Aux sources du Carmel : Editorial du numéro 9 de juillet 2006



Billetin du Tiers-​Ordre séculier pour les pays de langue française

Editorial de Monsieur l’abbé Louis-​Paul Dubroeucq, aumônier des tertiaires de langue française 

Cher frère, Chère sœur, 

« Mandavit illis uni­cuique de proxi­mo suo », « Dieu a recom­man­dé à cha­cun le soin de son pro­chain. » [Eccl., XVII, 12].

Citant ce pas­sage de la Sainte Écriture, le pape saint Pie X décla­rait, dans sa pre­mière ency­clique E supre­mi apos­to­la­tus :

« Ce ne sont pas seule­ment les hommes revê­tus du sacer­doce, mais tous les fidèles, sans excep­tion, qui doivent se dévouer aux inté­rêts de Dieu et des âmes. » 

Nous tou­chons là un sujet qui doit pré­oc­cu­per tout confir­mé et plus encore toute âme de ter­tiaire du Carmel : celui de l’a­pos­to­lat. Apostolat [du grec : j’en­voie } signi­fie mis­sion, envoi. L’apôtre est un envoyé. Quel est l’Apôtre par­fait ? C’est le Christ, l’en­voyé du Père, consti­tué prêtre et média­teur selon l’ordre de Melchisédec. Les apôtres ont été envoyés par le Christ : 

« Comme le Père m’a envoyé, moi aus­si je vous envoie. » [Jn, XX, 11]. « Allez, prê­chez l’é­van­gile à toute créa­ture. Celui qui croi­ra et sera bap­ti­sé, sera sau­vé ; celui qui ne croi­ra pas sera condam­né. » [Me, XVI, 15–16].

Remplis du Saint-​Esprit le jour de la Pentecôte, les apôtres se lan­cèrent à la conquête des âmes. Trois pou­voirs leur furent com­mu­ni­qués : le pou­voir de sanc­ti­fier, par l’ad­mi­nis­tra­tion des sacre­ments et par l’ad­mi­nis­tra­tion des divins Mystères ; le pou­voir d’en­sei­gner toutes les véri- tés et les pré­ceptes du Christ ; le pou­voir de gou­ver­ner les fidèles. Une mis­sion est éga­le­ment confiée, par l’Église, à tout chrétien : 

« Ce sont les sacre­ments du bap­tême et de la confir­ma­tion qui imposent entre autres obli­ga­tions celle de l’a­pos­to­lat, c’est-​à-​dire du secours spi­ri­tuel au pro­chain. […} Un membre doit aider l’autre. Aucun ne peut demeu­rer inac­tif ; cha­cun reçoit, cha­cun doit don­ner à son tour. » [Pie XI au patriarche de Lisbonne, 10 novembre 1933]. 

Dans une de ses homé­lies, saint Jean Chrysostome, qui a sou­vent, et avec vigueur, trai­té de cette matière, dit à ses diocésains :

« Entre autres devoirs, vous avez celui de vous dévouer pour le salut de vos frères, et de nous les ame­ner, en dépit de leur résis­tance, de leurs cris et de leurs plaintes. Leur oppo­si­tion et leur non­cha­lance sont la preuve que vous avez affaire à des enfants. À vous de chan­ger leurs dis­po­si­tions d’âme, si impar­faite et si misé­rable. C’est votre devoir de les per­sua­der à deve­nir enfin des hommes. » [ Hom. In illud -.Saulus adhuc spirans}. 

Saint Thomas d’Aquin résume ain­si l’a­pos­to­lat du baptisé : 

« Chacun a le devoir de com­mu­ni­quer sa foi à autrui, soit en ins­trui­sant et en confir­mant les autres fidèles, soit en repous­sant les assauts des infi­dèles. » [Somme théolo- gique, lia 11, q.III, art.2, ad 2]. 

