Ce samedi 28 octobre, M. l’abbé Louis-Marie Berthe, prieur de Fabrègues, a célébré la messe des saints Apôtres Simon et Jude dans la basilique souterraine saint Pie X, après le chapelet. La foule des fidèles a ensuite suivi le chemin de croix sur la montage des Espélugues pendant que les malades suivaient leur propre chemin de croix à la prairie.
Merci à Jean Lorber et à Louis-Marie Grossler pour les photos.
Notez qu’en raison d’une défaillance technique, le sermon audio n’est malheureusement pas disponible. Le sermon écrit est retranscrit à la suite des photos.
Sermon de M. l’abbé Berthe
Bien chers pèlerins, venus de tous les coins de France, et de plus loin encore, nous voici arrivés à Lourdes pour visiter et saluer la Reine du Ciel, qui a daigné apparaître ici à la jeune Bernadette Soubirous à 18 reprises au cours de l’année 1858, et qui, depuis ce temps, n’a jamais cessé d’y manifester sa présence et d’y prodiguer, dans le secret des cœurs, la grâce dont Bernadette fut la première dépositaire.
Bien chers pèlerins, si nous venons à Lourdes, ce n’est pas pour y faire du tourisme ; ce n’est pas pour y faire nos mondanités ; on vient à Lourdes pour parler avec son cœur à la Vierge Immaculée ; on vient à Lourdes pour déposer à ses pieds le poids de nos soucis et de nos maladies ; de nos souffrances et de nos péchés ; on vient à Lourdes pour écouter sa douce voix qui nous console et nous redonne des forces ; et si par extraordinaire nous n’avions rien à demander, on viendrait encore à Lourdes pour y regarder, pour y admirer l’Immaculée, la Vierge de toute beauté, pour se laisser envelopper par sa présence maternelle, pour recueillir sur ses lèvres le sourire du Ciel qui nous délivre et nous réconforte.
Si nous savons lui parler avec confiance et lui ouvrir en toute simplicité notre cœur, la Vierge Marie saura nous dire, au cours de ce pèlerinage, la parole, chargée de grâces, qui nous conviendra. Mais s’il est un message qu’elle dira à tous, d’une manière ou d’une autre, c’est bien celui de la Croix. Comme elle l’a fait autrefois pour Bernadette, la Vierge Marie à Lourdes nous introduit et nous accompagne sur notre chemin de Croix ; elle nous pousse à entrer et à vivre dans le royaume de la souffrance chrétienne.
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Il n’est pas anodin que le premier geste que la Vierge apprend à Bernadette, c’est précisément le signe de la Croix. Alors qu’elle est encore surprise par cette Dame blanche, qui est en face d’elle et qu’elle voit pour la première fois, Bernadette sans bien réfléchir sort son chapelet et tente, mais en vain, de faire son signe de croix. Sa main retombe, aussitôt, impuissante. Elle doit attendre de voir la Vierge se signer elle-même pour pouvoir à son tour faire son signe de croix. Le message est clair : la Vierge Marie toujours nous précède sur le chemin de croix ; et pour nous donner sinon le désir, du moins la force d’y marcher, elle est là pour accompagner nos moindres pas.
Mais c’est surtout au cours des 8ème, 9ème, 10ème et 11ème apparitions que la Vierge Marie pousse Bernadette sur la voie pénible et humiliante de la souffrance. Jusque-là, la jeune fille récitait son chapelet et à sa prière, la Vierge du Ciel descendait. Bernadette s’abîmait alors en extase devant l’Apparition ; son visage même changeait au point d’impressionner par sa beauté les témoins de la scène. On commençait à s’enthousiasmer et à donner du crédit au phénomène de Lourdes. Aussi comprenez la consternation de la foule, qui voit Bernadette s’avancer à genoux d’un pas ou deux et tomber la face contre terre. À la demande de la Vierge, qu’elle seule évidemment a entendue, la voyante baise la terre. La déception mêlée de colère, le sentiment d’avoir été trompé sont à leur comble le lendemain, quand Bernadette dans un itinéraire que personne ne comprend, avance – toujours à genoux – de la grotte au Gave, puis du Gave à la grotte. Elle cherche de l’eau mais n’en trouve pas ; alors elle se met à gratter le sol de sa main droite, et dans la cavité qu’elle a creusée, elle puise une sorte de boue rougeâtre, la porte vers son visage, la rejette avec dégout, puis recommence. Elle voudrait boire de cette eau sale, mais sa répugnance est trop forte. Elle n’y parviendra qu’à la quatrième fois, avant de manger des herbes amères qui poussent au fond de la grotte. Stupéfaction, indignation, scandale dans la foule : Bernadette revient vers les siens avec le visage tout barbouillé de terre. « Elle est folle », murmure-t-on autour d’elle. « Vous nous avez emmené voir une petite merdeuse » crie-t-on avec un langage de palefrenier à ceux qui, il y a deux jours encore, se faisaient les apôtres de l’apparition.
