’on ne peut chercher à déterminer la contribution de l’homme à la vie de l’Église en la définissant simplement par le sacerdoce, on ne peut donc concentrer toute l’attention sur la question de l’accès de la femme au sacerdoce pour juger de son rôle dans l’Église.
Pourquoi alors jalouser cette dignité ? Le prêtre de la nouvelle Alliance n’est qu’une humanité de surcroît au seul prêtre qu’est le Christ. Jésus a exercé cette médiation comme un service et a voulu que ses Apôtres suivent son exemple (Mc 10,42- 45 ; Mt 20,25–28).
Briguer le sacerdoce comme une supériorité à conquérir serait se mettre dans une perspective d’ambition étrangère à l’esprit évangélique.
Dans l’Église, chaque âme contribue par sa nature, ses talents, et par les dons de la grâce à construire le royaume de Dieu et cela suffit… à la fin, c’est la volonté de Dieu qui prime et qui nous identifie.
Marie, la femme annoncée
Je mettrai une inimitié entre toi et la femme(Gn 3,15). Y a‑t-il dans cette promesse l’annonce d’un rôle providentiel spécifique aux femmes ? Non. Cette référence ne concerne pas la femme en général, mais une individualité, en l’occurrence la future mère de Dieu. Toutes les femmes du peuple élu rêveront d’être la femme annoncée, une seule sera l’Immaculée digne de ce privilège.
À cette femme, qui du milieu de la foule, avait proclamé le bonheur de sa mère, Jésus répond en haussant les perspectives au dessus des liens de la chair : Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent ! ( L c 11,28). La Très sainte Vierge ne fut pas confinée dans les joies de la maternité divine. Elle est la Femme que Dieu choisit pour réaliser l’Alliance définitive. Le miracle de Cana nous montre que sa collaboration à l’œuvre du Salut ne se limite pas à son rôle maternel mais à faire apparaître la souveraineté de Jésus. Au Calvaire, Jésus lui confie la maternité surnaturelle de nos âmes, en la personne de saint Jean. Cette coopération de Notre-Dame à la Rédemption est spécifiquement féminine et maternelle : le Christ est l’époux et elle est l’épouse dans l’œuvre du Salut.
Saint Paul
Saint Paul contredit-il l’enseignement et le comportement de Jésus ? Lui reprochant son esprit étroit et obligé par les préjugés de son temps, il serait misogyne. Ne sont retenues que les phrases choc du type que la femme se taise dans l’assemblée ou que la femme ait la tête voilée dans l’assemblée ou qu’elle se tonde (1 Cor 11,2–16 et 14,33b-36). Certains ont même avancé que ces extraits n’étaient pas de lui. Pourtant ces passages expriment parfaitement les effets pour la femme de la Rédemption dans l’exercice du culte et dans ses relations avec l’homme, en pleine cohérence avec le Seigneur.
Comme au Seigneur
Lorsque saint Paul dit femmes soyez soumises à vos maris, comme au Seigneur (Ga 5,22), par l’ajout du comme au Seigneur, il oppose la soumission d’avant, héritée du péché, à la soumission nouvelle, surnaturelle, mutuelle et universelle : soyez soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ (Gal 5,21). La grâce rétablit la femme à la hauteur de l’homme, mais pour cela, il faut comprendre l’ordre surnaturel.
A cause des anges
C’est encore dans ce sens de rétablissement surnaturel qu’il faut comprendre voilà pourquoi la femme doit avoir un voile sur la tête, à cause des anges. À cause des anges… Cette insertion précise que c’est dans le cadre du culte céleste que la femme doit porter un voile, et c’est encore la nouveauté.
Jouant sur l’ambivalence grecque du terme tête ou chef, il donne le sens de cet insigne quasi liturgique : dans l’exercice du culte, il est pour toute femme le signe de sa capacité à participer vocalement au culte. Si l’homme qui prie (ou prophétise) dans les assemblées la tête couverte fait honte à sa tête, c’est-à-dire au Christ, la femme qui prie ou prophétise la tête dévoilée déshonore sa tête, c’est-à-dire à l’homme. Si l’homme est la tête, c’est donc qu’il a quitté son père et sa mère pour s’attacher à sa femme et ils seront deux dans une seule chair (Gen 2,24).
La femme qui prie ou prophétise la tête dévoilée déshonore sa tête. Sous l’ancienne loi, les femmes étaient séparées des hommes lors du culte. Saint Paul ne change pas les pratiques qui appartiennent à Dieu, mais, en maintenant la coutume du voile, il en modifie le sens : par la Rédemption, le voile devient le signe liturgique pour la femme de la puissance à participer, à l’égal de l’homme, au culte, à la condition d’avoir le souci d’édifier la communauté. En dehors de cette condition, qu’elle ne parle pas, en prenant bien soin d’utiliser le mot parler au lieu de prophétiser pour marquer la différence de situation. Dans le culte céleste, il est important que rien de profane ou de personnel ne vienne polluer la louange. Cette nouveauté pour la femme valait bien cette précision !
En conclusion
Que personne donc ne mette sa gloire dans les hommes ; car tout est à vous, soit Paul, soit Apollos, soit Céphas, soit le monde, soit la vie, soit la mort, soit les choses présentes, soit les choses à venir. Tout est à vous ; et vous êtes à Christ, et Christ est à Dieu.
Abbé Vincent Bétin
Source : L’aigle de Lyon n°363