Photo : la basilique Saint-Pierre de Rome touchée par la foudre le 11 février 2013, jour de l’annonce de la démission du Pape Benoît XVI
Tandis qu’approche la date du cinquième anniversaire de l’élection du pape François, on entend souvent répéter que nous vivons une page dramatique et absolument inédite de l’histoire de l’Eglise. Ce n’est que partiellement vrai.
L’Eglise a toujours connu des heures tragiques, qui ont vu le Corps mystique du Christ lacéré, de sa naissance au Calvaire à nos jours. Les plus jeunes ne savent pas et les plus âgés oublient à quel point les années qui suivirent le Concile Vatican II, dont la situation actuelle a hérité, furent terribles.
Il y a quarante ans, tandis qu’éclatait la révolte de 68, un groupe de cardinaux et évêques qui avaient été les protagonistes du Concile, cherchèrent à imposer un changement radical de la doctrine catholique sur le mariage. Cette tentative fut déjouée car Paul VI, par l’encyclique Humanae Vitae du 25 juillet 1968, rappela l’interdiction de la contraception artificielle, redonnant force et espérance aux fidèles désorientés.
Mais Paul VI, le pape d’Humanae Vitae, fut aussi celui qui provoqua une profonde rupture avec la Tradition catholique, en imposant, en 1969, le nouveau rite de la messe, ce rite à l’origine des ravages liturgiques actuels. Paul VI promut également l’Ostpolitik, prenant le 18 novembre 1973 la grave responsabilité de destituer de sa charge d’archevêque d’Esztergom et Primat d’Hongrie le cardinal József Mindszenty (1892–1975) – figure de proue de l’opposition catholique au communisme. Le pape Montini espérait que se réalise le compromis historique en Italie, qui reposait sur l’accord entre le secrétaire de la Démocratie chrétienne Aldo Moro et celui du Parti communiste Enrico Berlinguer. L’opération fut brusquement interrompue par l’enlèvement et l’assassinat de Moro, qui fut suivie, le 6 août 1978, par la mort du pape Montini lui-même. C’est également le quarantième anniversaire de ces faits.
En ces années de trahisons et de sang, se levèrent des voix courageuses qu’il faut évoquer non seulement par devoir de mémoire, mais aussi en ce qu’elles nous aident à nous orienter dans l’obscurité du moment présent. Nous en évoquerons deux, qui ont précédé l’explosion du « cas Lefebvre », archevêque français dont Mgr Athanasius Schneider, dans une récente interview, a souligné la « mission prophétique dans une époque d’extraordinaire obscurité d’une crise généralisée de l’Eglise ».
Une des voix est celle d’un théologien dominicain français, le père Roger Calmel, qui dès 1969 avait refusé le Novus Ordo de Paul VI et qui écrivait en juin 1971 dans la revue Itinéraires :
« Notre résistance chrétienne de prêtres ou de laïcs, résistance très pénible puisqu’elle nous oblige à dire non au Pape lui-même au sujet de l’aménagement moderniste de la Messe catholique, notre résistance respectueuse mais irréductible est commandée par le principe d’une entière fidélité à l’Eglise toujours vivante ; ou en d’autres termes par le principe de la fidélité vivante au développement de l’Eglise. Jamais ne nous est venue la pensée de freiner, encore moins d’empêcher, ce que certains appellent, en termes d’ailleurs fort équivoques, le « progrès » de l’Eglise, disons plutôt la croissance homogène en matière doctrinale et liturgique, en vue de la « consommation des saints ». (…) Comme le Seigneur nous l’a révélé dans ses paraboles, et comme nous l’enseigne saint Paul dans ses épîtres, nous croyons que l’Eglise au cours des siècles grandit et se développe dans l’harmonie, mais à travers mille souffrances, jusqu’au retour de gloire de Jésus-Christ lui-même, son Epoux et Notre Seigneur. Parce que nous sommes persuadés qu’il se fait au cours des siècles une croissance de l’Eglise, parce que nous sommes décidés à nous insérer aussi droitement qu’il est en nous, dans ce mouvement mystérieux mais ininterrompu, nous refusons cette prétendue avancée qui se réclame de Vatican II et qui est en réalité une mortelle déviation. Pour reprendre la distinction classique de Saint Vincent de Lérins, autant nous avons désiré un bel accroissement, un splendide « profectus », autant nous repoussons avec vigueur et sans consentir à composer, une funeste « permutatio », une mutation radicale et honteuse ; radicale, parce qu’étant issue du modernisme, elle est négatrice de toute foi ; honteuse, parce que la négation à la manière moderniste est fuyante et dissimulée ».
[…]
La « résistance » n’est pas une simple déclaration de foi verbale, mais un acte d’amour de l’Eglise qui mène à des conséquences pratiques. Qui résiste se sépare de celui qui provoque la division dans l’Eglise, le critique ouvertement, le corrige. C’est dans cette ligne que se sont exprimées, en 2017, la Correctio filialis adressée au pape François et le manifeste des mouvements pro-vie paru sous le titre : Fidèles à la vraie doctrine, non aux pasteurs qui s’égarent. C’est dans cette ligne que se place l’attitude sans compromis du cardinal Giuseppe Zen Zekiunface à la nouvelle Ostpolitik du pape François avec la Chine communiste.
A qui lui objecte qu’il faut « chercher un terrain commun pour mettre un terme à la division pluri décennale entre le Vatican et la Chine », le cardinal Zen répond : « Mais peut-il y avoir quelque chose de « commun » avec un régime totalitaire ? Soit l’on se rend soit l’on accepte la persécution, mais en demeurant toujours fidèles à nous-mêmes (peut-on imaginer un accord entre saint Joseph et le roi Hérode ?) ». Et à qui lui demande s’il est convaincu que le Vatican est en train de vendre l’Eglise catholique en Chine, il rétorque : « Oui, sans aucun doute, s’ils vont dans la direction qui est manifeste en tout ce qu’ils ont fait ces derniers mois et dernières années ».
On annonce un congrès à Rome le 7 avril, dont on ne sait pour le moment pas grand chose, mais qui devrait avoir pour objet l’actuelle crise de l’Eglise. La participation de certains cardinaux et évêques, et surtout du cardinal Zen, donnerait à ce congrès la plus grande importance.
Il faut prier pour que de cette rencontre puisse se lever une voix d’amour pour l’Eglise et de ferme résistance à toutes les déviations théologiques, morales et liturgiques du pontificat actuel, sans s’illusionner à penser que la solution réside dans l’invalidité de la démission de Benoît XVI ou de l’élection du pape François. Se réfugier dans le problème canonique revient à éviter de débattre sur le problème doctrinal à la base de la crise que nous vivons.
Roberto de Mattei
Sources : correspondanceeuropeenne.eu