Voilà quelle fut la pédagogie de la Vierge Marie à l’égard de Bernadette âgée seulement de 14 ans. Voilà comment la Reine du Ciel forme et élève ses enfants – dans le creuset de la souffrance. Pédagogie toute surnaturelle, éducation profondément chrétienne, qui s’appuie sur le seul fondement solide de toute vie de foi et de charité : la Croix de Jésus-Christ : comment ne pas apercevoir, en effet, derrière les gesticulations apparemment insensées de la jeune voyante, l’humiliation et l’anéantissement du Sauveur lui-même, méprisé et compté pour rien ; comment ne pas percevoir derrière le visage tout barbouillé de Bernadette une pâle mais authentique image de la sainte Face de Jésus-Christ défigurée par nos péchés, sans apparence, ni beauté ? Comment ne pas deviner derrière les herbes amères que la Vierge lui demande de manger l’amertume du Calice, que Jésus boit jusqu’à la lie dans son agonie à Gethsémani ?
Et pour donner à Bernadette l’intelligence de la Croix, et le sens de la souffrance chrétienne ; pour soutenir la jeune fille dans l’opposition et la contradiction, dans le mépris et les moqueries, qu’elle connaît immanquablement ; la Vierge Marie lui donne un mot d’explication ; un mot, pas plus : « pénitence ». « Sais-tu qu’on te croit folle de faire des choses pareilles », dit-on à Bernadette sur le ton du reproche ? « Pour les pécheurs » répond-elle simplement. Un leitmotiv qui revient sans cesse sur ses lèvres lorsqu’on lui demande de justifier sa conduite : « En pénitence, pour moi d’abord ; pour les autres ensuite », dit-elle une autre fois. Le péché est-il donc si grave, qu’il faille en arriver là pour en faire pénitence ? Bernadette l’a vite compris : qu’il n’y a de souffrance sur la terre que parce qu’il y a le péché, c’est-à-dire la révolte de l’homme contre Dieu. Oui, la souffrance est le prix à payer un jour ou l’autre, le prix du péché, du nôtre, mais aussi, de celui des autres. Oui, ce jour-là, Bernadette a compris que la Croix était la réparation, le seul remède au péché, au nôtre, mais aussi à celui des autres.
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Bien chers pèlerins, sommes-nous venus à Lourdes pour entendre autre chose ? Aurions-nous la faiblesse de penser que la Vierge, depuis, a changé d’avis ? Quel que soit notre âge, notre condition et nos difficultés, la Vierge Marie est là pour nous encourager à porter notre Croix, celles que nous venons aujourd’hui déposer à ses pieds ; elle est là pour nous rassurer et pour nous dire qu’en l’embrassant, cette croix, nous marchons dans la bonne direction ; elle est là pour pousser, ceux qui hésitent encore, à la prendre à pleines mains et de bon gré. Parce que nous sommes pécheurs – nous rappelle-t-elle avec douceur – nous devons payer le prix de nos péchés, de nos révoltes, et de notre infidélité à Dieu. Souffrir chrétiennement, n’est-ce pas sentir dans sa chair la grave subversion du péché ? N’est-ce pas revivre au-dedans de nous, le désordre qu’on a mis au-dehors par notre péché ? Porter sa croix avec Jésus, n’est-ce pas assumer le péché qu’on a commis pour le détruire et le réparer ? Et quand bien même nous aurions consumé tout notre péché, comment ne porterions-nous pas, dans notre corps et dans notre âme, avec Jésus en agonie, le péché du monde ? Oui, il n’y a pas de vie chrétienne authentique, semble nous redire la Vierge immaculée de tout péché, il n’y a pas de vie chrétienne authentique en dehors de la Croix de Jésus-Christ ; en dehors donc de la reconnaissance du péché de l’homme.
