Le pape Jean-Paul II, écrit Yves Chiron dans son Dictionnaire des saints et des bienheureux du XXe siècle (éditions de Paris, 1999), « a béatifié et canonisé beaucoup plus que tous ses prédécesseurs réunis depuis le XVIe siècle ».
Certes, il a béatifié des martyrs (espagnols, 228 ; mexicains, 27 ; thaïlandais, 7), ce qui ne réclame ni examen de la pratique héroïque des vertus, ni miracles post mortem. Il suffit, pour le martyr, d’avoir accepté la mort donnée par le bourreau en haine de la foi ou de la morale.
Mais la plus grande partie des saints béatifiés ou canonisés l’est selon une procédure classique, celle de l’examen des vertus et de la constatation de miracles post mortem. Or, sur ces deux points, on peut légitimement émettre des doutes fondés depuis le Concile.
Concernant l’examen des vertus, un premier point est le raccourcissement important des délais d’ouverture et de clôture des procès dans certains cas « médiatiques ». Ces délais, imposés pour de sages motifs, permettaient pourtant de prendre un nécessaire recul, d’attendre la publication de certains témoignages, de voir s’ouvrir des archives, etc.
Le deuxième point, beaucoup plus préoccupant, est la notion même de vertu. Le tête à queue théologique réalisé lors du concile VaticanII, spécialement quant à la liberté religieuse, à l’œcuménisme et au dialogue interreligieux, ne peut manquer d’avoir un fort retentissement, notamment sur l’appréciation des vertus de foi, d’espérance, de charité et de prudence.
En effet, il est difficile aujourd’hui, à la lumière de VaticanII, de juger comme vertu, pour un curé de paroisse ou un missionnaire, la consigne donnée à ses fidèles de fuir les non-catholiques et de s’en tenir à l’écart ; à l’inverse, il est difficile, toujours à la lumière de VaticanII, de juger comme erreur et vice le fait d’encourager lesdits fidèles à fréquenter ces non-catholiques et à se mêler à eux.
On risque donc de se retrouver, avec les canonisations récentes, devant des interrogations graves : s’agit-il d’un saint au sens classique, ou s’agit-il d’un parangon des « nouvelles vertus » issues du Concile ?
Toutefois, selon les principes reçus concernant les canonisations, celles-ci devaient être « certifiées » par Dieu lui-même, par le moyen des miracles. Les règles d’examen de ces miracles étaient très sévères. Il fallait deux miracles pour la béatification, et deux autres pour la canonisation.
Or les nouvelles règles, adoptées précisément pour « accélérer » les choses, ont considérablement simplifié les procédures. En particulier, un seul miracle suffit à chaque étape, alors que l’obligation de deux miracles rendait autrefois quasi impossible une erreur ou une fraude.
Que faire dans une telle situation embrouillée et confuse ?
Rejeter tous les saints proclamés depuis le Concile ? Ce serait sot et bien imprudent. Pourrait-on impunément mépriser Frédéric Ozanam, le père Brottier, le père Miguel Pro, le padre Pio, le pape PieIX, le père Cormier, Mgr Moreno y Diaz, don Michele Rua, le cardinal Schuster, dom Marmion, par exemple ?
Accepter ces nouveaux saints en bloc ? Ce serait risquer d’avaler l’erreur au milieu de la vertu la plus héroïque.
Sélectionner les saints qui nous plaisent, qui nous conviennent, en rejetant ceux que nous estimons indignes d’être saints ? Ce serait nous substituer au Magistère, seul compétent.
La Fraternité Saint-PieX a choisi de ne pas choisir, et d’attendre les décisions d’un Magistère redevenu clair.
Lors du Chapitre de 2006, elle a rappelé faire ce non-choix « afin de ne pas tomber dans la nécessité de choisir [entre les saints] et de tomber dans l’arbitraire ». Les réflexions proposées ici sont donc spéculatives, et ne prétendent pas trancher définitivement la question.
Et afin d’accélérer la venue de ce jour de clarté, recourons avec ferveur à tous les saints du Ciel, les priant pour nous-mêmes et pour l’Église.
Abbé Régis de Cacqueray †, Supérieur du District de France
Source : Fideliter n° 182