Emeutes en Nouvelle-​Calédonie, un prêtre témoigne

Depuis le 13 mai, le pays est en état de guerre civile. Le prêtre des­ser­vant la cha­pelle de la Fraternité Saint-​Pie X à Nouméa, a cou­ra­geu­se­ment réus­si à se rendre auprès de ses fidèles et des nom­breuses âmes en peine.

Il est temps de vous don­ner quelques nou­velles de la Mission. Le pro­jet de loi sur le dégel du corps élec­to­ral n’est pas appré­cié des Kanaks (envi­ron 40% de la popu­la­tion). Un comi­té d’action a mobi­li­sé une par­tie de ceux-​ci pour se livrer à toute une série de des­truc­tions et para­ly­ser l’île. Le 13 mai, des cen­taines d’émeutiers se sont répan­dus essen­tiel­le­ment dans Nouméa et autour et ont bru­lé des dizaines de maga­sins, d’écoles, de com­merces, de bureaux et de mai­sons indi­vi­duelles. Du jour au len­de­main, le pays s’est retrou­vé en état de guerre civile. Heureusement ils n’ont pas pu détruire des centres névral­giques tels que les cen­trales élec­triques. Les sites les plus sen­sibles ont été pro­té­gés rapi­de­ment par les forces de l’ordre (y com­pris l’armée) : l’hôpital appe­lé Médipôle, l’aéroport, les casernes,… Un com­mis­sa­riat a cepen­dant été atta­qué. Des morts (enre­gis­trés ou non) sont venus cou­ron­nés leurs actions. Cette insur­rec­tion a pris tout le monde de court. Les maga­sins pillés, incen­diés ou tout sim­ple­ment fer­més, les gens ont dû se débrouiller avec leurs réserves per­son­nelles sou­vent très limi­tées. Il est deve­nu impos­sible de cir­cu­ler : l’un des pre­miers morts est un bébé dont la mère n’a pas pu accé­der au Médipôle pour accou­cher. Très rapi­de­ment les forces de l’ordre étant com­plè­te­ment sub­mer­gées, les gens se sont orga­ni­sés. Par quar­tier ou rési­dence, ils ont fabri­qué des bar­rières, des postes de contrôles et fil­tré les gens pour empê­cher les émeu­tiers de détruire leur mai­son ou leur tra­vail. Jour et nuit, des équipes de voi­sins se sont suc­cé­dées sur ces points de contrôle pour pro­té­ger leurs familles et leurs biens. Nos fidèles ont tous été concer­nés. La cha­pelle, heu­reu­se­ment située à l’entrée d’un lotis­se­ment, bien qu’un peu iso­lée n’a pas été van­da­li­sée. L’aéroport a été fer­mé immé­dia­te­ment. Le Père qui aurait dû venir fin mai n’a donc pas pu et j’ai essayé d’y aller dès que pos­sible mais tous les vols étaient annu­lés les uns après les autres. Et puis lun­di 10 juin dans l’après-midi, j’apprends qu’un vol AirCalin décol­le­ra mar­di matin d’Auckland. Je me dépêche d’acheter un billet mar­di matin à 6.30 de Wanganui à Auckland, je passe les consignes à l’abbé Stephens pour s’occuper des écoles et du prieu­ré et boucle mes bagages avec un gros sac de riz, des pâtes, du cho­co­lat et du café (den­rées deve­nues précieuses).

