« Le Monde » du 17 juillet 2007
Stéphanie Le Bars avec Claudia Courtois à Bordeaux,
Jacques Fortier à Strasbourg,
Gilles Kerdreux à Rennes,
Sophie Landrin à Lyon
Les prêtres de terrain ont accueilli avec circonspection le motu proprio de Benoît XVI, qui libéralise la messe en latin à partir du 14 septembre. D’après le texte papal, ils sont pourtant les premiers concernés par cette décision, qui permet dorénavant à un groupe de fidèles de demander directement au curé du lieu de célébrer une messe ou un sacrement selon le rite ancien.
Leurs réserves portent à la fois sur des questions théologiques et pratiques. « Pour moi, et je crois pour beaucoup de paroissiens, c’est un pas en arrière », juge Christian Kamenisch, curé à Ostwald (Bas-Rhin). « Je crains que ce texte ne donne de l’Eglise une image nombriliste, attachée à son organisation interne ».
Une crainte partagée par André Dhelin, prêtre à Maubeuge (Nord) : « L’Eglise a besoin de symbole, mais pas de celui-là. Il donne à certains un argument supplémentaire pour dire que l’Eglise s’occupe plus d’elle-même que du monde. » « Ce n’est pas notre priorité, confirme Pierre Legrand, prêtre à Bordeaux. Nous avons tant à faire pour évangéliser les gens. »
L’argument du pape pour qui ce texte est censé favoriser « l’unité » de l’Eglise avec les catholiques traditionalistes et schismatiques ne porte guère. « Tant mieux si cela leur donne un sentiment d’accueil mais on n’avait pas besoin de remettre ce débat sur la table », estime Max de Guibert, prêtre dans la Sarthe.
« Le pape a cherché à se rapprocher de gens pour qui la messe en latin n’est en fait qu’un détail. Ce qui les sépare de l’Eglise, c’est leur refus de Vatican II, de l’oecuménisme, de l’ouverture », juge Pierre Gacogne, curé à Lyon, pour qui « cette initiative est inopportune ».
« Je trouve que l’on fait beaucoup de concessions pour ces chrétiens qui font une Eglise à côté de l’Eglise au regard de ce que l’on fait pour tous ceux qui quittent l’Eglise sur la pointe des pieds, notamment les chrétiens divorcés qui veulent se remarier », ajoute Paul Bertin, prêtre à Rennes.
« C’est un gage supplémentaire donné aux intégristes et pour l’Eglise de France qui a tant souffert du schisme c’est une réouverture des blessures », estime aussi Christian Delorme, prêtre de deux paroisses à Lyon.
Plus nuancé, Jean-Michel Guarrigues, un dominicain, prêtre à Bordeaux, estime que « la coexistence des deux rites peut amener un enrichissement ». Michel Wackenheim, prêtre au nord de Strasbourg, juge aussi que « le pape a bien fait », compte tenu des pressions importantes des groupes traditionalistes.
Dans les faits, nul ne s’attend pourtant à une vague de demandes, les besoins étant déjà assez bien couverts, ainsi que l’ont rappelé la plupart des évêques dans le texte de présentation du motu proprio qu’ils ont envoyé aux prêtres. Certains préviennent déjà qu’ils refuseront de satisfaire aux sollicitations des traditionalistes.
C’est le cas de Roger Michel, prêtre à Valence. « Pour les générations, ordonnées après 1965, ce rite ancien pose des questions : quid des prêtres et des laïcs qui se sont investis dans le travail liturgique d’après Vatican II ? » Christian Kamenisch serait lui « bien embêté ». « Je ne sais pas le latin et il y a peut-être plus important à faire que de passer l’été à l’apprendre. » Christian Delorme s’estime aussi « personnellement incapable de dire une messe en latin, comme en chinois. Si la demande m’est faite, j’en référerai à l’évêque ». Une attitude largement partagée par ses collègues.
Les curés de paroisses, imprégnés de l’esprit de Vatican II pour la plupart, reconnaissent toutefois chez quelques-uns de leurs confrères une sympathie pour le rite ancien. « Les jeunes, du moins chez les Dominicains, ont une attirance pour la messe en latin, assure Jean-Michel Guarrigues. Ils ne vont pas la célébrer à tout-va mais beaucoup vont l’apprendre. Comme beaucoup de jeunes catholiques fervents, ils ont souffert d’une certaine désacralisation de la liturgie après le concile Vatican II. »
« Le besoin de sacralité n’est pas forcément celui d’une messe dos au peuple, nuance Vincent Steyert, curé de deux grandes paroisses à Strasbourg. Mais celui d’une célébration où celui qui la préside sache un peu s’effacer. »
Article paru dans l’édition du Monde du 17 juillet 2007