Comprendre cela en profondeur, bien chers pèlerins, c’est recevoir la grâce de Lourdes ; c’est faire un pas de géant dans notre vie de foi ; mais c’est aussi, j’ajouterai, s’établir fermement dans l’Eglise catholique et romaine ; s’enraciner dans sa Tradition bimillénaire. Parce que la Croix de Jésus-Christ, c’est le centre, c’est la source, c’est l’âme qui anime toute vie catholique authentique. N’est-il pas manifeste que depuis l’ouverture au monde voulue explicitement par Vatican II et promue systématiquement depuis lors, n’est-il pas manifeste que la Croix de Jésus-Christ a été évacuée peu à peu de la vie catholique, et que le péché, corrélativement, a été pratiquement nié ? On l’a dit et répété : la messe ré-formée de 1969 a affaibli et mis en sourdine la Croix et le sacrifice de Jésus-Christ ; et depuis tout a suivi : la réunion interreligieuse d’Assise, c’est la prière pour la paix dans le monde, mais en l’absence criante et blasphématoire de la Croix du Golgotha ; le relativisme doctrinal, et désormais la liquidité assumée de la doctrine, voire la liquidation de tout discours doctrinal, n’est-ce pas refuser que la Vérité de Dieu puisse crucifier l’intelligence humaine et réduire à l’obéissance la volonté de l’homme ; quant au célibat sacerdotal, si certains veulent le voir entamé, n’est-ce pas pour affaiblir la configuration spéciale du prêtre à Jésus-Christ crucifié ; et la violation de la sainteté du mariage, trop souvent bénie par les prêtres et désormais quasi-autorisée par Rome, n’est-ce pas le refus de la Croix, plantée au cœur même de la relation conjugale ; la malédiction de Dieu sur Sodome et Gomorrhe, que certains voudraient changer en bénédiction, n’est-ce pas refuser que l’homme doive souffrir dans sa chair pour suivre la loi de Dieu ? Avec saint Paul, il faut le redire en pleurant : beaucoup marchent en ennemis de la Croix de Jésus-Christ. Oui, la Croix a été évacuée peu à peu de la vie catholique, à la manière dont on fait sortir d’une église qu’on désacralise, la pierre et la croix de l’autel.
Comment, bien chers pèlerins, pourrions-nous rester fidèles à la Tradition de l’Eglise ; être de fidèles enfants de l’Eglise catholique et romaine, si nous ne sommes pas animés par ce qui fait l’âme, le cœur, la source de cette même Eglise, je veux dire : la Croix de Jésus-Christ ; si nous n’acceptons pas, quand la Vierge nous le demande, de baiser la poussière de la terre ; de manger des herbes amères, de passer pour fou aux yeux du monde.
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« Je ne vous promets pas de vous rendre heureuse en ce monde », avait dit la Vierge à Bernadette. Comprenez : à la manière dont ce monde rend les gens superficiellement heureux. « Mais je vous promets de vous rendre heureuse en l’autre monde » : celui de l’éternité, certes ; mais aussi le nôtre – cet autre monde – quand il est vécu dans la foi et l’amour chrétien. Sinon Bernadette n’aurait jamais pu dire trois ans avant de mourir : « je suis plus heureuse, malade, sur mon lit avec mon Christ qu’une reine sur son trône ». C’est sans doute, ultimement, bien chers pèlerins, la plus belle chose que la Vierge, ici à Lourdes, puisse nous offrir : le bonheur profond au sein même de la souffrance ; la joie de la Croix.
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.