Après un vol sans his­toire (nous n’étions qu’une cen­taine dans l’avion), un père de famille vient me cher­cher à l’aéroport, com­plè­te­ment vide mais cer­né par les forces de l’ordre, avec la voi­ture de la Mission et me pro­pose de déjeu­ner chez eux avant de rejoindre la cha­pelle. Je découvre alors les routes jon­chées de débris, jalon­nées de car­casses cal­ci­nées de voi­tures et de ban­de­roles pro­cla­mant le res­pect pour les mar­tyrs de la cause kanak. Après avoir échan­gé mon café contre du pain (il n’y a plus de farine non plus), je quitte leur rési­dence. Malheureusement, alors que j’approche de Païta (la com­mune de la cha­pelle), je vois des gens s’a­gi­ter sur la route, des feux, de la fumée, des dra­peaux. Je reste à une dis­tance pru­dente mais après une heure d’attente, il faut se rendre à l’évidence : les forces de l’ordre ne vien­dront pas déga­ger ce bar­rage. Je suis contraint de faire demi-​tour et ayant infor­mé la famille où j’ai déjeu­né, ceux-​ci me pro­posent de res­ter pour la nuit. Ce que j’accepte volontiers.

Mercredi matin, je suis prêt à 6h pour suivre d’autres voi­tures de la rési­dence qui se rendent en convoi à Nouméa. On emprunte une autre route, bien plus longue mais déga­gée chaque matin par les forces de l’ordre : la fameuse RT 1. Et j’arrive enfin à la cha­pelle. Dieu mer­ci, elle est là, intacte. J’ouvre, je pré­pare la Messe et je m’installe au confes­sion­nal. En ce pre­mier jour, seule­ment 6 per­sonnes viennent. Après la Messe, dis­cus­sion avec ces cou­ra­geux parois­siens puis direc­tion un maga­sin qu’on m’a signa­lé comme ouvert et pas vide. Effectivement, on ne peut pas man­quer la file des gens qui font la queue pour entrer. Je prends place et patiente. On entre par groupe d’une dou­zaine dans une espèce d’épicerie où notre temps est chro­no­mé­tré mais les quan­ti­tés ne sont pas limi­tées. Sauvé ! Il y a du coca et même du jam­bon. J’achète de quoi tenir une semaine. Les gens sont rési­gnés mais rela­ti­ve­ment sereins, heu­reux de sor­tir de chez eux mais pres­sés d’y retour­ner. Il faut se dépê­cher de ren­trer avant qu’un bar­rage ne s’installe entre vous et votre mai­son. Je fais connais­sance de Manaté, le voi­sin immé­diat de la cha­pelle. Il y a aus­si une famille qui habite dans le lotis­se­ment qui vient à la Messe depuis quelque temps déjà.

Je passe ma pre­mière nuit tout seul à la cha­pelle. Malgré le couvre-​feu, quelques véhi­cules cir­culent en pro­vo­cant avec de la musique toni­truante. Parfois ils tirent aus­si quelques coups de feu. Je me dis que si les émeu­tiers choi­sissent de trans­for­mer la cha­pelle en bar­be­cue géant, je fini­rais comme Saint Laurent. Mais si Saint Joseph, le saint patron de la cha­pelle, l’a pro­té­gée jusque là, il n’y a pas de rai­son qu’il ne conti­nue pas : il n’est pas en grève, lui ! Et en effet, le jeu­di matin, la cha­pelle et moi sommes tou­jours là. Les fidèles sont plus nom­breux. Une dou­zaine. Puis encore plus ven­dre­di et same­di. Une famille très cou­ra­geuse vient de Plum, alors que la route vient à peine d’être réou­verte et qu’elle est la scène de vio­lences quo­ti­diennes, notam­ment de car­ja­cking soit par des voyous qui guettent le long de la route, soit par des « résis­tants à la colo­ni­sa­tion » qui tiennent les barrages.

