Lourdes 2023, la journée du samedi [MAJ]

Ce same­di 28 octobre, M. l’ab­bé Louis-​Marie Berthe, prieur de Fabrègues, a célé­bré la messe des saints Apôtres Simon et Jude dans la basi­lique sou­ter­raine saint Pie X, après le cha­pe­let. La foule des fidèles a ensuite sui­vi le che­min de croix sur la mon­tage des Espélugues pen­dant que les malades sui­vaient leur propre che­min de croix à la prairie.

Merci à Jean Lorber et à Louis-​Marie Grossler pour les pho­tos.
Notez qu’en rai­son d’une défaillance tech­nique, le ser­mon audio n’est mal­heu­reu­se­ment pas dis­po­nible. Le ser­mon écrit est retrans­crit à la suite des photos.

Sermon de M. l’abbé Berthe

Bien chers pèle­rins, venus de tous les coins de France, et de plus loin encore, nous voi­ci arri­vés à Lourdes pour visi­ter et saluer la Reine du Ciel, qui a dai­gné appa­raître ici à la jeune Bernadette Soubirous à 18 reprises au cours de l’année 1858, et qui, depuis ce temps, n’a jamais ces­sé d’y mani­fes­ter sa pré­sence et d’y pro­di­guer, dans le secret des cœurs, la grâce dont Bernadette fut la pre­mière dépositaire.

Bien chers pèle­rins, si nous venons à Lourdes, ce n’est pas pour y faire du tou­risme ; ce n’est pas pour y faire nos mon­da­ni­tés ; on vient à Lourdes pour par­ler avec son cœur à la Vierge Immaculée ; on vient à Lourdes pour dépo­ser à ses pieds le poids de nos sou­cis et de nos mala­dies ; de nos souf­frances et de nos péchés ; on vient à Lourdes pour écou­ter sa douce voix qui nous console et nous redonne des forces ; et si par extra­or­di­naire nous n’avions rien à deman­der, on vien­drait encore à Lourdes pour y regar­der, pour y admi­rer l’Immaculée, la Vierge de toute beau­té, pour se lais­ser enve­lop­per par sa pré­sence mater­nelle, pour recueillir sur ses lèvres le sou­rire du Ciel qui nous délivre et nous réconforte.

Si nous savons lui par­ler avec confiance et lui ouvrir en toute sim­pli­ci­té notre cœur, la Vierge Marie sau­ra nous dire, au cours de ce pèle­ri­nage, la parole, char­gée de grâces, qui nous convien­dra. Mais s’il est un mes­sage qu’elle dira à tous, d’une manière ou d’une autre, c’est bien celui de la Croix. Comme elle l’a fait autre­fois pour Bernadette, la Vierge Marie à Lourdes nous intro­duit et nous accom­pagne sur notre che­min de Croix ; elle nous pousse à entrer et à vivre dans le royaume de la souf­france chrétienne.

*

Il n’est pas ano­din que le pre­mier geste que la Vierge apprend à Bernadette, c’est pré­ci­sé­ment le signe de la Croix. Alors qu’elle est encore sur­prise par cette Dame blanche, qui est en face d’elle et qu’elle voit pour la pre­mière fois, Bernadette sans bien réflé­chir sort son cha­pe­let et tente, mais en vain, de faire son signe de croix. Sa main retombe, aus­si­tôt, impuis­sante. Elle doit attendre de voir la Vierge se signer elle-​même pour pou­voir à son tour faire son signe de croix. Le mes­sage est clair : la Vierge Marie tou­jours nous pré­cède sur le che­min de croix ; et pour nous don­ner sinon le désir, du moins la force d’y mar­cher, elle est là pour accom­pa­gner nos moindres pas.

Mais c’est sur­tout au cours des 8ème, 9ème, 10ème et 11ème appa­ri­tions que la Vierge Marie pousse Bernadette sur la voie pénible et humi­liante de la souf­france. Jusque-​là, la jeune fille réci­tait son cha­pe­let et à sa prière, la Vierge du Ciel des­cen­dait. Bernadette s’abîmait alors en extase devant l’Apparition ; son visage même chan­geait au point d’impressionner par sa beau­té les témoins de la scène. On com­men­çait à s’enthousiasmer et à don­ner du cré­dit au phé­no­mène de Lourdes. Aussi com­pre­nez la conster­na­tion de la foule, qui voit Bernadette s’avancer à genoux d’un pas ou deux et tom­ber la face contre terre. À la demande de la Vierge, qu’elle seule évi­dem­ment a enten­due, la voyante baise la terre. La décep­tion mêlée de colère, le sen­ti­ment d’avoir été trom­pé sont à leur comble le len­de­main, quand Bernadette dans un iti­né­raire que per­sonne ne com­prend, avance – tou­jours à genoux – de la grotte au Gave, puis du Gave à la grotte. Elle cherche de l’eau mais n’en trouve pas ; alors elle se met à grat­ter le sol de sa main droite, et dans la cavi­té qu’elle a creu­sée, elle puise une sorte de boue rou­geâtre, la porte vers son visage, la rejette avec dégout, puis recom­mence. Elle vou­drait boire de cette eau sale, mais sa répu­gnance est trop forte. Elle n’y par­vien­dra qu’à la qua­trième fois, avant de man­ger des herbes amères qui poussent au fond de la grotte. Stupéfaction, indi­gna­tion, scan­dale dans la foule : Bernadette revient vers les siens avec le visage tout bar­bouillé de terre. « Elle est folle », murmure-​t-​on autour d’elle. « Vous nous avez emme­né voir une petite mer­deuse » crie-​t-​on avec un lan­gage de pale­fre­nier à ceux qui, il y a deux jours encore, se fai­saient les apôtres de l’apparition.

