Note de la rédaction de La Porte Latine : il est bien entendu que les commentaires repris dans la presse extérieure à la FSSPX ne sont en aucun cas une quelconque adhésion à ce qui y est écrit par ailleurs. |
Une canoniste (1) qui fait autorité réfute les arguments de ceux qui considèrent que l’élection de Bergoglio est invalide et, pour cette raison, ne le reconnaissent pas comme pape. Mais des inconnues subsistent à propos des manœuvres qui ont précédé la fumée blanche
ROME, le 5 janvier 2015 – Les noms de ceux que le pape François va élever à la pourpre dans la seconde série de nominations cardinalices de son pontificat ont été communiqués, mais le conclave qui l’a élu pape est toujours effleuré par des ombres.
Bien entendu, il n’y a pas de conclave où n’aient pas lieu des « manœuvres » ayant pour but l’élection de tel ou tel cardinal au souverain pontificat. Ce sont des « manœuvres » qui peuvent être effectuées en quelques jours, ou même en quelques heures seulement. Ou bien elles peuvent s’étendre sur plusieurs années. Leur innocence peut également être plus ou moins grande. C’est tellement vrai que la constitution apostolique « Universi dominici gregis », qui fixe les règles relatives à l’élection des papes, invalide expressément « toute forme de négociation, d’accord, de promesse ou d’autre engagement de quelque nature que ce soit » ayant pour but, en échange du vote promis, de lier le futur élu.
Dans un article publié le 1er juillet dernier, www.chiesa a montré en quel sens et jusqu’à quel point l’élection de Jorge Mario Bergoglio peut ressembler – sans en être une – à une négociation de ce genre, étant donnée l’insistance avec laquelle le pape actuel affirme qu’il se « conforme à ce que les cardinaux ont demandé au cours des congrégations générales qui ont précédé le conclave » :
Journal du Vatican : « Je me conforme à ce que les cardinaux ont demandé »
Mais, justement, ce point est lié à la dynamique naturelle de toute élection pontificale. Et c’est ce que le vaticaniste anglais Austen Ivereigh a mis en lumière dans un passage de son récent ouvrage consacré au pape François, « The Great Reformer » [Le Grand réformateur], en indiquant que les cardinaux Cormac Murphy-O’Connor, Walter Kasper, Karl Lehmann et Godfried Danneels ont été quatre promoteurs actifs de l’élection de Bergoglio.
Le livre d’Ivereigh a fait naître des polémiques, que le père Federico Lombardi, porte-parole officiel du Vatican, s’est empressé d’éteindre avec l’accord déclaré de ces quatre cardinaux.
En tout cas, ce n’est pas dans cet ouvrage qu’a été mise en doute la validité de l’élection du pape François. En revanche elle a été niée par un autre auteur catholique, Antonio Socci, dans un livre qui a obtenu un grand succès en librairie : « Non è Francesco » [Ce n’est pas François].
Socci présente les arguments sur lesquels il appuie sa thèse dans une vingtaine de pages, alors que le livre en compte presque trois cents. Et il le fait sur la base des paragraphes de la constitution « Universi dominici gregis » qui fixent les règles relatives à la procédure de l’élection. Cette procédure aurait été, d’après lui, gravement violée après la découverte, par les scrutateurs, d’un bulletin en surnombre, un bulletin blanc qui se trouvait parmi ceux du quatrième tour de scrutin du 13 mars 2014. La conséquence qu’en tire Socci est que « l’élection de Bergoglio est nulle, elle n’a jamais existé ».
Trois mois après la sortie de son livre en librairie, Socci a écrit qu’« il n’y a pas eu un seul cardinal qui ait déclaré en public ou qui m’ait fait savoir en privé que les faits survenus au conclave ne se sont pas déroulés de la manière qui est décrite dans mon livre ».
Ce n’est pas tout. Il a ajouté qu’« il n’y a pas eu un seul canoniste faisant autorité qui ait démontré que les procédures mises en œuvre avaient été correctes et que, par conséquent, l’élection du pape François était irréprochable au point de vue canonique ».
Mais il ne s’est pas non plus trouvé, parmi les canonistes, quelqu’un qui ait déclaré qu’il était d’accord avec les arguments utilisés par Socci et qui ait publiquement affirmé que l’élection du pape François était nulle.
En tout cas, la note qui suit, écrite par une canoniste dont l’autorité ne fait pas de doute, montre en s’appuyant sur des arguments strictement juridiques « l’absence totale de fondement » de la thèse de Socci et donc la pleine légitimité de l’élection du pape François.
Son auteur est professeur ordinaire de droit canonique et d’histoire du droit canonique à l’université « Alma Mater Studiorum » de Bologne. Elle est par ailleurs membre du conseil de direction de la « Consociatio Internationalis Studio Juris Canonici Promovendo » et elle est sur le point de publier un livre consacré aux aspects strictement canoniques de faits tels que la renonciation de Benoît XVI, le personnage nouveau qu’est un « pape émérite » et, précisément, l’élection de François.