L’importance de cette tâche est sou­li­gnée encore par le pape Pie XI dans les deux textes sui­vants où il montre qu’elle découle de la chan- té à l’é­gard du Christ-​Roi et de notre prochain : 

« Tous ont l’o­bli­ga­tion de col­la­bo­rer à l’ins­tau­ra­tion de la royau­té de Jésus-​Christ, puisque tous sont les très heu­reux sujets de ce Roi si doux ; pareils aux membres d’une même famille qui tous doivent se dévouer à ses inté- rêts. Se dis­pen­ser défaire quelque chose est un péché d’o­mis­sion, qui, en cer­taines circons- tances, pour­rait deve­nir très grave. Tous doivent donc agir, et pour tous il y a place et conve­nance. » [Pie XI, Discours aux direc­teurs de l’Apostolat de la Prière, 29 sep­tembre 1927.]. « L’apostolat n’est pas autre chose que l’exer­cice de la cha­ri­té chré­tienne, qui oblige tous les hommes. » [Pie XI, Lettre à l’Épiscopat argen­tin, sur l’Action catho­lique, 4février 1931]. 

Cette phrase du Souverain Pontife indique une rai­son intrin­sèque, la plus forte, qui com- mande le devoir de l’a­pos­to­lat, celle que nous retrou­vons au n° 72 de la Règle qui invite le ter­tiaire qui en est apte à se dévouer au œuvres de zèle ; 

« Ils répon­dront ain­si com­plè­te­ment aux vues de la Sainte Église, non moins qu’à l’es­prit de la Règle Carmélitaine, qui s’ins­pire du double amour de Dieu et du prochain. » 

C’est pour­quoi

« l’Ordre engage les Tertiaires à déve­lop­per en eux l’es­prit apos­to­lique. Ils ne se conter feront pas de prê­cher d’exemple, de pra­ti­quer la cha­ri­té dans leurs rap­ports mutuels et à l’é­gard des malades ; s’ils sont aptes aux.ouvres de zèle, ils y consa­cre­ront le mieux de leur acti­vi­té. […} Que leur apos­to­lat consiste sur­tout à entraî­ner les âmes qui vivent dans leur rayon­ne­ment vers une pié­té plus inté­rieure et toute mariale. » [Mémento des ter­tiaires du Carmel, Bruxelles, 19491. 

Mais quelles sont les armes de cet apos­to­lat marial ? Elles sont bien résu­mées, avec leur degré d’im­por­tance, par ce grand apôtre de la croi­sade eucha­ris­tique, le bien­heu­reux Edouard Poppe : 

« Agir c’est bien ; prier vaut mieux ; souf­frir est le meilleur. » 

Apostolat du zèle exté­rieur, de la prière, du sacri­fice. Et le bien­heu­reux E. Poppe d’in­sis­ter aus­si sur la dona­tion de soi-​même à Marie, média­trice et dis­pen­sa­trice de toutes grâces : 

« Cette offrande à Marie est pour moi la source de toutes les grâces de mon apos­to­lat. J’ai conclu un accord avec Elle : qu’Elle me fasse en échange de ma dona­tion, vivre jus­qu’à ce que j’aie fait tout le bien que Dieu attend de moi. Et Elle le fera, sachez-​le bien ! » [ P. Martial Lekeux, o.f.m.. Le secret de l’a­pos­to­lat dans la vie de l’ab­bé Edouard Poppe, DDE, 1949].

Si Jésus-​Christ est le fon­da­teur de l’a­pos­to­lat, c’est au Saint-​Esprit qu’a été confié le rôle de le per­fec­tion­ner, de l’a­che­ver dans l’a­mour. C’est après l’a­voir reçu que les apôtres ont com­men­cé leur mis­sion. Mais pour s’y pré­pa­rer ils avaient per­sé­vè­ré dans la prière avec Marie, Mère de Jésus. La prière de Notre-​Dame aida puis­sam­ment les apôtres à rece­voir cette plé­ni­tude de pou­voir apos­to­lique qui allait éton­ner le monde et mul­ti­plier les conver­sions avec une mer­veilleuse rapi­di­té. Ce que Marie a fait pour les pre­miers apôtres. Elle est appe­lée à le faire pour tout chré­tien. Si nous agis­sons par Elle, nous obtien­drons la spé­ciale assis­tance du Saint-​Esprit et toutes les grâces néces­saires pour assu­rer la fécon­di­té de l’apostolat.

