Si beaucoup admettent le souci d’unité porté par Benoît XVI vis-à-vis des traditionalistes, la vigilance est grande sur la continuité du concile Vatican II.
Personne, au fond, ne se frotte les mains. Tous retroussent plutôt les manches. À commencer par… les ouvriers de la Librairie éditrice Vaticane : ils vont officiellement réimprimer – tout un symbole – les quatre volumes de l’édition du Missel tridentin, revue par Jean XXIII en 1962 !
Mais deux jours après l’annonce par Benoît XVI d’un retour, à titre de « forme extraordinaire » de cette messe à la demande de groupes « stables » dans les paroisses, les réactions, tant au sommet de l’Église que sur le terrain des paroisses et même dans les milieux traditionalistes, sont plutôt à la gravité. Annulant, notamment pour cette raison, un déplacement en Syrie, le cardinal Jean-Pierre Ricard a cherché à rassurer l’opinion catholique, mais il n’avait pas non plus éludé, samedi 7 juillet devant la presse, la formation possible dans l’Église « de grumeaux dans la pâte ».
Ainsi le ton du communiqué de la Mission de France, publié lundi 9 juillet pour annoncer son assemblée générale près d’Angers cette fin de semaine : « Loin des nostalgies d’avant Vatican II, la Mission de France est engagée pleinement dans les enjeux sociaux et politiques d’aujourd’hui pour vivre un christianisme prophétique, dans un dialogue vivant avec ceux qui ne partagent pas la foi chrétienne. »
Pour beaucoup, le motu ne « passe pas »
Critique non voilée de la décision romaine qui n’étonnera pas ceux qui connaissent cette prélature regroupant des prêtres, diacres et laïcs engagés comme chrétiens dans des parcours professionnels. Peu de mouvements d’Église s’étaient exprimés à son exemple, lundi, mais, pour de nombreux autres catholiques, le motu proprio Summorum pontificum ne « passe » pas.
Sans aller jusqu’à déclarer un « jour de deuil » dans l’Église comme Mgr Luca Brandolini, évêque de Sora-Aquino-Pontecorso et membre de la commission liturgique de l’épiscopat italien, notre enquête met en évidence un malaise certain.
Ainsi le P. Michel Guerre, curé de La Mulatière, en banlieue de Lyon. Ce mariste, ordonné en 1964, a consacré son homélie dimanche à « l’importance de la mise en œuvre du concile Vatican II » et confie : « Je ressens une souffrance très profonde. C’est un bouleversement de ma vie. » Dans le même diocèse, la théologienne Martine Mertzweiller considère le motu proprio comme « inutile et dangereux ». Un « repli frileux » qui sonne le retour du « ritualisme » alors que l’Église était revenue « à une célébration du Christ vivant ».
Le P. Joseph Le Guellault, 79 ans, recteur de l’île aux Moines (Morbihan), considère que des messes selon l’ancien rite sont suffisamment accessibles : « Je continuerai à célébrer en français face aux paroissiens, et si un petit groupe me demandait de célébrer en latin, je refuserais. » À Barcelonnette (Alpes de Haute-Provence), Marie-Thérèse Aubry, 69 ans, « chrétienne relais » dans une paroisse et catéchiste de longue date, craint de voir « l’Église se refermer » et perçoit en ce décret « un premier pas vers une Église plus rigoriste qui détournera les jeunes alors que nous en avons besoin ».
Deux types de soutien
Richard Delecroix, laïc animateur de pastorale dans la métropole lilloise, n’y va pas quatre chemins : « Cette décision est détestable. C’est un retour en arrière qui ne va pas contribuer à rapprocher les gens. Loin de faire l’unité, la décision du pape va accentuer les divisions internes à l’Église. » Un couple de paroissiens de Meudon (Hauts-de-Seine) conclut, amer : « C’est un peu effrayant. On ne comprend pas. Ce sont toujours les mêmes qui font des concessions. »
À côté de ces réactions réticentes, on trouve deux types de soutien – en dehors des milieux traditionalistes concernés. L’un, actif, est issu de publics plutôt âgés qui ont connu « la messe en latin » et en gardent une nostalgie. Ainsi, à Nice, Paul Tosseri, 77 ans, explique : « Je suis très favorable au motu proprio, qui comble un manque. Dans mon enfance, les messes se déroulaient toutes en latin. Dommage que le motu proprio divise tant, car loin d’être un retour en arrière, c’est une mesure d’unification dans l’espace et dans le temps. »
L’autre soutien, plus passif, est issu de catholiques plus jeunes : ils n’ont rien contre mais ne sont pas non plus franchement pour. Plus libéraux, ils pensent que chacun doit pouvoir choisir. Sébastien Duquesne, 36 ans, permanent du Secours catholique de Digne et Gap, observe : « Je n’irais pas à une messe en latin, car je ne le comprends pas, mais je n’ai rien contre. L’Église a besoin de tous. Si des fidèles vivent mieux leur foi en latin, tant mieux. L’important n’est pas la forme de la pratique, mais ce que les fidèles en font. » Karine Bizeray, 36 ans, mère de famille à Maure-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine) : « Cela ne me choque pas. Dans l’Église, il me semble logique que toutes les tendances puissent s’exprimer librement. Cette décision est très une bonne chose si elle a pour conséquence d’amener les chrétiens à s’unir. »
Plusieurs évêques ont écrit à leurs prêtres et fidèles
Rien n’est toutefois encore joué. Dimanche soir, après avoir entendu les premières réactions sur son parvis, un curé parisien craignait « un glissement du schisme à l’intérieur de l’Église ». Il convenait que tout dépendrait de sa mise en œuvre pratique, à partir du 14 septembre.
