Suresnes, le 09 avril 2009
Quelquefois, par une grâce insigne de Dieu, les voix des créatures se trouvent en nous réduites au silence. Commençant alors à passer en revue les années vécues sur cette terre, nous n’avons besoin que de bien peu de temps, à la faveur d’un recueillement si privilégié, pour prendre conscience de la vacuité de notre vie : comment ne pas gémir sur ces années vides et échevelées, désormais enfuies ? Il nous apparaît, à l’évidence, que l’existence ne nous avait pas été donnée par Dieu pour courir après les vanités et les plaisirs de cette terre. « A quoi servirait-il en effet à l’homme de gagner l’univers s’il venait à perdre son âme ? »
Ayant échappé à la sarabande de ses passions et des sollicitations, notre âme se tient immobile devant Dieu ; comme tout devient aussitôt limpide devant nos yeux ! En un instant, le regard de foi que nous portons suffit à nous manifester une immense contradiction entre la vie parfaite dont le Seigneur Jésus-Christ nous a donné l’exemple et nos pauvres existences si mesquines, égarées bien loin des voies évangéliques ouvertes par notre divin Maître. Comme la vie des hommes, lorsqu’elle s’écoule loin de Lui, est vaine et absurde ! Qu’emporteront ceux-là, à l’heure de leur mort, de toutes les choses qui sur terre auront tant accaparé leur esprit ?
Si l’âme persiste bien sérieusement à demeurer dans ce petit moment de grâce, quelles lumières s’allument en elle ! Quelles nouvelles perspectives se dessinent pour son existence ! Allons ! Il est grand temps de cesser de s’abuser soi-même ; il est urgent de ne vouloir plus composer avec ce maudit esprit du monde qui nous rive à une incorrigible médiocrité. Savoir la vie de Jésus-Christ si pure de tout alliage aurait dû suffire, hélas, à nous détourner à tout jamais d’en convoiter le moindre pour notre vie. Instruits de tout ce qu’Il a fait pour nous, jusqu’à verser son sang pour notre Salut, comment avons-nous pu rester jusqu’ici dans notre indifférence ? Comment pouvons-nous encore balancer et toujours rechercher une vie partagée entre son esprit et celui du monde ?
Nous n’avons certes pas été créés pour vivre divisés au-dedans de nous-mêmes. Nous ne sommes pas faits pour mener une existence indéfiniment tiraillée entre la vie évangélique et la vie mondaine. Nous sommes appelés au seul choix tout pur et tout brûlant de l’imitation de la vie du Fils de Dieu. Comme les apôtres, c’est à rien de moins qu’à devenir les amis intimes de Notre Seigneur Jésus-Christ que nous nous trouvons conviés. Il ne tient qu’à nous de partager sa vie et ses peines et ses joies, de nous enivrer de sa présence, infiniment fiers et heureux d’avoir été rachetés par Lui pour ne plus vivre que de Lui et auprès de Lui.
En vérité, il n’est d’existence digne d’être vécue que celle de ce compagnonnage et de ce nomadisme avec le Fils de Dieu. Que ce soit sur les routes de la Palestine ou sur les sentiers de nos vies, allons bon train vers notre Dieu et vers notre éternité ! Nous nous demandons seulement comment nous avons pu, ô folie, bouder si longtemps cette vie de Dieu déversée par son amour, à bouillons infinis, en nos cœurs dilatés.
