Editorial du 5 mai 2010 – L’impasse du dialogue religieux

L’impasse du dialogue religieux

Est-​ce qu’un dia­logue reli­gieux était pos­sible avec Jésus ?

Pourquoi poser une telle ques­tion ? La réponse semble évi­dente pour tous : Jésus a par­lé avec les uns et les autres, avec les apôtres, avec la Samaritaine, avec Marie- Madeleine, il a écou­té ce qu’un cha­cun vou­lait lui dire et il a répon­du quand c’était bon qu’il réponde ( avec Pilate), sinon il a gar­dé le silence ( avec Hérode il n’a pas dit un mot). Donc en géné­ral il a dia­lo­gué, c’est clair.

Pourtant il est impor­tant de véri­fier davan­tage et de réflé­chir de plus près à la ques­tion posée et d’apporter des preuves notam­ment par les évangiles.

En fait, il ne s’agit pas de savoir si Jésus a conver­sé avec les hommes, cela on le sait bien, mais il s’agit de véri­fier si un dia­logue reli­gieux était pos­sible avec Jésus.

Avant de répondre, déve­lop­pons un peu ce que l’on entend par dia­logue reli­gieux sur­tout depuis le pape Paul VI qui en a été le grand pro­mo­teur avec son ency­clique Ecclesiam suam (1964) et suite à l’inénarrable concile Vatican II qui a vul­ga­ri­sé ce mot « dia­logue » introu­vable aupa­ra­vant dans aucun concile, ni même dans les ency­cliques des papes. « Ce terme est incon­nu et inusi­té dans la doc­trine avant le Concile Vatican II » remarque Romano Amério dans son livre très bien docu­men­té Iota Unum ou his­toire des varia­tions de l’Eglise au XXème siè­cle p. 296 .

Depuis, les hommes d’Eglise se sont four­voyés dans une impasse dont ils ne sont pas encore prêts de sor­tir. S’ils se féli­citent de ce que le dia­logue n’a jamais été aus­si intense il faut cepen­dant faire une consta­ta­tion hon­nête mais déce­vante : l’évangélisation n’a jamais été aus­si nulle. Les églises se ferment, il y a de moins en moins de prêtres et de catho­liques atta­chés aux dogmes de l’Eglise et de moins en moins de non-​catholiques dési­reux de se sor­tir de leurs erreurs reli­gieuses. Le dia­logue reli­gieux s’il est flo­ris­sant n’est donc pas l’évangélisation (qui implique récep­tion de la vraie foi et du bap­tême) mais autre chose. Quoi exactement ?

Qui dit dia­logue aujourd’hui dit « échange », « appro­fon­dis­se­ment », « mieux se connaître ». Que voi­là de bonnes choses très inté­res­santes ! Mais atten­tion il s’agit « d’échange » sans cher­cher à convaincre ou à réfu­ter ; « d’approfondissement » pour bou­le­ver­ser au besoin les véri­tés tra­di­tion­nelles les mieux éta­blies ; « de mieux se connaître » pour mettre en valeur les points com­muns mais sans vou­loir résoudre défi­ni­ti­ve­ment les pro­blèmes et sur­tout sans deman­der d’abandonner des posi­tions hété­ro­doxes. Après tout, les dif­fé­rences ne sont-​elles pas des signes de richesse ? C’est ain­si qu’est enten­du le dia­logue, une recherche conti­nuelle des catho­liques avec les autres reli­gions comme si la doc­trine catho­lique se trou­vait avec elles dans un même état d’ignorance sur Dieu et sur ce que Dieu veut. Par le dia­logue les catho­liques ne font qu’apporter un simple point de vue, un vécu ori­gi­nal inté­res­sant qui pro­gresse sans cesse avec les autres et au même titre que les autres. On peut résu­mer vul­gai­re­ment ain­si : tu dis ce que tu penses en matière reli­gieuse, je te réponds mon point de vue, on échange, on s’enrichit mutuel­le­ment. C’est inté­res­sant de bras­ser des idées diverses et on en reste là jusqu’à la pro­chaine fois. Et ain­si de suite sans que cela s’arrête.