« Quand le Saint-​Esprit a trou­vé Marie dans une âme, il y vole, il y entre plei­ne­ment, il se com­mu­nique à cette âme abon­dam­ment, et autant qu “elle donne place à son Épouse. Et une des grandes rai­sons pour­quoi le Saint-​Esprit ne fait pas main­te­nant des mer­veilles écla­tantes dans les âmes, c’est qu’il n’y trouve pas une assez grande union avec sa fidèle et indis­so­luble Épouse. » [saint Louis-​Marie Grignion de Montfort, Traité de la vraie dévo­tion, n°32].

Un ter­tiaire de l’Ordre de la Vierge doit se faire une gloire de révé­ler sa Mère ; c’est là le grand moyen d’a­pos­to­lat, car Marie est la voie directe qui conduit à la connaissan- ce et à l’i­mi­ta­tion de Jésus. 

« Il n’est route ni plus sûre ni plus rapide que Marie pour unir les hommes à Jésus-​Christ. » [saint Pie X, Ad diem ïllum, 2 février 1904]. 

Elle nous ensei­gne­ra à être apôtre et à nous sanc­ti­fier dans l’ac­com­plis­se­ment de nos tâches quotidiennes : 

« Chaque chré­tien porte, pourrions-​nous dire, une mis­sion ordi­naire d’a­pos­to­lat dans sa grâce elle-​même : notre fonc­tion dans l’Église, d’une façon habi­tuelle, est consti­tuée par nos devoirs d’é­tat. » [R.P. Marie-​Eugène de l’Enfant-​Jésus, Au souffle de l’Esprit, Éd. du Carmel, 1990, p.333.].

Une vie édi­fiante est un ser­mon prê­ché, com­pris par tous. La Règle nous l’enseigne ; 

« Ils s’ef­for­ce­ront dans leurs foyers d’être tou­jours chari- tables, patients et doux, comme aus­si de bien rem­plir tous leurs devoirs ; par là ils feront aimer la reli­gion et la ver­tu. » [cha­pitre 13, n° 59 ; voir aus­si : 15, n° 70 à 72 et 16, n° 73 à 75]. 

Efforçons-​nous donc de tendre à la per­fec­tion de toutes ces ver­tus en les infor­mant par la cha­ri­té, ver­tu sur­na­tu­relle qui donne la valeur à tous nos actes. Sainte Thérèse de l’Enfant-​Jésus com­prit que la voca­tion d’ai­mer, dans l’Église, ren­fer­mait toutes les vocations : 

« Dans le cour de l’Église je serai l’a­mour ! …Ainsi je serai tout ». 

Toutes ses actions, toutes ses prières, toutes ses souf­frances Sotites par un cour brû­lant de cha­ri­té pour Dieu et pour les âmes. Mue par le Saint-​Esprit, elle est iden­ti­fiée à Jésus-​Christ, glo­ri­fiant Dieu par toute sa vie, Priant errant avec Jésus-​Christ pour le salut des âmes. La Bienheureuse Elisabeth de la Trinité veut être « comme une huma­ni­té de sur­croît du verbe en laquelle Il renou­velle tout son mys­tère », c’est-​à-​dire « qu’II puisse per­pé­trer en [elle] sa vie de répa­ra­tion, de sacri­fice, de louange et d’a­do­ra­tion ».