Mais voici qu’en nous-mêmes, montent les gémissements de notre sensibilité toute craintive à l’idée de se laisser sevrer. Sans doute, quoi de plus aimable et de plus désirable que cette union de notre âme avec le Fils de Dieu ? Mais combien elle apparaît, à nos yeux, plus ardue et plus aride à pratiquer qu’elle ne le fut pour la génération de ceux qui le côtoyèrent il y a deux millénaires ! Eux l’ont vu, l’ont entendu et, au quotidien, ont vécu à ses côtés. Mais nous ? Nous voilà réduits à devoir aimer une personne que nos yeux n’ont jamais vue, que nos oreilles n’ont jamais entendue et dont la vie ne nous est narrée que par quatre vieux récits venus du fond des âges. Oui, nous avons foi en lui et nous espérons par-dessus tout que nous le verrons un jour face à face. Mais, en attendant cette béatitude, il nous faut bien avouer notre difficulté, en cette foi toute pure, à découvrir cette vie d’union à Dieu, à y persévérer et à vouloir ne plus vivre que d’elle. Nous comprenons combien il est juste et désirable d’aimer Notre Seigneur Jésus-Christ, de l’aimer infiniment plus que tout ce qui nous est le plus cher et de ne plus aimer que Lui ou qu’en Lui. Mais, en même temps, nous mesurons comme nos cœurs demeurent toujours appesantis et incapables…
Cependant, ne nous décourageons pas, refusons-nous de délaisser ce chemin intérieur dont nous avons pressenti l’inégalable grandeur. Notre divin Sauveur est bien trop bon pour avoir placé dans nos âmes un tel désir de le rejoindre et nous priver ensuite de la faculté de le trouver. Sa grâce invincible est là pour nous acheminer vers Lui à travers les obscurités de ce monde. Elle travaille à convaincre notre sensibilité, si naturellement impatiente, de céder le pas à notre esprit, seul apte, de par sa nature spirituelle, à s’ouvrir à Dieu, à ce Dieu qui est Esprit Pur. Forte et suave, la grâce s’écoule en nous-mêmes pour nous infuser une connaissance et un amour du Fils de Dieu que nous ne savions pas. Là où nos sens se trouvent désemparés et rebutés, notre esprit se trouve amené à découvrir les profondeurs inconnues de l’Evangile, les beautés insondables de la vie de ce Dieu venu habiter parmi nous comme n’importe lequel d’entre nous. Quant à notre sensibilité, qu’elle soit patiente : elle se trouvera bien souvent payée de retour et consolée de s’être ainsi soumise au primat de l’esprit.
Il est donc bien vrai que, nous autres de la terre qui vivons de la foi, nous sommes appelés à vivre cette existence superbe de compagnons de Jésus-Christ, et de la vivre pas moins intensément que les apôtres. Nous n’avons d’ailleurs commencé à mesurer cet apanage infini de notre liberté qu’en prenant conscience que chacun de nos instants nous offrait cette espérance inouïe de nous avancer toujours davantage à la rencontre de notre Dieu d’amour. La vie de la très sainte Vierge Marie nous est ce modèle et nous émerveille en ceci que, tout entière, elle l’a justement passée à voler de cime en cime, ou à s’enfoncer en des océans toujours nouveaux qui se déversaient en son âme pour l’ouvrir à toujours plus d’amour !
Compagnons de Jésus-Christ ! Qui donc a trouvé meilleure manière de vivre sur la terre que de s’élancer sur la voie royale inaugurée par Lui ? Qui a fait aux hommes une meilleure proposition que celle de passer leur existence dans l’amitié du Fils de Dieu ? Compagnons de Jésus-Christ ! Tout misérables il est vrai ; mais qu’importe en réalité ? De cette misère, nous n’avons qu’à nous glorifier si nous lui devons d’être ainsi choisis de Dieu et choyés par lui ! Nous en arriverions à nous y complaire puisque c’est elle qui nous vaut d’accéder à une telle intimité divine. Notre destinée ? Personne n’en avait jamais imaginé de meilleure que celle révélée par notre divin Sauveur : nous vivons quelque temps sur cette terre, le temps de découvrir, dans un ravissement, que nous sommes infiniment aimés de Dieu et que nous sommes attendus pour vivre dès ici-bas, avec Lui, une existence d’une indépassable beauté. Nous sommes ensuite conviés pour l’éternité, si nous sommes trouvés fidèles, à contempler face à face celui-là seul pour qui nos cœurs auront battu, que nous avons commencé à tant aimer et dont nous avons l’intime certitude qu’Il nous comblera parfaitement, dans son Paradis.
C’est pourquoi les prêtres que nous sommes n’avons pas de plus ardent désir, si Notre Seigneur daigne se servir de nous comme de ses instruments, que de prendre les âmes par la main et de les amener jusqu’à cet endroit où, stupéfaites et radieuses, elles découvriront par elles-mêmes qu’il n’est de vie véritable qu’intérieure, vécue au-dedans de soi-même, là où les trois Personnes divines ont établi leur demeure. Nous n’avons pas de plus grand bonheur, dans nos vies sacerdotales, que de remplir ce rôle de bergers des âmes pour les mener sur les chemins de transhumance où l’on respire déjà les parfums du Ciel, lesquels nous font encore presser le pas, impatients d’arriver à notre seule maison.
