Un cardinal chinois connu pour sa loyauté envers Rome a accusé le Vatican de vouloir « vendre l’église catholique chinoise au régime communiste ». Ce cardinal c’est l’archevêque émérite de Hong Kong, Joseph Zen Kiun [Photo ci-dessus], qui a longtemps été conseiller de Benoît XVI.
En Chine, depuis la fin des années cinquante du XXe siècle, il y a deux églises : une schismatique et illégitime, qui ne reconnaît pas l’autorité du pape, mais obéit au gouvernement communiste. L’autre, persécutée et forcée de vivre cachée, reconnue par Rome comme légitime. La ligne de Benoît XVI et du Cardinal Zen était de soutenir les catholiques qui n’ont jamais fait et ne font pas de compromis avec le régime communiste.
Le pape François a changé de stratégie et pratique une politique de détente à l’égard de Pékin, semblable à celle mise en œuvre par Paul VI à l’égard des pays communistes d’Europe de l’Est, avec la soi-disant Ostpolitik. Le cardinal Zen, cependant, résiste. Il est venu à Rome et a rencontré le Soucerain Pontife pour exprimer ses préoccupations. Après quelques rumeurs sur cette interview, le cardinal Zen lui-même, dans une lettre à l’agence Asia News du 29 janvier, a voulu clarifier sa position à propos de cette rencontre qui a eu lieu le 10 janvier 2018.
Reprise par l’agence Asianews, cette lettre du cardinal Zen met en garde contre l” »unification » proposée de l’Eglise de Chine, entre une Eglise « officielle » et une Eglise « souterraine » : cette unification « obligera quiconque [à entrer] dans cette communauté. Le Vatican donnerait ainsi sa bénédiction à une Eglise schismatique nouvelle et plus forte, lavant la mauvaise conscience de ceux qui sont déjà volontairement des renégats et des autres qui sont prêts à les rejoindre ».
Le prélat chinois indique avoir été reçu pendant une demi-heure par le pape, le 12 janvier au Vatican avant le voyage apostolique au Chili et au Pérou. Il lui a remis une lettre de Mgr Pierre Zhuang Jianjian, évêque de Shantou, dans le Guangdong, âgé de 88 ans, à qui il a été demandé de démissionner pour laisser la place à un évêque « excommunié », à savoir Mgr Joseph Huang Bing-zhang. Ordonné sans mandat pontifical, ce dernier est sur le siège épiscopal de Shantou depuis 2011. Il est membre de l’Assemblée nationale populaire (ANP), le parlement chinois qui compte quelque 3’000 députés, dont plus des deux tiers sont des bureaucrates et des membres du Parti communiste chinois.
Rappelons à nos lecteurs que dernièrement, pendant qu’il célébrait une messe pour un prêtre de l’Église catholique clandestine, le père Wei, mort dans des circonstances suspectes qui pourraient laisser supposer que le régime communiste n’y est pas étranger, il a demandé au Seigneur la grâce d’arrêter le Saint-Siège « sur le bord du précipice » et « qu’il ne vende pas [au gouvernement chinois] l’Église fidèle ».
En somme, pour le cardinal Zen, « le schisme existe déjà au sein de l’Eglise de Chine ». Rappelons simplement son cri du cœur de douleur au Pape François en août 2016 : « Maintenant nous allons mourir des mains de notre Père. »
Ci-dessous les parties principales de cette lettre du cardinal Zen à François…
La Porte Latine
Principaux extraits de la lettre du cardinal Zen à l’agence Asia News du 29 janvier 2018
« Cher amis des médias,
Depuis qu’Asia News a révélé certains événements récents de l’Eglise en Chine concernant des évêques légitimes auxquels le « Saint-Siège » aurait demandé de démissionner pour laisser leur place à des « évêques » illégitimes et même excommuniés de façon explicite, différentes versions et interprétations des faits créent la confusion entre les gens. Nombre d’entre eux, au courant de mon récent voyage à Rome, m’ont demandé certains éclaircissements.(…)
En ce moment crucial et à cause de la confusion qui règne dans les médias, connaissant directement la situation de Shantou et indirectement celle de Mindong, je me sens le devoir de partager ma connaissance des faits, afin que les personnes sincèrement préoccupées pour le bien de l’Eglise puissent connaître la vérité à laquelle ils ont droit. Je suis parfaitement conscient qu’en agissant de la sorte, j’évoque des choses qui sont techniquement qualifiées de « confidentielles ». Mais ma conscience me dicte que, dans ce cas, le « droit à la vérité » doit prendre le pas sur tout « devoir de confidentialité ».
Fort de cette conviction, je m’apprête à partager ce qui suit avec vous.
L’après-midi de cette journée, le 10 janvier, j’ai reçu un appel de Sainte-Marthe, dans lequel on me disait que le Saint-Père me recevrait en audience privée le soir du vendredi 12 janvier (même si le bulletin du Vatican mentionne le 14 janvier). C’était le dernier jour de mes 85 années de vie, un grand don du ciel ! (Remarquez également que c’était la veille du départ du Saint Père pour le Chili et le Pérou et que donc le Saint-Père devait être très occupé).
Ce soir-là, la conversation a duré environ une demi-heure. J’étais assez désordonné dans la façon de m’exprimer mais je pense avoir atteint l’objectif de faire part au Saint Père des préoccupations de ses enfants fidèles en Chine.