Alors ? Est-​ce que Jésus a échan­gé des paroles avec les autres sans essayer de les convaincre ou de les conver­tir à lui ? Est-​ce qu’il a essayé de s’enrichir de l’expérience reli­gieuse des autres en écou­tant tous les points de vue, en accep­tant leur façon de voir très dif­fé­rente de la sienne et en leur fai­sant part, au besoin, avec beau­coup de déli­ca­tesse, de ses intui­tions per­son­nelles qui étaient, il faut le dire, extrê­me­ment inno­vantes à l’époque ? A‑t-​il par­ta­gé les ques­tions et les doutes de ses contem­po­rains pour faire émer­ger des solu­tions nou­velles et inédites ? A‑t-​il cher­ché à faire res­sor­tir les points com­muns qui exis­taient avec ses oppo­sants pour faire l’union par­tout où c’était pos­sible afin que les hommes apprennent à vivre en paix mal­gré leurs divergences ?

Y a‑t-​il eu un enri­chis­se­ment de Jésus par les autres ?

Ces ques­tions nous font faci­le­ment déce­ler quelle est la réponse à don­ner. Il est très cer­tain que Jésus n’a point dia­lo­gué au sens moderne où ce mot est com­pris, mais n’anticipons pas, les évan­giles nous diront clai­re­ment ce qu’il en est et nous mon­tre­ront par eux que tous ceux qui ont adop­té le dia­logue pour témoi­gner du Christ sont à la fois trom­pés et trompeurs.

Essayons pour le moment de mieux com­prendre l’esprit qui est véhi­cu­lé par cette volon­té de main­te­nir à tout prix un dia­logue reli­gieux. Cet esprit est dou­ble­ment per­vers : C’est d’abord le res­pect des fausses reli­gions en tant que telles ; c’est ensuite le res­pect de la liber­té de pen­sée. Deux choses que l’Eglise n’a jamais admises car elle ne peut ni admettre l’erreur reli­gieuse ni l’indépendance abso­lue de l’homme par rap­port à la véri­té car l ’homme qui choi­sit l’erreur déchoit de sa digni­té de créa­ture raisonnable

- L’Eglise enseigne qu’il n’ y a qu’une seule vraie reli­gion, seule digne de notre consi­dé­ra­tion et de notre atta­che­ment, celle fon­dée par le Christ et don­née à ses apôtres pour la trans­mettre fidè­le­ment jusqu’à ce qu’Il revienne. St Paul a dit : « Malheur à moi si je n’évangélise pas » ; il n’a pas dit « Malheur à moi si je ne dia­logue pas ». Les autres reli­gions sont de pures inven­tions de Satan (ex : poly­théisme) ou des cor­rup­tions de la vraie reli­gion par ce même démon qui sème l’ivraie par­tout où il peut parce qu’il veut détour­ner les âmes du Christ et du salut : ain­si les sectes pro­tes­tantes et le moder­nisme sont des dévia­tions du catho­li­cisme, dévia­tions d’autant plus dan­ge­reuses que des aspects vrais sont conservés.

- L’Eglise enseigne encore que l’homme n’est pas libre de pen­ser ce qu’il veut (le libre exa­men est le propre de la reli­gion pro­tes­tante et de la phi­lo­so­phie moderne qui se fabrique sa propre expli­ca­tion du monde) mais qu’il doit se sou­mettre à la véri­té et aux mys­tères de la foi prê­chée par l’Eglise ; il doit le faire de son propre mou­ve­ment, par une déter­mi­na­tion libre, sous l’impulsion de la pré­di­ca­tion ( et non du dia­logue) et de la grâce qui n’est pas refu­sée aux âmes de bonne volon­té. Voilà pour­quoi l’humilité est la condi­tion essen­tielle pour adhé­rer à la véri­té : « Si vous ne deve­nez comme des enfants vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux » a dit Jésus. Comme les enfants se laissent conduire par leurs parents ou maîtres pour apprendre à par­ler, à lire, à bien agir ain­si nous devons nous lais­ser conduire par le Fils de Dieu et par la Société reli­gieuse vou­lue par Lui, l’Eglise catho­lique, pour apprendre à prier, à connaître les mys­tères et à bien agir. On entend sou­vent nos détrac­teurs dire : « vous êtes des orgueilleux, vous pré­ten­dez être les seuls à déte­nir la véri­té, être l’Eglise. ». Mais qui ne voit que n’importe qui peut être le pos­ses­seur de la véri­té ? Il suf­fit d’être une âme humble et docile à Dieu qui nous a par­lé, il suf­fit de se lais­ser ensei­gner comme un enfant dans la connais­sance des mys­tères de la reli­gion et dans la voie de la per­fec­tion chré­tienne par les ministres du Christ non infec­tés par des nou­veau­tés mon­daines et étran­gères au christianisme.

