Réflexions d’un missionnaire en Inde

C’était une petite fille de six ans, Charumathi. À en juger par la peur qui se lisait dans ses yeux, j’ai com­pris que quelque chose n’allait pas.

La jour­née a com­men­cé comme toutes les autres, mon esprit étant occu­pé par les détails de notre pro­chain pro­jet d’agrandissement. C’était une petite fille de six ans, Charumathi. À en juger par la peur qui se lisait dans ses yeux, j’ai com­pris que quelque chose n’allait pas. Elle me prit la main fer­me­ment et me fit signe de la suivre. “Charumathi… tout va bien ?” Ses yeux étaient rem­plis de peur. Elle posa un doigt sur ses lèvres et me dit : “Chut ! Suivez-moi.”

Nous attei­gnons le jar­din exté­rieur. Vingt-​cinq fillettes se tiennent debout en silence. Elles ne rient pas, ne parlent pas. Elles se tiennent sim­ple­ment là, fixant solen­nel­le­ment un grand buis­son avec beau­coup d’inquiétude. Je n’ai jamais vu un tel phé­no­mène chez nos filles, obser­vant sans mot dire ! “Que se passe-​t- il ?”, leur dis-​je à voix basse. L’une des plus jeunes (5 ans) du groupe me sai­sit la main avec crainte. Je la sou­lève et la prends dans mes bras. “Qu’est-ce qui ne va pas, Porkodi ?” Avec de grands yeux, elle bre­douille : “Père, un ser­pent !”. Je ris. Tout ce drame pour un petit serpent ?

Porkodi me fait signe de me taire, et je lui demande pour­quoi. “Si vous par­lez, Père, le ser­pent enten­dra et il s’enfuira.” Je lui demande alors com­ment le ser­pent pour­rait entendre ma voix, puisque les ser­pents n’ont pas d’oreilles. Mais com­pre­nant qu’il est inutile de rai­son­ner avec le Père, Porkodi redonne la même réponse : “Chut”. Je com­prends main­te­nant pour­quoi ce silence solen­nel. “Qu’est-ce que vous atten­dez ? Réglons son compte à ce pré­da­teur !” Les filles s’exclament à l’unisson : “Non ! Ne l’approchez pas. Il est vrai­ment, vrai­ment gros !” Je n’étais pas encore convain­cu. “Un mètre quatre-​vingt, Père ! Aussi grand que vous !”. “Et alors ?” “Mais, mon père, il pour­rait vous bles­ser…” et toutes aquies­cent à cette affir­ma­tion. Fixant le feuillage avec de grands yeux, j’espère aper­ce­voir le monstre d’un mètre quatre-​vingt. Alors que je regarde dans le buis­son, mes pen­sées com­mencent à vagabonder.

Il y a quelques semaines, j’étais assis avec le Père Demornex, l’économe du dis­trict. Nous regar­dions tous les deux un écran rem­pli de chiffres, tra­vaillant ensemble à l’examen de la comp­ta­bi­li­té, lorsque nous avons été inter­rom­pus d’une manière sem­blable par un hur­le­ment. L’un des gar­çons s’écriait : “Père ! Un ser­pent !” Habitué à ce genre de situa­tion, ma chaise bou­gea plus vite que celle du père Demornex. “Mon père, allons‑y”, ai-​je dit. Quelques minutes plus tard, nous étions sur les lieux. Les gar­çons avaient déjà ter­mi­né l’inquisition et com­men­cé l’exécution. Ils étaient bien armés. Le dan­ge­reux ser­pent, hélas ! n’avait aucune chance. Les gar­çons raf­folent de ces situa­tions. De la décou­verte à l’attaque, la mort du ser­pent a été rapide.

Le père m’a remer­cié – ain­si que les gar­çons – de lui avoir sau­vé la vie. Il avoua éga­le­ment avoir appré­cié la dis­trac­tion ! C’était tel­le­ment plus gra­ti­fiant que les feuilles de cal­cul Excel ! Nous sommes retour­nés aux ordi­na­teurs plus len­te­ment que nous ne les avions quit­tés. Peut-​être, me demandais-​je, le père Demornex se rappelle-​t-​il ses années afri­caines avec nostalgie ?

Soudain, je fus arra­ché à ma rêve­rie. La petite Porkodi tirait sur ma sou­tane : “Père, “Réveillez-​vous !” J’ai alors expri­mé mes pen­sées à haute voix : “Si les gar­çons étaient là, ce ser­pent serait déjà éli­mi­né.” Elle acquies­ça en silence. Le bataillon de chas­seurs de ser­pents (notre fidèle per­son­nel de cui­sine) ter­mi­na la tâche ingrate. Une fois l’intrus éli­mi­né, le babillage fémi­nin reprit son cours habi­tuel et nos fillettes se mirent toutes à par­ler, toutes en même temps, afin de par­ta­ger leurs impressions…

L’aventure ter­mi­née, je ne pus m’empêcher de pen­ser à ces pré­ten­dues “théo­ries du genre” venant de l’étranger. Les gar­çons seront tou­jours des gar­çons, et les filles des filles. La nature humaine vient de Dieu et aucun gou­ver­ne­ment ou pro­gramme médi­cal ne devrait alté­rer cette nature don­née par Dieu. La réac­tion des gar­çons et des filles face au ser­pent illustre leurs dif­fé­rences. Les unes sont effrayées et repous­sées, les autres exci­tés et prêts à l’attaque. Les gar­çons ont tué le ser­pent avant qu’il ne puisse bles­ser leur père, tan­dis que les filles n’ont pas per­mis à leur père de s’approcher du dan­ger. La réac­tion est dif­fé­rente, mais leur amour est le même inal­té­rable. Je suis sou­la­gé que ces enfants inno­cents dont nous avons la charge ne soient pas encore conta­mi­nés par la folie des “woke”. Ils vivent beau­coup plus près de cette nature que le bon Dieu a crée. Je remer­cie le Seigneur pour cette belle leçon.

Abbé Therasian Babu

Source : Apostle n° 60