Et c’est pour que toute cette belle vie chrétienne continue, pour que se produise encore ce splendide épanouissement des âmes qui nous émerveille et nous émeut, pour que Jésus-Christ puisse encore être connu et aimé de ses enfants, que nous nous sommes battus et que nous nous battrons tant qu’il le faudra. Nous ne pourrons jamais nous résigner à voir les âmes privées de ces bonheurs si profonds et si intenses de la vie de Dieu, seuls capables de combler leurs cœurs. Comment ne pas se révolter de leur subtilisation lorsque les hommes ne cessent de ployer davantage sous le poids de leurs peines et de leurs péchés ?
C’est pourquoi nous ne pouvions que farouchement nous opposer à l’immense confusion abattue sur les esprits depuis le Concile Vatican II, à cette nouvelle défiguration de Notre Seigneur Jésus-Christ perpétrée par un autre Sanhédrin. Comment les âmes pourront-elles désormais reconnaître Notre Seigneur Jésus-Christ sciemment rendu méconnaissable pour qu’elles ne puissent justement plus le reconnaître ? Elles ne peuvent que se détourner avec dédain de ce Christ fabriqué, résultat d’un honteux compromis entre « l’église conciliaire » et le monde. Et, si les âmes ne peuvent plus trouver Notre Seigneur parce qu’Il a été rendu méconnaissable et introuvable, elles se trouvent alors être les victimes du vol le plus inouï que l’on puisse concevoir : le vol de Dieu.
Nous ne pouvons l’accepter, tant pour l’honneur de Notre Seigneur Jésus-Christ que pour la vie et le bonheur des âmes. L’on ne doit pas nous reprocher notre détermination à nous battre encore pour ces seules causes qui vaillent d’user sa vie. Il y va du salut de tant de pauvres âmes égarées, empoisonnées, conduites par des mercenaires sur des chemins de perdition. Comment revenir dans la paix et dans une trompeuse légalité canonique tant que les âmes se trouvent injustement dépouillées de ces trésors de la vie divine dont le Bon Dieu voulait les combler dès cette terre et qui leur procurerait un tel bonheur si elles pouvaient le connaître ?
Comment ne résisterions-nous pas à cette hiérarchie majoritairement responsable de ce gigantesque charnier des âmes ? Ce n’est pas pour le plaisir de nous battre que nous nous battons mais parce que nous avons compris, après l’exemple reçu de Monseigneur Lefebvre, que ce nous était un devoir de le faire en raison de l’état de nécessité évident où se trouvent réduites les âmes. Nous demandons simplement de mesurer l’honneur et la grâce d’être de cette Fraternité, mystérieusement voulue par Dieu pour ce seul combat du maintien et de la confession de la Foi à la face de l’Eglise.
Avec la grâce de Dieu, nous continuerons à ne regarder ni à gauche ni à droite. Nous ne voulons vivre que le cœur et les yeux fixés sur Notre Seigneur Jésus-Christ et sur la sainte Eglise Catholique pour être sûrs de ne pas nous tromper, seulement avides de convertir les âmes et, en conséquence, de porter des coups à tous ceux qui, par l’obscurcissement de l’Evangile, cherchent à les en éloigner.
Et si pour notre foi, pour ce grand combat de la foi, pour la confession de la foi elle-même, viennent à poindre des temps plus durs et plus violents, donnez-nous la grâce, ô Notre Seigneur Jésus-Christ, de nous garder dans la fidélité, jusqu’à verser notre sang s’il le fallait. Demandons cette grâce les uns pour les autres. Demandons-la par l’intermédiaire du Cœur Douloureux et Immaculé de la très sainte Vierge Marie en qui nous puisons toutes nos forces, toute notre assurance et toutes nos espérances et à qui nous nous confions.
Abbé Régis de Cacqueray ‚
Supérieur du District de France.
Suresnes, le 09 avril 2009