« Le Matin » du 21 juillet 2007


« Le Matin  » du 21 Juillet 2007 – Michel Jeanneret 

A quoi joue le pape, lors­qu’il réha­bi­lite la messe en latin ? Est-​ce l’a­veu de fai­blesse d’une Eglise inca­pable d’en­rayer sa propre déli­ques­cence ? Ou est-​ce, au contraire, un geste pro­vi­den­tiel pour séduire une jeu­nesse chré­tienne en mal de rigueur… C’est en effet au sein des nou­velles géné­ra­tions que l’on trouve la frange catho­lique la plus tra­di­tio­na­liste. Débat entre croyants 

Benoît XVI va-​t-​il cru­ci­fier l’Eglise ? Le 7 juillet, le pape signi­fiait sa pré­fé­rence pour la messe en latin, esti­mant que la litur­gie avait été défor­mée au-​delà de « la limite du sup­por­table ». Quelques jours plus tard, le sou­ve­rain pon­tife fâchait les pro­tes­tants, en réaf­fir­mant que les catho­liques étaient les seuls à pou­voir se récla­mer d’une Eglise. Enfin, hasard de l’a­gen­da, c’est encore lui qui a sou­te­nu la nomi­na­tion de Vitus Huonder à la tête de l’Evêché de Coire. Un évêque ultra­con­ser­va­teur dont les pre­mières décla­ra­tions répètent un vieux refrain : celui des homo­sexuels qu’il faut « remettre sur le droit che­min ».

Acteur prin­ci­pal de ce retour du rigo­risme, Joseph Ratzinger divise plus que jamais. Alors que de nom­breux chré­tiens estiment qu’il vient de scel­ler le divorce enta­mé entre l’Eglise et la socié­té civile, d’autres – moins nom­breux mais plus fer­vents – consi­dèrent que le pape a com­pris que le chris­tia­nisme était sous la menace d’autres formes de réaf­fir­ma­tion iden­ti­taire. On pense ici à l’is­lam et au pro­tes­tan­tisme évangélique.

La nébuleuse fondamentaliste : du « grain à moudre » pour le pape

Contre toute attente, ce sont les ben­ja­mins que Benoît XVI désire atti­rer. Il n’en fait d’ailleurs pas mys­tère. Dans sa lettre du 7 juillet, le pape relève que les rites anciens attirent éga­le­ment « des per­sonnes jeunes », qui appellent de leurs vœux un retour vers le sacré.

Des jeunes plus radi­caux que les aînés ? C’est l’a­vis de Michel Cool, ancien direc­teur de l’heb­do­ma­daire fran­çais Témoignage chré­tien. Selon lui, Benoît XVI a consta­té « la forte pré­sence de jeunes » aux pèle­ri­nages : « Ces don­nées ne peuvent lais­ser inerte un pape qui cherche à enrayer l’hé­mor­ra­gie spi­ri­tuelle et intel­lec­tuelle du catho­li­cisme euro­péen », écrivait-​il récem­ment dans les colonnes du Monde Diplomatique.

Dans ce contexte, Michel Cool esti­mait que, « face à la disette des voca­tions, les paroisses et les sémi­naires ensou­ta­nés de la nébu­leuse tra­di­tio­na­liste repré­sentent du « grain à moudre. »

Un pape stra­tège ? « C’est vrai qu’au­jourd’­hui, les franges les plus vibrantes du catho­li­cisme sont aus­si les plus tra­di­tion­nelles. Le sens radi­cal enthou­siasme davan­tage que ce qui est tiède ou mélan­gé », recon­naît Christian, un catho­lique enga­gé. Ce jeune de 30 ans, actif dans le domaine de la finance, estime que l’on ne peut pas soup­çon­ner Benoît XVI de suivre une stra­té­gie : « Il est sim­ple­ment fidèle à sa ligne ».

Un pape cal­cu­la­teur ? C’est l’a­vis d’Enrico Norelli, catho­lique et pro­fes­seur d’his­toire du chris­tia­nisme à la Faculté de théo­lo­gie de l’Université de Genève : « Benoît XVI sait bien que ceux qui sont sus­cep­tibles de sou­te­nir le catho­li­cisme sont des inté­gristes ». Dès lors, le retour de la sévé­ri­té morale s’impose.