Sandro Magister
Source : Chiesa.espressonline.it
Note
(1) Geraldina Boni - À PROPOS DE L’ÉLECTION DU PAPE FRANÇOIS – Principaux extraits – « J’interviens en formulant quelques remarques à caractère strictement canonique à propos d’une question qui a suscité une très grande attention, principalement sur le web.
Comme on le sait, la journaliste Elisabetta Piqué, dans son livre « Francesco. Vita e rivoluzione » [François. Vie et révolution], a rapporté à propos de l’élection du pape François (et cette indiscrétion aurait été confirmée par quelques cardinaux) les faits suivants :
« Après le vote et avant la lecture des bulletins, le cardinal scrutateur, qui commence par mélanger les bulletins déposés dans l’urne, se rend compte qu’il y en a un de trop : 116 et non pas 115 comme cela devrait être le cas. Il semble qu’un cardinal ait déposé, par erreur, deux bulletins dans l’urne : un bulletin où figure le nom du cardinal qu’il a choisi et un bulletin blanc, qui est resté attaché au premier. Ce sont des choses qui arrivent. Il n’y a rien à faire, ce tour de scrutin est immédiatement annulé, les bulletins seront brûlés plus tard sans avoir été examinés, et l’on procède à un sixième vote ».
Il ne vaut pas la peine de prendre en considération les allégations qui suivent immanquablement la conclusion de tout conclave et qui reposent sur des révélations qui auraient été faites par des hommes tenus au secret le plus rigoureux. Quoi qu’il en soit, Antonio Socci, dans son ouvrage « Non è Francesco. La Chiesa nella grande tempesta » [Ce n’est pas François. L’Église dans la grande tempête], a soutenu, sur la base de cette information, la thèse de la nullité de l’élection de Jorge Mario Bergoglio. […]
Même si l’on admet que les opérations de vote se sont déroulées conformément aux suppositions de Socci, la reconstitution qu’il présente est totalement infondée au point de vue juridique.
D’après les dispositions contenues dans l’article 65 de la constitution apostolique « Universi dominici gregis » qui a été publiée par Jean-Paul II et qui fixe les règles relatives au conclave, le bulletin doit être de forme rectangulaire ; les mots « Eligo in summum pontificem » doivent y être écrits, et si possible imprimés, dans la moitié supérieure tandis que, dans la moitié inférieure, il faut qu’il y ait l’espace nécessaire pour que l’on puisse écrire le nom du cardinal choisi. Par conséquent le bulletin est fabriqué de manière à ce qu’il puisse être plié en deux. Les bulletins doivent être remplis secrètement par les cardinaux électeurs. Chacun d’eux devra inscrire de manière claire, en utilisant une écriture aussi peu reconnaissable que possible, le nom de celui pour lequel il vote, en évitant d’inscrire plusieurs noms, parce que dans ce cas le vote serait nul, et en pliant et repliant le bulletin. On voit donc (cela découle aussi d’autres prescriptions de la constitution apostolique citée) que les bulletins ne sont pas glissés dans une enveloppe qu’il faudra ensuite ouvrir, mais qu’ils sont simplement pliés.
D’autre part, d’après les dispositions de l’article 66, le scrutin comprend les étapes suivantes : 1. le dépôt des bulletins dans l’urne qui est prévue à cet effet ; 2. l’opération de mélange des bulletins et leur décompte ; 3. le dépouillement des suffrages. Il est donc tout à fait plausible que ce soit bel et bien au moment du décompte et non pas à celui du dépouillement (contrairement à ce qui est affirmé par Elisabetta Piqué, que Socci considère comme pleinement digne de foi pour tout le reste) que se soient trouvés dans les mains du scrutateur les deux bulletins, les seuls qui aient été effectivement dépliés – mais évidemment pas perforés – avec la mise en évidence d’un bulletin blanc attaché par inadvertance à celui sur lequel était écrit un nom.
