Aux sources du Carmel : Editorial du numéro 10 d’octobre 2006



Billetin du Tiers-​Ordre séculier pour les pays de langue française

Editorial de Monsieur l’abbé Louis-​Paul Dubroeucq, aumônier des tertiaires de langue française 

Cher frère, Chère sœur, 

Le 9 novembre 1906, sour Elisabeth de la Trinité quit­tait ce monde pour entrer dans la Vie éter­nelle, cette vie à laquelle elle aspi­rait tant, qui est partici- pation plé­nière à la vie divine. « ]e vais à la lumière, à l’a­mour, à la vie », telles furent ses der­nières paroles pro­non­cées quelques jours avant de rendre sa belle âme à Dieu. 

Profondément tou­chée par un ver­set de FÉpître de saint Paul aux Éphésiens [I, l2], elle y avait trou­vé sa voca­tion de « louange de gloire, lau­dem glo­riae ». Pratiquant cet office, à pré­sent, pour l’é­ter­ni­té, elle nous invite éga­le­ment à nous y exer­cer ici-​bas, à être, nous aus­si, des louanges de gloire à la Sainte Trinité.

La connais­sance que Dieu a de lui-​même et de ses per­fec­tions infi­nies engendre la gloire divine interne. Et comme tout est un en Dieu, Dieu est sa Gloire, comme il est l’Être, la Vérité, l’Éternité. Il est la Gloire à l’ex­clu­sion de tout autre être, parce que seul il est le bien abso­lu et que seul il peut avoir de ce bien abso­lu une connais­sance par­faite qui entraîne une louange et un hon­neur adé­quats [st Thomas, com­men­taire de l’Épître aux Hébreux, ch 1, lect. 2]. Cependant c’est au Fils qui pro­cède du Père selon l” intel­li­gence que l’on rap­porte plus spé­cia­le­ment la gloire dans la Trinité. Il est « le rayon­ne­ment de la gloire du Père » [Heb. 1, 2]. Cette gloire interne de Dieu est iwces­saire : Dieu ne peut pas ne pas la vou­loir ni la cher­cher, puisque cette gloire c’est lui-​même, néces­sai­re­ment connu et aimé de lui-​même [st Thomas, la, q.l9/ a.3].

La gloire interne eût pu suf­fire à Dieu, car, comme Dieu, elle est infi­nie et on ne lui peut rien ajou­ter. Cependant, sans rien ajou­ter au bon­heur de Dieu, la gloire peut se mani­fes­ter à l’ex­té­rieur par des créa­tures qui rendent témoi­gnage à la bon­té du créa­teur. Cette gloire exté­rieure n’est pas abso­lu­ment néces­saire, la créa­tion étant un acte essen­tiel­le­ment libre. Mais puis­qu’il existe des créa­tures, celles-​ci ne peuvent pas ne pas être ordon­nées à la gloire exté­rieure de Dieu comme à leur fin der­nière [véri­té de foi défi­nie par Vatican I, sess. 3, can. 5. D.S. 3025]. Ainsi les créa­tures inin­tel­li­gentes glo­ri­fient Dieu en mani­fes­tant la bon­té et l’ex­cel­lence de Dieu au regard des créa­tures intel­li­gentes. Quant à celles-​ci, elles sont don­nées à la gloire exté­rieure for­melle de Dieu, parce qu’é­tant douées de rai­son, elles peuvent et doivent recon­naître la bon­té du créa­teur, reflé­tée dans les créa­tures, et en expri­mer à Dieu leur louange et leur gra­ti­tude [I Cor., 11, 7 ; cf. D.T.C., art. gloire].

« Ainsi la nature entière, sor­tie de la bon­té dif­fu­sive de Dieu, revient, par un inces­sant retour, vers cette même bon­té, pour la mani­fes­ter et la pro­cla­mer. La gloire de Dieu n’est pas autre chose nue cette mani­fes­ta­tion : elle s’ex­prime en ce mou­ve­ment essen­tiel à fond d’être, par lequel toute chose s’or­donne à Dieu : mou­ve­ment d’a­mour, chant de louange pro­vo­qué par l’Infinie Bonté, prin­cipe et terme de tout bien et de tout amour. » [R.P. Héris, Le Mystère du Christ, 1929, 1ère par­tie, ch. 1]. « Dieu dans nos bonnes actions, ne cherche pas son uti­li­té mais sa gloire qui est la mani­fes­ta­tion de sa bon­té ». [1a2ae,q.114, ad 2m].

Cette gloire de son Père, Notre-​Seigneur Jésus-​Christ l’a recher­chée tout au long de sa vie ici-​bas. A’âge de douze ans, nous le trou­vons dans le Temple, tot aux inté­rêts et à la gloire de son Père. Ce temple où il est appa­ru, sépa­ré de ses parents, pour être tout entier aux inté­rêts de son Père, nous repré­sente un autre temple. 