Soyons heu­reux de réci­ter l’Office de la Très Sainte Vierge, qui bien que plus modeste que le grand Office, nous fait chan­ter les louanges divines en hono­rant notre Reine. Mettons toute notre âme à bien le réci­ter. C’est notre apos­to­lat de la prière, auquel s’a­joutent l’o­rai­son et le cha­pe­let ain­si que la prière par excel­lence, le Saint Sacrifice de la Messe. Pie XI n’hé­si­tait pas à affirmer :

« La prière est réel­le­ment le plus effi­cace, le plus puis­sant et en même temps le plus facile des apos­to­lats. C’est le moyen des moyens, ensei­gné par Nôtre-​Seigneur pour tout obtenir. »

Et Pie XII, dans l’en­cy­clique Mystici Corporis, du 29 juin 1943, attri­buait au manque de prières apos­to­liques, le peu de pro­grès dans la conver­sion des païens : 

« Si beau­coup, hélas, errent encore loin de la véri­té catho­lique et ne veulent pas céder au souffle de la grâce divine, la rai­son en est que non seule­ment eux-​mêmes, mais les chré­tiens éga­le­ment, n “adressent pas à Dieu, à cette fin, des prières plus ferventes. »

Mais pour obte­nir de Dieu la grâce, il est un moyen plus sûr encore : c’est de Lui don­ner. C’est de nous don­ner nous-​mêmes, et par-​dessus tout par cette obla­tion par­faite qui est le sacri­fice. Par là nous sommes direc­te­ment asso­ciés à la Passion rédemp­trice, nous col­la­bo­rons avec Notre-​Seigneur à sa grande Ouvre de salut. 

« Ne trouverais-​tu pas du cou­rage, demande à une amie Consummata [A. de Creuser], à pen­ser que telle prière, tel sacri­fice, tel effort peut déci­der du salut d’une âme actuel­le­ment en sus­pens entre Dieu et le démon ? » [in Vie]. 

Si nous com­pre­nons la fécon­di­té de la croix, comme sainte Thérèse de l’Enfant-​Jésus, nous l’ac­cueille­rons avec action de grâces : 

« Jésus m’ayant fait com­prendre qu’il me don­ne­rait des âmes par la croix, plus je ren­contre de croix, plus mon attrait pour la souf­france augmente. » 

Frère René-​François de la Sainte Face, qui vient de nous quit­ter, m’é­cri­vait il y a eu deux ans, le jour des Rameaux : 

« Je demande à Notre-​Seigneur de me don­ner le cou­rage et la force de sup­por­ter ces maux avec joie, car comme le disait sainte Thérèse de l’Enfant-​Jésus : « L »unique bon­heur sur terre, c’est de s’ap­pli­quer à tou­jours trou­ver déli­cieuse la part que Jésus vous donne. « »

Et, le 7 novembre 2004 : 

« J’accepte tout cela en pen­sant que j’a­joute ma petite pierre au sau­ve­tage des âmes. » 

C’est ain­si qu’il s’ef­for­çait de pra­ti­quer cet apos­to­lat de la souf­france. Ne tar­dons pas à offrir, pour le repos de son âme, messes et communions.

Le 19 août 1917, à Fatima, en la fête de saint Jean Eudes, le pre­mier grand apôtre de la dévo­tion au Cour Immaculé de Marie, la Très Sainte Vierge après avoir deman­dé aux enfants de conti­nuer à « réci­ter le cha­pe­let tous les jours », leur annon­ça un grand miracle pour octobre… Enfin, Elle prit alors un air triste et ajouta : 

« Priez, priez beau­coup et faites des sacri­fices pour les pécheurs. Car il y a beau­coup d’âmes aui vont en enfer parce qu’il n’y a per­sonne pour se sacri­fier et prier pour elles. » 

« Mandavit illis uni­cuif­jue de proxi­mo suo, Dieu a recom­man­dé à cha­cun le soin de son prochain. » 

Cour Immaculé de Marie, donnez-​nous une âme d’apôtre. 

+ Je vous bénis. 

Abbé L.-P. Dubrœucq +