Enrico Norelli constate en effet que les jeunes « ont besoin d’une reli­gion magique, mys­tique, tout ce contre quoi nous avons ten­té de lut­ter avec Vatican II ».

Mais il estime que la stra­té­gie de Joseph Ratzinger est une stra­té­gie à court terme : « Le pape tente de faire pas­ser la pilule aux pro­gres­sistes en affir­mant que la messe tri­den­tine res­te­ra une excep­tion, mais toutes ces démarches pour rega­gner des fidèles sont vouées à l’é­chec. On se borne à rega­gner par la droite ce qu’on perd par la gauche…»

« Ratzinger est un intégriste qui se conduit comme un roi »

Prêtre marié, Jacques Perroux, 75 ans, est encore plus viru­lent. Selon lui, le pape ne suit pas de stra­té­gie pré­cise : « C’est le retour pur et simple de la sou­tane. Si Ratzinger se com­porte comme cela, c’est tout sim­ple­ment parce qu’il est lui-​même un inté­griste qui se conduit comme un roi ».

Un roi qui tien­drait des beaux dis­cours sur les droits de l’homme, sans les res­pec­ter lui-​même : « Le mariage en est un, relève Jacques Perroux. S’y oppo­ser, c’est aller à l’en­contre des droits fon­da­men­taux.»

Un vieux refrain, là encore, balayé par cer­tains fidèles. On ne juge pas le pape. C’est ce que pense Alexis, 35 ans, ana­lyste dans une socié­té finan­cière gene­voise. Le jeune homme ne veut pas s’ins­crire en porte-​à-​faux avec les déci­sions du chef de l’Eglise catho­lique. Même celles qu’il ne com­pren­drait pas. « Benoît XVI cherche à abon­der dans le sens d’un cer­tain nombre de chré­tiens. Toute cette his­toire que l’on fait autour de la messe tri­den­tine est absurde. Ce n’est qu’un détail, un épi­phé­no­mène ».

Pourtant, cette démarche va à l’en­contre d’une pen­sée éclai­rée, où cha­cun peut com­prendre la signi­fi­ca­tion de la liturgie.

« On ne peut pas attendre de l’Eglise qu’elle donne raison à la société »

Alexis refuse éga­le­ment la théo­rie du divorce entre l’Eglise et la socié­té : « L’Eglise agit comme un immense balan­cier dont le rythme et l’am­pli­tude ne cor­res­pondent pas à ceux du public ». Pas éton­nant, dès lors, que notre inter­lo­cu­teur ne s’of­fusque pas des décla­ra­tions sur l’ho­mo­sexua­li­té : « On ne peut pas attendre de l’Eglise qu’elle donne rai­son à la socié­té. L’Eglise n’est pas une chambre d’en­re­gis­tre­ment des pro­grès sociaux…»

Pendant ce temps, les catho­liques modé­rés s’in­ter­rogent sur l’ef­fet de ces dis­cours conser­va­teurs. Il est pro­bable qu’ils réduisent l’Eglise à une por­tion tou­jours plus congrue de fidèles, mais aus­si tou­jours plus fer­vente. En témoi­gne­raient les listes d’at­tente qui existent dans cer­tains monas­tères que nous avons contactés.

Et encore : cette forme de foi qui néces­site un immense don de soi ne se pro­page pas comme un virus. Au monas­tère des Bernardines de Collombey (VS), la soeur de per­ma­nence à l’ac­cueil regrette que, « même si les chambres à des­ti­na­tion des hôtes de pas­sage ne désem­plissent pas, la disette des voca­tions per­siste ».

Et si, mal­gré tout, Benoît XVI avait com­mis l’er­reur de prendre au pre­mier degré les paroles de Georges Brassens lors­qu’il chan­tait : « Sans le latin, sans le latin, la messe nous emmerde » ?

Michel JEANNERET

Le Matin Dimanche du same­di 21 juillet 2007