Venons en aux évan­giles pro­pre­ment dits et la manière de faire de Jésus. En fait de dia­logue il y a un pas­sage signi­fi­ca­tif qu’il faut médi­ter parce qu’il doit nous éclai­rer sur ce qu’il faut pen­ser sur ce sujet. Il s’agit de Saint Jean ch.8, v.46–59. Voyons l’attitude de Jésus dans un dia­logue : « Jésus disait aux juifs : qui de vous me convain­cra de péché ? Si je dis la véri­té, pour­quoi ne me croyez-​vous pas ? Celui qui est de Dieu écoute les paroles de Dieu. C’est pour cela que vous ne m’écoutez pas, parce que vous n’êtes pas de Dieu. » Voilà une façon de par­ler qui ne laisse pas beau­coup de liber­té aux audi­teurs. La façon de pro­cé­der est très auto­ri­taire : « si vous ne croyez pas » dit Jésus c’est que « vous n’êtes pas de Dieu ».

De fait le Christ est en droit de deman­der une adhé­sion totale à sa parole vu sa sain­te­té mani­feste (on ne peut pas le convaincre de péché) et les signes qu’il a don­nés (les miracles en par­ti­cu­liers). Mais conti­nuons – Les juifs lui répon­dirent : N’avons nous pas rai­son de dire que vous êtes un Samaritain ( terme mépri­sant comme : « inté­griste » aujourd’hui ) et que vous avez un démon ? Jésus répli­qua : Je n’ai point de démon ; mais j’honore mon Père, et vous m’outragez. – Pour moi, je n’ai point sou­ci de ma gloire ; il en est un qui en prend soin, et qui fera jus­tice. En véri­té, en véri­té, je vous le dis, si quelqu’un garde ma parole, il ne ver­ra jamais la mort ». Ici Jésus fait le lien entre la vraie doc­trine (sa parole) et la vie sainte (ne pas connaître la mort de l’âme) : vrai­ment celui qui s’attache de tout son cœur à la vraie doc­trine pour en vivre trou­ve­ra la sain­te­té mais en revanche, en dehors de la parole du Christ, même avec la meilleure volon­té du monde et un bon tem­pé­ra­ment la sain­te­té est impos­sible : c’est iné­luc­ta­ble­ment la mort, le péché. « Les juifs reprirent : Nous savons bien main­te­nant que vous avez un démon. Abraham est mort, les pro­phètes aus­si et vous dites : Si quelqu’un garde ma parole, il ne ver­ra jamais la mort ? Les pro­phètes aus­si sont morts ; qui prétendez-​vous être ?- Jésus répon­dit : Si je me glo­ri­fie moi-​même, ma gloire n’est rien. C’est mon Père qui me glo­ri­fie, lui dont vous dites qu’il est votre Dieu, et que vous ne connais­sez pas. Pour moi, je le connais ; et si je disais que je ne le connais pas, je serais sem­blable à vous, un men­teur ».