La question la plus importante que j’ai posée au Saint Père (qui figurait également dans la lettre) était de savoir s’il avait eu le temps « d’étudier la question » (comme il l’avait promis à Mgr Savion Hon). Au risque d’être accusé de briser la confidentialité, j’ai décidé de vous dire ce que Sa Sainteté m’a dit : « Oui, je leur ai dit [à ses collaborateurs du Saint-Siège] de ne pas créer un autre cas Mindszenty » ! J’étais là en présence du Saint Père, en tant que représentant de mes frères chinois dans la souffrance. Ses mots devraient être bien compris comme une consolation et un encouragement pour eux plus que pour moi.
Cette référence historique au cardinal József Mindszenty, l’un des héros de notre foi, a été très significatif et approprié de la part du Saint-Père. (Le cardinal. József Mindszenty était l’archevêque de Budapest, cardinal primat de Hongrie sous la persécution communiste. Il a beaucoup souffert pendant plusieurs années en prison. Pendant la brève vie de la révolution de 1956, il fut libéré par les insurgés et, avant que l’Armée rouge ne détruise la révolution, il se réfugia dans l’ambassade américaine. Sous la pression du gouvernement, le Saint-Siège lui ordonna de quitter le pays et nomma un successeur agréé par le gouvernement communiste). (…)
Quelques précisions supplémentaires sont peut-être nécessaires :
1 – Je fais remarquer que le problème n’est pas la démission des évêques légitimes mais la demande de laisser leur place aux évêques illégitimes et excommuniés. Même si la loi sur la démission pour avoir atteint la limite d’âge n’a jamais été appliquée en Chine, de nombreux évêques souterrains âgés ont demandé avec insistance qu’on leur nomme un successeur sans jamais recevoir aucune réponse du Saint-Siège. D’autres, qui ont déjà un successeur désigné, et peut-être même la bulle signée par le Saint Père, ont reçu l’ordre de ne pas procéder à l’ordination par peur d’offenser le gouvernement.
2 – J’ai surtout parlé des deux cas de Shantou et de Mindong. Je n’ai pas d’autres informations, mis à part la copie d’une lettre écrite par une dame catholique exceptionnelle, un professeur à la retraite, très impliquée dans les affaires de l’Eglise en Chine, dans laquelle elle met en garde Mgr Celli de ne pas faire pression pour légitimer l’ « évêque » Lei Shiying au Sichuan.
3 – Je reconnais être pessimiste à propos de la situation actuelle de l’Eglise en Chine mais mon pessimisme est basé sur ma longue et directe expérience de l’Eglise en Chine. De 1989 à 1996, j’ai passé six mois par an à enseigner dans les différents séminaires de la communauté catholique officielle. Et j’ai fait directement l’expérience de l’esclavage et de l’humiliation à laquelle nos frères évêques sont soumis. Sur base des informations récentes, il n’y a aucune raison de changer cette vision pessimiste. Le gouvernement communiste est en train de promulguer de nouvelles lois de plus en plus dures qui limitent la liberté religieuse. Ils sont actuellement en train de mettre en œuvre des lois qui n’existaient jusqu’à présent que sur papier (depuis le 1 février 2018, le rassemblement d’une communauté souterraine pour la messe ne sera plus toléré).
4 – Certains prétendent que tous les efforts pour parvenir à un accord [entre la Chine et le Saint-Siège] visent à éviter un schisme ecclésial. C’est ridicule ! Le schisme est déjà là, dans l’Eglise indépendante. Les papes ont évité d’employer le mot « schisme » parce qu’ils savaient que de nombreux membres de la communauté catholique officielle étaient là non par leur propre volonté mais contraints par des pressions très fortes. L’ « unification » proposée forcera donc tout le monde [à entrer] dans cette communauté. Le Vatican donnerait donc sa bénédiction à une nouvelle Eglise schismatique encore plus forte, tout en lavant la mauvaise conscience des renégats qui l’avaient volontairement rejointe et de tous ceux qui sont prêts à les suivre.
5 – N’est-il pas bon de chercher à trouver un terrain d’entente pour refermer la division entre le Vatican et la Chine qui dure depuis des décennies ? Mais est-il possible d’avoir quelque chose « en commun » avec un régime totalitaire ? Soit tu te rends, soit tu acceptes la persécution mais tu restes fidèle à toi-même. Pourrait-on imaginer un accord entre Saint Joseph et le Roi Hérode ?
6 – Est-ce que je pense que le Vatican est en train de vendre l’Eglise catholique en Chine ? Oui, tout à fait, si ils persistent dans la direction qui est évidente dans tout ce qu’ils ont fait ces derniers mois et au cours des dernières années.
7 – Certains experts de l’Eglise catholique en Chine disent qu’il n’est pas logique de supposer une politique religieuse plus contraignante de la part de XinJinping. Dans tous les cas, ici il n’est pas question de logique mais de la dure et cruelle réalité.
8 – Suis-je moi-même le plus grand obstacle au processus d’accord entre le Vatican et la Chine ? Si cet accord est mauvais, je suis plus que ravi d’être un obstacle. »
Joseh card. Zen
Sources : cath.ch/asian/be