Voilà quelle fut la péda­go­gie de la Vierge Marie à l’égard de Bernadette âgée seule­ment de 14 ans. Voilà com­ment la Reine du Ciel forme et élève ses enfants – dans le creu­set de la souf­france. Pédagogie toute sur­na­tu­relle, édu­ca­tion pro­fon­dé­ment chré­tienne, qui s’appuie sur le seul fon­de­ment solide de toute vie de foi et de cha­ri­té : la Croix de Jésus-​Christ : com­ment ne pas aper­ce­voir, en effet, der­rière les ges­ti­cu­la­tions appa­rem­ment insen­sées de la jeune voyante, l’humiliation et l’anéantissement du Sauveur lui-​même, mépri­sé et comp­té pour rien ; com­ment ne pas per­ce­voir der­rière le visage tout bar­bouillé de Bernadette une pâle mais authen­tique image de la sainte Face de Jésus-​Christ défi­gu­rée par nos péchés, sans appa­rence, ni beau­té ? Comment ne pas devi­ner der­rière les herbes amères que la Vierge lui demande de man­ger l’amertume du Calice, que Jésus boit jusqu’à la lie dans son ago­nie à Gethsémani ?

Et pour don­ner à Bernadette l’intelligence de la Croix, et le sens de la souf­france chré­tienne ; pour sou­te­nir la jeune fille dans l’opposition et la contra­dic­tion, dans le mépris et les moque­ries, qu’elle connaît imman­qua­ble­ment ; la Vierge Marie lui donne un mot d’explication ; un mot, pas plus : « péni­tence ». « Sais-​tu qu’on te croit folle de faire des choses pareilles », dit-​on à Bernadette sur le ton du reproche ? « Pour les pécheurs » répond-​elle sim­ple­ment. Un leit­mo­tiv qui revient sans cesse sur ses lèvres lorsqu’on lui demande de jus­ti­fier sa conduite : « En péni­tence, pour moi d’abord ; pour les autres ensuite », dit-​elle une autre fois. Le péché est-​il donc si grave, qu’il faille en arri­ver là pour en faire péni­tence ? Bernadette l’a vite com­pris : qu’il n’y a de souf­france sur la terre que parce qu’il y a le péché, c’est-à-dire la révolte de l’homme contre Dieu. Oui, la souf­france est le prix à payer un jour ou l’autre, le prix du péché, du nôtre, mais aus­si, de celui des autres. Oui, ce jour-​là, Bernadette a com­pris que la Croix était la répa­ra­tion, le seul remède au péché, au nôtre, mais aus­si à celui des autres.

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Bien chers pèle­rins, sommes-​nous venus à Lourdes pour entendre autre chose ? Aurions-​nous la fai­blesse de pen­ser que la Vierge, depuis, a chan­gé d’avis ? Quel que soit notre âge, notre condi­tion et nos dif­fi­cul­tés, la Vierge Marie est là pour nous encou­ra­ger à por­ter notre Croix, celles que nous venons aujourd’hui dépo­ser à ses pieds ; elle est là pour nous ras­su­rer et pour nous dire qu’en l’embrassant, cette croix, nous mar­chons dans la bonne direc­tion ; elle est là pour pous­ser, ceux qui hésitent encore, à la prendre à pleines mains et de bon gré. Parce que nous sommes pécheurs – nous rappelle-​t-​elle avec dou­ceur – nous devons payer le prix de nos péchés, de nos révoltes, et de notre infi­dé­li­té à Dieu. Souffrir chré­tien­ne­ment, n’est-ce pas sen­tir dans sa chair la grave sub­ver­sion du péché ? N’est-ce pas revivre au-​dedans de nous, le désordre qu’on a mis au-​dehors par notre péché ? Porter sa croix avec Jésus, n’est-ce pas assu­mer le péché qu’on a com­mis pour le détruire et le répa­rer ? Et quand bien même nous aurions consu­mé tout notre péché, com­ment ne porterions-​nous pas, dans notre corps et dans notre âme, avec Jésus en ago­nie, le péché du monde ? Oui, il n’y a pas de vie chré­tienne authen­tique, semble nous redire la Vierge imma­cu­lée de tout péché, il n’y a pas de vie chré­tienne authen­tique en dehors de la Croix de Jésus-​Christ ; en dehors donc de la recon­nais­sance du péché de l’homme.