Par conséquent c’est de manière tout à fait correcte que l’article 68 de la constitution a été appliqué scrupuleusement et à la lettre [il prescrit que « si le nombre de bulletins ne correspond pas au nombre d’électeurs, il faut les brûler tous et procéder immédiatement à un deuxième vote »]. D’autre part l’article 5 de cette même constitution exclut de manière explicite la possibilité d’interpréter l’acte d’élection, les prescriptions devant être appliquées telles qu’elles se présentent. Même dans le cas où le scrutateur aurait déplié ces deux bulletins, vraisemblablement pour confirmer l’accrochage involontaire d’un bulletin blanc à un autre bulletin indiquant un vote, cela ne constituerait certainement pas une irrégularité invalidante et cela ne transformerait pas la phase de décompte en phase de dépouillement, chacune de ces deux phases étant régie par des règles propres découlant de « rationes » spécifiques. […]
Ce n’est que lorsque le décompte est terminé que l’on doit passer à l’article 69 [c’est-à-dire au dépouillement des bulletins] : il est indéniable que l’éventuel bulletin en surnombre, ayant échappé aux regards lors de la phase du décompte et étant parvenu à celle du dépouillement, est de toute façon dû, volontairement ou non, à un unique cardinal, et un bulletin de trop est toujours, quelle que soit la personne à qui il doit être attribué, une irrégularité. Mais si cette irrégularité, en raison de la réglementation de Jean-Paul II, est toujours invalidante dans la phase préliminaire du décompte (article 68), elle ne l’est plus dans la phase du dépouillement, en particulier lorsque les bulletins sont pliés de telle sorte qu’ils semblent avoir été remplis par un seul électeur. […]
Même si l’on admet que le fait qui s’est produit pendant le conclave de 2013 au moment du décompte, c’est-à-dire qu’il y a eu deux bulletins qui étaient pliés ensemble, correspond partiellement à l’hypothèse envisagée à l’article 69 qui fixe les règles relatives au dépouillement, on ne peut pas pour autant lui appliquer une règle qui concerne une autre phase de la procédure de vote (et qui relève d’une autre « ratio »). C’est précisément la rigidité de la constitution apostolique « Universi dominici gregis » (soulignée par Socci lui-même), renforcée quant à l’acte de l’élection – cf. l’article 5 mentionné plus haut –, qui l’exclut de manière catégorique. Au contraire, si l’on avait indûment appliqué l’article 69, contrevenant ainsi à l’obligation de s’en tenir à ce qui est imposé de manière rigoureuse par l’article 68, cela aurait fait naître un problème de validité de l’élection.
L’article 68 ayant donc été appliqué de manière parfaitement légitime, il est incontestable que ce quatrième tour de scrutin est, du point de vue juridique, « tamquam non esset » ; il ne fallait donc pas l’inclure et le comptabiliser parmi les tours de scrutin effectifs de ce jour-là, c’est-à-dire ceux qui étaient juridiquement valides et complets et qui sont parvenus jusqu’au dépouillement. Cela fait donc également tomber l’objection selon laquelle le maximum autorisé de quatre tours de scrutin par jour aurait été dépassé. […]
Par ailleurs il n’est pas sans intérêt de signaler que, dans la constitution qui a été élaborée par Jean-Paul II, même une élection simoniaque n’est pas sanctionnée par l’invalidité. […] Il en est de même pour une élection qui serait le résultat de négociations, d’accords, de promesses ou autres engagements de quelque nature que ce soit, entre des cardinaux (voir à ce sujet une autre conjecture, récemment présentée par Austen Ivereigh dans son ouvrage « The Great Reformer. Francis and the Making of a Radical Pope » [Le grand réformateur. Francois et la fabrication d’un pape radical], relative à un groupe de quatre cardinaux qui aurait planifié l’élection de Bergoglio).
Antonio Socci présente en dernier lieu l’argument suivant : « Même si la validité des procédures qui ont été mises en œuvre ce 13 mars 2013 donnait lieu à un jugement simplement dubitatif, on peut considérer qu’il faudrait refaire le conclave parce que la doctrine enseigne que « dubius papa habetur pro non papa » (un pape douteux est considéré comme n’étant pas pape), comme l’a écrit le grand docteur de l’Église qu’a été le cardinal jésuite saint Robert Bellarmin dans son traité « De conciliis et ecclesia militante »».
Au contraire, même si ce qui est décrit s’était produit, la procédure suivie, comme cela a été démontré, aurait été intégralement « ad normam juris ». L’élection du pape François, la majorité prévue ayant été atteinte au cinquième tour de scrutin (le premier tour ayant eu lieu, je le rappelle, le 12 mars), serait valide, il n’y aurait rien à quoi « remédier », il n’y aurait aucun doute, et encore moins « positif » et « insoluble » (comme le droit le prévoit), à propos de sa validité.
Étant donnée l’absence totale de fondement juridique de ces suppositions, on voit également disparaître, même si l’on veut ajouter foi aux informations dont il tire son origine, le cauchemar – inconsidérément agité – que serait la présence actuelle, sur la chaire de Pierre, d’un pape douteux. Quoi qu’il en soit, les canonistes ont constamment et unanimement enseigné que la « pacifica universalis ecclesiæ adhæsio » est le signe et l’effet infaillible d’une élection valide et d’un souverain pontificat légitime. Et l’adhésion du peuple de Dieu au pape François ne peut être mise en doute d’aucune manière. »