Je pré­fère cir­cu­ler le matin mais les visites au centre de san­té où j’ai deux malades à voir ne sont auto­ri­sées que l’après-midi. Je décide donc d’y aller vers 13.30. C’est juste à côté du Médipôle. Je pré­pare soi­gneu­se­ment mon iti­né­raire pour évi­ter les axes les plus aléa­toires. Un ancien élève, aujourd’hui dans la gen­dar­me­rie et suf­fi­sam­ment bien pla­cé peut me don­ner les bons conseils. C’est bien triste de voir de grands bâti­ments com­plè­te­ment bru­lés tout autour de l’hôpital. Et le pire, c’est que les « com­bat­tants de la liber­té » s’affichent avec leurs dra­peaux, leur musique et paradent au milieu de ces ruines, fiers d’eux. Qu’est-ce qu’ils ima­ginent ? Même leurs anciens les enguir­landent : leurs propres mères n’ont plus de maga­sin pour ache­ter à man­ger. Ils se plaignent du chô­mage mais ont mis l’île à genoux éco­no­mi­que­ment. Les rues sont jon­chées de détri­tus. Entre les pillages, les mau­vaises habi­tudes et l’insécurité qui guette les ser­vices muni­ci­paux, la sale­té s’amoncelle. Je n’ai presque pas pris de pho­tos. Pas évident de se repé­rer, de conduire en évi­tant les obs­tacles sur les voies et de pho­to­gra­phier sans avoir l’air de pro­vo­quer ! Enfin, j’ai pu pas­ser sans heurt et appor­ter les secours de la reli­gion à ceux qui le deman­daient, dont un poli­cier quasi-​paralysé (au début une main seule­ment répon­dait, puis main­te­nant ses deux bras, mais pas encore le reste…) lors d’un exer­cice. Une belle âme, rési­gnée, forte, sereine dans l’adversité.

Le jour où les auto­ri­tés com­pren­dront qu’il n’y a pas d’ordre pos­sible en dehors du règne de Notre Seigneur, alors, et alors seule­ment on aura la paix.

Dimanche envi­ron les deux tiers des fidèles ont pu se rendre à la cha­pelle. Quelle joie pour eux de chan­ter la Messe, de se confes­ser, de com­mu­nier, de retrou­ver des amis, sur­tout pour nos petites vieilles bar­ri­ca­dées chez elles depuis un mois. C’est mar­quant de voir encore une fois la catho­li­ci­té de la Fraternité : des blancs, des noirs, des Wallisiens, des Kanaks, des Calédoniens ! Il y a de tout et on ne se tape pas des­sus ! Le jour où les auto­ri­tés com­pren­dront qu’il n’y a pas d’ordre pos­sible en dehors du règne de Notre Seigneur, alors, et alors seule­ment on aura la paix. Au cours de ce pas­sage, j’ai été ame­né par la Providence à ren­con­trer un large panel de gens. J’ai aidé des membres des forces de l’ordre, frus­trés, obli­gés de lut­ter contre la haine pour ces racailles qui pillent, détruisent ou blessent gra­ve­ment cer­tains de leurs col­lègues. Mais aus­si j’ai conso­lé des mères en larmes, priant jour et nuit pour leur fils infi­dèles, crai­gnant qu’on ne vienne leur annon­cer leur décès sur un bar­rage. J’ai même eu à faire à ces pauvres « jeunes » mani­pu­lés qui croient défendre une cause en cas­sant tout, et qui se rendent compte, fina­le­ment, qu’ils sont sur­tout des pécheurs. Je ne peux pas m’étendre sur les confes­sions mais depuis que je suis arri­vé, je n’ai jamais eu autant de confes­sions si sin­cères, si pro­fondes en si peu de temps. Un peu comme une pré­di­ca­tion de retraite, dont de belles conver­sions. Dieu se sert de tout. Il fait sor­tir le bien du mal : c’est la preuve de sa toute-puissance.

Je suis dans l’attente d’un vol retour. Le mien a été annu­lé mais on n’a pas beau­coup d’informations. Il faut vivre au jour le jour. Du coup les fidèles d’ici sont ravis. Moi, un peu moins : le tra­vail va s’amonceler sur mon bureau à mon retour à Wanganui. En atten­dant, je vous confie encore nos fidèles et notre pauvre île avec sa Mission et son prêtre.