Sur ce point, deux écoles se dessinent parmi les évêques. Plusieurs ont écrit à leurs prêtres et fidèles. D’abord pour les appeler à l’unité et à la paix. Pour les rassurer, aussi, comme Mgr Roland Minnerath, archevêque de Dijon : « Je souhaite de tout cœur que les frères prêtres, qui se dépensent généreusement pour mettre en œuvre la réforme liturgique et les enseignements du Concile, n’aient pas le sentiment d’être désavoués et ne se découragent pas. » Ou Mgr Michel Santier à Luçon, ajoutant cet accent : « Que les liturgies soient belles, « priantes », recueillies, et qu’elles donnent le goût de Dieu. »
Les évêques donnent aussi des lignes de conduite pratiques. Certains, en vue de préparer collectivement la création de « paroisses personnelles », notamment dans des diocèses où aucune messe selon l’ancien Missel n’était célébrée jusqu’ici : cela aurait le mérite, justifie l’un d’eux, « de clarifier » la situation. Ou, au contraire, de se préparer à un refus d’extension, considérant que « l’offre » existante est déjà suffisante, comme à Lille ou Paris.
« Pas de bouleversements ! »
Ainsi Mgr André Vingt-Trois entend donner une réponse « raisonnable » aux demandes, mais annonce qu’il n’ouvrira « pas de paroisses personnelles dans le diocèse de Paris, car j’estime que des fidèles qui demandent la célébration selon le Missel de 1962 ne sont pas des paroissiens à part ». Un évêque résume cette mise en œuvre en deux mots : « Pas de bouleversements ! » Un ton plus diplomatique que celui du cardinal Karl Lehmann, président de la Conférence épiscopale allemande : « On ne retournera pas en arrière d’un millimètre par rapport à la réforme liturgique. La demande de ceux qui, en Allemagne, préfèrent l’ancien rite est plus qu’assurée, plus que couverte. »
Reste une question d’avenir, soulevée par Mgr Claude Dagens, évêque d’Angoulême : comment éviter que « le souci de réconciliation » et la liturgie ne soient pas « instrumentalisés » en un « rapport de forces » à visée « politique » et « culturelle » ? C’est peut-être le point le plus sensible pour l’unité.
Alors qu’à Rome le cardinal Dario Castrillon Hoyos, président de la Commission Ecclesia Dei, qui a préparé le motu proprio, l’a justifié dans la revue 30 Giorni comme une volonté de rencontre avec « les lefebvristes », Mgr Bernard Fellay, successeur de Mgr Lefebvre comme supérieur de la Fraternité Saint-Pie‑X, a fait lire en chaire dimanche 8 juillet une lettre où il attend de voir comme une « autorité épiscopale » jusque là « injuste » va maintenant mettre en œuvre « l’acte courageux du pape ».
Il conclut : « Notre constance a défendre la lex orandi a été prise en compte. C’est donc avec la même fermeté qu’il nous faut poursuivre, avec l’aide de Dieu, le combat pour la lex credendi, le combat de la foi. »
Philosophe, le P. Édouard Marot, prêtre de l’Emmanuel et recteur des sanctuaires de Paray-le-Monial, note : « D’ici, j’ai senti l’inquiétude de l’Église de France. Je peux la comprendre. Ça a été tellement été dans un sens et maintenant cela va dans un autre ! Il faut avoir la spiritualité du roseau : être souple. En revanche, je ne voudrais pas que l’on dise que la messe selon le rite de saint Pie V est la liturgie par excellence. »
Jean-Marie GUÉNOIS, avec Isabelle DE GAULMYN, à Rome, Élodie MAUROT, Corinne BOYER, à Marseille, Jean-Luc POUSSIER, à Rennes, Florence QUILLE, à Lille, et Bénévent TOSSERI, à Lyon