Cher frère. Chère sœur,
Dans la continuité du bulletin précédent où nous parlions de l’esprit de sacrifice et du renoncement, nous avons pris pour thèmes de celui-ci l’oubli et le don de soi. Pour parvenir à aimer Dieu parfaitement, il ne suffit pas de détacher son cour des créatures, il faut encore le détacher entièrement de soi-même : il faut cesser de regarder et de rechercher ses intérêts propres, en un mot il faut savoir s’oublier pour ne plus s’occuper que des intérêts et du bon plaisir de Dieu. Le pur amour de Dieu est complètement désintéressé, il exclut tout sentiment de recherche personnelle. Aussi est-il incompatible avec l’amour-propre, cet amour désordonné de soi-même ou égoïsme qui est à la racine des sept péchés capitaux qui nous empêche d’aimer Dieu par-dessus tout et nous porte à nous détourner de Lui.
«]e ne suis pas une égoïste, confiait sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus deux mois avant de mourir ; c’est le Bon Dieu que j’aime, ce n’est pas moi. »
En toute simplicité et sincérité, sainte Thérèse révèle à la fois les dispositions intimes qui l’ont animée tout au long de sa vie et la voie royale qui conduit au pur amour de Dieu.
« C’est le Bon Dieu que j’aime. »
Son bonheur ici-bas était de Le réjouir, de Le contenter, de Lui faire plaisir, de tout faire par amour pour Lui. Et pour y parvenir, elle choisit la voie royale du désintéressement, de la désappropriation, de la désoccupation, de l’oubli d’elle-même.
Dans son billet de profession, écrit le 8 septembre 1890, elle s’adresse ainsi à l’Epoux divin :
« Fais que je ne sois jamais à charge à la communauté mais que personne ne s’occupe de moi, que je sois regardée foulée aux pieds, oubliée comme un petit grain de sable à toi, Jésus. »
A sa sœur Agnès de Jésus elle écrivait le 4 mai 1890, usant de la même comparaison :
« Oh ! comme il [ce grain de sable, i.e. elle-même] désire d’être réduit à rien, d’être inconnu de toutes les créatures, pauvre petit, il ne désire plus rien rien que l’OUBLI…, non pas les mépris, les injures, ce serait trop glorieux pour un gram de sable… Oui je désire d’être oubliée, et non seulement des créatures mais aussi de moi-même, je voudrais être tellement réduite au néant que je n’aie aucun désir… La gloire de Jésus ; voilà tout ; pour la mienne, je la lui abandonne, et s’il semble m oublier, eh bien ! il est libre puisque je ne suis plus à moi, mais à lui…»
Le regard de Jésus lui suffit :
« Tachant de me faire oublier, je ne voudrais d’autre regard que celui de Jésus… Qu” importe si je parais pauvre et dénuée de talents… ]e veux mettre en pratique ce conseil de l” Imitation Ll ch 2 v 14, « Voulez-vous apprendre quelque chose qui vous serve : Aimez à être ignoré et compté pour rien ! » En pensant tout cela j’ai senti une grande paix en mon âme, j’ai senti que c” était la “vérité et la paix ! » (à sa sœur Léonie, 28 avril 1895).
C’est la science fondamentale traitée tout au long de ce chapitre 2 de L’Imitation. Cette vraie science qui deviendra Sagesse et prudence, a pour fondement une triple connaissance : celle de notre ignorance, de notre profonde misère et de notre faiblesse. Elle facilite la pratique de la charité fraternelle nous conduisant à
« Ne faire aucun cas de soi et avoir des autres des sentiments favorables et élevés » (Imitation, L 1 ch 2/vl6).
L’amour désintéressé n’agit pas en vue de la récompense. A l’office de sexte, c’est bien à contre cour que sainte Thérèse prononce ce verset du psaume 118
« Inclinavi cor meum ad faciendas justificationes tuas in aeternum, propter retributionem (J’ai incliné mon cour à la pratique de vos commandements, à cause de la recompense). « Intérieurement je m’empresse de dire : 0 mon Jésus, vous savez bien que ce n’est pas pour la récompense que je vous sers ; mais uniquement parce que je vous aime et pour sauver des âmes. »
Elle se réjouit de ses aridités bien loin de s’en affliger,
» heureuse de suivre son Fiancé pour Lui seul et non à cause de ses dons. Lui seul, il est si beau ! si ravissant ! même quand il se cache ! »
Quelle est donc la raison de ce désintéressement ? Elle nous est donnée dans ce mot échappé de son cour :
« C’est à nous de consoler Jésus ; ce n’est pas à Lui de nous consoler » (Conseils et Souvenirs)
Le propre de l’amour étant de s’oublier pour celui que l’on aime, plus on s’oublie et plus on aime. Sainte Thérèse d’Avila l’entendait ainsi quand elle définissait la perfection
« l’état d’une âme entièrement désoccupée d’elle-même et n’ayant plus de pensées et de désirs que pour les intérêts de la gloire de Dieu. »
Une âme humble, dans la mesure où elle est humble, se perd de vue, s’oublie, et, au lieu de disperser ses préoccupations et ses pensées, elle les concentre toutes sur son Bien-Aimé.
Telles étaient les dispositions de la Très Sainte Vierge Marie tout spécialement au pied de la Croix où l’Église nous invite à nous tenir avec Elle dans la prière du Stabat :
« Juxta Crucem tecum stare et me tibi sociare in planctu desidero » (Je veux avec Vous me tenir près de la Croix et m’unir à Vous dans Vos larmes).
Qu’Elle daigne nous les obtenir par les mérites de Son Divin Fils.
+ Je vous bénis.
Abbé L.-P. Dubroeucq +