« Chacun de nous, dit Origène, s’il est bon et par­fait, appar­tient à Dieu et pos­sède en lui Jésus-​Christ : il est le vrai temple de Dieu. Jésus-​Christ a quit­té le temple de pierre ; « Votre mai­son sera lais­sée déserte » disait-​il. Il a le quit­té le temple de pierre pour venir en ces temples vivants qui sont répan­dus dans le monde entier ; et c’est dans ces temples qu’il fait entendre cette parole : » Ne faut-​il pas oue je sois aux inté­rêts de mon Père ? « » [Origène, Hom. 20 m Luc.]. 

Cette pas­sion de la gloire de Dieu, J ésus l’a allu­mée dans le cour de tous ceux qui lui ont appar­te­nu. Il met dans le cour de tous ceux qui sont à lui un amour très grand pour leurs parents, tendre et géné­reux . et cepen­dant il ne craint pas de leur deman­der, à cer­tains moments, de contris­ter le cour de leur père et de leur mère, pour les vouer à des inté­rêts plus hauts et mon­trer à tous la supé­rio­ri­té de ces intérêts.

Dans son dis­cours après la Cène, Jésus « levant les yeux au ciel […] dit : Père, [“heure est venue ; glo­ri­fiez voire Fils. » [.In ‑17, 1]. Quelle est- cette gloire qu’il demande ? Certains l’ont enten­due de sa Passion, de la gloire qu’il eut quand son Père le livra pour nous. 

« En effet, dit saint Jean Chrysostome, non seule­ment le Père,mais le Fils aus­si y trou­va la gloire dans les ver­tus qu’il i/​pra­ti­qua. » [Hom. 80, n.l], dans le don qu’il nous fit de lui-même. 

« Mais, dit saint Augustin, si sa Passion est déjà pour lui une gloire, com­bien plus la Résurrection ! Dans sa Passion c’est l’hu­mi­li­té qui appa­raît plu­tôt que la gloire, et. qui mérite la gloire ; et. à la Résurrection la gloire vient récom­pen­ser le mérite de l’hu­mi­li­té. Il dit donc à son Père : Voici l’heure, l’heure de semer, de semer l’hum­lia­tion, préparez-​en le fruit, pré­pa­rez la gloire. » [Trin. 104, in Joan. n3].

Il demande cette gloire parce qu’elle doit être bien­fai­sante au monde ; il la demande plus encore parce qu’elle doit rendre gloire à son Père.

« Père, glo­ri­fiez votre Fils, afin qu’aus­si votre Fils vous glo­ri­fie. » [Jn ‑17,1].

Et com­ment le Père peut-​il être glorifié ? 

« Nous com­pre­nons, dit saint Augustin, que celui qui avait été humi­lié dans sa forme d’es­clave ait été exal­té. Mais le Père n’a­vait subi aucune humi­lia­tion pareille, et sa gloi­rene pou­vait être ni dimi­nuée ni aug­men­tée en elle-​même. Oui, mais cette gloire pou­vait être aug­men­tée par­mi les hommes. Dieu avait moins de gloire quand il était connu seule­ment, en ]udée, que quand du levant au cou­chant les enfants louaient le nom du Seigneur. C’est par sa Résurrection que Jésus-​Clinst a don­né cette gloire à son Père. » [Tnn. 105, n‑l].

Et même, pouvait-​on dire que la Judée connais­sait Dieu ? Il se plai­gnait lui-​même qu’Israël ne le connût point. [Is. 1, 3]. Jésus veut faire connaître son Père dans le monde entier, dans sa gran­deur, dans sa sain­te­té, dans sa bon­té, dans sa sagesse ; il veut faire res­plen­dir par­tout la beau­té de son Père ; et il veut que ce rayon­ne­ment pro­voque par­tout la louange. 

Afin que votre Fils vous glo­ri­fie !

« II a, dit saint Hilaire, la cer­ti­tude de rendre à son Père une gloire égale a celle que le Père lui donne : cette demande de la gloire qui doit tour­ner à la gloire du Père, éta­blit qu’il y a en lui comme en son Père une ver­tu divine. » [Trin., L.3, n.l2].

Là sont éta­blies l’u­ni­té par­faite et la par­faite éga­li­té du Père et du Fils. 

« Le Père glo­ri­fie le Fils comme le Fils glo­ri­fie le Père. » [Bossuet, La Cène, 2ème paît., 33ème j].

Dès lors, il nous est per­mis de deman­der la gloire véri­table, la grâce dans la vie pré­sente, la béa­ti­tude dans l’autre. Jésus rend gloire à son Père et lui demande cette gloire pour lui-​même afin de conti­nuer l’ouvre qui lui a été confiée.

« Afin que comme vous lui avez don­né puis­sance sur toute chair, il donne à tous ceux aue vous lui avez don­nés la vie éter­nelle. » [Jn 17, 2]. 

« Sur toute chair », pre­nant de l’homme la par­tie la plus fra­gile, où la mort exer­çait ses ravages d’une façon plus mar­quée ; la rédemp­tion séten­dra jusque là. 