Comprendre cela en pro­fon­deur, bien chers pèle­rins, c’est rece­voir la grâce de Lourdes ; c’est faire un pas de géant dans notre vie de foi ; mais c’est aus­si, j’ajouterai, s’établir fer­me­ment dans l’Eglise catho­lique et romaine ; s’enraciner dans sa Tradition bimil­lé­naire. Parce que la Croix de Jésus-​Christ, c’est le centre, c’est la source, c’est l’âme qui anime toute vie catho­lique authen­tique. N’est-il pas mani­feste que depuis l’ouverture au monde vou­lue expli­ci­te­ment par Vatican II et pro­mue sys­té­ma­ti­que­ment depuis lors, n’est-il pas mani­feste que la Croix de Jésus-​Christ a été éva­cuée peu à peu de la vie catho­lique, et que le péché, cor­ré­la­ti­ve­ment, a été pra­ti­que­ment nié ? On l’a dit et répé­té : la messe ré-​formée de 1969 a affai­bli et mis en sour­dine la Croix et le sacri­fice de Jésus-​Christ ; et depuis tout a sui­vi : la réunion inter­re­li­gieuse d’Assise, c’est la prière pour la paix dans le monde, mais en l’absence criante et blas­phé­ma­toire de la Croix du Golgotha ; le rela­ti­visme doc­tri­nal, et désor­mais la liqui­di­té assu­mée de la doc­trine, voire la liqui­da­tion de tout dis­cours doc­tri­nal, n’est-ce pas refu­ser que la Vérité de Dieu puisse cru­ci­fier l’intelligence humaine et réduire à l’obéissance la volon­té de l’homme ; quant au céli­bat sacer­do­tal, si cer­tains veulent le voir enta­mé, n’est-ce pas pour affai­blir la confi­gu­ra­tion spé­ciale du prêtre à Jésus-​Christ cru­ci­fié ; et la vio­la­tion de la sain­te­té du mariage, trop sou­vent bénie par les prêtres et désor­mais quasi-​autorisée par Rome, n’est-ce pas le refus de la Croix, plan­tée au cœur même de la rela­tion conju­gale ; la malé­dic­tion de Dieu sur Sodome et Gomorrhe, que cer­tains vou­draient chan­ger en béné­dic­tion, n’est-ce pas refu­ser que l’homme doive souf­frir dans sa chair pour suivre la loi de Dieu ? Avec saint Paul, il faut le redire en pleu­rant : beau­coup marchent en enne­mis de la Croix de Jésus-​Christ. Oui, la Croix a été éva­cuée peu à peu de la vie catho­lique, à la manière dont on fait sor­tir d’une église qu’on désa­cra­lise, la pierre et la croix de l’autel.

Comment, bien chers pèle­rins, pourrions-​nous res­ter fidèles à la Tradition de l’Eglise ; être de fidèles enfants de l’Eglise catho­lique et romaine, si nous ne sommes pas ani­més par ce qui fait l’âme, le cœur, la source de cette même Eglise, je veux dire : la Croix de Jésus-​Christ ; si nous n’acceptons pas, quand la Vierge nous le demande, de bai­ser la pous­sière de la terre ; de man­ger des herbes amères, de pas­ser pour fou aux yeux du monde.

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« Je ne vous pro­mets pas de vous rendre heu­reuse en ce monde », avait dit la Vierge à Bernadette. Comprenez : à la manière dont ce monde rend les gens super­fi­ciel­le­ment heu­reux. « Mais je vous pro­mets de vous rendre heu­reuse en l’autre monde » : celui de l’éternité, certes ; mais aus­si le nôtre – cet autre monde – quand il est vécu dans la foi et l’amour chré­tien. Sinon Bernadette n’aurait jamais pu dire trois ans avant de mou­rir : « je suis plus heu­reuse, malade, sur mon lit avec mon Christ qu’une reine sur son trône ». C’est sans doute, ulti­me­ment, bien chers pèle­rins, la plus belle chose que la Vierge, ici à Lourdes, puisse nous offrir : le bon­heur pro­fond au sein même de la souf­france ; la joie de la Croix.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

Pèlerinage international de la FSSPX à Lourdes

En la fête du Christ-Roi, dernier dimanche d'octobre (sauf exception)