En dehors du Christ il n’ y a pas de vraie connais­sance de Dieu, c’est le men­songe reli­gieux. Toute l’autorité reli­gieuse d’un homme doit venir du Christ et se réfé­rer à lui, même le Pape ne peut ensei­gner avec auto­ri­té quelque chose de contraire au Christ comme la valeur sal­vi­fique de toutes les reli­gions « – Mais je le connais et je garde sa parole. Abraham, votre père, a tres­sailli de joie de ce qu’il ver­rait mon jour. Il l’ a vu, et il s’est réjoui. –Les Juifs lui dirent : Vous n’avez pas encore cin­quante ans, et vous avez vu Abraham ? Jésus répon­dit : En véri­té, en véri­té, je vous le dis : Avant qu’Abraham fût, je suis. Là –des­sus, ils prirent des pierres pour les lui jeter ; mais Jésus se cacha, et sor­tit du Temple »..

Jésus se pré­sente comme le Messager divin venu pour nous ins­truire des des­seins de Dieu. Il ne se place pas au même niveau que ses inter­lo­cu­teurs comme il convien­drait de le faire pour un dia­logue mais au-​dessus, comme un Maître qui sait et qui enseigne. Il ne tente aucun arran­ge­ment, il ne cherche aucun com­pro­mis, il veut les convaincre de l’urgence de croire en lui s’ils veulent se sau­ver : c’est là le but de ses paroles pres­santes et sévères.

Dans l’évangile que nous avons vu, ceux que Jésus essaye de convaincre sont en soi les repré­sen­tants de la seule vraie reli­gion (inache­vée) de l’époque : Or ils ne veulent pas du Messie annon­cé pour­tant par tous leurs grands pro­phètes : « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu » dira Saint Jean. Le pre­mier Pape est encore plus clair : «.. la pierre (le Christ) qu’on reje­tée ceux qui bâtis­saient, c’est elle qui est deve­nue une pierre d’angle, une pierre d’achoppement et un rocher de scan­dale » : eux qui vont se heur­ter contre la parole parce qu’ils n’ont pas obéi. » (1. Pierre 2,8)

Que conclure ? Si Jésus dia­logue, c’est pour convaincre ou pour réfu­ter. Autrement la foi ne se trans­met pas par un dia­logue mais par un ensei­gne­ment magis­tral parce que les mys­tères de la reli­gion sont bien supé­rieurs à la rai­son : « Dieu per­sonne ne l’a vu, le Fils unique, qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître » (St Jean I‑18). C’est lui le seul Maître de la reli­gion : « Pour vous qu’on ne vous appelle pas non plus Maître, car vous n’avez qu’un seul Maître, le Christ » (St Matthieu 23–8) et les autres comme saint Augustin, saint Thomas d’Aquin et les grands doc­teurs de l’Eglise ne sont des maîtres qu’en rai­son de leur fidé­li­té à la doc­trine de Jésus.

S’il est bon de dis­cu­ter de reli­gion pour ame­ner quelqu’un à la foi ou pour pré­ci­ser des points de doc­trine, il n’est pas bon de mettre en dis­cus­sion ou en dia­logue les véri­tés reli­gieuses appor­tées par le Christ, le faire c’est tra­hir l’Auteur de la véri­té et tra­fi­quer l’évangile.

Nous n’avons pas à don­ner notre avis dans un domaine où notre avis n’a rien à faire : dans le domaine reli­gieux ce qui compte c’est de rece­voir les mys­tères de la foi et c’est là le signe que l’on « est de Dieu ». L’attitude de Eglise doit être la même. Elle doit com­mu­ni­quer la foi mais ne doit pas dia­lo­guer la foi. C’est faire acte de cha­ri­té que de réfu­ter les erreurs, convaincre par la parole et même mena­cer les obs­ti­nés et toutes ces choses sont aban­don­nées aujourd’hui parce qu’on pré­fère dia­lo­guer d’égal à égal comme avec des amis. Les hommes d’Eglise qui ont choi­si le che­min du dia­logue ami­cal avec les fausses reli­gions ont vou­lu plaire au monde et se sont enga­gés dans une nou­veau­té incon­nue des apôtres et des grands mis­sion­naires, ils se trompent et ils trompent ceux qui les écoutent.

« Si je cher­chais à plaire aux hommes, dit Saint Paul, je ne serais plus un ser­vi­teur du Christ. ».

Abbé Pierre Barrère

Extrait du Sainte-​Anne n° 218 de d’avril-​mai 2010