« Ce n’est plus seule­ment aux Juifs qu’il annon­ce­ra le salut : c’est à tous les hommes toute chair ver­ra le salut, de Dieu, comme l’an­non­çait le Prophète ; et alors Dieu sera vrai­ment glo­ri­fié. » [,st Jean Chrysostome, ibid..].

Il aimait à rap­pe­ler que cette misé­ri­corde pre­mière venait de lui.

« Personne ne peut venir à mon si mon Père qui m’a envoyé ne l’at­tire vers moi. » [Jn 6, 66]. 

Jésus veut don­ner au Père la gloire la plus grande : il veut, à ceux que le Père lui a don­nés, don­ner ce qu’il y a de plus grand, la vie éte­melle. Et la vie eter­nelle sera pour Dieu la plus grande gloire qui puisse lui être rendue.

« La vie éter­nelle consiste en ceci qu’ils vous connaissent, vous le seul vrai Dieu et celui nue vous avez envoyé Jésus-​Christ. » [Jn 5, 3]. 

Que Dieu soit connu, qu’il soit connu comme le seul vrai Dieu, qu’il soit connu dans sa sain­te­té, qu’il soit connu dans sa bon­té, comme ayant envoyé Jésus-​Christ pour rache­ter l’homme, pour l’a­dop­ter et le sanc­ti­fier, qu’il soit connu comme le Père de Jésus-​Christ, qu’il soit connu de cette connais­sance qui est pré­co­ni­sée dans l’Écriture, où le cour se réuni à l’es­prit pour connaître, de cette connais­sance qui est la pré­pa­ra­tion de la vie future, 

« quand nous connaî­trons Dieu tel qu’il est, et que la louange accom­pa­gne­ra cette connais­sance : alors ce sera la glo­ri­fi­ca­tion par­faite par­ceque la louange sera par­faite. Si on a défi­ni la gloire un grand renom accom­pa­gné de louange, et si on loue l’homme en s’en rap­por­tant à sa renom­mée, com­ment louera-​t-​on Dieu quand on le ver­ra en lui-​même ? » [St Augustin, Trin. 105 ; cf. RP Th. M. Thiriet, L’évangile médi­té avec les Pères, 1905].

« Comment imi­ter dans le ciel de mon âme cette occu­pa­tion inces­sante des bien­hen­reux dans le Ciel de la gloire ? Comment pour­suivre cette louange, cette ado­ra­tion inin­ter­rom­pues ? Saint Paul me donne une lumière là-​dessus lors­qu’il écrit aux siens que « le Père les for­ti­fie en puis­sance par son Esprit quant à l’homme inté-​rieur, en sorte que Jésus-​Christ habite par la foi en leurs cours et qu’ils soient enra­ci­nés et fon­dés en l’a­mour [Ephes. 3. 16–17]. » Etre enra­ci­né et fon­dé en l’a­mour : telle est, me semble-​t-​il, la condi­tion pour rem­plir digne­ment son office de lau­dem glo­riae. L âme qui pénètre et qui demeure en ces « pro­fon­deurs de Dieu » chan­tées parle roi- pro­phète, qui fait par consé­quent tout » en Lui, avec Lui, par Lui et pour Lui », avec cette lim­pi­di­té du regard qui lui donne une cer­taine res­sem­blance avec l’Etre simple – cette âme par cha­cun de ses mou­ve­ments, de ses aspi­ra­tions, comme par cha­cun de ses actes, quelques ordi­naires qu’ils soient, « s’en­ra­cine » plus pro­fon­dé­ment, en Celui qu’elle aime. Tout en elle rend hom­mage en Dieu trois fois saint : elle est pour ain­si dire un Sanctus per­pé­tuel, une louange de gloire inces­sante ! … » [bse Elisabeth de la Trinité, lDernière retraite, 8ème jour]. 

En renou­ve­lant bien sou­vent, au cours de nos jour­nées, l’of­frande de nous-​mêmes à la Très Sainte Trinité, unissons-​nous au sacri­fice par­fait de Notre-​Sauveur, renou­ve­lé sur nos autels, ne fai­sant qu’un avec Lui. Alors « par Lui, avec Lui, en Lui » est ren­du à Dieu Père Tout-​Puissant, dans l’u­ni­té du Saint-​Esprit, tout hon­neur et toute gloire.

« Faites chaque jour cin­quante offrandes de vous-​même à Dieu ; et faites-​les avec une grande fer­veur et un grand désir de pos­sé­der Dieu. »[Ste Thérèse d’Avila, Avis et pen­sées diverses, n. 30].

A Lourdes, la Très sainte Vierge réci­tait avec Bernadette le Gloria Patri. Que cette pen­sée nous accom­pagne sans cesse afin que toute notre vie soit une louange de gloire, un conti­nuel Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto en union avec notre bonne Mère du Ciel. 

+ Je vous bénis. 

Abbé L.-P. Dubrœucq +